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RFE/RL NEWSLINE Vol. 7, No. 239, Part II, 22 December 2003

UNOFFICIAL RESULTS OF MONTENEGRIN CENSUS LEAK OUT... The November
census showed that the Montenegrin population comprises some 673,000
people, roughly 41 percent of whom are ethnic Montenegrin, 30 percent
Serbian, 9 percent Bosnian, 7 percent Albanian, 4 percent Muslim, 1
percent Croatian, and 0.5 percent Romany, the daily "Vijesti"
reported on 19 December, quoting sources from the census commission.
The commission was scheduled to announce the results officially on 22
December. The number of ethnic Montenegrins has thus decreased by
some 107,000 since the 1991 census, the daily reported, while it said
the number of Serbs has grown by about 144,000 (see "RFE/RL
Newsline," 26 August and 3 November 2003 and "RFE/RL Balkan Report,"
19 January 2001). UB

...AND PROMPT POLITICAL REACTION. Prime Minister Milo Djukanovic,
who favors Montenegrin independence, commented on reports of the
unofficial census figures, saying he does not pay much attention to
citizens' nationality, according to MINA. "As far as I am concerned,
Montenegro was and still is a civic state; and on that basis, we have
to continue conducting a successful multiethnic toleration policy in
Montenegro," Djukanovic said. President Filip Vujanovic also
downplayed the significance for national policy of ethnicity. "We
have to move together to a European future, independent of what we
call ourselves, which god we pray to, or which nation we adhere to,"
Vujanovic said. Opposition People's Party Chairman Dragan Soc said
the results dealt a blow to separatist aspirations, as they are "a
clear message that Montenegrin identity cannot be built on anti-Serb
feelings," MINA reported. UB


© Tous droits réservés Le Courrier des Balkans
© Le Courrier des Balkans pour la traduction

http://www.balkans.eu.org/article3796.html

LE COURRIER DES BALKANS
Recensement : les enjeux pour le Monténégro

Mise en ligne : jeudi 13 novembre 2003

Organisé avec deux ans de retard, le recensement en cours au Monténégro devrait permettre d’avoir une image précise de la situation non seulement démographique mais aussi politique de la petite république. Quel sera le poids des minorités ? Comment les identités nationales vont-elles se redéfinir ? Qui se déclarera « Serbe » et qui se déclarera « Monténégrin » ?

Par Amaël Cattaruzza

En France, l’organisation du recensement est perçue comme un problème essentiellement technique. Comment quadriller le territoire et ses populations ? Comment collecter les données ? Comment les dépouiller et corriger les erreurs ou les lacunes de manière à être le plus efficace et le plus précis possible ? Le résultat de cette opération est fondamental : en plus d’éclairer tout un chacun sur l’évolution et les dynamiques de migration des populations, il permet d’adapter la politique de l’État et des régions aux nouvelles réalités démographiques du territoire, c’est-à-dire entre autres d’équilibrer au plus juste les enveloppes de financement régionales et départementales, d’ajouter ou de retirer des infrastructures, de répartir au mieux les postes de la fonction publique, etc.

Dans les Balkans, au contraire, les recensements sont plus souvent perçus comme un problème politique, et cela pour deux raisons.

Tout d’abord, l’identité nationale des peuples constitutifs de cette région est encore « mouvante » et en devenir. La situation est difficile à appréhender pour des Français qui font naturellement l’amalgame entre nationalité et citoyenneté, puisque dans le cadre de l’État-Nation français, les deux notions sont intimement imbriquées. Cela n’est pas le cas dans tous les pays de l’ex-Yougoslavie où, si la question de la citoyenneté (drzavjanstvo) paraît évidente, suivant l’État dans lequel la personne est administrativement recensée, la question de la nationalité en revanche n’est pas toujours bien définie et peut même dans certains cas se transformer en véritable dilemme. Comment un enfant issu d’un mariage « mixte » doit-il se déclarer ? Et que dire de ceux qui avait, bien souvent par conviction, l’habitude de se déclarer « Yougoslaves »… Que dire encore de ces « micro-minorités » peu reconnues, ou mal perçues que sont les Rroms, les Aroumains, les Valaques, les Gorans… Il est d’autant moins facile pour les peuples des Balkans de se définir et de s’identifier que l’histoire complexe de ces contrées est porteuse de messages et de signes contradictoires rendant possible de multiples interprétations.

