Par Enkeleid Llanaj
Le plan du Premier ministre pour attirer des
investissements étrangers en leur offrant les terrains pour un prix
dérisoire attire des critiques aussi bien de la part de lopposition que
de lopinion publique.
Ainsi, les compagnies étrangčres
pourraient louer un terrain au prix dun euro par mčtre carré, avoir
accčs aux divers services publics pour un euro, former leur personnel et
accéder ą une multitude dautres bénéfices au mźme prix
symbolique : le plan est tout sauf timide.
Quelque 130 000 hectares de terrains publics
et les bātiments qui sy trouvent sont inclus dans ce plan qui, de laveu
du Premier ministre lui-mźme, provoque des sentiments houleux.
« LAlbanie deviendra attractive
seulement lorsquelle sera ą la fois le pays le plus facile daccčs et
le moins cher. Il ne faut pas se leurrer : aucun autre nation ou pays na
aussi désespérément besoin dinvestissement que lAlbanie »,
a-t-il affirmé.
Ce sens de lurgence est réel. LAlbanie
a les investissements étrangers directs (FDI) les plus bas en Europe. 2003
a été la meilleure année pour les investissements étrangers, qui ont
atteint 300 millions de dollars américains. Dautres pays des Balkans,
grands comme lAlbanie, se développent bien plus vite et comptent
désormais les investissements étrangers en milliards de dollars.
Les mesures du Premier ministre pour
stimuler le marché, déją utilisées par les gouvernements réformateurs
dans des nouveaux États membres de lUnion européenne, comme la Hongrie
et la Slovaquie, envisage la création de parcs industriels partout dans le
pays. Pour le gouvernement, ces parcs seront dans le futur des ruches dactivités,
alimentés par les financements étrangers lorsque lEtat le souhaitera.
Personne ne doute en Albanie que Sali
Berisha et son équipe naient touché lą quelque chose dimportant.
Toutefois, linitiative pique au vif.
Un plan imprécis
Deux mois aprčs son annonce, le plan a
provoqué la colčre de lopinion, alors quil a attiré autant lintérźt
des investisseurs étrangers que des locaux. Une absence notable dinformations
détaillées sur la maničre dont fonctionnera cette initiative,
accompagnée par la crainte que les investisseurs albanais ne puissent źtre
privés de ces bénéfices, a suffi pour enflammer le débat politique.
Léquipe gouvernementale chargée, en
septembre dernier, délaborer le projet de loi sur les détails de loffre
na pas pu sen tenir au délai quelle sétait fixé.
Persévérant, Sali Berisha a entrepris une tournée promotionnelle en
Italie, en Turquie et en Grčce afin « dallumer les moteurs de lintérźt
commercial ».
Aprčs chaque voyage, il a dū faire face ą
une tornade de sarcasmes de ses rivaux politiques. Si le Premier ministre
souligne le besoin de transparence, de légalité et déquité,
lopposition socialiste au parlement a choisi ces mźmes arguments comme
fers de lance.
Dritan Prifti, un député de la Ligue
socialiste pour lintégration, un parti de gauche dirigé par Ilir Meta,
ancien Premier ministre socialiste, décrit « LAlbanie ą Un Euro »
comme « un outil dans les mains du gouvernement pour récompenser
certains entrepreneurs et pas dautres, faisant fi de toute base légale,
et qui apparaīt comme trčs personnalisé ».
En effet, ils savent de quoi ils parlent.
Emin Berci, un ancien conseiller de Fatos Nano, lancien Premier ministre
socialiste, dont le mandat a pris fin lannée derničre, affirme que
cette initiative a été volée aux socialistes. Le gouvernement Nano avait
offert des terrain pour la construction touristique, en bail de 99 ans, ą
un dollar par mčtre carré. Ce plan et quelques autres ont rapporté prčs
de 100 millions de dollars dans divers secteurs, créant des milliers
demplois.
