Monitor
Référendum au Monténégro : un match inégal
Traduit par Jasna Andjelic
Publié dans la presse : 3 mars 2006
Mise en ligne : lundi 6 mars 2006   http://balkans.courriers.info/article6448.html
Sur la Toile
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L’Europe a fixé les règles du référendum monténégrin : il faudra que 55% des électeurs se prononcent pour l’indépendance, pour que ce résultat soit reconnu. 55 / 45, voici une règle démocratique inédite... Et que se passera-t-il si 53 ou 54% des électeurs votent pour l’indépendance. Cette « majorité insuffisante » sera considérée comme minoritaire. À croire que l’Europe cherche par tous les moyens à créer des troubles au Monténégro.

Par Drasko Djuranovic

C’était une journée parlementaire comme les autres, grisâtre à cause de la pluie froide qui tombait dehors et privée de discours émouvants et de rouges drapeaux nationaux. Ce mercredi 1er mars 2006 était pourtant un jour historique : l’assemblée a adopté la Loi sur le référendum. Au moment où nous mettons sous presse ce numéro, la séance parlementaire est encore en cours, mais la date du référendum est déjà connue : ce sera le 21 mai 2006.

D’après la nouvelle loi, la question référendaire sera la suivante : « Souhaitez-vous que la République du Monténégro soit un État indépendant, avec la pleine reconnaissance juridique et internationale ? »

Ce référendum était attendu depuis des années par les libéraux, les sociaux-démocrates et les partisans des autres partis politiques indépendentistes, soutenus par de nombreux écrivains, artistes, enseignants, journalistes et des gens ordinaires qui rêvaient tous de la liberté monténégrine.

Personne n’aurait pu imaginer que cette décision sera adoptée si rapidement, durant une séance parlementaire ordinaire, comme s’il s’agissait d’un paragraphe législatif quelconque.

55/45

Tout a été conçu à Bruxelles par Javier Solana, et humblement accepté par le DPS de Milo Djukanovic. On a accepté un référendum selon le modèle 55 / 45. Sous pression de l’administration européenne, les souverainistes, incapables de déterminer les règles indépendamment, ont accepté une course avec 10 % d’avantage offerts à leurs opposants.

La Loi sur le référendum a été adoptée au Parlement grâce au vote du DPS et de l’Union démocratique albanaise (DUA) d’un côté, et du bloc des partis unionistes de l’autre (SNP, NS, DSS, SNS). Les sociaux-démocrates, les libéraux, le Parti citoyen et le DSCG (autre parti albanais) sont restés en minorité. Ce n’est pas un bon signe, mais c’est la réalité monténégrine.

Or, l’avenir du Monténégro se décidera dans deux mois et demi.

En plus de la légende sur les liens historiques serbo-monténégrins, les unionistes tenteront de présenter l’État commun comme l’idée principale soutenue par la Serbie et l’UE. Ils comptent sur le soutien logistique de Belgrade pour attirer les électeurs indécis. Le chef du Parti radical serbe, Tomislav Nikolic, a déjà annoncé que le Premier ministre serbe Vojislav Kostunica et le Président Boris Tadic financaient les partis unionistes eu Monténégro. Il est évident que Belgrade ne sera pas passif durant la campagne référendaire.

De plus, les unionistes ont un avantage psychologique, puisque une seule voix qui dépasse le seuil des 45 % suffira pour sauvegarder l’État commun. Ceci résulte de la proposition bruxelloise : les unionistes ne sont pas obligés de gagner le référendum pour emporter la victoire, il importe seulement pour eux de ne pas perdre avec une grande différence.

En cas de participation de plus de 82% des inscrits, Predrag Bulatovic et ses collègues devront rassembler plus de 170 000 voix. En d’autres termes, les partisans de l’union avec la Serbie devront surpasser leur meilleur résultat atteint en 2001 (environ 167 000).

Le problème clé des unionistes consiste dans le fait qu’ils représentent la minorité et que, par conséquent, leur succès dépend du comportement des souverainistes. Bulatovic sait très bien qu’il lui sera difficile d’atteindre 170 000 voix mais il lui reste à espérer que les indépendantistes ne réussiront pas à en rassembler 200 000.

C’est le risque principal de l’idée unioniste : il n’est pas facile de dépendre des autres, que ce soit l’assistance de Belgrade ou les mauvaises démarches des opposants politiques. Il est d’autant plus difficile de construire une campagne positive : comment attirer les nouveaux partisans en leur expliquant que la disparition de l’État monténégrin est une condition de la survie de la Serbie-et-Monténégro ?

