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VECERNJE NOVOSTI
Djindjic : le « modèle chypriote » pour le Kosovo ?

TRADUIT PAR PERSA ALIGRUDIC

Publié dans la presse : 6 mars 2003
Mise en ligne : dimanche 9 mars 2003

Sur la Toile
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Le Premier ministre de Serbie évoque l'ouverture du dialogue entre Pristina et Belgrade, et défend l'idée d'une fédéralisation du territoire. Pour lui, le Kosovo multiethnique n'a toujours été qu'un leurre.

 

Propos recueillis par Dj. Bilbija et R.Ognjanovic

V ecernje Novosti (VN) : Le gouvernement de Serbie a accepté l'initiative de Michael Steiner pour que Belgrade et Pristina entament le dialogue sur des questions importantes et concrètes qui, au moins à première vue, ne concernent pas le statut final du Kosovo et Metohija (Kosmet). Y a t-il eu des réactions internationales et de la part de Steiner suite à cette acceptation ?

Zoran Djindjic (ZDj) : En fait la proposition de Steiner est une réaction à notre initiative. La communauté internationale a donné son accord, nous devons donc commencer les entretiens. Pour la communauté internationale, c'est la preuve que le débat sur le Kosmet s'ouvre sérieusement, alors qu'il s'agissait toujours d'un sujet tabou, dès lors qu'il était question des implications albanaises dans tous les Balkans. Les entretiens porteront sur des questions techniques et quotidiennes. Mais c'est déjà une avancée très importante car, jusqu'à présent, les politiciens albanais refusaient absolument toute idée d'un dialogue avec Belgrade. Pour eux, la communauté internationale était leur seul partenaire, car la Serbie est un pays étranger avec lequel ils ne désirent avoir aucune relation. Ce qui vient de se produire, probablement sous la pression de Steiner et de la communauté internationale, est bienvenu car, indirectement, les droits de la Serbie sont ainsi reconnus. C'est aussi la première fois que « Belgrade » veut dire « la Serbie », et qu'une invitation est adressée au gouvernement de Serbie et non pas aux instances fédérales.

VN : Le vice-Premier ministre Nebojsa Covic par « du retour de la Serbie au Kosovo ». Partagez-vous son avis ?

ZDj : Les discussions vont commencer sous peu et c'est très bien, même si ce ne sera pas dans un premier temps au niveau ministériel . Les questions porteront sur le commerce « frontalier », sur la répression des trafics illicites, sur l'énergie, les communications. Nous parlerons non pas comme deux pays mais comme deux parties d'un espace commun. Ces questions en entraîneront d'autres, plus fondamentales : faisons-nous partie d'un seul système ou de deux systèmes séparés ?

Les droits de la Serbie au Kosmet ne peuvent pas disparaître. Personne, ni les Albanais ni la communauté internationale, n'a le droit de nous dire : Milosevic a brûlé vos droits et vous devez repartir à zéro. Notre approche n'est pas unilatérale et la Résolution 1244 mentionne qu'un compromis doit être trouvé entre les droits de Pristina et ceux de Belgrade. Ce qui m'inquiète, c'est qu'au cours de ces quatre dernières années, tout se fait en-dehors du cadre de cette Résolution et s'oppose à un éventuel compromis.

Nous avons trois groupes de questions à traiter : le premier concerne les problèmes quotidiens de collaboration entre Belgrade et Pristina, à savoir l'énergie, les communications, le commerce, le crime organisé, le problème de différents droits, des plaques d'immatriculation, des cartes d'identité et tous les soucis des citoyens. Le deuxième ensemble de questions concerne le retour des Serbes et des non Albanais et leur sécurité. Ces questions doivent être abordées conformément à tout ce qui est écrit dans la Résolution 1244 sur les droits du peuple serbe à revenir d'où il a été chassé. Le troisième groupe de questions doit inévitablement concerner le statut national et les institutions.

VN : On commence déjà à vous regarder avec suspicion à propos de vos positions sur le Kosmet...