En réponse aux critiques des Socialistes,
Suzana Guxholli, lactuelle conseillčre économique du Premier ministre,
admet que lopposition a essayé une version de « LAlbanie ą Un
Euro », lorsquelle était au pouvoir, mais elle affirme quelle
la utilisée pour enrichir ses alliés. « Notre initiative sera basée
sur des lois et des critčres mieux définis. Plusieurs investisseurs seront
en compétition pour la mźme propriété, et leurs demandes seront toutes
examinées », a-t-elle souligné.
Cacher les vrais problčmes
du pays ?
Mais linitiative est confrontée ą des
critiques plus profondes. Alors que les analystes de la Banque Mondiale
saccordent avec Sali Berisha sur le constat que le manque
dinvestissements étrangers maintient lAlbanie la tźte sous leau,
ils affirment que les facteurs clés qui entravent les investissements étrangers
en Albanie sont la corruption, les infrastructures inadéquates et les
coupures délectricité. La clé de linitiative « LAlbanie ą
Un Euro » - le prix, trčs bas,- ne fait pas oublier le reste.
De plus, des groupes de citoyens réclament
encore la restitution de terrains occupés illégalement, une question
toujours épineuse, et grognent que leur intérźt nest pas pris en
compte, mźme pour la compensation promise.
Les hommes daffaires locaux prétendent
quils devraient źtre privilégiés par rapport aux éventuels
investisseurs étrangers. Edmond Leka, vice-président de la Chambre de
Commerce Américaine en Albanie et PDG de la filičre locale de Western
Union, la société de paiements et de communication, dit que le commerce
local a besoin de « plus despace ».
« Mjaft », un groupe
dactivistes bien en vue, dont le nom veut dire « Assez »,
offre de nombreux exemples oł le gouvernement a rendu la vie difficile aux
petits commerces locaux. Le groupe accuse la classe politique albanaise
dappliquer « une double mesure » avec le commerce privé, qui
influence le travail du gouvernement.
Par exemple, lendettement dune société
aérienne, Albatros, a débouché sur une affaire politique, aprčs que la
compagnie a entrepris des négociations sur le remboursement avec le Président
de la République et le Premier ministre, qui se sont récemment affrontés
dans un débat public.
Top Channel, une populaire chaīne de télévision
privée, sest trouvée expulsée des bureaux, propriété de lEtat,
dont elle était locataire en rčgle, le bail étant toujours en cours de
validité, dčs lors que la chaīne a perdu la faveur des responsables
politiques. Il y a mźme eu des hésitations sur la privatisation dAlbtelecom,
initialement annulée, puis finalement approuvée, non sans controverses.
« Tous ces événements, intervenus
dans une courte période, contredisent lidée promue par LAlbanie ą
Un Euro". Dune main, Sali Berisha invite le commerce, de lautre
il lattaque », affirme Erion Veliaj, le dirigant du mouvement
« Mjaft ».
Si lon en croit les affirmations du
Premier ministre ą propos des réceptions enthousiastes de ses visites ą
létranger, les nouveaux investisseurs ne devraient pas tenir compte de
tout cela. LAlbanie pourrait encore, malgré le mécontentement de
quelques Albanais, capitaliser dans la vague des investissements étrangers
qui se déversent de plus en plus dans la région des Balkans.
Mais Istvan P. Szekely, chargé pour le
Fonds monétaire international (FMI) de superviser les dépenses publiques
albanaises, se range parmi les prudents. « Ce sont les détails qui
sont ą craindre, nous avons besoin den savoir davantage sur cette
initiative », a-t-il expliqué.
Un des risques, affirme Ilir Ciko, de lInstitut
des études contemporaines, centre névralgique de la recherche ą Tirana,
est que « LAlbanie ą Un Euro » pourrait nźtre quune
diversion des décideurs politiques, réticents ą expliquer les vraies
raisons qui expliquent la frilosité des investisseurs étrangers.
Un plus gros risque encore pourrait źtre
que les Albanais, déją rompus aux initiatives qui échouent sur les
rochers du désenchantement public et des rivalités politiques, poussent
celle-ci encore ą échouer, pour les mźmes ridicules raisons.
Le Premier ministre mise son avenir
politique sur ce succčs. Lévolution de cette initiative, a-t-il
reconnu, déterminera le « destin » du gouvernement.