Paris, le 5 mai 1999

Intervention de M. Lionel Jospin, Premier ministre lors des Questions d'actualité à l'Assemblée nationale

Réponse à une question de M. Jacquaint, députée communiste, au sujet du conflit au Kosovo.

"Monsieur le président,

Mesdames et Messieurs les députés,

Madame la député,

Vous le savez, bien avant que commencent les frappes sur la Serbie et sur le Kosovo, la diplomatie française a consacré tous ses efforts à la recherche d'une solution de la crise par la voie diplomatique et politique. Ca a été le processus dit de Rambouillet auquel était associée la diplomatie britannique et les pays membres du groupe de contact. La voie de la diplomatie et du dialogue a donc été constamment la démarche de la France et c'est faute que celle-ci débouche avec l'accord de M. Milosevic, sur ce qui apparaissait à tous pourtant comme la solution raisonnable, que les pays de l'Alliance ont dû se résoudre aux frappes.

J'ai été, vous le savez, vendredi et samedi, à l'occasion d'un voyage en Egypte, en Albanie et en Macédoine. Je l'ai fait, certes, pour avoir un contact direct avec les réfugiés, les déportés, ceux qui vivent sur place et ceux qui viendront chez nous. Je l'ai fait pour saluer le travail extraordinaire accompli, notamment sur le terrain humanitaire, par les soldats français en Albanie autour du colonel Gros, en Macédoine autour du général Valentin. Je l'ai fait pour dialoguer avec l'ensemble des Organisations non gouvernementales, notamment françaises, impliquées dans l'aide aux réfugiés. Et j'ai pu transmettre d'ailleurs aux autorités des deux pays, leurs préoccupations pour qu'elles puissent améliorer leur efficacité. Je l'ai fait enfin pour être aux côtés des autorités de ces deux pays qui, pour l'un accueille fraternellement une masse énorme de réfugiés et pour l'autre essaye de régler dans un équilibre démographique et ethnique instable le problème d'un afflux excessif.

Ce qui m'a frappé à l'occasion des dialogues que j'ai noués avec ce s autorités politiques, Premier ministre ou président de la République, c'est que, par rapport à nue question que nous nous posons, dans l'opinion ou aussi sur ces bancs, la question de savoir si par les frappes nous avions eu une responsabilité dans le mouvement de déportation ou si nous pouvions l'anticiper. Ce qui m'a frappé, c'est que les autorités de ces pays et notamment les autorités macédoniennes et notamment le président qui a connu M. Milosevic dans les organismes dirigeants de la ligue communiste de Yougoslavie, m'ont dit de la façon la plus claire, qu'ils n'avaient pas imaginé une seconde eux-mêmes, que M. Milosevic pourrait procéder à des déportations massives.

J'ai assuré ces deux pays de l'aide de la France. J'ai déclaré qu'à l'occasion de cette nouvelle visite, nous allions créé un fonds pour aider la Macédoine et l'Albanie. Et je peux vous dire aujourd'hui que les sommes que nous accordons à ces deux pays, hors les programmes de coopération antérieurs, c'est-à-dire pour faire face aux difficultés économiques et humanitaires auxquelles ces deux pays sont confrontés, représentent aujourd'hui 980 millions de francs, pour ces deux seuls pays, c'est-à-dire près d'un milliard de francs.

Quand on voit les réfugiés, quand on voit les déportés, on se rend compte qu'il faut absolument - puisqu'il n'y a pas de moyen autre aujourd'hui -, conduire par les frappes et par la force, M. Milosevic à la table de négociation.

Mais il ne faut négliger aucune occasion de déboucher bien sûr une issue diplomatique qui en tout état de cause, mettra fin à ce conflit.

A cet égard - le ministre des Affaires étrangères aurait pu le dire avec plus de précision que moi, mais j'ai voulu répondre à votre question et vous rendre compte aussi un peu de ce voyage dans ces deux pays -, la diplomatie française, je peux vous l'assurer, est au coeur des discussions.

Nous nous réjouissons certes que M. Tchernomyrdine, l'envoyé du président Eltsine, fasse des propositions, aille à Belgrade, aille aux Etats-Unis, aille dans la capitale allemande qui assure la présidence.

Nous ne pouvons pas aujourd'hui, malgré les signes positifs, malgré les mouvements qui s'opèrent, faire preuve d'un optimisme excessif. Mais la France elle-même, au sein du groupe des 8, des directeurs politiques, qui a pu accueillir, adopter un texte qui résulte en partie de nos propositions, en préparant la réunion ministérielle du G8 dont nous espérons qu'elle pourra se tenir, oui, la France est bien au coeur de ce processus diplomatique. Nous avons l'intention de le poursuivre.

Vous avez évoqué un certain nombre de conditions ou un certain nombre d'évolutions en les donnant dans un ordre qui m'a convenu.

Vous avez dit : retrait des forces serbes, arrêt des frappes. Mais je peux vous dire, que si M. Milosevic commençait à retirer des forces, acceptait le principe du retour des réfugiés, tous points sur lesquels vous et moi et vous tous et moi, le Gouvernement, sommes d'accord, je pense, je le dis en tout cas en tant que Premier ministre, que les frappes s'arrêteraient immédiatement pour donner sa chance à la négociation. C'est en tout cas le point de vue que le Gouvernement français aurait et que, je pense, aurait le Président de la République.

Faute de faire confiance à M. Milosevic, c'est bien dans ce sens effectivement que les choses doivent être faites, c'est-à-dire un début d'engagement pour que nous puissions passer au langage de la paix.

Je voudrais terminer en disant que le Président de la République se rendra dans quelques jours à Moscou, pourra converser avec le Président Eltsine, que le ministre des Affaires étrangères ira également à Moscou rencontrer son homologue, ministre des Affaires étrangères, que j'aurai l'occasion moi-même d'y aller les 24 et 25 mai dans le cadre, il est vrai, de la Commission bilatérale économique qui rassemble les deux Premiers ministres, russe et français, mise en place je crois par M. Juppé et qu'à cette occasion aussi, nous participerons tous à ce dialogue politique qui doit permettre la paix, si M. Milosevic revient à la raison."

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