N° 2022
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 décembre 1999.
RAPPORT D'INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l'article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES(1),
en conclusion des travaux d'une mission d'information sur le conflit du Kosovo(2)
et présenté par
MM. Paul QUILÈS,
et
François LAMY,
Députés.
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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.
(2) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
Politique extérieure.
La commission de la défense nationale et des forces armées est composée de :
M. Paul Quilès, président ; MM. Didier Boulaud, Arthur Paecht, Jean-Claude Sandrier,
vice-présidents ; M. Pierre Lellouche, Mme Martine Lignières-Cassou, secrétaires ; MM. Jean-Marc Ayrault, Jacques Baumel, Jean-Louis Bernard, André Berthol, Jean-Yves Besselat, Bernard Birsinger, Jacques Blanc, Jean-Marie Bockel, Loïc Bouvard, Jean-Pierre Braine, Philippe Briand, Jean Briane, Marcel Cabiddu, Antoine Carré, Bernard Cazeneuve, Gérard Charasse, Guy-Michel Chauveau, Alain Clary, Charles Cova, Michel Dasseux, Jean-Louis Debré, François Deluga, Claude Desbons, Philippe Douste-Blazy, Jean-Pierre Dupont, François Fillon, Christian Franqueville, Yves Fromion, Robert Gaïa, Yann Galut, René Galy-Dejean, Roland Garrigues, Henri de Gastines, Bernard Grasset, Elie Hoarau, François Hollande, Jean-Noël Kerdraon, François Lamy, Claude Lanfranca, Jean-Yves Le Drian, Georges Lemoine, François Liberti, Jean-Pierre Marché, Franck Marlin, Jean Marsaudon, Christian Martin, Guy Menut, Gilbert Meyer, Michel Meylan, Jean Michel, Charles Miossec, Alain Moyne-Bressand, Jean-Claude Perez, Robert Poujade, Michel Sainte-Marie, Bernard Seux, Guy Teissier, André Vauchez, Emile Vernaudon, Jean-Claude Viollet, Michel Voisin, Aloyse Warhouver, Pierre-André Wiltzer, Kofi Yamgnane.
La mission d'information sur le conflit du Kosovo est composée de :
M. Paul Quilès, Président, M. François Lamy, rapporteur, M. Bernard Grasset, Mme Martine Lignières Cassou, MM. René Galy-Dejean, Pierre Lellouche, Bernard Birsinger, Guy Teissier, Gérard Charasse, Loïc Bouvard, membres titulaires, MM. Bernard Cazeneuve, Georges Lemoine, Jean-Pierre Marché, Christian Franqueville, Jean-Yves Besselat, Charles Cova, Jean-Claude Sandrier, Antoine Carré, Jean-Louis Bernard, membres suppléants.
INTRODUCTION 9
I. - LE CONFLIT ÉTAIT-IL INÉVITABLE ? 13
A. UNE IMPLICATION DIPLOMATIQUE MANIFESTE DEPUIS NOVEMBRE 1997 13
1. L'avertissement franco-allemand de 1997 : un présage sans suite 14
2. L'internationalisation du problème kosovar 15
a) L'implication américaine à partir de mai 1998 16
b) La réactivation du Groupe de contact sur l'ex-Yougoslavie 17
c) Le rôle de l'OTAN durant la phase diplomatique précédant le conflit 18
B. L'IMPOSSIBLE COMPROMIS 21
1. La constance des positions des parties serbe et kosovare 22
a) La revendication d'indépendance : une position commune à toutes les factions kosovares 22
b) Le maintien de la souveraineté serbe : un enjeu politique essentiel pour le Président Milosevic 24
2. Les efforts de la communauté internationale pour faciliter le dialogue 25
a) La prise en considération des intérêts de chaque partie 25
b) Une dimension militaire de l'application d'un accord acceptable 27
3. Le refus serbe de toute concession relative aux garanties militaires à Rambouillet-Kléber 29
C. CONCLUSION : UNE INTERVENTION LÉGITIME 30
1. La stabilité de l'Europe du Sud-Est en danger 31
2. La crédibilité de l'OTAN en jeu 32
3. La nécessité d'agir 33
II. - A-T-ON ADOPTÉ LES BONS CHOIX OPÉRATIONNELS ? 35
A. UNE OFFENSIVE AÉRIENNE, FAUTE DE MIEUX 36
1. Un choix réfléchi 36
a) Une réponse immédiate et réversible à un défi lourd de conséquences 37
b) Une option compatible avec le maintien de l'unité de l'Alliance 39
2. Une stratégie se heurtant à de fortes contraintes 40
a) Une défense antiaérienne yougoslave dangereuse 40
b) Des contingences climatiques fortes 41
3. Des résultats nuancés 43
a) Le bilan global dressé par l'OTAN 43
b) Les difficultés d'évaluation de l'effet des frappes 44
B. UN OPTIMISME EXCESSIF DANS LA CONDUITE DE LA STRATÉGIE AÉRIENNE 45
1. La détermination serbe sous-estimée : une relative impréparation de la coalition face à l'épuration ethnique et au chantage humanitaire 46
2. Une confiance exagérée des Alliés en un conflit de courte durée 48
a) Une mobilisation de moyens initialement peu significative 48
b) Des déclarations officielles insuffisamment prudentes lors du déclenchement des frappes 49
C. UNE STRATÉGIE ÉVOLUTIVE 50
1. Une stratégie pour partie voulue, pour partie subie 51
a) Une opération phasée et graduelle 51
b) Une certaine ambiguïté stratégique progressivement rétablie 53
2. L'impact positif d'événements exogènes 55
a) La position de la Russie 56
b) L'inculpation des dirigeants de la RFY par le TPIY 60
c) L'action au sol de l'UCK 61
D. CONCLUSION : UN PARI STRATÉGIQUE RISQUÉ 62
1. Une autre manière de mener la guerre ? 62
2. Un précédent dont le succès ne fait pas nécessairement un modèle 64
a) Les handicaps d'un mode opérationnel aussi spécifique 65
b) Une stratégie qui n'a pas empêché les dommages collatéraux mais les a réduits au minimum 66
c) Une orientation exclusivement aérienne qui a rendu l'action militaire plus difficile 68
3. Une victoire qui n'occulte pas la nécessité d'une intervention terrestre dans le règlement des crises 68
a) La présence des Alliés au sol : un appui indispensable à l'action aérienne 69
b) La présence de la KFOR au sol : le prolongement de l'intervention aérienne 70
III. - DES DÉMOCRATIES MODERNES FACE A LA GUERRE 73
A. LE PROBLÈME DE LA BASE JURIDIQUE 74
1) L'absence de résolution explicite du Conseil de sécurité des Nations Unies 74
2) Une interprétation large des résolutions antérieures et du principe dit « d'intervention d'humanité » 76
a) La base textuelle de l'action de l'OTAN : les résolutions 1199 et 1203 du Conseil de sécurité 76
b) La base principale des bombardements alliés : le principe « d'intervention d'humanité » 77
3) Le dialogue ONU-OTAN 79
a) Les relations ONU-OTAN de nouveau fondées sur la résolution 1244 79
b) Le cadre d'intervention de la KFOR 80
c) Les relations opérationnelles entre la MINUK et la KFOR 82
B. LE RÔLE DES PARLEMENTS DANS LE DÉROULEMENT DES OPÉRATIONS 84
1. L'absence de consultation préalable 85
a) Les relations entre le Parlement et le Gouvernement 86
b) Le rôle du Président de la République 87
2. Un suivi des opérations continu mais quelquefois difficile 87
C. LE CONFLIT ET LES MÉDIAS 89
1) Une transparence médiatique contraignante 90
2) L'influence de la couverture médiatique sur la conduite des opérations 92
3) Une communication des institutions encore imparfaite 94
D. CONCLUSION : LES AMÉLIORATIONS POSSIBLES 97
1. La réforme de l'article 35 de la Constitution 97
2. La réforme de l'ONU 98
IV. - LES ENSEIGNEMENTS MILITAIRES DU CONFLIT 103
A. L'INTÉGRATION DES FORCES FRANÇAISES DANS L'ALLIANCE 103
1. Les qualités et les dysfonctionnements de l'Alliance au cours de la crise 103
a) Le bilan d'une première intervention armée 103
b) Une alliance inégale 105
c) La prise de conscience de la faiblesse militaire des Européens 106
2. La participation des forces françaises 107
a) Les opérations aériennes 107
b) Les opérations terrestres 109
3. Une « intégration » dans l'Alliance sous contrôle national 111
a) Une association réussie dans le dispositif opérationnel de l'OTAN 113
b) La situation des forces terrestres et la complexité des chaînes de commandement 114
c) Un contrôle national maintenu 117
B. LE BILAN DES ÉQUIPEMENTS UTILISÉS PAR LES FORCES FRANÇAISES 119
1. Le décalage entre les besoins et la préparation de certains équipements pendant la phase aérienne 119
a) La reconnaissance de la qualité des porteurs et de leurs équipements 119
b) Les limitations techniques et opérationnelles 120
c) les avantages et inconvénients des différents systèmes d'armements 123
d) La question des stocks 124
2. Les matériels utilisés pendant l'engagement terrestre 126
3. Les adaptations des matériels et des équipements 128
4. Le bilan des fonctions de renseignement, de commandement et de communications 131
a) Le renseignement et l'évaluation 131
b) Les systèmes d'information et d'organisation du commandement et les communications 136
c) L'action des services de renseignement 137
C. LE COÛT DE LA PARTICIPATION FRANCAISE 137
1. L'estimation des surcoûts 137
a) La montée en puissance du dispositif militaire 138
b) L'opération Trident 139
c) L'action de la KFOR 140
2. Les conséquences sur le budget des armées 144
a) L'analyse des différentes catégories de dépenses 144
b) Le financement des surcoûts sur l'exercice en cours 145
c) Vers une méthode de prévision des surcoûts 146
D. LA PROFESSIONNALISATION DES ARMÉES 149
1. La projection des forces 149
a) Au cours de la phase des frappes aériennes 149
b) La spécificité de l'armée de Terre 150
c) Un faible recours aux réserves 152
2. Les qualités des personnels 152
3. Les interrogations sur la question des relèves 153
E. CONCLUSION : LA PRÉPARATION DE L'AVENIR 155
1. Les domaines prioritaires d'acquisition des futurs équipements 155
2. Vers une Europe de la Défense 157
EXAMEN DU RAPPORT EN COMMISSION 159
EXPLICATION DE VOTE DE M. BERNARD BIRSINGER AU NOM DU GROUPE COMMUNISTE 171
ANNEXES 173
I. - LISTE DES MEMBRES DE LA MISSION D'INFORMATION SUR LE CONFLIT DU KOSOVO 173
II. - TRAVAUX DE LA MISSION D'INFORMATION SUR LE CONFLIT DU KOSOVO 175
- Auditions effectuées par la mission d'information sur le conflit du Kosovo 175
- Auditions effectuées par le rapporteur, M. François Lamy 175
- Déplacements réalisés 176
- Programme de la mission au Kosovo, du 15 au 18 novembre 1999 177
III. - LETTRE VÉDRINE KINKEL DU 19 NOVEMBRE 1997 181
IV. - ACCORD INTÉRIMAIRE POUR LA PAIX ET L'AUTONOMIE AU KOSOVO (version française) 183
V. - RÉSOLUTION N° 1244 (1999) 231
VI. - ORGANISATION DE LA MINUK 239
VII. - EXTRAITS DES CONCLUSIONS DU CONSEIL EUROPÉEN D'HELSINKI DES 10 ET 11 DÉCEMBRE 1999 241
VIII. - AUDITIONS DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES ET AUDITIONS COMMUNES DE CETTE COMMISSION AVEC LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE CONFLIT DU KOSOVO 247
IX. - DOCUMENTS CONSULTÉS PAR LE RAPPORTEUR, M. FRANÇOIS LAMY 337
A. TÉLÉGRAMMES DIPLOMATIQUES 337
B. SYNTHÈSES ET NOTES DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE 337
Mesdames, Messieurs,
Si beaucoup a déjà été écrit depuis quelques mois sur le conflit du Kosovo, il ne paraissait pas inutile à la Commission de la Défense de notre Assemblée de revenir sur les événements, à la fois pour mettre un terme à certaines critiques qu'elle jugeait infondées et pour valider les conclusions auxquelles ses travaux l'avaient menée.
*
La plupart des pays de l'Alliance atlantique ont décidé de conduire une réflexion sur leur participation à l'opération militaire menée par l'OTAN. En Allemagne, les travaux de la Commission chargée de réfléchir sur l'avenir de la conscription s'infléchissent à l'aune des spécificités de la crise du Kosovo. Le ministère britannique de la défense (MoD) a lui aussi organisé des travaux. Aux Etats-Unis, la chambre des Représentants a publié un premier rapport sur les enseignements du conflit et continue à procéder à certaines auditions de responsables militaires dont certains, comme le Général Michael Short, ont mis en cause la politique de notre pays. La Rand Corporation a rendu au Pentagone, en septembre dernier, une étude centrée sur les enseignements militaires de l'opération « Force alliée ».
La réunion des ministres de la Défense de l'Alliance atlantique, à Toronto, les 21 et 22 septembre derniers, a également eu comme objectif de tirer les enseignements militaires du conflit. Ses premières conclusions, en particulier politiques et budgétaires, ont d'ores et déjà des incidences perceptibles, au niveau de l'Alliance comme dans chaque pays.
Pour ce qui concerne la France, de nombreuses institutions ont réalisé depuis ces derniers mois un premier bilan de la crise du Kosovo. Tant le rapporteur spécial de la Commission des Finances, de l'Economie générale et du Plan de l'Assemblée nationale1 que la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat2 l'ont effectué très tôt, c'est-à-dire dès l'arrêt de la campagne aérienne. De même, à l'issue de la première phase des opérations militaires, un bilan de l'utilisation des équipements et des systèmes d'armes pendant la crise du Kosovo a été dressé à la fois par les différents états-majors, par certains services du ministère de la Défense, notamment la DGA, et par les industriels ayant fourni et adapté ces armements. Dans chacune de ces structures, des groupes de travail ont été constitués (ou réactivés lorsqu'ils préexistaient) dès le début des frappes aériennes, ne serait-ce qu'en raison de la nécessité d'adapter en urgence certains équipements militaires aux missions. Le Ministre de la Défense a organisé, le 21 juin dernier, un séminaire public pour indiquer les enseignements opérationnels que lui-même tirait à la fin de la première phase du conflit. Une synthèse de ces réflexions a été publiée le 10 novembre3.
*
La Commission de la Défense et des forces armées de l'Assemblée nationale se devait, elle aussi, de procéder à une analyse du conflit. Tout au long de la crise, elle s'est tenue régulièrement informée en auditionnant le Ministre de la Défense, le Ministre des Affaires étrangères et le Chef d'état-major des armées. Un groupe de travail a été constitué début mai afin de suivre plus particulièrement le déroulement du conflit et d'initier une réflexion approfondie sur les enseignements à en tirer. Des déplacements de parlementaires ont également eu lieu auprès des forces en Macédoine, sur les bases aériennes mises à disposition de l'OTAN en Italie et sur le porte-avions Foch puis dans les différents régiments engagés sur le théâtre afin de leur témoigner la solidarité de la représentation nationale.
Le 9 juin 1999, la Commission de la Défense et des forces armées de l'Assemblée nationale a décidé de transformer le groupe de travail sur la guerre du Kosovo en mission d'information sur le conflit du Kosovo, composée de 10 membres titulaires et de 10 membres suppléants. La composition de la mission à la date de sa création figure en annexe du présent rapport d'information. MM. Paul Quilès et François Lamy ont été respectivement nommés président et rapporteur de la mission.
Aboutissement de ses travaux, le présent rapport d'information développe les quatre problématiques qui sont apparues les plus importantes ainsi que les conclusions auxquelles la mission est parvenue sur chacune d'entre elles :
L'intervention militaire au Kosovo était-elle inévitable ?
Pour se prononcer sur ce point, votre rapporteur s'est attaché à éclaircir les processus diplomatiques à l'_uvre jusqu'à l'engagement militaire de l'OTAN, le 23 mars 1999. Son attention s'est plus particulièrement portée sur les opportunités réelles données aux belligérants afin d'aboutir à une solution politique négociée. Il en est arrivé à la conclusion que le recours à la force est intervenu au moment où il devenait effectivement inévitable. Aucune alternative diplomatique n'était possible.
A-t-on adopté les bons choix opérationnels ?
Votre rapporteur s'est interrogé sur la pertinence du choix stratégique atypique d'une intervention aérienne publiquement présentée dès les premiers jours de frappes comme exclusive de tout soutien terrestre. Sans contester la pertinence du recours aux bombardements offensifs dans le cas d'espèce, il convient tout de même de pointer les erreurs d'appréciation commises par l'OTAN et ses pays membres. La stratégie poursuivie a été autant subie que maîtrisée et la victoire a davantage résulté de l'affaiblissement de tout un système que d'un ascendant militaire. Pari stratégique risqué, l'opération « Force alliée » ne semble pas être le modèle de règlement des crises à venir comme certains le prétendent.
Comment les démocraties impliquées se sont-elles comportées
face à la guerre ?
Tout conflit pose un problème redoutable aux démocraties puisqu'il tend à opposer les nécessités de l'action et du débat. L'exemple du Kosovo a montré, dans tous les pays engagés, que les institutions démocratiques et les débats qu'elles rendent possibles, loin de nuire à l'action, en garantissent la légitimité, donc l'efficacité. De ce point de vue, trois questions revêtent une importance essentielle : le rôle des Nations Unies (qui seules ont le pouvoir d'autoriser une intervention armée contre un Etat souverain), le rôle du Parlement (qui contribue à la légitimité interne de l'usage de la force) et le rôle des médias (qui offrent à l'opinion publique une lecture immédiate et une interprétation de l'événement).
Au terme de sa réflexion, votre rapporteur constate qu'en période de guerre, certaines libertés sont parfois prises à l'égard des exigences de respect du droit et de la transparence inhérentes au fonctionnement des institutions démocratiques. Si beaucoup de progrès ont été accomplis dans ces domaines, certaines pistes de réflexion méritent d'être explorées.
Quelles leçons militaires peuvent être tirées du conflit ?
Les enseignements proprement militaires portent en premier lieu sur les équipements et les systèmes de forces, mais ils concernent également la professionnalisation des armées et le mode de financement des coûts occasionnés par les opérations. La guerre du Golfe avait révélé des insuffisances notoires dans les équipements et la préparation des forces françaises. Dans le cas de la crise du Kosovo, les efforts que les armées ont menés sur le plan de la professionnalisation des personnels et de la modernisation de leurs équipements leur ont permis d'accomplir leurs missions dans de bonnes conditions opérationnelles.
*
La mission d'information a réalisé 13 auditions. Ses membres se sont rendu à Bruxelles, où ils se sont entretenus avec le Secrétaire général de l'OTAN, les membres de la représentation permanente auprès de l'Alliance atlantique et le Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR). Ils se sont également déplacés en Macédoine et au Kosovo où, malgré des conditions matérielles difficiles, ils ont pu prendre la mesure de la réalité du terrain et du fonctionnement de l'Alliance.
Pour sa part, votre rapporteur a conduit un grand nombre d'entretiens particuliers avec divers témoins du déroulement quotidien du conflit. Il a également disposé de sources documentaires classifiées qui lui ont été communiquées à sa demande. Il convient de souligner que les ministères de la Défense et des Affaires étrangères ont fait preuve à cet égard d'une réelle disponibilité.
