http://www.balkans.eu.org/article4246.html
IWPR
Hashim Thaci : le Kosovo doit aller de l’avant
TRADUIT PAR PIERRE DÉRENS
Publié dans la presse : 25 mars 2004
Mise en ligne : samedi 27 mars 2004
Nous venons de voir la haine nous détruire - il faut maintenant que les
Serbes et les Albanais, ensemble, se mettent à reconstruire le Kosovo, plaide
Hashim Thaci, président du PDK.
Par Hashim Thaci, Président du Parti démocratique du Kosovo
Le mercredi 17 mars, je donnai un cours à l’Institut pour la paix de l’ONU
sur ma vision d’un Kosovo indépendant. Ce pays serait une société
multiethnique, où des gens de races différentes vivraient et travailleraient
ensemble avec les mêmes droits et avec tolérance et respect pour leurs
religions différentes. C’était une vision très différente de ce que
j’ai découvert au Kosovo ce jour-là : des gens qui manifestaient, qui
traient des coups de feu et qui tuaient ; qui brûlaient des maisons et des
mosquées et des églises ; des foules qui se déchaînaient.
Je suis immédiatement rentré pour aider à ce que cette violence se termine.
J’ai passé les jours qui ont suivi au Kosovo, à demander aux Albanais de
quitter les rues et de rentrer chez eux. Dans le même temps je rassurai les
Serbes qu’ils pouvaient rentrer chez eux sans inquiétude. Je n’étais pas
seul à dire cela ; beaucoup de gens du Parti Démocratique du Kosovo ont fait
le tour du Kosovo pour apaiser les gens. Le Premier ministre Bajram Rexhepi et
le ministre Jakup Krasniqi se sont adressés aux foules en colère et les ont
calmées.
Je condamne absolument la violence. C’était une erreur qui nous a abaissés
aux yeux du monde en lui permettant de nous accuser d’être les oppresseurs.
Le Kosovar qui pense qu’agir ainsi nous conduit à l’indépendance se
trompe. Cette façon d’agir ne peut qu’aider Belgrade.
Il est important d’aller de l’avant. Mais, il nous faut d’abord
comprendre pourquoi cette violence a éclaté. La noyade tragique des trois
garçons n’a été que l’étincelle finale qui a déclenché
l’explosion. La situation prête à s’enflammer se développait régulièrement
depuis cinq ans. Pendant cinq ans, le peuple du Kosovo a attendu que la
communauté internationale proclame son statut final ; pendant cinq ans
personne dans le pays, n’a su quel serait son avenir. Cette incertitude a
apporté l’instabilité pour chacun d’entre nous, quel que soit notre
groupe ethnique. Et puis cela a conduit à la peur. Il est faux de
sous-estimer la peur des Albanais du Kosovo de dépendre à nouveau du
gouvernement de Belgrade.
Il y a quelques mois, Belgrade a parlé de cantonisation ou de partition du
Kosovo [1]. À ceux qui disent que c’est là que se trouve la solution,
j’explique : cela n’a pas marché en Bosnie et ça ne marchera pas au
Kosovo. La cantonisation équivaut à séparer les gens. Nous voulons les
mettre ensemble. Tout simplement, un Kosovo en cantons où les différents
groupes ethniques vivent des vies différentes dans leur propre région protégée
ne tient pas la route. Et une fois que l’on a commencé, cela n’aura pas
de fin. La cantonisation mène à la désespérance. Je suis plus ambitieux
pour mon pays.
Je comprends que les Serbes ont peur de nous. La peur augmente les divisions
ethniques et la méfiance. Il y a eu peu d’intégration ethnique. Chacun
devrait accepter sa responsabilité dans ce domaine. Les Albanais portent une
part de responsabilité. Les enclaves nourrissent les mythes et la méfiance.
La colère s’est accumulée et des structures illégales parallèles ont empêché
les Serbes de s’intégrer. Des institutions serbes, parallèles, pour la sécurité
et la justice, soutenues par Belgrade fonctionnent en toute quiétude dans le
nord de Mitrovica, contrôlées par des bandits - ce qui n’est pas une bonne
chose pour les Serbes qui sont là.
Un véritable débat entre les Kosovars et la MINUK n’a pas eu lieu et un
gouffre s’est développé entre les institutions internationales et celles
du Kosovo. La MINUK doit faire confiance aux gens du coin. Nous comprenons les
termes de la résolution 1244 mais nous ne pouvons pas rester en attente pour
toujours.
Pour l’instant, les projets de la MINUK n’existent que pour discipliner la
société, pas pour la démocratiser. Presque toutes les exigences des
Kosovars pour plus de responsabilité pour les gens et le pays, ont été
bloquées par la MINUK.
Nous vivons tous dans un pays où des dizaines de milliers de personnes sont
plongées dans la pauvreté, avec un taux de chômage de 60 %. On ne peut pas
compter sur l’approvisionnement en électricité. L’eau n’est pas
potable. Nos systèmes scolaires et hospitaliers sont surchargés et n’ont
qu’un financement insuffisant. Avec peu d’espoir pour l’avenir, notre
jeunesse - albanaise et serbe - n’a plus qu’à errer dans les rues.