Ensuite, du fait de la redéfinition violente des frontières et des peuples de la région au cours des quinze dernières années, certaines identités ont une portée subversive et potentiellement explosive. En effet, il n’est pas neutre de se revendiquer Serbe ou Bosniaque (Bosanac) à Banja Luka, de se dire Croate ou Bochniaque (Bosnjak) à Mostar, Serbe ou Croate à Knin et à Vukovar, Yougoslave à Belgrade, Monténégrin à Cetinje, Albanais à Bujanovac, etc. Ces simples affirmations nationales sous-entendent aujourd’hui, si ce n’est réellement, au moins dans l’imaginaire collectif, une prise de partie politique, une certaine conception de l’Histoire et du territoire, et même une possible remise en question des nouveaux État-nations émergents. Ainsi, bien que structurellement identiques à ceux pratiqués en Europe occidentale, les recensements dans les Balkans présentent des enjeux qui dépassent la simple gestion administrative locale et nationale.

Des enjeux décisifs pour le Monténégro

Le Monténégro n’échappe pas à cette règle. Ainsi, quelques jours après l’annonce de la tenue du recensement entre le 1er et le 15 novembre 2003 (avec un retard de deux ans), les partis « pro-serbes » du Monténégro et l’Église orthodoxe serbe du Monténégro se sont emparés de la question nationale comme s’il s’agissait d’un référendum. Depuis septembre, une campagne active est menée pour pousser les populations orthodoxes à se déclarer plutôt « Serbes » que « Monténégrins », afin de ne pas soutenir des positions « anti-serbes ». Quelques phrases sont lancées dans les médias en guise de slogans. Dragan Soc, chef de file d’un des principaux partis d’opposition, le Parti Populaire (NS), dans un entretien avec le quotidien Dan, résume en quelque mot le contenu de cette propagande pré-recensement : « Vous ne serez pas moins Monténégrins en vous déclarant Serbes ».

Du côté du gouvernement et des partis pro-monténégrins dont l’Alliance libérale (LSCG), la consigne de ne pas prendre parti pour ne pas perturber le déroulement des opérations a été respectée. Pourtant, la Dukljanska Akademija, l’Académie des arts et des sciences parallèle à l’Académie monténégrine officielle, a ouvert une polémique dans la presse à propos de la langue monténégrine. En effet, la question de la langue maternelle est posée sur les formulaires de recensement sous forme ouverte, laissant chaque individu choisir le nom de la langue qu’il emploie. La reconnaissance d’une langue monténégrine spécifique n’étant pas encore officiellement établie, la Dukljanska Akademija profite ainsi du recensement pour inciter les Monténégrins à se déclarer de langue monténégrine, ce qui permettrait entre autre de conforter les travaux de ses grammairiens qui, depuis dix ans, tentent de formaliser les spécificités de la langue monténégrine par rapport à la langue serbe (bien que ce soit toujours le serbe qui soit appris dans les écoles ou à l’Université de Niksic).

Enfin, les minorités ont elles aussi saisi cette occasion pour clamer à nouveau leur identité nationale et leur langue maternelle. La situation au Monténégro risque donc d’être assez exceptionnelle. Pour une population qui avoisine vraisemblablement les 600 000 ou 650 000 habitants, c’est-à-dire la taille d’une ville moyenne française, le nombre de groupes nationaux importants qui ressortiront de ce recensement se situera entre six et huit (peut-être plus), et ce flou s’explique par le fait qu’au moins trois incertitudes demeurent encore.

Trois grandes incertitudes

La première concerne l’ancienne appellation de « Yougoslave ». La dernière Yougoslavie a officiellement disparue en février 2003 pour devenir l’Union de Serbie et du Monténégro, mais qu’en est-il de l’identité yougoslave ? 5,35% et 4,25% de la population s’étaient déclarés « Yougoslaves » lors des recensements de 1981 et 1991, souvent par conviction, mais aussi par commodité, car cette dénomination supra-nationale était un bon compromis face au problèmes complexes et intimes que posent ici la définition de son identité nationale. Comment se déclareront aujourd’hui ces populations ? Y aura-t-il encore des gens pour se déclarer « Yougoslaves » et qu’est-ce qu’une telle déclaration pourrait signifier aujourd’hui ? Ne sera-t-elle pas alors un soutien implicite au maintien d’un État fédéral avec la Serbie ?

Deuxième incertitude, les populations rroms vont-elles se déclarer en tant que telles ? D’après les estimations du président du Centre démocratique rrom de Podgorica, Ivan Toskic, dans une interview réalisée pour le quotidien Dan le 1er septembre, ils seraient près de 25 000 au Monténégro. Mais ils sont très divisés entre eux, souvent méprisés et discriminés, et ils ont toujours hésité lors des derniers recensements à se déclarer « Rroms ». Ils ont aujourd’hui la possibilité de le faire, et ils y sont fortement incités par les organisations et les associations qui les représentent à Podgorica et un peu partout dans le pays.