Les développements qui suivent sont donc le résultat d'une réflexion mûrie et abondamment documentée. Ils s'inscrivent dans le prolongement de la préoccupation exprimée notamment par la mission d'information sur le Rwanda, à savoir permettre au Parlement de mieux comprendre les ressorts de l'action diplomatique et militaire et, à l'avenir, d'y être mieux associé.
I. - LE CONFLIT ÉTAIT-IL INÉVITABLE ?
De nombreux doutes ont été émis à propos du bien-fondé de l'intervention de la coalition alliée au Kosovo. Aujourd'hui encore, les interprétations divergent sur ses raisons, sa séquence et ses alternatives. Par conséquent, il n'est pas inutile de revenir sur le processus diplomatique qui a précédé le conflit, afin de mesurer le caractère inévitable ou non de son issue : les frappes aériennes contre la République fédérale de Yougoslavie.
Certes, l'engagement des principaux pays de l'Union européenne et des Etats-Unis en faveur d'une résolution politique de différends communautaires au Kosovo a sans doute été tardif. Néanmoins, l'effort diplomatique entrepris à partir de 1997 a été constant, sincère et déterminé. Les autorités serbes n'ont pas saisi les opportunités historiques que le groupe de contact leur a présentées dans le seul but de répondre aux aspirations légitimes des Kosovars d'origine albanaise tout en préservant la souveraineté yougoslave sur le Kosovo.
Cet impossible compromis autour d'un statut intérimaire d'« autonomie substantielle » est essentiellement imputable à l'attitude des dirigeants de Belgrade qui semblent avoir considéré qu'ils pouvaient régler la question du Kosovo par les armes. Laisser le Président Milosevic imposer une solution radicale et violente représentait un danger humanitaire et géopolitique puisque la stabilité de toute la région des Balkans était menacée. Au demeurant, l'OTAN était trop impliquée pour que sa crédibilité n'en souffre pas. Une intervention alliée était donc bien nécessaire.
A. UNE IMPLICATION DIPLOMATIQUE MANIFESTE DEPUIS NOVEMBRE 1997
Non abordée lors des discussions de Dayton, ce qui fut une erreur occidentale manifeste, la question kosovare n'a attiré l'attention de la communauté internationale qu'à partir de 1997. Face à la véritable politique d'« apartheid » dont a été victime pendant 10 ans la population kosovare d'origine albanaise, les tenants d'un recours à la violence au sein de l'Armée de libération du Kosovo (UCK), dont les premières actions revendiquées remontaient à 1993, se sont trouvés renforcés au détriment des partisans d'une position plus modérée regroupés autour de M. Ibrahim Rugova.
Les mises en garde adressées au Président Slobodan Milosevic n'ayant pas été suivies d'effet, le risque de déstabilisation régionale qui en résultait a finalement conduit à une internationalisation de la question.
1. L'avertissement franco-allemand de 1997 : un présage sans suite
Le 19 novembre 1997, conscients de la dégradation de la situation et informés d'un possible durcissement de la politique serbe, M. Hubert Védrine et M. Klaus Kinkel ont pris l'initiative, en leur qualité de Ministres français et allemand des Affaires étrangères, d'envoyer une lettre au Président Slobodan Milosevic. Ils y exposaient une analyse commune de la crise du Kosovo et mettaient en avant un certain nombre de principes conditionnant toute solution.
Partant de la conviction que « seule une solution négociée entre les représentants de la République fédérale de Yougoslavie, la République de Serbie et la communauté albanaise du Kosovo peut jeter les bases d'une paix stable et durable dans la région », les Ministres se prononçaient déjà en faveur d'un « statut spécial » rompant avec le statu quo sans pour autant accorder l'indépendance. Ils inscrivaient aussi cette évolution dans une perspective démocratique, source de stabilité à long terme pour cette région au c_ur de l'Europe.
En contrepartie des efforts demandés aux autorités yougoslaves, les deux Ministres esquissaient les contours d'une normalisation des relations de la République fédérale de Yougoslavie avec l'Union européenne à travers un « soutien » dont on suppose qu'il devait être économique, la reconduction de mesures commerciales bénéfiques et l'ouverture d'une représentation de l'Union européenne à Pristina. Une réintégration de la République fédérale de Yougoslavie au sein de l'OSCE était également évoquée.
Sur le moment, les partenaires de la France et de l'Allemagne ont considéré que cette initiative était prématurée. Le Président yougoslave n'y a pas donné suite.
Au-delà de son faible impact, cette lettre revêt une importance particulière. Elle marque tout d'abord le début du regain d'intérêt de la communauté internationale pour la question kosovare. Ensuite, elle identifie les éléments qui seront constamment avancés pour la résolution de la crise. Enfin, elle met en garde la Président yougoslave contre les conséquences d'une crispation obstinée au sujet du statut du Kosovo.
Se déclarant ouverts à un dialogue plus direct, les Ministres français et allemand des Affaires étrangères ont persévéré, malgré le refus de M. Slobodan Milosevic de prendre en considération leurs propositions. A l'occasion de leur déplacement en République fédérale de Yougoslavie le 19 mars 1998, soit quelques jours après les premières sanctions du Groupe de contact, ils ont pu faire valoir à nouveau leurs arguments. Cependant, le Président yougoslave n'était pas vraiment disposé à faire des concessions significatives.
S'il n'a pas infléchi l'attitude de M. Slobodan Milosevic, l'avertissement franco-allemand de 1997 a tout de même manifesté la vigilance des Etats du continent européen à propos d'une crise préoccupante. Comme l'a reconnu le Ministre français des Affaires étrangères devant la mission d'information, on peut regretter que les problèmes posés par les affrontements ethniques au sein de la Yougoslavie n'aient pas été anticipés dès la mort de Tito en 1981, voire lors des négociations de Dayton en 1995 pour ce qui concerne le Kosovo. Néanmoins, on ne peut reprocher à la diplomatie d'être restée inactive ces toutes dernières années.
2. L'internationalisation du problème kosovar
La République fédérale de Yougoslavie s'est abritée derrière le principe de souveraineté pour traiter seule et à sa façon la question des droits des Kosovars albanophones. La communauté internationale lui a laissé l'opportunité de régler ce problème sans interférence extérieure, avec pour condition le respect des principes des droits de l'homme. Le pouvoir yougoslave n'a pas saisi cette chance, mettant ainsi en danger la stabilité des Balkans.
De ce fait, l'internationalisation de la question était inévitable. Cette dernière a pris diverses formes, l'activisme diplomatique des
Etats-Unis étant sans doute la plus déterminante et la moins médiatisée. En effet, la réactivation du Groupe de contact et l'implication de l'OTAN dans le jeu diplomatique ont, pour une large part, découlé de l'engagement américain. De même, l'essentiel des principes avancés pour établir une « autonomie substantielle » pour le Kosovo a été défini par les diplomates du Département d'Etat. L'Union européenne est restée plutôt en retrait, même si elle a adopté de nombreuses sanctions, seuls ses principaux Etats membres participant à la recherche d'une solution. Quant à l'ONU, elle a été amenée à édicter quelques résolutions mais s'est trouvée écartée, comme souvent, des efforts diplomatiques entrepris pour la recherche d'une solution politique négociée à la crise qui couvait. Il faut dire que son Secrétaire général, « prisonnier » d'un fonctionnement plus qu'imparfait, n'a pas pris non plus les initiatives qui auraient pu s'imposer.
a) L'implication américaine à partir de mai 1998
L'engagement actif de la diplomatie américaine pour résoudre les difficultés intercommunautaires au Kosovo remonte au printemps 1998. A cette époque, la situation intérieure de la province était très délicate. En effet, la région de la Drenica était le théâtre d'une recrudescence des affrontements entre la police serbe et la guérilla indépendantiste tout au long du mois de mars. La police serbe fut dépêchée sur place et plusieurs villages ont été l'objet d'un véritable ratissage. A Pristina, des manifestations de protestation furent sévèrement réprimées. En rétorsion, l'UCK engagea une campagne d'attentats contre des Serbes et des Monténégrins vivant au Kosovo. A la fin du mois, de nouveaux incidents survinrent à la frontière avec l'Albanie.
Devant le risque de généralisation de la violence, le Président Bill Clinton a décidé de confier à Richard Holbrooke, négociateur des accords de Dayton bien connu du Président Slobodan Milosevic, le soin de renouer le dialogue entre les dirigeants yougoslaves et kosovars, afin d'envisager une solution politique à la crise. Cette implication américaine n'est pas véritablement surprenante. A Noël 1992 déjà, le Président George Bush avait fait savoir qu'une intervention de l'armée yougoslave contre les Kosovars d'origine albanaise entraînerait une réaction des Etats-Unis. Cet avertissement plus connu sous le nom de « Christmas warning », avait été repris par l'Administration Clinton.
Après des entretiens en tête-à-tête avec Slobodan Milosevic et Ibrahim Rugova, l'ambassadeur américain réussit à organiser leur rencontre à Belgrade, le 15 mai 1998. Un groupe de travail bipartite fut constitué sur une base assez représentative. Le principe de réunions hebdomadaires a alors été décidé.
A aucun moment la participation d'une tierce partie n'était mentionnée. Cependant, la médiation américaine s'est imposée
d'elle-même. Elle a été conduite par l'ambassadeur américain en Macédoine, M. Christopher Hill. Lorsqu'en juin, le dialogue direct entre les deux délégations est rompu en raison d'une offensive serbe dans la région de Decani, l'intermédiaire américain devient l'interlocuteur privilégié de chaque partie.
De source diplomatique, beaucoup de chancelleries étaient convaincues dès l'été 1998 que la question du statut devait être abordée pour sortir de l'enlisement. Les juristes du Département d'Etat ont ainsi rédigé l'ébauche d'un projet de statut intérimaire devant être soumis aux parties serbe et kosovare. Trois textes seront présentés et négociés secrètement par MM. Hill et O'Brien (juriste du Département d'Etat), entre début août et début décembre 1998.
Ces textes ne concernaient que les aspects institutionnels et juridiques de l'« autonomie substantielle » du Kosovo. Aucune clause de garantie militaire impliquant l'OTAN ou une autre organisation internationale n'y était adjointe.
Sur le fond, la diplomatie américaine a été amenée à modifier à plusieurs reprises ses propositions, la prise en compte de certaines objections soulevant de nouvelles réticences voire des refus. Cependant, les grandes lignes du texte discuté à Rambouillet (distinction du « territoire » et des « communautés nationales » sur le plan des institutions et des compétences, décentralisation, maintien de l'intégrité territoriale de la Serbie, souveraineté yougoslave...), étaient fixées dès septembre.
Certes, le Groupe de contact était tenu régulièrement informé des résultats de ces démarches. Néanmoins, les informations mises à la disposition de votre rapporteur montrent que ce dernier n'en a pas orienté le cours. Tout au plus les Américains ont-ils soumis le dernier de leurs projets à son aval, en décembre. Certaines modifications y ont été apportées sur la base d'observations russes et françaises notamment. Le projet d'accord sur le statut intérimaire du Kosovo a alors pris une forme définitive.
Il en résulte que l'intervention diplomatique américaine a été plutôt unilatérale, le Groupe de contact étant saisi du projet d'accord dans le seul but de lui donner plus de poids. Relativement discrets, les efforts des diplomates américains ont été déterminants dans la mesure où les Etats-Unis étaient considérés tant par les Kosovars d'origine albanaise que par les Serbes comme leur principal interlocuteur.
b) La réactivation du Groupe de contact sur l'ex-Yougoslavie
La première sanction de la communauté internationale dans la crise du Kosovo remonte aux rétorsions décidées par le Groupe de contact les 9 et 25 mars 1998 contre la République fédérale de Yougoslavie.
Créée lors de la Conférence de Londres le 25 avril 1994, cette instance qui réunit les représentants de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, de la France, des Etats-Unis, de la Russie et de l'Italie (depuis 1998 seulement), avait originellement pour vocation à esquisser le cadre d'un règlement politique du conflit bosniaque. Sa contribution à l'élaboration des accords de Dayton du 21 novembre 1995 a effectivement été déterminante, même si les pressions diplomatiques américaines sur les Présidents croate (Franco Tudjman), bosniaque (Alija Izetbegovic) et yougoslave (Slobodan Milosevic) se sont révélées décisives. A cette occasion, le principe d'une association de la menace militaire aux négociations diplomatiques a recueilli l'adhésion unanime des membres de cette instance diplomatique ad hoc. Il est même devenu la pierre angulaire d'une solution négociée, l'OTAN ayant engagé, le 30 août 1995, l'opération « Deliberate Force » contre des objectifs serbes en Bosnie-Herzégovine autant pour vaincre les dernières réticences de M. Slobodan Milosevic à abandonner tout soutien aux velléités bosno-serbes de rattachement à la République fédérale de Yougoslavie que pour faire respecter les zones d'exclusion définies par l'ONU.
La réactivation du Groupe de contact avait pour principal objectif de manifester aux belligérants la préoccupation de l'ensemble de la communauté internationale. Forum de discussion entre les grandes puissances disposant d'un intérêt stratégique sur le continent, il conférait plus de poids aux pressions diplomatiques exercées sur le régime yougoslave pour l'inviter à plus d'ouverture dans la recherche d'une solution au problème kosovar.
Néanmoins, son influence dans la définition des principes de sortie de crise a été relativement secondaire. En effet, même s'il a été amené à valider les propositions de MM. Hill et O'Brien pour délimiter le concept d'« autonomie substantielle » ainsi que ses déclinaisons institutionnelle et juridique, il n'a pas véritablement rempli un rôle d'impulsion concertée sur ce point. Par ailleurs, toutes ses démarches n'auraient pas eu la même portée si parallèlement l'OTAN ne s'était pas mobilisée, à l'invitation des autorités américaines, afin d'accentuer la pression sur les dirigeants yougoslaves pour qu'ils acceptent les bases d'un compromis.
c) Le rôle de l'OTAN durant la phase diplomatique précédant le conflit
L'Alliance atlantique a été impliquée dans la crise parallèlement aux démarches américaines, c'est-à-dire à partir du printemps 1998.
Réuni en formation ministérielle le 11 juin 1998, le Conseil de l'Atlantique Nord a ainsi donné mandat aux autorités militaires de l'Alliance pour conduire, en accord avec les gouvernements concernés, « un exercice aérien approprié » en Macédoine et en Albanie visant à démontrer la capacité des Alliés à se projeter rapidement dans la région. Parallèlement, mission était assignée à ces mêmes autorités militaires d'évaluer et de développer une gamme complète d'options qui, « fondées sur la base juridique pertinente, auront pour objectif de faire cesser ou d'entraver une campagne systématique de répression, (...) d'appuyer les efforts déployés par la communauté internationale et de contribuer à créer les conditions favorables à des négociations sérieuses en vue d'un règlement politique (...) ».
Le 23 septembre 1998, simultanément à l'adoption de la résolution 1199 par le Conseil de sécurité des Nations Unies, l'OTAN formulait des menaces directes de frappes aériennes à l'encontre de la République fédérale de Yougoslavie dans l'hypothèse où celle-ci ne cesserait pas ses actions de violence au Kosovo, un début d'ordre de mobilisation des forces alliées (ACTWARN) étant émis à cette fin.
Devant la recrudescence des violences dans la province, le Conseil de l'Atlantique Nord adoptait finalement un ordre d'activation des forces aériennes (ACTORD), le 13 octobre 1998. Cette escalade de la menace visait clairement à obtenir des autorités yougoslaves un accord de
cessez-le-feu vérifié par une mission d'observateurs civils de l'OSCE sur le terrain ainsi que par les moyens aériens de l'OTAN déployés dans le cadre de la mission « Eagle eye ». Les trois accords qui en ont résulté furent repris par la résolution 1203 du Conseil de sécurité des Nations Unies, en date du 24 octobre 1998.
Enfin, le 30 janvier 1999, le Conseil de l'Atlantique Nord décidait que le Secrétaire général de l'OTAN « pourrait autoriser des frappes aériennes contre des objectifs situés sur le territoire de la République fédérale de Yougoslavie », alors même que se préparaient les négociations de Rambouillet. Contrairement aux mesures précédentes, cette initiative ne s'inscrivait pas dans le cadre d'une résolution expresse du Conseil de sécurité de l'ONU. Celle-ci supposait un accord de la Russie et de la République populaire de Chine pour autoriser l'OTAN à employer, au besoin, la force contre la République fédérale de Yougoslavie. Or, ces deux membres permanents du Conseil y auraient probablement opposé leur veto.
Ainsi, l'ONU a finalement été contournée aux derniers moments de la crise, mais c'est elle qui a été à l'origine de l'implication grandissante de l'OTAN tout au long de 1998 en adoptant les résolutions 1199 et 1203.
Une nouvelle fois, la menace du recours à la force a été utilisée, non sans un relatif succès d'ailleurs, comme le seul langage connu des autorités yougoslaves, conformément au référent historique que constituaient les négociations devant mettre un terme au conflit bosniaque. Mais cette fois-ci, le contexte était quelque peu différent, ce qui aurait dû inviter les Etats membres de l'Alliance atlantique à anticiper l'éventualité d'un recours durable à la force.
La question du statut du Kosovo est l'élément central du déroulement et de la résolution de la crise. En effet, ce problème n'est pas nouveau : le « territoire du Kosovo-Metohija » (dénomination serbe du Kosovo) a été intégré à la Serbie lors de la constitution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie en 1947. Le statut de province lui est reconnu en 1965, mais le manque d'autonomie réelle provoque des émeutes en 1968. Pour y mettre un terme, la nouvelle constitution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie de 1974 concède une large autonomie au Kosovo. A cette même date, les territoires situés au nord de Mitrovica sont rattachés à la province, l'objectif étant de rééquilibrer la situation démographique du Kosovo en faveur des Serbes par l'adjonction d'une région majoritairement slavophone.
En 1981, les événements de 1968 se reproduisent, déclenchant une nouvelle intervention de l'armée. En février 1989, une constitution est revendiquée par les Kosovars d'origine albanaise qui déclenchent une grève générale. M. Slobodan Milosevic, alors Président de la ligue communiste de Serbie, y réplique par la suppression du statut d'autonomie et par la mise en place d'un système de « serbisation » de l'ensemble de la société. En mars 1990, l'état d'urgence est décrété par Belgrade. L'action de la population albanophone en faveur de la création d'une République du Kosovo se poursuit malgré tout, dans la clandestinité. En 1991, un gouvernement parallèle est créé. En 1992, un référendum clandestin opte pour l'indépendance et proclame M. Ibrahim Rugova Président du Kosovo.
Face à la répression serbe, les manifestations se multiplient. Pourtant, la question du statut du Kosovo est éludée lors des négociations de Dayton. Considérée comme un problème intérieur de la Serbie, l'instabilité chronique qui règne au Kosovo finit par inquiéter les chancelleries occidentales. Dans un premier temps, elles invitent les dirigeants yougoslaves à reconnaître les droits culturels des Kosovars d'origine albanaise, notamment par la réouverture des écoles et facultés pour les étudiants albanophones. Mais l'accord signé le 23 mars 1997 sous l'égide de Mgr Paglia (représentant de la communauté catholique de Sant'Egidio) n'élude pas la question du statut. Le 15 mai 1998, après des appels encourageants des autorités yougoslaves à la négociation, M. Ibrahim Rugova rencontre le Président Slobodan Milosevic. Mais le dialogue échoue durant l'été 1998, les autorités yougoslaves ne faisant pas preuve d'ouverture et maintenant une forte pression militaire sur le terrain.
