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Arben Xhaferi : « les Etats multiethniques ne sont
pas une solution »
TRADUIT PAR BELGZIM KAMBERI
Publié dans la presse : 24 avril 2003
Mise en ligne : lundi 28 avril 2003
Interviewé par l'équipe de Java, Arben Xhaferi, président du PArti démocratique albanais de Macédoine, défend sa vision d'un Etat albanais regroupant l'ensemble de la population albanophone dans les Balkans.
Java [J] : Vous êtes l'homme politique local qui colporte l'idée d'une définition ethnique de l'Albanie. Pourquoi cela ?
Arben Xhaferi [A. Xh.] : Je pense que c'est le droit du peuple albanais. Jusqu'à présent, nous avons fait preuve de patience. Qu'avons-nous gagné ? Des projets à la limite du génocide ! Les Albanais de l'ancienne Yougoslavie voient leurs propositions de coexistence pacifique subir le refus des Slaves du Sud. Ces derniers ont eu un siècle pour résoudre le problème, et leurs solutions ont toujours été en contradiction avec les valeurs de la communauté internationale. Ces méthodes répressives ont généré des crises dans la région. Serait-ce infamant que d'étudier le projet albanais qui prend en compte les revendications slaves ? La réponse est non, tant au niveau politique que moral.
Les sociétés multiethniques sont confrontées à un problème de cohésion intérieure. Vu la mentalité des peuples de la région, très ethnocentrique, je ne pense pas que nous puissions parvenir à cette cohésion. Dans la région, seuls les pays présentant une relative homogénéité fonctionnent correctement, comme la Slovénie où le pourcentage des minorités est faible.
Dans l'ancienne Yougoslavie, il n'y a plus un seul État multiethnique, et ce serait une erreur que de mentionner la Bosnie, le Kosovo ou la Macédoine. La Bosnie ressemble à un parc zoologique, où les différentes espèces sont parquées, sans aucun échange possible. Au Kosovo, les Serbes demeurent enfermés dans leurs enclaves, et ce sont les lois de Belgrade qui y prévalent, pas celles de Pristina. En Macédoine, les deux communautés principales cohabitent sans contact, comme si elles s'étaient retrouvées par hasard dans un même bus ayant plusieurs terminus…
Les pays précités ne sauraient être qualifiés de multiethniques. Il s'agit tout au plus de constructions artificielles. Les Albanais sont favorables par leurs propositions - la mienne y compris - à une coexistence pacifique, mais ce sont nos voisins qui s'y opposent brutalement. Je pense qu'il est trop tard désormais pour revitaliser notre offre après le bain de sang qu'ont connu les Balkans. Je ne vois pas de solution dans les pays hétérogènes d'un point de vue ethnique.
J : Pensez-vous que l'idée d'une définition ethnique de l'Albanie est possible ?
A.Xh. : Il ne s'agit pas là d'un mythe, mais d'une réalité. Les autres États de la région qui se sont constitués sur des bases ethniques l'ont fait par la violence : violations de territoires, maltraitance des populations locales, etc. Une définition ethnique de l'Albanie n'est pas un vieux rêve romantique, mais une solution indispensable, car nos voisins se montrent incapables de traiter dignement les communautés albanaises qui résident sur leur territoire. Au lieu d'une intégration, ils leur offrent une marginalisation, une assimilation forcée voire un génocide. La définition d'un État selon des critères ethniques peut paraître arriérée, mais, dans les Balkans, c'est un mode de fonctionnement dominant.
J : Avec qui avez-vous discuté de ce projet ?
A.Xh. : Avec beaucoup de gens : des politiciens albanais, macédoniens, serbes, croates, des journalistes, des scientifiques etc.. Cette idée ne doit pas être regardée comme l'ébauche d'un programme politique, mais le fruit d'une étude socio-historique. Entre les Slaves du Sud et l'Albanie existe un différend ethnique, religieux et linguistique. Il faut en finir avec l'apartheid ou l'épuration ethnique. Je vous rappelle que Garasanin a, dès 1844, voulu s'accaparer une partie de l'Albanie et livrer le reste du territoire à la Grèce. Les Albanais n'ont jamais fait preuve d'une telle agressivité. Le critère ethnique ne doit pas être employé pour murer les populations, mais pour leur garantir la sécurité. Nous n'avons le choix qu'entre l'autodétermination ou la domination étrangère. Personne ne peut moralement s'exprimer à notre place. Certes, il existe d'autres solutions, mais elles ne sauraient convenir de façon pragmatique à la réalité socio-politique locale.
J : Pensez-vous que le point de vue de la communauté internationale et les frontières puissent être révisés ?
A.Xh. : Tout cela repose sur une phraséologie très éloignée de la réalité. La notion même de « Balkan » n'est ni politique ni administrative, mais géographique. Les frontières au sein des Balkans n'ont eu de cesse de bouger, de l'Antiquité à l'effondrement du bloc de l'Est. Après 1990, une dizaine de frontières ont été modifiées. Ce type de transformation se produira encore et toujours.
La communauté internationale désapprouve l'usage de la force et l'idée d'un changement. La Yougoslavie n'est pas parvenue à combler le vide géostratégique et politique né de l'écroulement des empires austro-hongrois et ottomans. L'État de multiethnique est passé progressivement sous domination serbe. La question n'est pas de savoir si de nouvelles frontières vont être tracées dans les Balkans. La division de la Yougoslavie s'effectuera-t-elle oui ou non selon des principes ethniques ou sur des critères administratifs ?
Le problème du Kosovo est le résultat d'une politique internationale qui se veut pragmatique : la communauté albanaise souhaite se séparer administrativement de l'ancienne Yougoslavie alors que les Serbes en appellent à une vieille rengaine, la question ethnique… Ils se sont enclavés et veulent dissocier le nord de Mitrovica du reste du pays. S'ils obtiennent gain de cause, je ne vois pas pourquoi les Albanais du Monténégro, ceux de la vallée de Presevo (au sud de la Serbie) ou ceux de la Macédoine devraient taire leurs revendications. Le problème n'est pas de savoir s'il y aura de nouvelles frontières dans les Balkans, mais plutôt de connaître les critères retenus pour procéder à de nouveaux découpages.
(Mise en forme : Stéphan Pellet)