ZDj : C'est vrai, mes relations ne sont plus les mêmes avec certains collègues des organisations internationales. Cependant, le Kosmet est pour moi une priorité nationale car il s'agit en fait du statut de la Serbie. Nous ne pouvons cerner le statut de la Serbie tant que nous ne savons pas quel est celui du Kosmet. J'ai été élu pour défendre les intérêts de la Serbie. Donc, la première chose est de savoir ce qui doit se défendre. Le monde doit comprendre l'ampleur du problème, qui serait le même pour tout autre pays normal. C'est pourquoi Belgrade ne peut plus accepter que le débat sur le statut final soit encore reporté. Il me semble que nous dérangeons la conception que certains ont pour les Balkans et le Kosovo. Il faut les comprendre : ils viennent juste d'imaginer un scénario d'avenir, et un certain Djindjic arrive en disant que cela ne peut plus continuer ainsi, voyons ce qui a été fait jusqu'à présent et comment poursuivre. Cette réaction est pour moi la preuve qu'il existe un plan tacite visant à parvenir à l'indépendance en 2004 ou 2005.

Nous allons demander officiellement une analyse de ce qui a été fait depuis l'arrivée de la mission internationale au Kosovo il y a quatre ans. Nous demanderons la formation d'une équipe formée par les experts du Conseil de Sécurité, de l'Union Européenne, de Belgrade et Pristina, qui rédigeront un « livre blanc » où seront constatés les faits : tout ce qui n'a pas été réalisé, le nombre de gens revenus dans la province, pourquoi le retour de notre armée et de la police n'a t-il pas été réalisé, qu'en est-il de « l'autonomie fondamentale », de la normalisation des relations, des « standards » dont Steiner parle fréquemment, etc. Toutes ces questions seront notées de 1 à 5. Je n'exagère pas du tout, puisque les Albanais peuvent travailler, circuler librement alors que ce n'est pas le cas pour les Serbes.

VN : Ne craignez-vous pas que la communauté internationale nous habitue lentement à l'idée qu'il serait préférable pour nous de nous résigner à l'idée d'un Kosmet indépendant ?

ZDj : Il est probable que certains comptent sur cela. Or, nous ne devons plus permettre de définir notre intérêt national en fonction de ce que pensent les autres. Lorsque je pense à mes enfants et petits enfants je suis inquiet de la situation démographique, du déséquilibre entre l'évolution des populations albanaises et serbes. Tellement inquiet que j'imagine l'avenir de l'Etat serbe où vivraient un million et demi d'Albanais qui auraient le droit d'acheter des biens à Terazije (centre de Belgrade), de privatiser des entreprises avec l'argent provenant du trafic de la drogue, qui se compte en dizaines de milliards de dollars. En raison de la situation actuelle des choses, je suis très inquiet pour la Serbie que nous laisserons à nos descendants.

VN : Vous avez récemment parlé de la fédéralisation du Kosovo. Est-ce un projet réel ?

ZDj : La première chose est que les Serbes obtiennent le statut de peuple constitutif et non pas de simple minorité nationale au Kosmet. Nous espérons y arriver après avoir fait le livre blanc dont j'ai parlé plus haut et qui devrait être élaboré en juin ou au plus tard en automne. Nous attendons que des discussions commencent au Conseil de sécurité sur la fédéralisation du Kosovo et sur les droits constitutifs accordés aux Serbes. Si cela ne devait pas fonctionner, alors le prochain tournant serait de parler d'un modèle chypriote, avec un déplacement territorial civilisé de la population. D'ailleurs, les Serbes et les Albanais n'ont jamais vécu ensemble, mais à proximité les uns des autres. Il n'y pas de Kosovo multiethnique, c' est illusoire d'y songer. La dernière variante serait de tenir une conférence internationale, où l'on verrait pourquoi cela ne fonctionne pas et comment remédier durablement au problème. Dans toute variante, la Serbie doit savoir comment garantir sa position minimale. À ce sujet, je suis surpris que nos analystes locaux soient en général hostiles à mon initiative, où ils ne voient aucune stratégie. En revanche, je suis heureux de voir que les gens ordinaires soutiennent mes idées et disent : qu'on en finisse, c'est une maladie qui nous tue.

VN : Qui, de notre côté, participera aux négociations avec Pristina ?

ZDj : Un groupe de haut niveau a été formé il y a un an afin de collaborer avec Pristina. Nous pensions déléguer cinq ou six ministres, mais il vaudrait mieux que ce soit au niveau des vice-ministres pour ne pas créer trop d'espoir. Nous allons insister, en même temps que les propositions de Steiner, sur le nombre exact des Serbes revenus au Kosovo pour l'année 2003, les lieux où ils vont vivre et les budgets prévus à cet effet. Pour les questions énergétiques et de communications, les principaux partenaires seront les institutions locales du Kosmet, en ce qui concerne le retour ce sera la MINUK et la communauté internationale, alors que pour la question du statut final, ce sera le Conseil de sécurité des Nations Unies. Naturellement, avec la participation de tous les intéressés.