La communauté internationale décide alors de pousser les parties à débattre de cet enjeu, au besoin sous la menace d'une intervention de l'OTAN. Le 10 décembre, le Groupe de contact avalise le projet d'accord définitif qui sera soumis aux belligérants à Rambouillet. Tout comme les efforts de Christopher Hill durant l'automne 1998, les négociations imposées sur le modèle de Dayton et qui se déroulent en France, en février et mars 1999, échouent, le poids de l'héritage historique de chacune des parties les empêchant de parvenir à un compromis pourtant à portée de main.
1. La constance des positions des parties serbe et kosovare
L'examen des déclarations des responsables yougoslaves, serbes et kosovars révèle une grande constance de leurs revendications respectives tout au long de la phase diplomatique précédant le conflit du Kosovo. Certes, chaque partie était prête à des concessions, mais pas sur l'essentiel.
Les démarches visant à mettre en _uvre un statut d'« autonomie substantielle » au Kosovo se sont heurtées dès l'automne 1998 à ce caractère inconciliable des positions des parties. La radicalisation des exigences des belligérants a sans doute été favorisée par l'intensification des actes de violence au Kosovo même. La persistance du refus des autorités serbes et yougoslaves de rendre effectifs les droits culturels et civiques des Kosovars d'origine albanaise, a renforcé la mouvance politique kosovare la plus intransigeante, l'UCK devenant aussi présente politiquement que militairement. La multiplication des attentats contre les Serbes et les Monténégrins du Kosovo, en réplique aux opérations de police, a incliné le pouvoir yougoslave à se montrer intraitable.
a) La revendication d'indépendance : une position commune à toutes les factions kosovares
L'indépendance du Kosovo est indiscutablement restée un objectif commun à toutes les sensibilités politiques kosovares. Par contre, les méthodes privilégiées pour y parvenir ont toujours constitué une divergence importante.
Ibrahim Rugova, Président du parti politique le plus influent, la LDK, clandestinement élu par deux fois à la tête de la province (en 1992 puis en 1998), n'a cessé d'être le partisan d'un dialogue et d'une transition pacifiques. Les représentants de la LDS, autre parti modéré, MM. Qosja, Hyseini et Hajrizi, se sont également montrés favorables à des concessions, à condition toutefois que l'indépendance soit acquise. Quant à la mouvance politique de l'UCK (M. Demaçi, puis MM. Mahmuti et Thaçi), dont le discours a commencé à recevoir un certain écho à partir de l'automne 1998, elle s'est fait le promoteur d'une indépendance à brève échéance.
La communauté internationale a initialement pris M. Ibrahim Rugova pour principal interlocuteur kosovar. Des rencontres ont bien eu lieu entre MM. Holbrooke et Hill avec des commandants locaux de l'UCK, mais les diplomates américains s'en méfiaient beaucoup. C'est donc à Ibrahim Rugova qu'il est revenu, au printemps 1998, de consulter les différentes tendances kosovares au sujet d'un dialogue bilatéral et direct avec les dirigeants yougoslaves. C'est également lui qui fut le destinataire des projets d'accord intérimaire sur le statut du Kosovo rédigés par MM. Hill et O'Brien entre août et décembre 1998, même s'il était entendu que l'ensemble des factions kosovares devaient être consultées.
Par conséquent, tant les diplomates européens que leurs homologues américains ont privilégié l'implication des dirigeants kosovars les plus représentatifs et les plus ouverts au dialogue.
Il n'empêche que la question de l'indépendance du Kosovo est restée au c_ur des préoccupations kosovares. De source diplomatique, l'ensemble des intervenants, y compris M. Ibrahim Rugova, se sont montrés très attachés à la perspective d'un référendum sur l'indépendance du Kosovo au terme de la période intérimaire prévue par les différents projets d'accords, soit au bout de trois ans. Cette objection était formulée dès novembre 1998 et sera à l'origine de la demande de la délégation kosovare d'une vérification par sa base de l'accord du 23 février. Vigilants quant au caractère temporaire de la solution politique négociée, les représentants kosovars souhaitaient ainsi obtenir une échéance rapprochée pour l'indépendance.
Certes, des divergences assez nettes persistaient au sujet de la sécurité, l'UCK exigeant de n'être désarmée qu'après le retrait des forces de police serbes alors que MM. Rugova et Hyseini mettaient l'accent sur la nécessité d'une police locale plus représentative et mieux équipée. Mais, à défaut de s'accorder sur les moyens, la partie kosovare a constamment fait preuve d'une convergence de vues sur les objectifs politiques. Or, cette détermination n'a pas facilité les concessions indispensables à un compromis avec la partie serbe.
b) Le maintien de la souveraineté serbe : un enjeu politique essentiel pour le Président Milosevic
La politique du Président Slobodan Milosevic à l'égard du Kosovo a été définie dès 1987, alors qu'il n'était encore que Président de la ligue communiste de Serbie. Dès cette époque, le Kosovo était l'un des thèmes centraux de sa stratégie politique d'accession au pouvoir. Il a ainsi fait sien et amplifié un mouvement de protestation de grande ampleur contre le sort des habitants serbes du Kosovo. Des manifestations dénonçant le « génocide » pratiqué contre les Serbes ont réuni jusqu'à un million de personnes à Belgrade en novembre 1988, puis au « champ des merles », près de Pristina, en juin 1989.
Fort de ce soutien populaire, M. Slobodan Milosevic avait supprimé l'autonomie de la province en trois étapes : amendement à la constitution serbe en 1989 ; décision de l'Assemblée serbe de suspendre le gouvernement et l'assemblée du Kosovo en 1990 ; référendum constitutionnel la même année.
Dix ans plus tard, le Kosovo restait un symbole important pour le Président yougoslave. Toute évolution significative du statut de la province revenait à remettre en cause la politique qu'il avait conduite, et donc à le discréditer. Ceci explique sans doute l'obstination avec laquelle il a rejeté toutes les propositions de la communauté internationale.
Selon les informations fournies à votre rapporteur, le Président yougoslave a toujours contrebalancé les concessions qu'il était obligé de faire sous la pression par leur remise en cause sur le terrain. Ainsi, peu après l'ouverture de négociations bilatérales avec les Kosovars au printemps 1998, la police serbe a lancé une vaste offensive à Obrahovac et Malisevo, bloquant ainsi le dialogue amorcé. De même, après la conclusion d'un cessez-le-feu avec M. Richard Holbrooke le 13 octobre 1998, le contingent des forces yougoslaves présentes au Kosovo a été considérablement renforcé. Enfin, lors des négociations de Rambouillet, les combats avec l'UCK ont repris.
Certes, les dirigeants serbes et yougoslaves n'ont pas exclu des adaptations concernant les droits civiques et culturels des Kosovars. Un accord sur l'éducation avait été signé à cette fin en 1997 et le Président serbe, Milan Milutinovic, avait présenté, le 13 octobre 1998, onze principes pour un règlement politique avec un calendrier précis pour leur mise en _uvre. Cependant, ces démarches relevaient à chaque fois davantage de l'effet d'annonce que d'une volonté réelle de parvenir à un compromis, leur traduction concrète se heurtant toujours à des blocages institutionnels.
Le compromis élaboré par la communauté internationale aurait permis de concilier la reconnaissance des plus légitimes des aspirations kosovares sans pour autant porter atteinte à l'intégrité territoriale et à la souveraineté serbes. Certains dirigeants serbes et yougoslaves en étaient conscients, mais le Président Slobodan Milosevic n'était visiblement pas prêt à accepter une solution qui aurait mis en exergue la faillite de sa politique au Kosovo.
2. Les efforts de la communauté internationale pour faciliter le dialogue
Votre rapporteur a pu mesurer au cours de ses entretiens et des auditions de la mission d'information que le Groupe de contact a pris en compte les observations des parties serbes et kosovare avec la même attention. L'impartialité avec laquelle la communauté internationale a élaboré et proposé une solution négociable ne saurait donc être remise en cause. Autrement dit, aucun piège n'a été tendu aux négociateurs serbes, contrairement à ce qui a pu être sous-entendu.
Les discussions ont certes été délicates. Mais leur aboutissement n'était pas impossible, tant les intérêts des Kosovars et des Serbes se rejoignaient à travers un accord apportant stabilité et prospérité à la région. C'est du moins cette conviction qui a guidé les efforts diplomatiques entrepris du printemps 1998 au printemps 1999.
a) La prise en considération des intérêts de chaque partie
Tout au long des discussions diplomatiques au sujet du statut intérimaire du Kosovo, le Groupe de contact a cherché à maintenir un équilibre par la prise en considération des préoccupations de chaque partie.
_ Les Kosovars d'origine albanaise ont obtenu satisfaction sur l'institutionnalisation de leurs autorités jusqu'alors clandestines, la création d'une police locale reflétant mieux la composition ethnique du Kosovo et dont l'armement (de calibre inférieur à 7,62 mm et d'usage réglementé) ainsi que les effectifs (de 3 000 personnes au maximum) étaient limités, la reconnaissance de la spécificité du peuple kosovar à travers la notion de « communautés nationales » et le libre exercice des traditions et dialectes (alors que, depuis l'abolition en 1989 du statut de 1974, la législation serbe l'interdisait).
S'agissant de l'indépendance, il est exact que les diplomates américains ont envisagé d'interpréter la clause de révision4 du texte (prévoyant la consultation des Kosovars dans les trois ans) comme un référendum sur l'indépendance, ce que les Européens et les Russes ont refusé catégoriquement d'accepter. Le ralliement kosovar a finalement été obtenu non pas par les efforts de la diplomatie américaine (la venue de M. Robert Dole en Albanie et la visite de M. Hashim Thaçi à Washington ayant produit des effets marginaux), mais par l'unification des positions kosovares par les Kosovars eux-mêmes.
_ Les inquiétudes serbes ont également été prises en compte par la communauté internationale. En effet, aucun des projets d'accord soumis à discussion n'a assimilé le Kosovo à une troisième République de la Fédération yougoslave. A aucun moment, la province ne se trouvait juridiquement qualifiée d'Etat, même s'il a été proposé de lui reconnaître une constitution et des institutions politiques qui en faisaient une entité juridique atypique. Par ailleurs, la compétence et l'intégrité de la République fédérale de Yougoslavie ont été à chaque fois explicitement réaffirmées. La traduction la plus concrète en était l'acceptation de la présence des seuls gardes-frontières et douaniers yougoslaves aux frontières du Kosovo avec l'Albanie et la Macédoine (frontières internationales de la République fédérale de Yougoslavie). Enfin, les droits des minorités du Kosovo ont toujours été garantis et reconnus sur la base du principe d'égalité.
Même si l'on a fait état d'une certaine proximité entre Mme Madeleine Albright et l'UCK, les Américains n'ont pas particulièrement fait preuve de partialité à l'égard de la partie serbe. Ainsi, à l'occasion de l'ajournement des négociations de Rambouillet, l'ambassadeur Christopher Hill s'est déplacé à Belgrade afin de demander quels étaient les problèmes suscités par le projet d'accord dans la perspective d'amendements constructifs. Les autorités yougoslaves ont énuméré un certain nombre d'objections concernant notamment le degré de souveraineté serbe et la place de la justice fédérale. Des modifications ont immédiatement été introduites par les négociateurs internationaux pour en tenir compte, mais cela n'a visiblement pas changé le cours des discussions.
Le Groupe de contact est donc resté à l'écoute des deux parties, sans faire preuve de discrimination.
b) Une dimension militaire de l'application d'un accord acceptable
L'ensemble des membres du Groupe de contact était conscient qu'une garantie militaire était indispensable pour assurer l'application d'un accord sur le statut du Kosovo. La rupture du cessez-le-feu d'octobre 1998 par l'ensemble des parties avait montré la nécessité du déploiement d'une force multinationale d'interposition puisque la présence d'observateurs civils non armés n'avait pas été suffisamment dissuasive.
Sans entrer dans le détail, les clauses de mise en _uvre du texte présenté aux parties à Rambouillet se résument à :
- un retrait partiel et rapide des forces armées fédérales (2 500 hommes, au maximum, étaient autorisés à rester au Kosovo), celles-ci étant cantonnées à la surveillance des frontières ;
- un retrait total des forces de police serbes, échelonné en fonction de la mise en place des forces de police locales (représentatives de la population, c'est-à-dire majoritairement composées par des Kosovars d'origine albanaise) ;
- une démilitarisation de l'UCK ;
- la mise en place d'une force militaire internationale (Kosovo Force ou KFOR), dont la chaîne de commandement relève de l'OTAN et qui est chargée d'assurer (si besoin, en ayant recours à la force) le retrait partiel des forces armées yougoslaves, celui des forces de police serbes et la démilitarisation de l'UCK.
Ce dernier point a donné lieu aux interprétations les plus diverses. Aussi, il ne semble pas inutile à votre rapporteur de l'aborder plus en détail.
L'organisation et les compétences de la force multinationale prévue pour veiller à l'application du projet d'accord intérimaire étaient définies par le chapitre VII et l'annexe B du projet d'accord.
Aux termes de l'article premier - paragraphe 1 - du chapitre en question, la KFOR devait être instituée sur la base d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies. Non exclusivement composée par des contingents d'Etats membres de l'Alliance atlantique, elle devait être « placée sous l'autorité et la direction politique du Conseil de l'Atlantique Nord par l'intermédiaire de la chaîne de commandement de l'OTAN ». De même, l'article 8 explicitait « les opérations et l'autorité de la KFOR », sous réserve de leur extension par le Conseil de l'Atlantique Nord (possédant l'autorité pour le faire à tout moment).
Ainsi, la KFOR avait pour missions essentielles de créer un environnement pacifié et d'assister la Mission civile de mise en _uvre des accords ainsi que les organisations humanitaires opérant au Kosovo. Pour ce faire, il était envisagé non seulement qu'elle soit en mesure de recourir à la force si nécessaire, mais aussi qu'elle puisse requérir des parties qu'elles indiquent où elles avaient posé leurs mines et exiger qu'elles participent à la commission jointe et à ses commissions subordonnées. Il était également prévu qu'elle bénéficie d'un usage illimité et non réglementé des réseaux hertziens, d'un droit de contrôle du trafic routier et d'une totale liberté de déplacement au sol, dans les airs et sur les fleuves yougoslaves notamment.
L'annexe B précisait par ailleurs que s'ils devaient agir dans le respect des lois yougoslaves et serbes, les personnels de la KFOR jouiraient d'une immunité juridictionnelle. Elle détaillait également un certain nombre de commodités nécessaires à l'exercice de leurs missions tels que :
- le passage sans restriction avec leurs équipements sur le territoire yougoslave (paragraphe 8) ;
- l'exemption des droits de douanes et taxes diverses (paragraphe 9) ;
- la fourniture d'un accès sans restriction aux moyens et services requis pour permettre pleinement les communications de l'OTAN, étant entendu que la KFOR coordonnerait son action avec les autorités yougoslaves appropriées et prendrait en compte leurs besoins (paragraphe 15) ;
- la mise à disposition sans frais des infrastructures publiques requises par l'OTAN pour la préparation et l'exécution de l'opération, l'OTAN payant sa consommation d'eau et d'électricité (paragraphe 16) ;
- la possibilité de modifier certaines infrastructures de la République fédérale de Yougoslavie (routes, ponts, tunnels, réseaux de distribution) en fonction des besoins (paragraphe 22).
Ces dispositions, contraignantes, s'expliquent par des nécessités pratiques et ne portent pas atteinte aux droits ou au patrimoine yougoslaves. Rien dans le volet militaire du texte soumis aux parties à Rambouillet ne permettait d'assimiler la future KFOR à une force d'occupation.
Le dispositif envisagé était très proche de celui de la SFOR, en Bosnie-Herzégovine. A ce titre, il aurait dû être accepté par la partie serbe. Celle-ci y a opposé un refus en connaissance de cause. Elle n'a été nullement la victime d'une man_uvre destinée à déclencher une réaction militaire de l'OTAN.
3. Le refus serbe de toute concession relative aux garanties militaires à Rambouillet-Kléber
Convoquées par le Groupe de contact lors de sa réunion du 29 janvier 1999 à Londres, les parties serbe et kosovare ont abordé les discussions de Rambouillet dans un contexte de défiance réciproque.
A l'image des difficultés administratives provoquées par les autorités serbes quelques jours avant la venue à Rambouillet des trois membres de l'UCK appartenant à la délégation kosovare d'origine albanaise5, la méfiance entre les parties n'a jamais été véritablement dissipée. Il en est résulté une absence totale de contacts directs entre les deux délégations.
Si la délégation kosovare était assez représentative de l'état des différentes sensibilités de la population d'origine albanaise, la délégation serbe, en revanche, pouvait être qualifiée de « folklorique », le Président yougoslave ayant dépêché un aréopage de représentants des minorités du Kosovo et de personnalités sans réel pouvoir. De fait, Belgrade a manifesté d'emblée sa mauvaise volonté à négocier.
Certes, la délégation serbe a accepté le dialogue sur de nombreux points du volet politique du projet d'accord. Le Président serbe (M. Milutinovic) et le vice-Premier ministre yougoslave (M. Draskovic) se sont même directement impliqués dans les pourparlers. A l'inverse, les négociateurs kosovars ont refusé de signer le texte, aux motifs qu'il ne prévoyait pas explicitement un référendum sur l'indépendance au terme de la période intérimaire de trois ans et que les commandants locaux de l'UCK devaient être préalablement consultés. Ils n'ont signé le texte que le 18 mars, après que la base de l'armée de libération du Kosovo se fut prononcée.
L'opposition serbe au projet n'a finalement été constante que sur un seul point : l'intervention au Kosovo d'une force multinationale chargée de vérifier l'application de l'accord. Cette question n'a été soumise à la délégation serbe que le 19 février alors que les négociations avaient débuté le 6 février. Celle-ci a alors répondu qu'un accord semblait possible sur le volet politique, mais elle a opposé un refus de principe à la présence de n'importe quelle force militaire internationale au Kosovo, qu'elle relève de l'OTAN, de l'ONU ou de l'OSCE.
De source diplomatique, la présentation retardée de cet aspect militaire de l'application d'un accord, alors même que la presse commençait à s'en faire l'écho, n'a pas facilité la négociation. Néanmoins, il n'est pas certain qu'en abordant le sujet dès les premiers jours, les négociateurs serbes et ceux desquels ils tiraient leurs directives auraient fait preuve de plus d'ouverture.
Les négociations poursuivies au centre de conférences internationales de l'avenue Kléber ont échoué du fait de la seule attitude de la partie serbe. Non seulement cette dernière n'a pas accepté le principe d'un mécanisme militaire pour l'application d'un statut intérimaire au Kosovo, mais elle est également revenue sur plusieurs de ses engagements antérieurs. Cette attitude était dictée par le Président yougoslave en personne. Plusieurs négociateurs internationaux se sont déclarés frappés par l'absence de marge de man_uvre du Président serbe, M. Milan Milutinovic, pour se prononcer sur un projet d'accord qu'il ne rejetait pas sur le fond. En définitive, seule l'intransigeance de M. Slobodan Milosevic est responsable de la confrontation militaire de l'OTAN avec la République fédérale de Yougoslavie.