Enfin dernière inconnue, mais pas des moindres : les populations slaves musulmanes vont-elles se déclarer en tant que « Musulmans », ainsi que le veut la tradition communiste yougoslave initiée par le recensement de 1961, ou préfèreront-elles se déclarer « Bochniaques », en créant de fait un lien avec les Bochniaques de Bosnie-Herzégovine ? Là encore, les dénominations ne sont pas neutres. La dénomination officielle de la minorité slave musulmane monténégrine, soutenu par le parti au pouvoir, le DPS, ainsi que par les autorités religieuses monténégrines, dont le Reis-El-Ulema de Podgorica, est l’appelation « Musulman ». Mais la dénomination « Bochniaque » a de facto gagné du terrain dans le Sandjak monténégrin et dans la région de Plav, au nord-est de la petite république. Cette progression de l’identité bochniaque est le résultat du du double mouvement initié dans les années 1990, d’un côté par Novi Pazar et les factions indépendantistes du Sandjak serbe, et de l’autre par les partis communautaires musulmans, dont le SDA, fondé par Alija Izetbegovic, dont les scores sont particulièrement élevés dans le Sandjak serbe et pour le moment presque négligeables dans le Sandjak monténégrin. L’effort de redéfinition identitaire que les Slaves musulmans sont appelés à faire sera donc en partie révélateur de leur adhésion ou non à la politique actuelle du gouvernement monténégrin, ainsi que de leur volonté d’intégration à la société monténégrine.

Ainsi, les enjeux qu’implique ce nouveau recensement monténégrin pèsent lourd, et c’est peut-être d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent que cette procédure n’ait lieu qu’aujourd’hui, avec deux ans de retard : le dernier recensement date de 1991 et la tradition yougoslave voulait que celui-ci ait lieu tous les dix ans. Les résultats seront éclairants sur trois points essentiels de la situation actuelle et future du Monténégro.

Ils permettront d’obtenir un chiffre plus précis de l’évolution des populations au Monténégro, car les évènements balkaniques de ces dix dernières années ont certainement dû peser sur la démographie de ce micro-État. Concernant l’afflux de nouvelles populations, le problème de la sédentarisation de certains réfugiés reste à estimer notamment en ce qui concerne les populations serbes de Bosnie-Herzégovine et de Croatie et les populations musulmanes ou Bochniaques de Bosnie-Herzégovine. Concernant les départs de population vers l’étranger, le cas des Croates des Bouches de Kotor est à clarifier. De sources officieuses, ils auraient été 2500 à quitter la région vers la Croatie, lorsque les troupes monténégrines ont commencé à bombarder Dubrovnik, en 1991. De plus, l’importance de l’émigration économique de ces dernières années est également à déterminer.

Ces résultats permettront aussi de matérialiser la polémique identitaire serbo-monténégrine et d’apporter de nouvelles informations quantitatives concernant le camp « pro-serbe ». En effet, les débats concernant les spécificités de l’identité monténégrines ont été virulents au cours de ces dix dernières années et ont engendré le dédoublement officieux de plusieurs institutions, dont la création (ou la réaffirmation) d’une Église orthodoxe monténégrine autocéphale en 1993, et plus tard de la Dukljanska Akademija. La polémique s’est intensifiée avec l’assombrissement des relations entre la Serbie et le Monténégro, suite aux victoires électorales de Milo Djukanovic lors des élections présidentielles de 1997 et parlementaires de 1998 et l’évocation d’une probable indépendance du Monténégro. De plus, le camp défendant les spécificités de l’identité monténégrine s’est forgé, en particulier grâce à la politique de l’Alliance libérale des années 1990, une réputation démocratique et anti-militariste. Ce camp rallié tardivement par Milo Djukanovic et par le DPS « renouvelé » de 1997 a pu représenter un temps, en plus d’un mouvement d’affirmation nationale, une opposition démocratique au pouvoir de Milosevic. Celui-ci ayant disparu, le recensement sera peut-être l’indicateur d’une nouvelle distribution des cartes. Les Serbes représentaient au Monténégro, lors du dernier recensement yougoslave de 1991, 9,34% de la population. Les pronostiques de divers analystes politiques évaluent qu’ils pourraient représenter cette fois-ci entre 20 et 30% de la population. Mais que se passeraient-il s’ils créaient la surprise et que leur nombre était encore supérieur ?

Enfin, ce recensement va amener les minorités à se redéfinir. Ce sera le premier recensement à dénombrer le nombre de locuteur parlant le serbo-croate, le serbe, le monténégrin, le bosniaque, le croate, ainsi que l’albanais et le rromani. Outre le problème linguistique, il permettra de mieux appréhender, comme cela a été expliqué précédemment, la situation des Rroms et des Slaves musulmans, sans oublier celle des Albanais catholiques et musulmans, qui oscillent entre intégration au Monténégro et affirmation de leurs droits nationaux.