Les problèmes des indépendantistes sont nombreux dès le départ. Une fausse stratégie dans les négociations avec Bruxelles, la confiance absolue dans des propositions européennes et les convictions du DPS ont déjà alourdi la facture.

En acceptant l’ultimatum européen et le modèle 55 / 45, Milo Djukanovic a donné a ses opposants 40 000 voix d’avantage. Ce cadeau correspond au corps éléctoral actif de la commune de Niksic ! Les membres du DPS sont les seuls à savoir par quels moyens Javier Solana réussit toujours à les convaincre.

Le bloc souverainiste toujours divisé

La discorde concernant les règles référendaires menace la fragile unité du blocus indépendantiste. Les quatre partis politiques indépendantistes n’ont pas été unanimes lors du vote au Parlement. Pourtant, seuls l’unité et le plein engagement pour l’indépendance du Monténégro des partis souverainistes peuvent réveiller les sentiments ensevelis de la majorité des habitants du Monténégro.

La clé de la réussite est dans les mains de l’appareil DPS, c’est-à-dire que tout dépend de l’utilisation de leurs infrastructures politiques bien éprouvées. Les leaders du plus important parti politique monténégrin savent que l’argent et la puissance des institutions étatiques mènent à la victoire.

D’autre part, l’indépendance demande plus que de la simple machinerie électorale : pour convaincre le votant ordinaire à choisir l’indépendance, Djukanovic et les chefs du DPS doivent prouver leur disponibilité à sacrifier quelque chose qui leur appartient pour notre Monténégro. Dans le cas contraire, l’électeur, fatigué par les mensonges électoraux, pensera que l’indépendance n’est qu’un projet de plus qui permet de garder le pouvoir et celle-ci ne passera pas.

Les deux blocs politiques vont tenter de convaincre les électeurs indécis. Les sondages du CEDEM démontrent que le bloc souverainiste dispose de 4,3 % d’électeurs indécis. Ce sont pour la plupart des sympathisants du DPS ou des membres des minorités nationales. Le pourcentage des indécis chez les unionistes est à peu près le même - 4,6 %. Il s’agit des partisans du SNP qui se déclarent Monténégrins.

Au premier coup d’œil, tout sera centré sur ces sept ou huit mille électeurs. En réalité, chaque changement d’avis compte le double pour ce référendum.

Si les souverainistes atteignent les 55 % ou que les unionistes emportent la majorité de votes, la situation sera claire, avec une majorité gagnante et une minorité perdante. Par sa solution imposée, l’Europe ouvre une troisième voie, qui est une majorité insuffisante des souverainistes. De point de vue formel, la loi est claire : pas d’indépendance en dessous de 55%. Cependant, la vie réelle nous posera des problèmes réels. Comment l’Europe forcera-t-elle cette majorité indépendantiste à renforcer l’État commun qu’ils ne souhaitent pas ? Comment forcera-t-elle les unionistes à rester dans l’opposition en dépit de la victoire de leur idée ?

L’Europe veut-elle déstabiliser le Monténégro ?

Le négociateur Lajcak a « négligé » de faire signer au deux blocs une Déclaration sur le comportement des partis politiques après le référendum. Il y était prévu que les deux parties acceptent les résultats du référendum si les missions d’observation internationales constatent qu’il a été organisé de manière juste et démocratique. On a renoncé à cette signature pour des raisons inconnues.

L’Europe fait-elle exprès d’introduire le virus de l’instabilité dans le système politique monténégrin ? L’introduction du seuil de 55% a crée une « zone grise » dans laquelle la majorité n’est pas gagnante. Bruxelles renonce à l’obligation des deux blocs à respecter les règles adoptées en ouvrant la zone libre après le référendum. Qui garantit que les unionistes reconnaîtront leur défaite ou que les souverainistes respecteront l’État commun en cas de « majorite insuffisante « ?

En dépit de ces incertitudes, Miroslav Lajcak a constaté que sa mission au Monténégro était terminée, même s’il restera présent jusqu’à la fin du processus référendaire. Et que ferons-nous si la majorité devient perdante et frustrée, et la minorité gagnante sans aucune mérite ? Il faut être honnête et reconnaître que ce n’est pas la faute de Miroslav Lajcak ni de Javier Solana mais de nos chefs de partis des deux côtés. Ils n’auraient pas du permettre que la voie vers le référendum se transforme en compétition inégale.