C. CONCLUSION : UNE INTERVENTION LÉGITIME
L'intervention de l'OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie peut apparaître justifiée dans la mesure où elle a constitué une réponse à l'intransigeance de Slobodan Milosevic. Les autorités yougoslaves ont rejeté les propositions constructives que le Groupe de contact leur avait présentées. Tout au contraire, elles semblent s'être accommodées de la crise afin de faire pression sur la communauté internationale.
Celle-ci a réagi avec détermination et fermeté afin de répondre à trois enjeux : un enjeu géopolitique tout d'abord, puisque la stabilité de la région des Balkans se trouvait menacée par la politique de l'exécutif yougoslave ; un enjeu géostratégique ensuite, l'OTAN s'étant impliquée à un point tel qu'il lui était impossible de ne pas agir sans remettre sa crédibilité en cause ; un enjeu moral enfin, la répression de la police serbe au Kosovo ayant entraîné l'émigration de plusieurs dizaines de milliers de Kosovars.
L'Alliance atlantique n'a pas fait la guerre à un pays, ni à son peuple. Elle a été amenée à mettre en application ses menaces, après que les nombreuses tentatives diplomatiques pour résoudre la crise eurent échoué.
1. La stabilité de l'Europe du Sud-Est en danger
Les Balkans sont une région européenne dont l'instabilité a donné lieu à de nombreuses guerres. L'éclatement de l'ancienne Fédération yougoslave en 1991 avait déclenché un conflit régional majeur mettant aux prises la Croatie, la Bosnie-Herzégovine et la Serbie. Pour y mettre un terme, les accords de Dayton-Paris, conclus en 1995, avaient esquissé une solution qui préservait l'intégrité de la Bosnie-Herzégovine tout en ménageant les intérêts de ses voisins. Mais cet équilibre, qui se voulait durable grâce à la présence militaire de l'OTAN en Bosnie, reste précaire. La politique des dirigeants yougoslaves au Kosovo constituait un véritable danger à cet égard.
En refusant l'autonomie pour cette province spécifique de la Serbie, et en n'imposant pas une certaine retenue aux forces de police du Kosovo lorsqu'elles poursuivaient les auteurs d'attentats, le Président Slobodan Milosevic a encouragé les discriminations à l'encontre de la population d'origine albanaise et cherché à modifier ainsi l'équilibre démographique de la province sans se soucier des conséquences pour la Macédoine, l'Albanie, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine.
_ De tous les Etats limitrophes de la République fédérale de Yougoslavie, la Macédoine était sans doute le plus fragile. République pluriethnique avec une forte minorité albanophone (25 % de la population environ), les rapports entre différentes communautés y étaient assez tendus même s'ils restaient pacifiques. Les événements du Kosovo affectaient cette situation en provoquant un afflux de réfugiés d'origine albanaise. Ainsi, la Macédoine était en proie à une déstabilisation interne doublée d'un risque de revendications territoriales par certains pays limitrophes. En effet, la Grèce avait reconnu l'Etat macédonien sans néanmoins abandonner ses prétentions historiques à en récupérer certaines parties. La Turquie, qui elle aussi a joué par le passé un rôle important dans la région, restait attentive au devenir des populations musulmanes de Macédoine. De fait, les intérêts de deux pays membres de l'OTAN situés dans la région étaient susceptibles d'être affectés par les répercussions des événements du Kosovo.
_ L'Albanie, quant à elle, était traversée par un élan de sympathie compréhensible à l'égard de la cause kosovare. Néanmoins, à la suite de la crise des institutions financières en 1997, l'Etat se trouvait un peu plus affaibli.
_ Le Monténégro était également menacé, le Président yougoslave arguant du caractère exceptionnel de la situation pour prendre des mesures visant à restreindre l'autorité du Président Monténégrin, Milo Djukanovic. Ce dernier était apprécié par la communauté internationale en raison de son adhésion aux principes démocratiques et aux réformes.
_ Enfin, la Bosnie-Herzégovine était elle-même un sujet d'inquiétude dans la mesure où le tropisme serbe de la Republika Sbrska ne pouvait qu'être ravivé par les revendications indépendantistes kosovares.
Ainsi, à l'exception de la Slovénie et de la Croatie, toute l'ancienne Yougoslavie était susceptible d'entrer à nouveau dans un cycle de guerres civiles à la fois ethniques et religieuses. Le Kosovo n'était d'ailleurs pas la seule partie du territoire de la République de Serbie susceptible d'engendrer des tensions graves, la Hongrie étant favorable à une autonomie plus grande de la Voïvodine, et la Turquie demeurant préoccupée par la situation des musulmans du Sandjak.
L'implication militaire de l'OTAN avait pour but de prévenir ces dangers en limitant le foyer de tensions par une présence alliée en Macédoine ainsi qu'en Albanie, et en obligeant les dirigeants yougoslaves à adopter une autre politique à l'égard de la population kosovare d'origine albanaise. Jugée à l'aune de ces objectifs géopolitiques, l'opération « Force alliée » a été un succès puisque le conflit ne s'est pas étendu et que l'équilibre de la région n'a pas été fondamentalement bouleversé.
2. La crédibilité de l'OTAN en jeu
L'OTAN avait menacé à plusieurs reprises le pouvoir yougoslave d'intervenir militairement s'il ne modérait pas l'action de ses forces de sécurité au Kosovo. De ce fait, l'Alliance atlantique avait engagé son crédit. Ne pas réagir face à l'obstination du Président yougoslave aurait pu être interprété comme une hésitation, voire une faiblesse très préjudiciable à l'avenir pour la sécurité européenne.
Cette détermination semblait d'autant plus nécessaire à certains, que les membres de l'Alliance étaient en pleine négociation au sujet de son nouveau concept stratégique.
Ce contexte de finalisation du cadre de « l'Alliance pour le XXIème siècle » a nécessairement pesé sur le choix d'intervenir contre la République fédérale de Yougoslavie.
_ En effet, non seulement les frappes alliées illustraient opportunément l'une des deux nouvelles missions assignées à l'Alliance atlantique, à savoir « la gestion des crises » sur le continent européen. Mais de surcroît, les conditions dans lesquelles elles étaient décidées devaient déterminer la marge de man_uvre de l'OTAN pour accomplir cette nouvelle mission à l'occasion d'une crise tout à fait exceptionnelle quant à ses implications humanitaires.
_ De plus, l'échéance des négociations sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN avait été fixée au sommet de Washington des 23 et 24 avril 1999. Les Américains avaient fait de la tenue de ce sommet une de leurs priorités, quand bien même elle était susceptible de contrarier la Russie et de nuire par la même occasion aux efforts diplomatiques en faveur d'un règlement politique du conflit par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. Le ministre français des Affaires étrangères, M. Hubert Védrine, a reconnu à l'occasion de son audition par les Commissions des Affaires étrangères et de la Défense de l'Assemblée nationale réunies, le 19 mai, que la préparation du sommet de Washington avait retardé les négociations d'une sortie de crise sous l'égide du Conseil de sécurité de l'ONU. De fait, si ce sommet avait été reporté, comme certains l'avaient demandé lorsqu'il était apparu évident que l'action des Alliés s'inscrivait dans la durée, l'issue du conflit aurait sans doute été plus rapide et l'intervention de l'OTAN n'aurait peut-être pas été perçue comme une démarche des Etats-Unis destinée à affranchir l'Alliance de l'autorité des Nations Unies.
Ainsi, le contexte propre à l'Alliance a infléchi aussi bien la décision d'intervenir que la durée des opérations. Néanmoins, il n'a pas dicté à lui seul le choix d'engager des frappes aériennes. L'OTAN avait donné sa garantie dans la recherche d'une solution. Elle devait donc l'honorer.
L'Alliance atlantique n'a pas délibérément voulu la confrontation. Elle n'a pas non plus cherché la démonstration de force. Elle a seulement tenu ses engagements, envoyant par là un signal très clair de fermeté et de constance.
La montée des violences depuis 1997, imputable aussi bien aux actions de provocation de la guérilla kosovare qu'à la répression aveugle de la police serbe, avait eu pour conséquence de pousser de nombreux civils à fuir hors du Kosovo. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés les recensait à 170 000 environ, à l'été 1998. En y adjoignant le nombre des personnes déplacées à l'intérieur du Kosovo à cette même date, ce sont 400 000 personnes au total qui étaient victimes à des titres divers de la crise qui sévissait au Kosovo.
Cette situation, aux portes de l'Europe démocratique et développée, était devenue inadmissible. De surcroît, rien ne permettait d'espérer une amélioration quelconque, les rétorsions de la police serbe s'intensifiant après l'arrivée de plusieurs renforts. Une catastrophe humanitaire étant déjà prévisible, ne pas agir pour essayer de l'empêcher aurait engagé la responsabilité morale des pays occidentaux.
De telles considérations ont effectivement dicté, pour une large part, l'attitude des Etats membres de l'Alliance atlantique. A cet égard, le massacre de 45 villageois de Raçak, le 15 janvier 1999, peut être considéré comme le point de bascule de leur implication. Les fortes présomptions qui pesaient alors sur les forces de police serbes ont été accrues par l'obstruction des dirigeants yougoslaves vis-à-vis de l'enquête du procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
Les opinions publiques des Etats membres de l'OTAN ont été particulièrement choquées par cet événement, de sorte que l'inaction était désormais injustifiable. De plus, il devenait désormais clair que si la communauté internationale ne parvenait pas à faire accepter un modus vivendi par les parties, les violences se généraliseraient.
L'intervention militaire de l'OTAN avait donc bien un volet humanitaire. Il lui a été reproché d'avoir provoqué les exactions des troupes yougoslaves contre les civils kosovars. Il est avéré que ces dernières s'en sont trouvées accélérées et intensifiées, comme le rappelle le rapport de l'OSCE rendu public le 6 décembre 19996. Néanmoins, on ne peut pas attribuer aux frappes la causalité de la répression. Les autorités serbes n'étaient nullement dans l'obligation de déplacer ou déporter près de 90 % de la population albanophone du Kosovo, ni de laisser leurs forces de police ou les milices paramilitaires pratiquer les exactions et les massacres contre les populations civiles. A défaut d'avoir empêché ces actes des troupes serbes et yougoslaves, les frappes aériennes ont marqué la désapprobation de la communauté internationale tout en permettant d'y mettre un terme après onze semaines de bombardements.
II. - A-T-ON ADOPTÉ LES BONS CHOIX OPÉRATIONNELS ?
Au cours de l'année 1998, les instances politiques et militaires de l'OTAN avaient réalisé un inventaire des différentes possibilités d'intervention au Kosovo, hypothèse d'une offensive terrestre y compris. Ainsi, deux options d'action au sol ont été envisagées : l'une prévoyait l'entrée en force de 75 000 hommes au Kosovo, l'autre planifiait une entrée de 200 000 hommes en République fédérale de Yougoslavie à partir de la Hongrie.
Néanmoins, les autorités de l'Alliance se sont très rapidement rangées à l'impossibilité de cette dernière hypothèse, le risque d'une régionalisation du conflit et l'impréparation des opinions publiques constituant de sérieux obstacles. Par ailleurs, le défi technique était de taille puisque rassembler 75 000 hommes aurait requis au minimum quarante-cinq jours du seul point de vue logistique et bien plus pour finaliser les accords nécessaires avec les pays limitrophes de la République fédérale de Yougoslavie.
De fait, le choix de la stratégie aérienne s'est imposé comme la seule réponse possible aux exigences du moment. Dans la mesure où l'usage de la force était subordonné à une finalité diplomatique, la pression aérienne devait nécessairement être conçue comme une semonce, éventuellement suivie de frappes intensifiées au fur et à mesure. Le dispositif appliqué par les militaires de la coalition avait été précisément défini par le Conseil de l'Atlantique Nord ainsi que le Comité militaire de l'OTAN : dans un premier temps, l'objectif diplomatique imposait des frappes limitatives, mais au cas où le Président Milosevic ne cédait pas aux intentions des Alliés, les frappes devenaient progressives et suivaient un processus phasé pour lequel la position géographique des cibles, leur nature et leur nombre étaient à chaque fois définis et actualisés selon la procédure du silence7.
D'un strict point de vue militaire, cette démarche a suscité diverses réserves. Trop progressive pour les tenants de bombardements stratégiques étendus à Belgrade même, elle ne s'appuyait pas sur un soutien au sol seul à même de protéger les civils kosovars pour les tenants de l'option terrestre.
Avec le recul qu'autorisent les six mois qui se sont écoulés depuis la fin du conflit, l'intervention aérienne conduite par l'OTAN apparaît comme un pari réussi politiquement mais dont l'efficacité contre le dispositif militaire serbe reste à prouver. Un examen attentif de ses modalités, de son déroulement et de ses résultats permettra d'expliquer en quoi, malgré sa pertinence pour la crise du Kosovo, il serait inconsidéré d'en faire un modèle.
A. UNE OFFENSIVE AÉRIENNE, FAUTE DE MIEUX
Le 23 mars 1999, la coalition alliée n'avait pas d'autre alternative qu'une inaction résignée (inacceptable en raison de ses conséquences politiques, médiatiques et humaines), ou des frappes aériennes. Aucune des conditions requises par les planifications préalables pour prendre une décision d'engagement en force au sol, ne semblait alors réunie aux yeux du SHAPE et du Conseil de l'Atlantique Nord.
L'option des frappes aériennes a été effectivement jugée comme la seule réalisable dans un contexte d'urgence parce qu'elle présentait le triple avantage de l'instantanéité, de la réversibilité et d'une plus faible probabilité des dommages infligés à la population civile. Ce choix collectif s'est décliné en une stratégie phasée visant à infléchir la position des dirigeants yougoslaves à l'égard du cadre de Rambouillet et à les amener à cesser leur politique de répression ethnique engagée dès 1998.
Pour autant, ces objectifs politiques n'ont été finalement atteints qu'au prix d'une réorientation stratégique progressive mais significative. Les bombardements alliés se sont intensifiés au fil des semaines : la phase « un » a duré du 24 au 28 mars 1999, la phase « deux » du 29 mars au 16 avril, et la phase « deux élargie » du 17 avril jusqu'au début du mois de juin, avec deux montées en puissance, le 1er puis le 23 mai. La liste des cibles s'est élargie aux infrastructures économiques et aux centres de décision du pouvoir yougoslave. Mais pouvait-il en être autrement avec une stratégie exclusivement aérienne dont les fondements relèvent plus du cantonnement des forces adverses que de leur destruction proprement dite ?
La décision d'engager des bombardements aériens contre les forces militaires yougoslaves et la police serbe agissant au Kosovo, puis contre les infrastructures dont elles bénéficiaient, y compris en Serbie même, a été prise à l'aune des avantages opérationnels et politiques qu'elle présentait. Ces derniers étaient manifestement supérieurs à ceux d'une offensive terrestre conduite en milieu hostile, dans une région montagneuse aux voies d'accès limitées et dangereuses.
Les frappes aériennes constituent un moyen de réaction militaire souple et immédiat. Mais, elles ont surtout été décidées parce qu'elles ne soulevaient pas d'opposition franche au sein de l'OTAN, à la différence d'une offensive au sol. En effet, elles préservaient l'unité de l'Alliance à travers une action présentée comme ciblée contre l'appareil de répression yougoslave.
a) Une réponse immédiate et réversible à un défi lourd de conséquences
Le contexte dans lequel les belligérants se trouvaient au début de l'année 1999 éclaire pour une large part le choix tactique des bombardements contre la République fédérale de Yougoslavie. En effet, jusqu'à l'échec de la Conférence de Paris, il n'était question que de menaces de rétorsions militaires contre les parties yougoslaves et kosovare, dans l'hypothèse où elles ne s'inscriraient pas dans une attitude constructive pour sortir de la logique d'affrontement dans laquelle elles s'étaient placées. De ce fait, les Alliés ne pouvaient envisager de renforcer massivement les effectifs de la force d'extraction positionnée en Macédoine pour protéger la mission d'observateurs de l'OSCE chargée de vérifier le cessez-le-feu du 13 octobre 1998 (MVK) sans envoyer par la même occasion un signal d'engagement politiquement exploitable par chacune des parties.
A l'inverse, l'option des frappes aériennes pouvait s'appuyer sur la mobilisation immédiate des 374 appareils de l'OTAN déployés dans le cadre de l'opération « Eagle Eye ». Grâce à ce vecteur, l'Alliance était assurée d'une réactivité immédiate dans l'hypothèse du refus de l'une ou l'autre des parties de trouver une solution négociée à la crise. Par ailleurs, les préparatifs d'une telle intervention nécessitaient des délais suffisamment courts pour que leur exécution intervienne après le constat d'un échec du dialogue amorcé par le Groupe de contact. Dans la logique de court terme qui prévalait en mars 1999 au sein de l'OTAN (l'idée d'un conflit durable constituant une éventualité considérée comme très hypothétique), la rétorsion par des frappes aériennes pouvait apparaître comme le meilleur des choix opérationnels.
L'emploi de la force aérienne pour infléchir les dirigeants yougoslaves a également été motivé par un certain nombre d'avantages propres à ce moyen d'action. La réversibilité de l'engagement et la plus faible probabilité des dommages infligés tant aux populations civiles qu'aux contingents mobilisés ont constitué des avantages décisifs en faveur de l'intervention aérienne.
En effet, à la différence d'une option privilégiant l'emploi massif de troupes au sol, le recours aux raids aériens permet une grande souplesse opérationnelle. Sa portée politique s'en trouve ainsi affectée puisque les frappes peuvent être interrompues ou accentuées à tout moment. Le message adressé au pays visé se veut donc persuasif et non foncièrement offensif. Or, en l'occurrence, la décision de s'en tenir à ce mode d'intervention a été fortement influencée par la volonté initiale des Alliés de convaincre les dirigeants de la République fédérale de Yougoslavie d'accepter le cadre de Rambouillet comme base de règlement de la crise.
Les Alliés devaient aussi s'assurer que les moyens auxquels ils recouraient auraient de faibles répercussions sur les populations civiles kosovare, monténégrine et serbe, de manière à ne pas donner l'impression qu'ils s'engageaient dans une guerre contre la population yougoslave (ce qui n'était pas le cas). Ce faisant, le tir de vecteurs aériens à grande précision tels que les missiles de croisière à guidage par système de navigation satellitaire GPS ou les bombes à guidage laser sur le fondement de règles d'engagement très restrictives pour les pilotes de l'OTAN, est apparu comme la solution la mieux à même de satisfaire cette exigence essentielle. C'est ainsi que 90 % des frappes ont été conduites avec ce type de munitions lors du premier mois du conflit8.
Certes, cette volonté d'épargner les populations s'est traduite dans un premier temps par un certain nombre de conséquences fâcheuses pour l'Alliance, le pouvoir yougoslave invitant ses ressortissants à veiller sur un certain nombre d'infrastructures pour empêcher les bombardements tout en ravivant autour de lui le sentiment national. Néanmoins, l'impact psychologique de la campagne de l'OTAN a finalement prévalu.