Presque toutes ces régions sont sous le contrôle de le MINUK. Ce qui n’a
pas empêché le niveau de vie au Kosovo, de s’effondrer.
La désespérance, la peur et la méfiance se combinant, ont semé les véritables
raisons du conflit ethnique.
De telle sorte que lorsqu’un jeune Serbe a été tué par un tir d’une
voiture qui passait par là, les Serbes ont assumé qu’il s’agissait d’Albanais
- alors que les criminels ne sont toujours pas connus - et ils ont manifesté
en se rassemblant et en bloquant les routes. Aucune force internationale n’a
arrêté les barrages qui provoquaient un mécontentement grandissant. Si bien
que lorsqu’un enfant albanais est apparu à la TV pour dire qu’il avait été,
lui et ses amis, poussé ans la rivière par des Serbes et que ses amis s’étaient
noyés, ce fut comme une traînée de poudre.
Les manifestations contre la violence sont devenues violentes. Le choc et
l’outrage furent alimentés par la peur et la colère.
Maintenant il nous faut construire l’avenir - un avenir pour tous les
Kosovars. Nous avons vu combien la haine et les divisions nous détruisent, il
nous faut travailler ensemble, à tout prix.
Les Albanais vont aider les Serbes à reconstruire leurs maisons et les églises
qui ont été détruites et commencer ainsi à reconstruire un pays divisé.
Le gouvernement du Kosovo a déjà donné 5 millions d’euros pour aider.
Il faut que chacun d’entre nous condamne sans équivoque la violence d’où
qu’elle vienne. En faisant ainsi, honnêtement, il ne faut pas que ce, à
des fins politiques. Les responsables de la violence devraient être
poursuivis. Il est important de ne pas punir la volonté collective du Kosovo
de vouloir un Etat indépendant et souverain.
Il nous faut prévenir pour toujours la répétition de ce qui s’est passé.
Cela ne veut pas seulement dire que la KFOR soit mieux préparée, mais cela
implique des Kosovars présents dans les domaines de la sécurité et de la
justice, particulièrement au niveau du renseignement, afin que l’on puisse
arrêter les extrémistes de tous bords.
Il nous faut lier langue avec la communauté internationale pour savoir
comment conserver la confiance des gens dans le processus électoral. Les
hommes politiques du Kosovo ont aussi besoin de s’engager vraiment avec les
gens, qu’on les voit travailler pour le pays, pas seulement marquer des
points politiques.
Il nous faut faire face à Belgrade clairement : soit vous soutenez l’intégration
des Serbes locaux comme faisant partie de la solution ou bien vous êtes prêts
à faire partie du problème et à assumer les conséquences face la communauté
internationale.
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[1] Voir notre article : Kosovo : vers la cantonisation ?.
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SHEKULLI
Ismail Kadaré et le Kosovo : « des actes peut-être irréparables »
TRADUIT PAR MANDI GUEGUEN
Publié dans la presse : 20 mars 2004
Mise en ligne : samedi 27 mars 2004
Le célèbre écrivain albanais Ismail Kadaré, interviewé par le journal
Shekulli, exprime son inquiétude devant les troubles au Kosovo : les Kosovars
albanophones desservent leur cause.
Shekulli
Quelles sont vos impressions sur les violences au Kosovo ?
Ismail Kadaré
Je pense qu’il s’agit des évènements les plus tragiques depuis la libération
du Kosovo, et qu’ils n’auraient jamais dû se produire. Ils portent un énorme
préjudice au Kosovo, ainsi qu’à la cause albanaise en général dans les
Balkans. La plus grande victoire des dernières années pour le peuple
albanais - à savoir le rapprochement avec l’Occident, l’établissement
d’alliances avec le monde occidental - a reçu un grand coup.
Malheureusement, les succès d’hier ont été piétinés ces jours-ci. Cela
signifie que le Kosovo et l’Albanie risquent de revenir à leur isolement
d’antan. Exactement ce dont rêvaient la Serbie et... Enver Hoxha. En effet,
pour la Serbie, le rapprochement des Albanais et de l’Alliance Atlantique
avait été une importante défaite géopolitique. Quant à Enver Hoxha, tout
cela aurait encore plus mal tourné s’il avait été encore en vie.
Ces violences inutiles ont frappé de plein fouet la liberté du Kosovo, en même
temps que son avenir et ses propres alliés, il faut le dire. Je comprends
parfaitement tous les problèmes que connaissent les Albanais au Kosovo, je
comprends leur mécontentement quand il est justifié. Ils sont tout à fait
en droit de revendiquer une série de choses, au premier chef un traitement équitable
et l’arrêt des provocations constantes de Belgrade. Mais rien ne peut
justifier qu’ils tombent dans un tel piège et jouent, au fond, le jeu des
Serbes.
Shekulli
Pensez-vous que la question du Kosovo puisse encore trouver une solution après
le chaos de la semaine dernière ?