Enfin, la stratégie aérienne garantissait une plus grande sécurité pour les pilotes engagés par l'Alliance. Eu égard au contexte non permissif prévalant au Kosovo et aux risques de pertes massives qui en auraient découlé dans les rangs alliés au cas où une intervention terrestre aurait été décidée, les autorités politiques des pays de la coalition impliqués dans les opérations se sont accommodées du recours exclusif à l'offensive aérienne. Ce souci, abusivement qualifié de « théorie du zéro mort », a imposé des contraintes d'engagement supplémentaires aux pilotes. Il est vrai cependant qu'après soixante-dix-huit jours de combat, la coalition n'a eu à déplorer que le décès de deux pilotes d'hélicoptères Apache s'entraînant en Albanie.
b) Une option compatible avec le maintien de l'unité de l'Alliance
La stratégie des raids aériens a permis à l'OTAN de rester unie dans son attitude et ses exigences, malgré les tensions centrifuges qui sont apparues dans certains pays alliés. En effet, l'intervention militaire contre la République fédérale de Yougoslavie était un sujet susceptible de déstabiliser les équilibres politiques des gouvernements de l'Italie et de l'Allemagne. La Grèce, quant à elle, formulait des critiques à peine voilées contre la décision des bombardements.
Ces fissures n'ont pas vraiment eu d'incidence sur la prise de décision au sein de l'Alliance dans la mesure où le mécanisme de « l'abstention constructive » confère une certaine géométrie variable à l'exigence d'unanimité entre les dix-neuf Etats membres de l'OTAN, et permet ainsi à un Etat de ne pas s'opposer à un choix du Conseil de l'Atlantique Nord sans s'y associer formellement. L'unité des Alliés a donc prévalu tout au long de la crise, y compris lorsque le Président yougoslave a pris des initiatives destinées à semer le trouble parmi eux.
A cet égard, l'annonce d'un « cessez-le-feu unilatéral » pour la Pâque orthodoxe accompagnée d'une proposition de règlement politique négocié avec M. Ibrahim Rugova (alors retenu à Pristina) est une man_uvre caractéristique des démarches du Président yougoslave pour infléchir certains Alliés. Toutefois, loin de déstabiliser l'Alliance, elle a donné l'occasion à ses membres de formaliser en commun les cinq exigences énoncées initialement par le Ministre français des Affaires étrangères. Ces exigences devaient constituer par la suite la clé de voûte des buts de guerre de la coalition, lesquels étaient réduits jusque-là à une acceptation du texte présenté à Rambouillet. Schématiquement, ces cinq conditions préalables et non négociables se résumaient à :
- l'arrêt des exactions serbes contre les populations civiles albanophones ;
- le retrait vérifiable des forces serbes du Kosovo ;
- la mise en _uvre du droit au retour des réfugiés dont le nombre a augmenté de façon significative dès les premières semaines du conflit ;
- l'acceptation par les autorités serbes des principes politiques ébauchés à Rambouillet (c'est-à-dire « l'autonomie substantielle » de la province) ;
- l'accord des autorités serbes au déploiement d'une force multinationale au Kosovo.
Jamais les Alliés ne se départiront de ces principes officiellement énoncés par une déclaration du Secrétaire général de l'OTAN faisant suite à la réunion du Conseil de l'Atlantique Nord du 7 avril 1999. Définis en commun, ces buts de guerre ont renforcé la solidarité des dix-neuf Etats membres dans l'action engagée. Ils ont maintenu, envers les desseins du Président yougoslave, l'unité indispensable pour le faire céder.
Ainsi, quand un communiqué du commandement suprême de l'armée yougoslave annonce, le 10 mai, un « retrait partiel » des troupes stationnées au Kosovo au motif que « les opérations contre la soi-disant UCK sont terminées », les réactions des membres de l'OTAN sont d'autant plus fermes que le texte entretient l'ambiguïté en ajoutant que « lorsqu'un accord aura été atteint avec les Nations Unies sur l'envoi au Kosovo d'une mission de l'ONU et que le danger extérieur d'une menace contre l'intégrité territoriale de la Yougoslavie aura cessé, il sera possible de réaliser un plan permettant de ramener les forces militaires et policières au Kosovo, à leur niveau en temps de paix d'avant l'agression ». A chaque fois, les dirigeants yougoslaves ont misé sur la division des Alliés. Ils ont été contredits à chacune de leurs tentatives.
Le choix des frappes aériennes était préférable à une intervention terrestre d'entrée de jeu, car il était présenté comme une action progressive et ciblée contre les moyens de répression actifs au Kosovo, c'est-à-dire une intervention juste. Ce faisant, il permettait de maintenir l'indispensable cohésion de l'Alliance.
2. Une stratégie se heurtant à de fortes contraintes
Bien qu'elle ait présenté des avantages sans commune mesure avec ceux d'une intervention terrestre dans un contexte non permissif, l'action aérienne a été soumise à deux contraintes majeures qui en ont rendu l'issue incertaine jusqu'aux dernières frappes.
a) Une défense antiaérienne yougoslave dangereuse
Organisée sur un mode défensif, l'armée yougoslave était visiblement préparée à l'offensive de l'OTAN. A cette fin, nombre de casernes et de bâtiments officiels avaient été évacués. L'essentiel des armements lourds (avions, hélicoptères et blindés) avaient été préalablement dissimulés et éparpillés dans tout le pays. De nombreuses capacités de défense antiaérienne avaient été prépositionnées afin de constituer un danger constant pour l'aviation alliée. D'ailleurs, leur emploi était alternatif ou partiel (notamment dans leurs émissions radar) afin de les préserver le plus possible pour contraindre les conditions d'engagement des avions de l'OTAN.
La densité de la défense antiaérienne yougoslave a sans doute constitué le facteur le plus pénalisant pour l'Alliance, les armées de la République fédérale de Yougoslavie possédant des missiles antiaériens mobiles de conception soviétique très efficaces, malgré leur caractère rudimentaire. De ce fait, la maîtrise de l'espace aérien yougoslave n'était pas assurée en-dessous de 15 000 pieds (environ 5 000 mètres) d'altitude.
Si les systèmes antiaériens fixes de moyenne portée de l'armée yougoslave (SA 2 et SA 3) ont été mis hors d'état de nuire dès le début de la campagne aérienne, il n'en a pas été de même des systèmes antiaériens de courte et très courte portée (S A 6, SA 7), plus difficiles à localiser à cause de leur capacité de camouflage dans l'environnement et à cause de leur mobilité tactique. La volonté des Alliés de ne pas mettre en danger la vie de leurs pilotes les a donc conduits à définir des règles d'engagement draconiennes, sans pour autant que de telles conditions empêchent une certaine activité de la défense aérienne, des avions et des hélicoptères yougoslaves9 et assurent une sécurité totale des pilotes.
Cette menace était d'autant plus réelle que les appareils alliés étaient dans l'obligation de suivre des itinéraires fixes et inchangés d'une mission sur l'autre. De ce fait, ils étaient facilement repérés par la défense yougoslave qui a ainsi pu détruire deux appareils : un F 117 furtif et un F-15.
La défense sol-air a donc effectivement permis aux forces yougoslaves de conserver une certaine liberté d'action. Elle leur a également fourni le moyen de modeler les formes d'action de l'aviation alliée puisque les vols à basse altitude ont été interdits aux appareils de l'Alliance et que les hélicoptères de combat Apache ont dû rester au sol.
De surcroît, la neutralisation des défenses sol-air a employé un nombre élevé de moyens onéreux et gros consommateurs de soutiens. Elle a par ailleurs nécessité le recours à des munitions coûteuses dont l'utilisation par temps nuageux était dans la plupart des cas impossible.
b) Des contingences climatiques fortes
Les aléas météorologiques ont pesé fortement sur le déroulement de l'opération « Force alliée ». En effet, la persistance d'une couverture nuageuse handicapante a conduit les opérationnels à réviser plusieurs choix d'utilisation de matériels et à annuler un certain nombre de missions.
A la différence des munitions guidées par satellite, les armements mis en _uvre par désignation laser de leurs cibles ne sont efficaces que par temps clair. Ainsi, le passage d'un nuage trop épais fait écran avec la cible qui n'est plus éclairée par le faisceau laser de guidage. Par conséquent, comme l'Alliance avait pour souci constant d'éviter les bombardements approximatifs et les dommages civils, le CAOC de Vicence a été amené à annuler de nombreuses missions attribuées aux appareils délivrant des munitions à guidage laser lorsque les conditions climatiques ne s'y prêtaient pas. Cela a surtout été le cas lors des premières semaines du conflit, ce qui a contraint l'OTAN à recourir de façon très prononcée aux missiles de croisière à guidage par satellite GPS (Global Positioning System). Mais cette parade technologique restait relativement limitée, seuls les Etats-Unis et, dans une moindre mesure, la Grande-Bretagne disposant des vecteurs adaptés.
Par la suite, l'entrée en service de drones dédiés à la désignation laser des cibles à basse altitude a permis de contourner cette difficulté. Les Predator américains ont fait preuve d'une excellente efficacité à cet égard. Les drones Hunter de fabrication israélienne possédés par la France avaient été adaptés à cette fin par le centre d'expérimentations aériennes militaires de Mont-de-Marsan, et étaient opérationnels fin mai, mais leur utilisation n'était alors plus nécessaire.
La présence d'une couverture nuageuse épaisse a également influé sur la qualité du renseignement de la coalition. En effet, bon nombre d'informations étaient recueillies par satellites d'observation optique et radar, ainsi que par des avions de reconnaissance photographique à haute altitude. Or, là encore, la fréquence de la couche nuageuse constituait une contrainte importante, dans la mesure où les avions de reconnaissance ne pouvaient remplir leurs missions. De même, seuls les satellites radar américains permettaient de recueillir des renseignements pertinents dans de telles conditions, ce qui plaçait la coalition dans une situation de dépendance à l'égard des Etats-Unis. Heureusement, les drones volant à faible altitude, notamment les CL 289 et Crécerelle français, et les hélicoptères français du système de surveillance héliporté Horizon, équipés de radars Doppler, apportaient des indications précieuses sur l'évolution du théâtre. Cependant, si l'étendue à surveiller avait été plus grande, leur efficacité aurait sans doute montré ses limites.
En définitive, les conditions météorologiques qui ont prévalu durant la campagne aérienne ont mis en relief les limites de capacité des armements très sophistiqués de la coalition alliée. Par contre, l'écart technologique entre les équipements des forces de l'OTAN et ceux de l'armée yougoslave n'a pas empêché cette dernière de poursuivre ses actions de répression au Kosovo. La réponse à cette asymétrie n'est peut-être pas seulement technique.
Il n'est pas aisé d'établir un bilan chiffré et précis des frappes aériennes réalisées par la coalition alliée contre la République fédérale de Yougoslavie. Tout au long du conflit déjà, plusieurs polémiques s'étaient développées au sujet des résultats avancés par l'OTAN.
L'ampleur des dommages proprement militaires ne correspond sans doute pas à celle que l'importance des moyens mobilisés par la coalition permettait d'envisager. Lors d'une visite de membres de la Commission de la Défense nationale à Istrana et dans l'Adriatique, il a été nettement perçu que, dans les premières semaines du conflit, le volume des forces aériennes en action était disproportionné par rapport au résultat de leurs frappes. Le cas a même été cité d'une sortie aérienne alliée qui avait mobilisé une trentaine d'avions (alerte en vol, bombardiers, avions ravitailleurs,...) pour un tir de deux missiles sur des...camions militaires.
De même, l'asymétrie technologique des forces en présence n'a pas été aussi décisive qu'on pouvait l'espérer. Elle a néanmoins permis à l'OTAN de causer des pertes suffisamment significatives qui, complétant les efforts diplomatiques engagés en parallèle, ont conduit à l'obligation pour le régime serbe de céder aux injonctions de la coalition alliée.
a) Le bilan global dressé par l'OTAN
Le 16 septembre 1999, le SACEUR a rendu publique l'évaluation officielle des frappes par l'OTAN. Cette dernière a partiellement répondu aux critiques sur l'efficacité d'une opération exclusivement aérienne en faisant état de presque 2 000 chars, pièces d'artillerie et véhicules de transport touchés.
Le Général John Corley, responsable de la mission chargée de l'évaluation de la campagne aérienne, a présenté les conclusions tirées après trois mois de rassemblement de preuves. Sur son rapport, 181 chars, 317 véhicules blindés de transport de personnel (APCs), 600 véhicules militaires et 857 pièces d'artillerie et mortiers, soit 1 955 cibles, ont probablement été touchés. Ce chiffre a été établi à partir de preuves sur le terrain, de rapports des pilotes, de vidéos des avions, d'images avant et après frappes et de témoignages. En ce qui concerne les 93 chars détruits, 26 engins ont été trouvés sur place, 67 à d'autres endroits. Le reste est le résultat de frappes non confirmées. Les leurres n'ont pas été comptés. Mêmes relatifs, ces chiffres contrastent avec « la campagne de désinformation » des Serbes qui avaient annoncé peu après la fin de l'offensive aérienne que l'OTAN avait détruit seulement 13 chars et 27 pièces d'artillerie, alors qu'ils se targuaient d'avoir abattu 47 avions, 21 drones et 4 hélicoptères de l'Alliance.
Le décompte des destructions de sites et cibles fixes est moins sujet à caution. Il est beaucoup plus significatif. Selon les informations présentées par l'OTAN début juin10, 45 ponts enjambant le Danube ont subi de lourdes détériorations. De même, les quatre principales routes d'accès au Kosovo ont été rendues inutilisables alors que les neuf aérodromes militaires de la Serbie ont été sérieusement touchés, ce qui a considérablement réduit la capacité opérationnelle des forces yougoslaves. Plus du tiers des installations de production et d'entretien des missiles ont été mis hors d'usage. Les sites de transmission radio ont été atteints dans une proportion équivalente. Enfin, plus de la moitié des réserves militaires et civiles de pétrole avaient été détruites.
L'objectivité même de cette appréciation peut soulever à bon droit quelques interrogations. Elle peut être considérée comme un bilan proche de la réalité, à tout le moins un ordre de grandeur très vraisemblable.
b) Les difficultés d'évaluation de l'effet des frappes
L'évaluation des résultats d'une campagne aérienne relève d'un processus délicat, surtout dans une coalition. En effet, le Battle Damage Assessment (BDA) doit se concevoir à travers un ensemble de grandes fonctions qui reposent sur l'identification des cibles, le renseignement sur leur nature, la désignation des objectifs à viser et l'évaluation proprement dite des effets de l'intervention. Le BDA renvoie donc à une logique de systèmes qu'il est nécessaire de bien connaître car le potentiel de l'adversaire n'est jamais uniquement militaire.
Les responsables militaires avec lesquels votre rapporteur a été en mesure de s'entretenir ont estimé que les évaluations quantitatives - en termes de pourcentages de chars tirés, de capacités de raffinage et de stockage de pétrole entre autres - ne sont pas significatives car elles ne reflètent pas les effets cumulatifs des frappes ainsi que leurs conséquences psychologiques et déstructurantes. Finalement, le point de rupture intervient toujours à un moment non prévisible.
Les chiffres de l'OTAN donnent néanmoins un ordre d'idées assez réaliste de l'état des destructions infligées au potentiel militaire yougoslave. Avec 70 % de coups au but s'agissant des cibles fixes, les attaques stratégiques ont été les plus décisives.
Mais le bilan de l'Alliance reflète aussi une réelle difficulté à causer des pertes importantes dans les rangs de l'armée yougoslave au Kosovo, due aussi bien à l'organisation des forces adverses sur le terrain (autonomes, décentralisées et abritées), qu'à la complexité technique des opérations nécessaires pour atteindre des cibles mobiles. En effet, les actions sur « cibles d'opportunité » ont été assez marginales car elles mobilisaient trop d'avions pour un effet assez faible. Pour débusquer et immobiliser des éléments blindés adverses, l'aviation de la coalition a quand même eu recours au guidage des appareils en temps réel grâce au centre de fusion des informations en provenance des drones, satellites et Awacs, mis en place à Vicence un mois après le début des frappes.
Ces précisions méthodologiques ont leur importance. De fait, elles relativisent l'intérêt des évaluations effectuées a posteriori au Kosovo et confirment le caractère résolument inédit de la stratégie menée par la coalition. L'opération « Force alliée » ne peut donc pas être analysée et appréciée à travers les critères d'efficacité traditionnels.
B. UN OPTIMISME EXCESSIF DANS LA CONDUITE DE LA STRATÉGIE AÉRIENNE
Avec le recul, la stratégie de la partie adverse semble plus évidente. Après l'accord du 13 octobre 1998, les autorités yougoslaves se sont pliées à un cessez-le-feu qui leur octroyait un répit en neutralisant les forces de l'UCK qui contrôlaient alors 40 % du Kosovo. Globalement respecté, ce cessez-le-feu avantageait de facto Belgrade en empêchant l'UCK de pousser plus avant son avantage sur le terrain.
A partir du moment où le problème du statut de la province a resurgi, c'est-à-dire à la suite de la convocation des parties par le Groupe de contact pour la négociation d'un accord intérimaire sur le sujet, le pouvoir yougoslave a cherché à gagner du temps afin de réorganiser ses forces pour en découdre avec la « guérilla séparatiste ». Ainsi, avant même que l'échec des négociations de Rambouillet ne soit constaté, d'importants mouvements de troupes étaient signalés au nord de la province. 9 000 à 10 000 hommes soutenus par une centaine de chars lourds, une centaine de blindés et une centaine de pièces d'artillerie furent effectivement acheminés entre décembre 1998 et mars 1999. Ce faisant, les dirigeants yougoslaves ont manifesté une volonté délibérée de privilégier la voie des armes sur celle de la diplomatie. Ce caractère planifié des opérations menées par les forces yougoslaves devait se confirmer par la suite.
Or, malgré les éléments d'information en sa possession, l'OTAN ne semble pas avoir pris la mesure de la détermination serbe. La conduite des opérations aériennes lors des premières semaines le corrobore, l'hypothèse d'un conflit long et hasardeux n'étant visiblement pas retenue. En cela, l'Alliance a initialement fait preuve d'un optimisme excessif dans la poursuite de sa stratégie aérienne.
1. La détermination serbe sous-estimée : une relative impréparation de la coalition face à l'épuration ethnique et au chantage humanitaire
Dès le début de l'intervention de l'OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie, les troupes de Belgrade ont engagé à grande échelle des actions de répression contre les populations d'origine albanaise. Ainsi, en moins d'une semaine, quelque 300 000 Kosovars albanophones ont-ils été physiquement contraints à l'exode par les exactions menées par les forces yougoslaves. Au terme de la crise, ils seront plus de 980 000 réfugiés recensés par le Haut Commissariat des Nations Unis pour les Réfugiés hors du Kosovo, 170 000 d'entre eux l'ayant fui avant le début des frappes.
De tels déplacements de populations dans un laps de temps aussi court ont créé de graves problèmes humanitaires auxquels les pays hôtes de ces réfugiés (Albanie et Macédoine essentiellement) n'ont pu faire face qu'avec l'aide internationale. Ils ont également eu pour conséquence d'engendrer des tensions politiques liées aux fragiles équilibres ethniques de ces mêmes pays hôtes. Des camps ont ainsi été réalisés afin de soulager les familles et les structures d'accueil. Des soldats ont été mobilisés à des fins humanitaires, soit dans le cadre des contingents déjà sur place (comme c'était le cas en Macédoine), soit sur la base d'un envoi spécifique de troupes (comme cela a finalement été décidé, le 8 avril 1999, pour l'Albanie avec la constitution de l'AFOR).
Véritable chantage humanitaire, cette politique d'expulsions massives avait pour effets indirects de décrédibiliser l'action des Alliés qui justifiaient leur intervention par la prévention d'une catastrophe humanitaire et de compliquer, par la même occasion, la conduite de l'offensive aérienne.
Mais au-delà de cette pression exercée sur l'Alliance par le pouvoir yougoslave, cette stratégie d'épuration ethnique avait principalement des objectifs territoriaux. Dans un premier temps, il a semblé qu'une partition de fait était recherchée par Belgrade, qui aurait ainsi chassé les Kosovars albanophones du nord du Kosovo (riche en ressources minières autour de Kosovska Mitrovica), de l'ouest de la province (autour de Pec où se trouvent la plupart des monastères du « berceau serbe »), et de Pristina. Généralisées à tout le territoire et à toute la population d'origine albanaise, ces expulsions ont finalement révélé une politique du fait accompli visant à vider le Kosovo de la majorité de ses ressortissants albanophones11.
L'armée yougoslave et les milices serbes auraient pu expulser davantage de Kosovars d'origine albanaise. Les renseignements militaires auxquels votre rapporteur a pu avoir accès font état de convois ferroviaires qui auraient seulement déplacé des populations sans les rejeter hors de la province.
Faisant état du souci yougoslave de disposer de boucliers humains contre les bombardements de l'OTAN, ces informations révèlent aussi que Belgrade n'envisageait pas de vider le Kosovo de tous ses ressortissants albanophones. Les dirigeants yougoslaves ont plutôt cherché à inverser le rapport démographique afin de créer une situation plus favorable à leurs revendications dans la perspective d'un retour à la table des négociations.
L'OTAN s'est montrée relativement impuissante à enrayer de telles expulsions de masse. De plus, elle a tardé à apporter son soutien logistique à la Macédoine et à l'Albanie afin de soulager le fardeau de ces pays déjà démunis. En effet, les 8 100 hommes de l'AFOR n'ont été déployés dans leur totalité en Albanie que six semaines12 après le début des frappes alors que ce pays enregistrait sur son sol quelques 390 000 réfugiés selon le HCR. De même, l'aide humanitaire n'a commencé à parvenir à la Macédoine et à l'Albanie que deux semaines après le déclenchement de l'exode kosovar.
Dans ce contexte, l'initiative française de délivrer une aide rapide et consistante grâce à la mobilisation de moyens aériens effectuant des rotations quotidiennes depuis la base d'Istres mérite d'être soulignée. L'opération « Trident Humanitaire » a été engagée à titre national, ce qui explique sans doute la bonne réactivité dont a fait preuve notre pays.
L'OTAN, quant à elle, a organisé 500 rotations aériennes à vocation humanitaire, permettant l'acheminement de 4,5 millions de tonnes de nourriture, 1 962 tonnes de matériel de construction d'abris provisoire et 57 tonnes de fournitures médicales. Elle a surtout réalisé l'édification de camps d'accueil provisoires, le plus souvent dans des délais très brefs à l'image des quelques jours nécessaires pour l'édification de ceux de Brazda-Stenkovec en Macédoine. Bien sûr, l'Alliance n'étant pas une organisation régionale à vocation humanitaire, elle ne pouvait assumer seule les besoins humanitaires et la guerre. Néanmoins, le caractère insuffisant de cette aide démontre son degré d'impréparation face à un conflit de longue durée avec des implications humanitaires, alors que le déplacement massif de populations avait été envisagé sérieusement.
2. Une confiance exagérée des Alliés en un conflit de courte durée
Les autorités militaires de l'Alliance ont fait preuve d'une certaine prudence dans la prévision des effets de l'action menée lors de la planification amont et du déroulement des opérations.
Mais, fortes de la supériorité technologique des armements de l'OTAN, certaines autorités politiques alliées ont pu estimer que les dirigeants yougoslaves céderaient après quelques jours de frappes seulement. De fait, la relative modestie des moyens aériens initialement mobilisés corrobore cette confiance en une issue rapide et incontestable.
a) Une mobilisation de moyens initialement peu significative
Les moyens aériens engagés par l'OTAN dans l'opération « Force alliée » en 1999 étaient relativement limités. En effet, 374 appareils seulement ont été mis à contribution le 23 mars dernier. Ils s'élevaient à 418 le 29 mars, 577 le 16 avril, 700 le 2 mai, 880 le 24 mai et 912 le 9 juin. A titre de comparaison, 1 470 avions de combat avaient été déployés entre le 17 janvier et le 28 février 1991 par les pays participant à l'opération « Tempête du désert », lors de la guerre du Golfe en 1991.
Dans le cas du conflit du Kosovo, 14 000 sorties offensives ont été accomplies en soixante-dix-huit jours de bombardements, alors que lors de la guerre du Golfe, elles se sont élevées à plus de 60 000 en quarante-trois jours.
Certes, ces parallèles ne sont pas nécessairement pertinents car les conditions d'intervention étaient très différentes. Néanmoins, dans la mesure où l'intervention contre la République fédérale de Yougoslavie s'avérait être à la fois plus dangereuse (en raison des contraintes météorologiques et de la défense antiaérienne serbe) et plus décisive (l'issue du conflit dépendant du seul résultat des frappes), on ne peut qu'être surpris par la relative modestie des moyens initialement mobilisés par l'Alliance.
A cet égard, il est significatif que le porte-avions américain USS Roosevelt n'ait été dérouté sur zone avec ses 88 appareils et son groupe aéronaval que le 4 avril, soit douze jours après le début des frappes.
Sans doute, l'impact de la réduction des budgets de défense des Etats membres de l'OTAN explique pour partie la difficulté de réunir une flotte de combat aussi imposante que celle mise en _uvre lors de « Tempête du désert ». Néanmoins, les principales raisons semblent résider ailleurs car l'OTAN était en mesure d'aligner dès le départ un volume d'appareils plus significatif.
En fait, deux hypothèses peuvent permettre d'interpréter ce constat :
- soit les Alliés ne souhaitaient pas se placer dans une posture offensive avant que les discussions diplomatiques n'aient été épuisées, auquel cas ils se seraient privés d'un moyen de pression sur Belgrade en ne manifestant pas dès le départ leur détermination à aller jusqu'au bout ;
- soit les membres de l'OTAN considéraient qu'une simple semonce de quelques jours de bombardements suffirait à amener les dirigeants yougoslaves à une position plus souple, ce qui aurait constitué un excès de confiance dans le pouvoir de persuasion de l'Alliance atlantique.
Cette dernière hypothèse est certainement la plus probable.
En tout état de cause, il semble que les Alliés ne s'étaient pas préparés à l'idée d'un conflit long et incertain. Se fondant sur le précédent de 1995, au cours duquel quelques jours de frappes aériennes avaient convaincu le Président Slobodan Milosevic de la nécessité de négocier, ils ont préjugé d'une issue rapide et favorable. Les faits ne les ont contredits que partiellement, l'OTAN étant parvenue à ses fins malgré tout.
b) Des déclarations officielles insuffisamment prudentes lors du déclenchement des frappes
Dès le début des frappes aériennes de l'OTAN, les dirigeants de l'OTAN et de ses Etats membres se sont montrés confiants quant à l'issue du conflit. Ainsi, interrogé le 29 mars sur le fait de savoir si la durée des opérations était une question de jours ou de semaines, le Ministre français des Affaires étrangères, s'appuyant sur les déclarations du Secrétaire général de l'OTAN, répondait : « plus de jours, je dirais ».
Les communiqués officiels des autorités de l'OTAN étaient eux-mêmes très optimistes. Le 8 avril, soit deux semaines après le déclenchement de « Force alliée », le Secrétaire général de l'Alliance, M. Javier Solana, évoquait les « indices d'un ralentissement de l'activité des forces serbes » permettant d'envisager une victoire rapide. Deux jours plus tard, le Général Klaus Naumann, alors Président du Comité militaire, affirmait que « les frappes de l'Alliance en Yougoslavie ont détruit 50 % des cibles fixes visées et en ont fortement endommagé 40 % », chiffres qui seront par la suite revus à la baisse. Le 21 avril, le porte-parole de l'OTAN n'hésitait pas à déclarer que « Milosevic va craquer : il y a des signes de craquements, la Yougoslavie est isolée ». Enfin, le 5 mai, le SACEUR estimait lui-même que « la direction yougoslave et ses forces militaires sont susceptibles de s'effondrer ».
Après quelques jours de frappes, les autorités politiques des pays de l'Alliance atlantique ont fait preuve de davantage de réserve. Certes, quelques prises de positions à connotation optimiste pourraient être relevées, à l'image de cette déclaration effectuée le 21 avril par le Ministre italien des Affaires étrangères, M. Lamberto Dini : « le doute commence à s'installer chez Milosevic, il commence à se demander s'il ne ferait pas mieux de chercher à négocier un accord en raison du caractère peu probable d'un succès ». Néanmoins, ces propos rassurants ont été prononcés dans un contexte politique intérieur difficile, l'opinion publique italienne étant partagée sur le bien-fondé de bombardements plus intensifs. Dans l'ensemble, les chefs d'Etats et de Gouvernements des pays de l'Alliance sont devenus plus prudents à mesure que les frappes s'inscrivaient dans la durée sans toutefois cacher leur espoir d'une solution négociée.
A posteriori, il paraît clair que ni les responsables de l'OTAN, ni les autorités de ses Etats membres n'avaient suffisamment anticipé l'hypothèse d'un conflit difficile. A preuve, le triomphalisme affiché par certains dès les premières semaines. Toutefois, il serait excessif d'en déduire un manque total de lucidité. Leurs propos avaient aussi pour principal objectif de rassurer les opinions publiques des Etats impliqués, ces dernières n'ayant pas nécessairement été préparées à l'éventualité d'une guerre à l'issue difficile à prévoir. De surcroît, nombre de responsables militaires ou de Ministres de la Défense de la coalition ont mis en garde dès le début contre tout excès d'optimisme.
Présentée dès les premiers jours comme un choix exclusif de toute autre option par de nombreux dirigeants des pays membres de l'OTAN, la stratégie retenue lors du conflit du Kosovo était évolutive par définition puisque la planification des frappes aériennes reposait sur la progressivité de leur intensité. Néanmoins, à mesure que l'intervention alliée est apparue durable, l'éventualité d'une offensive terrestre a refait surface.
Par ailleurs, la pression militaire alliée a été grandement aidée par des événements exogènes tels que la désolidarisation russe par rapport aux principaux dirigeants yougoslaves, l'inculpation de ces derniers par le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie ou encore le soutien au sol apporté par l'UCK. De tous, la position de la Russie s'est révélée l'événement le plus déterminant dans la mesure où l'implication des autorités russes dans la recherche d'une solution politique au conflit contrecarrait l'espoir du Président Slobodan Milosevic d'en faire ses alliés contre l'OTAN. Ainsi, au lieu de parvenir à briser l'unité politique des Alliés et à s'appuyer sur le poids international de la Russie, le Président yougoslave s'est progressivement retrouvé isolé et marginalisé, de sorte que sa position est devenue intenable.
1. Une stratégie pour partie voulue, pour partie subie
Dès le début des frappes aériennes, l'OTAN n'a pas caché le caractère progressif de la pression militaire qu'elle entendait exercer sur le pouvoir yougoslave. Déclinée en quatre phases, l'opération « Force alliée » devait ainsi amener les dirigeants de la République fédérale de Yougoslavie à réfléchir aux conséquences de leur attitude d'obstination. Prévu, ce caractère résolument évolutif de la stratégie retenue par le SHAPE s'est heurté à une grande capacité de résistance de l'adversaire, si bien que l'ambiguïté d'une option d'action au sol a finalement été rétablie, induisant en cela une seconde évolution stratégique, plus subie que voulue.
La stratégie alliée a également bénéficié de la convergence de circonstances et d'événements qui ont accentué les contraintes pesant sur le pouvoir yougoslave. Les résultats de la campagne de bombardements de l'OTAN doivent être relativisés en conséquence, même s'il reste indéniable que l'engagement aérien allié a été déterminant.
a) Une opération phasée et graduelle
Planifiée dès octobre 1998 au moment où l'hypothèse d'une action contre la République fédérale de Yougoslavie fut un temps envisagée, l'opération « Force alliée » se décomposait en quatre phases dont la responsabilité opérationnelle incombait au Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR), le Général Wesley Clark.
Dans la foulée des accords Milosevic-Holbrooke du 13 octobre 1998, l'OTAN avait déployé sur zone plusieurs centaines d'appareils qui ont ainsi pu effectuer des vols d'entraînement, de reconnaissance et de recueil de renseignements préparant ainsi les conditions d'intervention contre la République fédérale de Yougoslavie. Le 23 mars, le Secrétaire général de l'OTAN ayant donné instruction au SACEUR de lancer les opérations offensives, la phase « un » entrait en vigueur. Axée contre la défense antiaérienne de tout le territoire yougoslave, elle impliquait des bombardements contre les rampes de missiles sol-air, les radars, les centres de communication et de commandement ainsi que les bases aériennes. Le 27 mars, l'étendue des cibles était élargie par le Secrétaire général qui, après consultation informelle des membres de l'Alliance, ordonnait le passage à la phase « deux ». Les forces armées serbes présentes au sud du 44ème parallèle, leurs matériels et leurs casernes étaient désormais visés par les bombardements.
Officiellement, la phase « trois » qui permettait une extension des frappes aux forces stationnées au nord du 44ème parallèle, n'a pas été formellement engagée. Néanmoins, le champ de la phase « deux » a été notablement complété afin de peser sur l'environnement des forces (lignes de communication, capacités d'approvisionnement en carburants, alimentation électrique) et sur l'attitude de la population elle-même (par la destruction des installations de radiotélévision notamment). Définie sur une base pragmatique à la différence de la phase « trois », cette phase « deux élargie » procédait de la volonté de certaines autorités politiques, notamment françaises, de garder une meilleure maîtrise du déroulement des opérations en définissant de manière souple ce qui était acceptable au-delà de la phase « deux ». En cela, le contrôle politique de la conduite de l'intervention alliée restait constant et vigilant.
Ainsi, des objectifs ont pu être écartés au Monténégro ou à Belgrade, notamment sur proposition française. Un refus a également été opposé aux opérations qui auraient abouti à une guerre de destruction contre les fondements de la vie économique serbe ou à de profondes difficultés pour les pays limitrophes, ce qui a entraîné tantôt un abandon des cibles, tantôt une révision de l'ambition des frappes (notamment à propos du réseau électrique serbe contre lequel l'aviation américaine a utilisé des bombes au graphite, paralysantes mais non destructrices).
Du point de vue de la plupart des militaires, cette démarche n'était pas optimale dans la mesure où ils préconisaient des frappes massives et destructrices dès le départ pour hâter l'issue de la confrontation avec le Président yougoslave. Cette analyse a été argumentée par l'ensemble des opérationnels que la mission d'information et son rapporteur ont entendus et plus particulièrement par le SACEUR qui, bien que plus favorable à une action terrestre, a lui aussi reconnu que la recherche de l'efficacité des frappes imposait des bombardements plus intensifs dès le début des opérations. Ceci n'était toutefois pas compatible avec l'objectif initial d'un retour de la partie serbe à la table des négociations sur le statut du Kosovo. Or, c'est en fonction de cette finalité que la stratégie phasée de l'OTAN avait été arrêtée.
De nombreux objectifs civils (infrastructures routières, ferrées, navales et économiques) ont fini par être adjoints au millier de cibles militaires initialement définies par le SHAPE13. Ainsi, au fur et à mesure que le conflit s'inscrivait dans la durée, la nature purement militaire du ciblage s'est estompée au profit d'une conception plus globale des dommages à infliger à l'ennemi. A cet égard, l'étau exercé par les Alliés s'est progressivement concentré sur les frappes ayant des effets sur la population yougoslave, dont le soutien était essentiel au pouvoir du Président Slobodan Milosevic.
Le prolongement de la campagne au-delà de quelques semaines a donc poussé les Alliés à faire preuve de pragmatisme et à réorienter leur méthode. En fait, l'Alliance devait faire face à une surprenante obstination des dirigeants yougoslaves qui s'appuyait sur une capacité de résistance militaire mésestimée par les Alliés.
Pour infléchir Belgrade, il a alors été décidé que les infrastructures économiques ne seraient plus épargnées, même si leur caractère essentiel pour la population civile était incontestable. Il en allait ainsi des ponts ferroviaires et routiers, des usines et des dépôts de carburant dont l'usage dual légitimait qu'ils soient pris pour cibles, mais aussi des réseaux de distribution de courant électrique ou d'eau, des circuits de ravitaillement et de quelques moyens de télécommunication à usage civil. Le quotidien de la population yougoslave était délibérément pénalisé afin de saper l'assise des autorités décisionnelles du pays.
La stratégie de l'OTAN est finalement entrée dans sa dimension extrême. Le franchissement de cette étape s'est pourtant révélé, a posteriori, décisif.
b) Une certaine ambiguïté stratégique progressivement rétablie
La possibilité d'une intervention terrestre à la faveur de l'été a toujours été évoquée par la presse, notamment anglo-saxonne. Pourtant, ce n'est qu'à la fin du mois de mai que l'hypothèse est devenue crédible. En effet, tant que le gouvernement britannique restait le promoteur isolé de cette solution, comme l'avait illustré le sommet de Washington fin avril, les frappes aériennes demeuraient l'unique option retenue. Mais à mesure que l'issue de l'intervention de l'Alliance apparaissait incertaine, l'hypothèque humanitaire devenait de plus en plus difficile à gérer. Ainsi, l'idée d'une action aéroportée a-t-elle fini par être envisagée à haut niveau sur la base de la planification amont du SHAPE. A ce sujet, il n'est pas anodin de constater un glissement sémantique du discours des autorités américaines à partir de la fin du mois de mai.
En effet, le 18 mai, le Président Bill Clinton justifiait les choix stratégiques passés en affirmant que « la guerre aérienne a accompli pas mal de choses » et qu'« il y a encore pas mal de choses qu'elle peut accomplir ». Mais le discours officiel de l'exécutif américain semblait également ne plus écarter l'idée d'une offensive terrestre au Kosovo. Le Président ajoutait en effet, « nous n'avons retiré et ne retirons aucune option de la table », l'OTAN devant atteindre ses objectifs « d'une manière ou d'une autre ».
Cette prudence, partagée par la plupart des autorités politiques des pays engagés contre la République fédérale de Yougoslavie, s'expliquait par l'incertitude qui entourait le contexte d'un éventuel engagement au sol, beaucoup de responsables politiques et militaires étant convaincus que les forces yougoslaves s'étaient préparées à cette éventualité en vue d'attirer les Alliés dans un bourbier.
Pourtant, l'ambiguïté stratégique était progressivement rétablie par l'accumulation de signes montrant que l'éventualité d'une opération terrestre n'était plus exclue. Ainsi, début juin, un conseil restreint de l'Administration américaine était consacré à l'examen des conditions de cette alternative dont tout le monde s'accordait à reconnaître qu'elle devait être décidée à cette période pour pouvoir être menée avant le retour de l'hiver.
Les dirigeants yougoslaves ont finalement cédé avant qu'un tel choix ne s'impose. La détermination alliée à engager, le cas échéant, la préparation d'une offensive terrestre en milieu non permissif a sans nul doute pesé sur leur décision. Elle a néanmoins également révélé les limites d'une intervention aérienne présentée dès l'origine comme exclusive de toute autre option.