Ismail Kadaré
S’il faut demeurer conscient des terribles dégâts qui ont été causés,
je persiste à croire que même dans les pires moments on doit toujours
chercher une voie de sortie, un moyen pour réparer le mal. Dans le cas présent,
la seule façon de réparer ce désastre est que les Kosovars albanophones
saisissent le sens profond de la situation et réfléchissent à la portée de
leurs actes - alors qu’ils ont saccagé des maisons serbes et brûlé des églises
serbes en croyant aider leur cause... Ils doivent comprendre cela, ils
devaient le comprendre surtout en attaquant leurs propres alliés et la
communauté internationale, en attaquant l’Alliance Atlantique et en brûlant
son drapeau. Ils doivent savoir qu’ils ont agi d’une manière très répréhensible,
peut-être irréparable. La meilleure leçon à en tirer est la suivante : que
ceux qui ont le sang trop chaud ne fassent plus jamais passer leur colère
avant les intérêts de leur peuple et avant la liberté. On a porté atteinte
à quelque chose de fondamental ici, cela doit être réparé à tout prix.
Les Kosovars doivent condamner ces agissements et s’éloigner de tous les
groupes obscurs mêlés à cette affaire. Car il est fort probable que
certains services secrets étrangers soient impliqués, tout comme des
aventuriers albanais et, pourquoi pas, des nostalgiques du communisme. Des
personnes de toutes les sortes peuvent avoir leurs responsabilités. Le peuple
albanais du Kosovo doit courageusement se détacher de ce mal. C’est la
seule réparation possible. Il faudra désormais montrer un visage différent,
montrer que ce peuple est civilisé - quoique, malheureusement, il n’en ait
pas fait la preuve lors de ces évènements déplorables.
(Correction : Stéphane Surprenant)
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B92
Le Kosovo est une « partie inaliénable » de la
Serbie, proclame le parlement serbe
TRADUIT PAR YVES TOMIC
Publié dans la presse : 26 mars 2004
Mise en ligne : samedi 27 mars 2004
Sur la Toile
La résolution que vient d’adopter l’Assemblée
de Serbie oblige le gouvernement d’élaborer un programme pour la solution
du problème du Kosovo. Dans le texte de la résolution, la violence qui
s’est produite entre les 17 et 19 mars est qualifiée de « nettoyage
ethnique » et le pogrom contre la population serbe est caractérisé
comme étant une conséquence de l’incapacité de la Minuk et de la KFOR à
remplir ses obligations.
On y exige parallèlement un renforcement et
une meilleure organisation des forces de sécurité internationales, une enquête
sur les crimes commis ainsi que la punition des responsables de la violence
organisée. La proposition de résolution doit reposer sur le postulat que le
Kosovo est une partie inaliénable de la Serbie et de l’Etat commun
serbo-monténégrin, ainsi que sur le fait que les Serbes du Kosovo doivent
avoir de nouvelles garanties institutionnelles et une meilleure protection de
leurs droits.
La proposition de résolution sur le Kosovo,
dont le texte a été harmonisé par les chefs de l’ensemble des groupes
parlementaires, a été adoptée à l’unanimité par 220 députés.
Expliquant les motifs du texte de la résolution,
le Premier ministre Vojislav Kostunica a déclaré qu’il était nécessaire
d’instaurer au Kosovo une autonomie territoriale pour les Serbes. Selon lui,
l’autonomie est la seule manière ouvrant la possibilité que les Albanais
et les Serbes vivent les uns à côté des autres. « Dans certains cas,
la KFOR et la Minuk ont proposé d’évacuer des Serbes, après quoi, comme
si cela avait été concerté, leurs biens ont été incendiés.
Aujourd’hui, la responsabilité de la KFOR et de la Minuk pour les événements
du 17 mars est évidente. Mais je vous rappelle que la KFOR et la Minuk ont
pris cette responsabilité par la résolution 1244 et l’accord militaire et
technique (de Kumanovo NDT) » a souligné Kostunica.
En évoquant la situation au Kosovo, Kostunica
a dit devant les députés du parlement : « Desanka Maksimovic [1]
nous a déjà averti en 1968 ce qui se préparait au Kosovo dans son poème
sur Gracanica, dont les vers ont aujourd’hui la même force : "Gracanica
si seulement tu n’étais pas de pierre si seulement tu pouvais t’élever
au firmament" ».
Après la session de l’Assemblée le seul
membre du gouvernement a avoir discuté avec les journalistes est le
Vice-Premier ministre, Miroljub Labus. Selon lui, l’adoption de la résolution
sur le Kosovo est un pas important qui signifie la fin du temps des illusions
et le début d’une période de raison : « La session
d’aujourd’hui est importante car tous les partis politiques ne souhaitent
pas faire de cette question une pomme de discorde, mais au contraire un sujet
de discussion sérieuse pour réagir, en tant qu’Etat, à la nouvelle
situation. Elle est également importante car le gouvernement de la République
de Serbie a désormais la possibilité de présenter rapidement un plan très
concret de règlement de cette question, basé sur de nouvelles hypothèses,
complètement différentes de celles que nous avions jusqu’à présent »
a déclaré Labus.
[1]
Poétesse serbe.