La coalition a donc atteint ses objectifs après soixante-dix-huit jours de bombardements sans même avoir engagé ses troupes au sol. Cependant, elle n'y est parvenue qu'au prix d'une révision importante de ses choix initiaux tout en bénéficiant d'une conjoncture favorable dont la stratégie poursuivie ne peut être créditée.
2. L'impact positif d'événements exogènes
L'issue de la stratégie adoptée par l'OTAN a été facilitée par des événements exogènes par rapport à la conduite militaire du conflit. A cet égard, l'attitude de la Russie, peu solidaire des dirigeants yougoslaves, a joué un rôle déterminant dans la capitulation de ces derniers. L'inculpation par le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie de cinq dirigeants yougoslaves (parmi lesquels le Président Slobodan Milosevic lui-même) pour crimes contre l'humanité, a constitué un facteur de pression supplémentaire sur les autorités de la République fédérale de Yougoslavie. Enfin, l'action au sol de l'UCK, indirectement appuyée par la couverture aérienne de l'OTAN, a également joué un rôle essentiel en fragilisant les lignes de la 3ème armée yougoslave.
Certes, à eux seuls ces événements n'auraient pas pesé de façon décisive sur le déroulement de la crise. Néanmoins, conjugués à un état de destruction économique avancé ainsi qu'à un sentiment de lassitude largement répandu au sein de la population civile yougoslave après plusieurs semaines de bombardements, ils n'en ont pas moins accéléré l'issue d'un affrontement qui n'avait que trop duré. En cela, l'OTAN a donc bénéficié d'un concours de circonstances favorables qui, s'il ne lui enlève pas le prestige de la victoire, en atténue pour le moins la valeur proprement militaire.
Contrairement à ce que les prises de position publiques des dirigeants russes peuvent laisser croire, la Russie n'a jamais apporté un soutien appuyé au régime yougoslave contre l'OTAN. En fait, les relations de fraternité russo-serbes ne sont pas vraiment étroites, les Serbes reprochant aux Russes de n'agir qu'en fonction de leur intérêt, alors que les Russes estiment que les Serbes ne sont pas des alliés suffisamment fiables.
Les protestations de la Russie contre l'opération « Force alliée » s'interprètent davantage comme une réaction d'humeur face à la démonstration par les Alliés de sa faiblesse politique et militaire. Comme l'a souligné le Ministre français des Affaires étrangères devant la mission d'information, cette rhétorique a rapidement été démentie dans les faits par une coopération politique active dans la recherche d'une solution négociée au conflit.
Le Président Slobodan Milosevic comptait vraisemblablement s'appuyer sur l'attachement de la Russie au principe de souveraineté des Etats, pour relayer sur la scène internationale le thème de l'agression illégitime contre son pays. Cependant, les dirigeants russes étaient conscients des égarements de sa politique au Kosovo, ce que leur engagement résolu au sein du Groupe de contact avait démontré. Par ailleurs, la Russie ne s'était pas opposée à l'adoption de la résolution 1203 du Conseil de sécurité de l'ONU, sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Enfin, de source diplomatique, le Président Boris Eltsine et le Gouvernement de M. Evgueni Primakov s'attendaient à des mesures de rétorsion de l'OTAN après l'échec des pourparlers de Rambouillet, mesures qu'ils comprenaient sans pouvoir les accepter publiquement.
Moscou n'a jamais cautionné les démarches du pouvoir yougoslave. La Russie a seulement condamné l'absence de résolution explicite du Conseil de sécurité pour autoriser l'OTAN à intervenir, comme l'illustre sa demande, le 25 mars, de réunir le Conseil afin d'examiner une proposition de résolution condamnant l'action des Alliés contre la République fédérale de Yougoslavie. En refusant d'adopter ce texte, le Conseil de sécurité a évité de désavouer l'intervention de l'OTAN.
Très vite, la Russie a de nouveau été associée aux réflexions occidentales pour aboutir à une sortie de crise négociée. Ce ralliement aux démarches diplomatiques des Alliés est intervenu plus tôt que ne l'espérait le Président Slobodan Milosevic. Il peut être daté d'une déclaration du Président Boris Eltsine, évoquant le 19 avril, peu après la nomination de M. Viktor Tchernomyrdine comme son représentant spécial pour le Kosovo, la possible présence d'une force multinationale dans la province pour assurer l'application d'un statut intérimaire.
Le G 8 a été le forum diplomatique privilégié par la Russie car, à la différence du Groupe de contact, il ne regroupait pas seulement des puissances impliquées contre la République fédérale de Yougoslavie.
En adoptant une déclaration présentant les principes généraux d'un règlement politique de la crise le 6 mai 1999, les Ministres des Affaires étrangères du G 8 ont engagé un processus de dialogue qui visait clairement à définir une solution que les autorités yougoslaves seraient forcées d'accepter. Pour ce faire, il fallait rallier l'accord officiel des Russes et réintégrer l'ONU dans le processus14. Or, sur tous ces points, la déclaration du 6 mai a constitué une avancée importante :
- tout d'abord, elle démontrait une convergence de vues a minima entre les Alliés et la Russie sur les cinq exigences formulées par l'OTAN puisqu'elle mettait en avant cinq principes assez similaires15 ;
- ensuite, elle resituait le processus en cours dans la légalité internationale en indiquant que les Ministres des Affaires étrangères du G 8 avaient demandé aux directeurs politiques « de préparer les éléments d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies...afin d'assurer la mise en _uvre de ces (cinq) principes (mentionnés auparavant) » ;
- enfin, elle fixait une méthode pour parvenir à une issue politique effective en chargeant les directeurs politiques d'établir « une feuille de route » déterminant les conditions, les modalités et le calendrier devant permettre d'aboutir à une solution concrète.
Mais, issu d'un compromis, ce communiqué présentait de nombreuses ambiguïtés rédactionnelles qui rendaient possibles des interprétations diverses voire contradictoires.
La semaine du 17 au 22 mai est révélatrice de l'intensité des négociations entre les membres du G 8. Les Alliés ont accepté quelques concessions mineures à Moscou, sans jamais rien céder sur le fond. Les Russes ont monnayé cher leur appui, indispensable en raison de leur droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU. Ainsi, jusqu'au bout, leurs négociateurs ont exigé un arrêt préalable des frappes et refusé que « la présence internationale de sécurité » ne repose, dans sa composition et son organisation, sur l'OTAN.
Pourtant, le dialogue a fini par aboutir, notamment grâce à l'intervention du représentant de l'Union européenne pour le Kosovo, le Président finlandais Marti Ahtisaari. Sa formation de diplomate, sa nationalité, la confiance que lui vouent les Russes étaient autant d'atouts qui permettaient une finalisation rapide d'un plan de paix approuvé par l'Union européenne, les Etats-Unis et la Russie. Le 2 juin, M. Marti Ahtisaari s'est rendu à Belgrade avec le représentant spécial du Président Boris Eltsine pour la Yougoslavie, M. Viktor Tchernomyrdine (qui avait lui aussi beaucoup _uvré pour infléchir l'attitude du Président yougoslave) afin d'y exposer le plan de paix, sans laisser aux autorités yougoslaves la possibilité de l'amender ou de le négocier. Le lendemain, le Parlement yougoslave acceptait le texte, puis le Président Slobodan Milosevic s'y ralliait lui aussi, faute de pouvoir trouver une issue plus favorable pour lui.
Pour nombre de diplomates et responsables militaires que votre rapporteur a rencontrés, la position de la Russie a été déterminante. Le Secrétaire général de la Défense nationale, M. Jean-Claude Mallet, a très justement observé que les dirigeants yougoslaves n'avaient cédé aux injonctions des membres de la coalition que lorsque ces dernières coïncidaient avec celles de la Russie. A l'inverse, à chaque fois que des divergences avaient été perceptibles, à l'image des tensions nées au sujet du volet militaire des accords de Rambouillet, le Président yougoslave avait refusé toute concession.
L'implication officielle de la Russie dans la recherche d'un plan de paix garanti par une force multinationale a privé Belgrade de son porte-voix diplomatique. Marginalisé, le Président yougoslave n'avait plus d'autre issue que céder aux propositions présentées par le G 8. Sans le concours de la Russie, l'OTAN n'aurait sans doute pas obtenu aussi facilement cette reddition.
b) L'inculpation des dirigeants de la RFY par le TPIY
Le 27 mai, soit une semaine avant l'acceptation par les autorités yougoslaves du plan de paix élaboré par le G 8, le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie annonçait l'inculpation de cinq des plus hauts responsables yougoslaves pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. L'acte d'accusation, rédigé par le Procureur indépendant de cette juridiction créée en 1993 par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU (Madame Louise Arbour), portait sur la déportation de 740 000 Kosovars d'origine albanaise et le meurtre de 340 personnes identifiées comme ayant les mêmes origines ethniques. Il visait nommément MM. Milosevic et Milutinovic (respectivement Présidents yougoslave et serbe), M. Sainovic (vice-Premier Ministre yougoslave), M. Stojiljovic (Ministre serbe de l'intérieur) et le Général Ojdanic (Chef d'état-major des armées yougoslaves).
Vivement critiquée pour son manque d'opportunité, par les dirigeants de la Russie en particulier, cette inculpation relevait d'une institution indépendante dont la décision a été prise en dehors de toute considération politique ou diplomatique et sur un fondement juridique incontestable. Ce faisant, la légitimité même des autorités yougoslaves concernées s'est trouvée notablement affaiblie. Toutefois, leur position au sein de l'appareil d'Etat n'a pas été remise en cause car même si un mandat d'arrêt international a été délivré contre eux, aucune force de police ou militaire n'a été désignée pour l'exécuter.
De la sorte, les autorités yougoslaves ont subi une pression supplémentaire d'autant plus importante qu'elle les concernait directement. Leur prestige entaché par cet opprobre international, il leur fallait reprendre l'initiative pour obtenir des avancées tangibles susceptibles de les maintenir en place. A cet égard, la négociation s'est vite imposée comme la seule issue possible, dans la mesure où les contestations intérieures étaient vives, y compris dans les rangs de l'armée régulière dont les conscrits manifestaient ouvertement contre les orientations du pouvoir. De la sorte, les responsables yougoslaves n'avaient plus l'assise populaire suffisante pour continuer de résister aux injonctions alliées et russes.
Contrairement à ce qui était envisageable, l'inculpation des principales autorités yougoslaves a eu pour conséquence indirecte de les forcer à négocier une solution diplomatique pour éviter un soulèvement intérieur qui leur aurait été fatal et qui aurait conduit à leur traduction immédiate en justice. C'est du moins ce qu'il ressort de la rapidité avec laquelle le Président Slobodan Milosevic s'est prononcé en faveur d'un « règlement des problèmes sans délai en passant de la voie militaire à la voie politique », cette déclaration ayant eu lieu en présence de l'ancien Premier Ministre grec, M. Mitsotakis, quelques heures à peine après l'annonce du TPIY. Huit jours plus tard, le Parlement et le Président yougoslaves acceptaient sans condition les principes du plan de paix négocié par le G 8. Les choses ne seraient sans doute pas allées aussi vite si les plus hautes autorités de l'Etat yougoslave ne s'étaient senties réellement menacées.
La procédure initiée par le TPIY n'a pas modifié par elle-même le cours du conflit. Militairement atteint et politiquement chancelant, le pouvoir yougoslave aurait fini par céder. Néanmoins, s'inscrivant dans une conjoncture propice, elle a vraisemblablement accéléré le cours des événements, ce qui permet d'affirmer que le rôle de la justice internationale n'a pas été négligeable dans cette crise.
Affaiblie par les actions de ratissage réalisées par les forces de police spéciale au début du conflit, l'UCK a vu ses effectifs diminuer de façon considérable à l'intérieur du Kosovo. Réduite à quelques milliers d'hommes dans quelques bastions de résistance, elle bénéficiait néanmoins du soutien des éléments entraînés en Albanie qui approvisionnaient les poches de résistance.
Au mois de mai, son état-major a été profondément remanié par la nomination, à sa tête, d'Agim Ceku16. A son initiative, plusieurs opérations lancées depuis la frontière albanaise en direction du sud-ouest du Kosovo ont eu pour ambition de desserrer l'étau yougoslave autour des deux poches de résistance résiduelle dans la Drenica (centre-ouest de la province) et autour de Podujevo (nord du Kosovo) en provoquant une redistribution géographique des forces militaires et paramilitaires présentes dans la province par la création d'un nouveau front.
Contrairement à ce qui a parfois été avancé, les forces spéciales des Etats de la coalition alliée ne sont pas intervenues. Positionner des éléments d'élite au Kosovo même était en effet risqué, puisque la probabilité des captures donnant lieu à une exploitation médiatique avantageuse pour le pouvoir yougoslave était élevée. Les forces spéciales britanniques et françaises avaient planifié des opérations sur le terrain de manière coordonnée mais ces opérations n'ont pas eu lieu.
De source militaire, il est difficile de déterminer les raisons exactes de l'exposition soudaine des troupes yougoslaves. Il est toutefois certain que les bombardiers B 52 ont causé d'importantes pertes dans leurs rangs la dernière semaine de frappes. Par conséquent, on peut en déduire que la stratégie aérienne de l'Alliance atlantique a abouti grâce à un soutien terrestre indirect.
L'artillerie lourde et les forces serbes n'ont sans doute pu réagir aux actions de l'UCK qu'en regroupant d'importants moyens alors que les stratèges yougoslaves avaient longtemps privilégié le camouflage et la dispersion de leurs forces afin de les rendre moins exposées aux raids alliés.
Autrement dit, l'impact proprement militaire de la campagne aérienne menée par l'OTAN doit être relativisé dans la mesure où l'UCK a vraisemblablement rempli le rôle de relais terrestre de l'Alliance en territoire hostile. Il est également concevable que l'accélération des pertes militaires ait fini de convaincre les dirigeants yougoslaves de leur intérêt à accepter la solution politique négociée par le G 8.
D. CONCLUSION : UN PARI STRATÉGIQUE RISQUÉ
L'opération « Force alliée » est un précédent en raison de ses modalités particulières et de sa dimension stratégique résolument atypique. L'absence de soutien terrestre a été littéralement revendiquée, privant ainsi la coalition de tout effet de surprise sur un adversaire déterminé. Le choix d'une guerre aérienne n'a pas permis à l'Alliance d'influer sur le cours de la guérilla menée au sol, rendant par la même occasion inopérante la protection de l'OTAN pour les civils kosovars expulsés en masse.
Le succès des raids aériens contre la République fédérale de Yougoslavie ne saurait clore tout débat sur la pertinence de leur décision. En l'occurrence, l'OTAN s'est engagée dans une démarche risquée qui a montré ses limites. L'intérêt des moyens d'intervention terrestre pour la résolution des crises n'est donc pas fondamentalement remis en cause, même s'il est indéniable que l'action aérienne exclusive peut constituer désormais une réponse alternative dans certains cas.
1. Une autre manière de mener la guerre ?
Qualifiée de « stratégie de la paralysie » par les opérationnels que votre rapporteur a pu rencontrer, la guerre aérienne exclusive, conduite de façon assez inédite au Kosovo, bouleverse profondément les considérations stratégiques traditionnelles.
En effet, à la différence d'un affrontement classique entre deux armées ou coalitions, le succès de l'intervention aérienne se mesure moins en termes de destructions de matériels ou de pertes d'effectifs causées à l'ennemi, qu'en termes de neutralisation des forces adverses par la mise hors service de leurs dépôts de munitions, de leurs sources d'approvisionnement en carburant et de leurs moyens de communication.
En l'occurrence, la recherche de la supériorité dans les airs n'était pas un objectif en soi. La liberté de vol étant acquise au-delà de 15 000 pieds, il n'était pas nécessaire d'essayer d'interdire à l'aviation yougoslave d'effectuer des « sauts de puce » en-deçà de ce plancher, le coût en étant disproportionné et le résultat sans grand intérêt opérationnel. L'essentiel était de permettre aux appareils de l'OTAN de mener à bien leurs missions d'attaque au sol et d'accentuer chaque jour un peu plus leur pression sur le pouvoir yougoslave.
Cette finalité est au c_ur de la stratégie aérienne. Plusieurs des interlocuteurs de la mission d'information ont utilisé l'image du « dialogue persuasif » pour justifier les choix retenus. Il s'agissait avant tout de montrer au Président yougoslave que l'Alliance était capable de détruire les soubassements de sa politique (l'armée et les forces paramilitaires opérant au Kosovo) et de son pouvoir (les infrastructures économiques, les bâtiments officiels, la télévision d'Etat). Pour preuve, les centrales électriques n'ont pas été endommagées de façon irrémédiable, et les bombardements des raffineries n'ont pas touché les réservoirs mais les conduites sur le Danube. Dans tous les cas, les réparations étaient possibles dans des délais raisonnables. Par contre, le pouvoir institutionnel était très clairement visé.
Est-ce à dire que l'Alliance aurait atteint ses objectifs sans conduire d'opérations anti-forces ? Tout en étant indispensables sur le plan stratégique, ces dernières étaient plutôt secondaires sur le plan tactique. Réalisées à la demande du SACEUR et des autorités françaises afin d'immobiliser les troupes yougoslaves, elles ont représenté une assez faible proportion des quelque 14 000 sorties offensives réalisées par l'aviation alliée au cours des onze semaines de frappes. Certes, les hélicoptères américains Apache avaient été déployés spécialement à cet effet. Mais trop vulnérables face à la défense antiaérienne serbe, ils ne pouvaient être employés dans des conditions de sécurité similaires à celles des bombardiers alliés. De ce fait, l'efficacité de la stratégie aérienne reposait surtout sur la désactivation des moyens de la 3ème armée yougoslave grâce aux attaques dans la profondeur menées contre ses soutiens logistiques.
Il est cependant indéniable que la stratégie aérienne n'a eu aucune réelle efficacité pour contrer les exactions et les déplacements de populations provoqués par le pouvoir yougoslave.
En définitive, il est difficile de porter un jugement sur la stratégie retenue par l'Alliance dans la mesure où elle a constitué un précédent atypique. Rompant avec les méthodes traditionnelles d'affrontement, elle doit être appréciée à partir de critères nouveaux, qui n'ont pas nécessairement trait aux destructions infligées sur le plan militaire. En tout état de cause, l'offensive aérienne menée par l'OTAN au Kosovo préfigure une nouvelle manière de faire la guerre, c'est-à-dire une nouvelle forme de guerre et non une façon nouvelle de mener toutes les guerres.
2. Un précédent dont le succès ne fait pas nécessairement un modèle
Aucune guerre n'avait été gagnée par la seule action de l'aviation avant l'opération « Force alliée ». Pourtant, l'idée de la supériorité acquise par la maîtrise de l'air a fait l'objet d'une théorisation qui, bien que datée, est séduisante.
Au lendemain de la Première guerre mondiale, le général italien Giulio Douhet17 avait démontré que les guerres futures pourront être gagnées uniquement grâce à l'aviation de bombardement. Longtemps contredit par les faits, les événements récents semblent lui avoir donné raison pour partie. En effet, malgré des conditions d'intervention délicates, 65 à 70 % des objectifs traités par les appareils de la coalition ont été atteints. Les moyens de répression yougoslaves ont été finalement paralysés du fait de leur dispersion et des mesures de protection qui leur ont été appliquées pour échapper aux frappes alliées. L'environnement des forces militaires et paramilitaires opérant au Kosovo a été suffisamment endommagé pour que leurs soutiens économiques et populaires au sein des populations serbes s'estompent rapidement.
L'option aérienne exclusive paraît donc avoir permis à l'OTAN d'atteindre ses objectifs à faible coût humain et financier. De surcroît, elle a confirmé son intérêt en termes de rapidité de déploiement, de souplesse d'emploi et d'adaptation technique. En cela, la tentation est grande de faire de ce conflit un modèle pour la résolution des crises à venir.
Mais, sans contester la pertinence des choix stratégiques dont les fondements ont été exposés auparavant, l'exemplarité militaire et tactique de l'intervention alliée contre la République fédérale de Yougoslavie est sujette à interrogations. En effet, le conflit a rappelé que toute action militaire comporte des risques pour les populations civiles, même si tout est fait pour les minimiser. Surtout, le caractère exclusif des bombardements aériens a eu des incidences certaines sur la durée du conflit.
L'intervention aérienne exclusive au Kosovo a atteint ses objectifs. Cela n'en fait pas pour autant le mode optimal de résolution des crises. D'autres réponses existent, qui ne doivent pas être déconsidérées a priori.
a) Les handicaps d'un mode opérationnel aussi spécifique
Le conflit du Kosovo est particulier à bien des égards. Or, cette spécificité induit un certain nombre de contraintes.
_ Le mode opératif qui a été retenu reposait sur une mobilisation et une projection de moyens aériens et aéronavals importants. Seuls les Etats-Unis étaient capables d'engager un volume de forces suffisant pour que l'intervention ait des résultats significatifs à brefs délais. Alignant plus de 75 % des moyens de la coalition et réalisant plus de 80 % des missions, les forces aériennes américaines ont joué un rôle déterminant dans tous les secteurs de combat et également dans la logistique des éléments engagés par l'Alliance.
On peut supposer que les Etats-Unis ont milité en faveur d'une action uniquement aérienne non seulement parce qu'ils étaient capables de la mener à bien, mais également parce que cette stratégie leur octroyait une prééminence incontestable sur leurs alliés. De fait, ils ont conduit des missions « US only », c'est-à-dire hors contrôle du système décisionnel de l'OTAN. Par ailleurs, ils ont souvent exercé un rôle déterminant dans la répartition des missions.
Autrement dit, la capacité de projection et la supériorité technologique de leurs forces permettaient aux Etats-Unis de mener une guerre les dispensant d'agir au sol. On ne pouvait pas en dire autant de leurs alliés qui étaient dans l'obligation de faire appel au soutien américain pour assumer un engagement aérien exclusif d'envergure sur un théâtre extérieur.
_ La stratégie aérienne qui a été privilégiée par l'Alliance était certes le seul moyen d'agir rapidement, mais également un mode d'intervention relativement décalé par rapport à la guérilla que menaient au sol les forces militaires et paramilitaires yougoslaves contre les positions de l'UCK puis contre les civils kosovars d'origine albanaise. En effet, alors même que la logique inhérente aux raids aériens exclusifs consistait à couper les troupes de Belgrade de leurs bases arrières et de leur environnement afin de les immobiliser, ces mêmes troupes poursuivaient un but de répression et d'épuration ethnique que les bombardements alliés ne les empêchaient d'atteindre que très partiellement.
Deux guerres ont finalement été menées : l'une, technologique et ciblée, était conduite par l'aviation de l'OTAN contre le potentiel militaire yougoslave ; l'autre, plus conventionnelle et meurtrière, opposait l'armée yougoslave à l'UCK et aux civils kosovars d'origine albanaise. L'Alliance a cherché à mettre un terme à la seconde en engageant une flotte d'appareils sophistiqués et efficaces. Cependant, elle n'y est parvenue qu'indirectement, c'est-à-dire en provoquant des dégâts contre les infrastructures de la République fédérale de Yougoslavie et non en empêchant les forces militaires et paramilitaires yougoslaves d'agir.
_ Les méthodes opérationnelles de l'offensive aérienne engagée par l'Alliance se sont également heurtées à la « lourdeur » du fonctionnement de l'OTAN. Qui plus est, les pressions politiques quotidiennement exercées ont pu atténuer l'efficacité de la stratégie militaire en infléchissant les choix en fonction d'impératifs différents selon les Alliés. Il s'agit là d'enseignements sur lesquels votre rapporteur reviendra plus loin, mais qui confirment la complexité et les spécificités du conflit du Kosovo.
b) Une stratégie qui n'a pas empêché les dommages collatéraux mais les a réduits au minimum
Soucieuse d'éviter autant que possible les pertes civiles, l'OTAN n'a pas pu empêcher que les bombardements fassent des victimes innocentes. Il est difficile d'établir avec certitude le nombre de personnes qui ont subi des conséquences dramatiques des raids alliés. Il semble néanmoins raisonnable de considérer que plusieurs milliers de Yougoslaves ont été blessés ou tués18.
Certes, ce nombre de victimes ne peut être ignoré. Il est toutefois nettement inférieur à ce que les bombardements massifs utilisés dans d'autres conflits majeurs avaient provoqué. Il est, en cela, la résultante des grandes précautions que l'Alliance avait imposées à ses pilotes lors de la conduite de leurs missions. De strictes règles d'engagement avaient en effet été définies afin de réduire au maximum les marges d'erreur. Ainsi, lorsque les conditions climatiques se révélaient trop mauvaises ou lorsqu'un doute sur la cible persistait, les missions étaient annulées et les armements non délivrés sur les objectifs.
Cependant, certaines erreurs de tirs, imputables parfois aux pilotes, parfois à des problèmes technologiques, plus rarement à de mauvaises sources de renseignement, ont pu causer des pertes civiles involontaires. Ces erreurs sont toutefois relativement peu nombreuses puisqu'elles concernent une vingtaine des quelque 23 000 missiles ou bombes tirés par l'aviation de l'OTAN sur le Kosovo et la République fédérale de Yougoslavie19. Pour regrettables qu'elles soient, ces « bavures » des appareils alliés n'en ont pas moins été quantitativement limitées. Leur nombre a connu une progression parallèle à celui des missions quotidiennes accomplies par les forces de l'OTAN, qui, programmées à raison de 50 par jour la première semaine du conflit, sont passées à environ 400 par jour à partir de la troisième semaine puis ont avoisiné les 800 missions quotidiennes à la fin du deuxième mois de bombardements. Espérer un sans-faute dans ces conditions aurait donc été illusoire.
Les destructions d'un train et d'un bus remplis de passagers alors qu'ils traversaient des ponts pris au même moment pour cibles par des avions de l'OTAN (les 1er et 30 mai), le bombardement par erreur de la prison de Dubrava (le 21 mai) ainsi que les dommages causés à l'Ambassade de la République populaire de Chine à Belgrade (le 7 mai) représentent ce que les Alliés ont cherché à éviter à tout prix. Ils n'en sont pas moins la manifestation des risques d'une campagne aérienne que les forces yougoslaves ont cherché à exploiter à leur avantage en utilisant des boucliers humains. L'artifice a parfois réussi, comme en témoignent les largages de bombes sur des convois de civils kosovars insérés dans des colonnes de blindés serbes (le 14 avril) ou l'attaque du village de Korisa servant de quartier général à des troupes régulières séquestrant des familles civiles comme boucliers humains (le 14 mai).
Par conséquent, sans chercher à dédouaner l'OTAN de ses responsabilités en la matière, il est nécessaire de reconnaître que les conditions dans lesquelles les raids ont été accomplis ont sérieusement compliqué la mission impartie aux forces de l'Alliance. Pour cette même raison, les frappes aériennes ne peuvent apparaître comme la panacée pour la gestion de crises sur un théâtre éloigné. Efficaces dans une certaine mesure, elles répondent également à des contraintes lourdes (tout particulièrement le risque d'instrumentalisation des populations civiles par l'ennemi) qui doivent être prises en considération préalablement à toute décision politique d'y recourir.
c) Une orientation exclusivement aérienne qui a rendu l'action militaire plus difficile
A l'occasion du séminaire organisé par le ministère de la Défense sur les premiers enseignements de la participation française à l'opération « Force alliée », le Chef d'état-major des armées a regretté que l'ambiguïté stratégique quant à l'éventualité d'une offensive terrestre ait été écartée dès le début des opérations. Autrement dit, le choix public et officiel d'une action aérienne exclusive a incité l'état-major yougoslave à disperser ses troupes afin de nuire à l'efficacité des frappes de l'OTAN. Ce faisant, la victoire a été plus longue et plus difficile à obtenir.
Compréhensible aux premières heures du conflit, la décision initiale de ne recourir qu'à l'option aérienne a néanmoins donné du temps au pouvoir yougoslave. A cet égard, il est vraisemblable que le Président Slobodan Milosevic ait choisi de « jouer la montre » contre l'Alliance, espérant que ses man_uvres diplomatiques et la pression humanitaire exercée sur la région finiraient par pousser les Alliés au compromis (ce qui aurait signifié sa victoire personnelle). En ce sens, l'absence d'ambiguïté stratégique a pu indirectement engendrer une ambiguïté sur la détermination des dix-neuf membres de l'OTAN.
Il y a donc là matière à réflexion pour tirer tous les enseignements stratégiques de ce conflit.
3. Une victoire qui n'occulte pas la nécessité d'une intervention terrestre dans le règlement des crises
Pour une large part, l'action aérienne entreprise entre mars et mai 1999 aurait constitué un préalable absolument nécessaire à l'engagement en toute sécurité d'une force d'interposition au sol. De même, la guerre du Golfe a démontré l'intérêt d'un pilonnage aérien précédant une offensive terrestre dans un contexte non permissif. Autrement dit, les frappes aériennes sont davantage le complément d'un déploiement au sol que son supplétif.
Le succès de l'opération « Force alliée » ne remet pas en cause ce constat. Il confirme seulement la maturité des armements aériens et la diversification potentielle de leur emploi. D'ailleurs, le conflit du Kosovo est illustratif à cet égard puisque le déploiement de troupes sur les territoires macédonien et albanais a constitué un préalable utile aux bombardements et également parce que l'action aérienne a trouvé son aboutissement dans la prise de position, sans heurt, de la KFOR au Kosovo.
a) La présence des Alliés au sol : un appui indispensable à l'action aérienne
Même si le vecteur aérien a été privilégié pour intervenir contre la République fédérale de Yougoslavie, l'Alliance atlantique avait déployé auparavant des éléments au sol. La force d'extraction en constituait l'armature. Chargée d'assurer la sécurité des observateurs de l'OSCE dans le cadre de la résolution 1203 du Conseil de sécurité sur le cessez-le-feu du 13 octobre 1998, elle avait été positionnée en Macédoine uniquement. A l'origine, elle comprenait quelque 1 800 hommes et une quinzaine d'hélicoptères, pleinement opérationnels le 15 janvier 1999.
Initialement, cette force d'extraction devait être en mesure de remplir trois catégories de missions justifiant sa création, à savoir :
- récupérer, par voie aéroportée (doublée d'une alternative terrestre) et sur court préavis, des observateurs se trouvant dans une posture difficile allant du simple accident corporel à une prise entre deux feux ;
- assurer le soutien logistique des forces spéciales chargées de délivrer les observateurs pris en otage avec une sécurisation des alentours de la zone d'intervention ;
- le cas échéant, évacuer l'ensemble des observateurs de l'OSCE depuis l'aéroport de Pristina préalablement investi et sur lequel les observateurs auraient été regroupés grâce au renfort de la force d'extraction par une autre brigade.
Elle n'a pas eu à intervenir dans l'un ou l'autre de ces cadres. Sa seule présence au sol a obligé les forces serbes à fixer des effectifs importants à la frontière macédonienne, malgré la vulnérabilité de ses positions, à portée de tir d'artillerie serbe, et le caractère restreint de son format.
Par extension, on peut attribuer une autre vertu à cette force terrestre qui, après le retrait de la Mission de Vérification du cessez-le-feu au Kosovo (MVK), a été renforcée et est passée sous l'autorité de l'état-major de l'ARRC (Allied Rapid Reaction Corps) : elle a offert un point d'appui aux raids aériens. En effet, sans ses actions de repérage et de recueil de renseignement (grâce notamment aux drones allemands complétés ensuite par des moyens français), l'Alliance n'aurait peut-être pas bénéficié d'informations aussi précises sur l'état et les positions des forces armées yougoslaves au Kosovo. Par ailleurs, elle a incité les forces serbes à une certaine retenue, prévenant ainsi toute tentative d'extension du conflit par le pouvoir yougoslave.
Le changement d'attitude des Etats-Unis à l'égard du déploiement de leurs troupes sur le théâtre, et plus particulièrement en Albanie, est révélateur de l'importance stratégique qu'avait un déploiement au sol, parallèlement aux frappes aériennes. Volontairement en retrait de la force d'extraction, les Américains avaient privilégié la mise en alerte de plusieurs centaines de marines en Adriatique afin de venir au secours de la seule composante américaine de la MVK. A la demande du SACEUR, le Pentagone a finalement accepté le déploiement de 24 hélicoptères Apache AH-64 et des parachutistes de la 82ème division aéroportée, renforcés par la suite. On peut penser que cette présence a dissuadé les dirigeants yougoslaves d'entraîner l'Albanie dans le conflit.
Par conséquent, le conflit du Kosovo ne remet pas fondamentalement en cause l'utilité d'une projection d'éléments terrestres sur le théâtre ou à proximité. Appelés à agir directement, ou à apporter un soutien stabilisateur, ils constituent toujours un support à part entière du règlement des crises. L'intervention alliée au Kosovo démontre seulement que leurs modalités d'emploi ont évolué.
b) La présence de la KFOR au sol : le prolongement de l'intervention aérienne
La présence d'une force multinationale d'interposition au Kosovo chargée de mettre fin aux violences entre belligérants est restée une grande constante des objectifs de l'OTAN. Point d'achoppement des négociations à Rambouillet, elle a été acceptée par la partie serbe sous la contrainte des frappes. L'environnement ayant été profondément bouleversé par le conflit, le format de cette force a été revu. Initialement évalués à 28 000 hommes assez lourdement armés, les besoins ont finalement été estimés au double. Leur déploiement sur zone a d'ailleurs nécessité plusieurs mois.
Etape ultime de l'intervention « Force alliée », ce déploiement illustre à nouveau l'importance des interventions terrestres dans la gestion des crises. Certes, les quelque 41 000 hommes qui ont investi le Kosovo depuis le 12 juin au matin, n'ont pas eu à recourir à leurs armements pour pénétrer dans la province. Toutefois, leur entrée aurait pu être plus délicate, ce qui justifiait leur nombre significatif et leurs équipements lourds. De surcroît, l'ampleur de leur mission confortait ces considérations matérielles.
Une prise de contact avec les militaires serbes a eu lieu comme dans tous les cas, les COS entrant en relation, dès leur arrivée, avec les autorités civiles (maires, préfet) et militaires serbes ainsi qu'avec les milices kosovares. Les COS ont également eu pour mission de reconnaître les infrastructures, notamment les casernes, pour y faciliter l'installation des forces françaises.
La KFOR a aussi été amenée à assumer des rôles auxquels elle n'avait pas été préparée, le maintien de l'ordre et l'exercice des fonctions de police judiciaire étant des activités spécifiques que peu d'armées, à l'exception de la Gendarmerie française, maîtrisent.
Par conséquent, si le conflit du Kosovo n'a pas remis en question le caractère essentiel d'une interposition terrestre dans la gestion des crises, il a néanmoins révélé une évolution de ses modalités, ce que confirme l'exemple, plus récent, du Timor oriental, où l'INTERFET (force multinationale mandatée par la résolution 1264 du Conseil de sécurité) assume également, en plus de la pacification du territoire, la relève d'un service public de police désormais inexistant.
L'intervention terrestre peut donc être moins offensive (sans être pour autant moins dangereuse), et plus diffuse. Pour autant, des actions terrestres en milieu non permissif sont encore envisageables, car il existe des configurations dans lesquelles elles restent le mode optimal d'intervention militaire.
III. - DES DÉMOCRATIES MODERNES FACE A LA GUERRE
Le conflit du Kosovo opposait une coalition d'Etats démocratiques à un régime autoritaire. Alors que les pays membres de l'OTAN étaient confrontés à des contraintes politiques strictes et à une réelle obligation de prendre en compte leurs opinions publiques, les dirigeants yougoslaves n'étaient évidemment pas soumis à ces astreintes. Il en est résulté une asymétrie dans la conduite des opérations.
Cet exemple doit amener à réfléchir de façon plus générale au fonctionnement des régimes démocratiques modernes en période de guerre. Votre rapporteur s'attachera plus particulièrement à démontrer l'influence qu'ont désormais les principes fondamentaux de tout système démocratique sur le cours d'un conflit armé.
Posant le primat du droit sur l'usage de la force, les démocraties ne peuvent décider une intervention militaire contre un Etat souverain sans que cette dernière ne repose d'une part sur une base juridique solide et d'autre part sur le soutien de l'opinion publique. De même, les instances politiques élues doivent continuer à exercer un contrôle sur les militaires. Cette maîtrise opérationnelle est en effet essentielle au regard de l'obligation de transparence des autorités décisionnelles vis-à-vis du Parlement et de l'opinion publique.
Devant de telles exigences, les démocraties se trouvent beaucoup plus exposées que les régimes autoritaires. Elles ne se sont pas moins efforcées de les respecter au cours du conflit, tout en étant contraintes de les concilier avec les nécessités de l'action, et tout particulièrement de l'action armée. Néanmoins, deux questions retiennent l'attention : l'absence de résolution explicite du Conseil de sécurité de l'ONU pour autoriser les frappes aériennes contre la République fédérale de Yougoslavie ; l'absence de consultation préalable du Parlement français par le Gouvernement au motif qu'aucune déclaration de guerre n'avait été formellement prononcée.
En définitive, il apparaît que, dans une situation de conflit armé, les principes démocratiques constituent une dimension majeure des décisions d'intervention militaire et du déroulement des opérations pour les Etats qui y adhèrent. L'opération « Force alliée » en est une illustration tout à fait intéressante.
A. LE PROBLÈME DE LA BASE JURIDIQUE
La question de la légalité internationale d'une intervention de l'OTAN sans autorisation expresse du Conseil de sécurité des Nations Unies est essentielle. Même exceptionnel, le conflit du Kosovo offre à cet égard un thème de réflexion aux implications politiques déterminantes.
Depuis la chute du mur de Berlin en 1989, l'OTAN a élargi le champ de ses compétences au règlement des crises. C'est ainsi qu'elle a mené une opération de maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine. Mais son implication reposait alors sur deux résolutions explicites du Conseil de sécurité, celle du 15 décembre 1995 (n° 1031), créant l'Implementation Force (IFOR), et celle du 15 décembre 1996 (n° 1088), créant la Stabilization Force (SFOR). Le conflit du Kosovo a placé l'Alliance atlantique dans une autre configuration, où l'OTAN risquait d'être conduite à s'affranchir d'une décision préalable de l'ONU, pourtant requise en principe par les clauses du traité de Washington.
Le pragmatisme adopté par les pays membres de la coalition alliée pouvait se concevoir. Il ne saurait dispenser à l'avenir l'ONU de son rôle et l'OTAN de ses obligations.
1) L'absence de résolution explicite du Conseil de sécurité des Nations Unies
La décision de recourir aux frappes aériennes contre la République fédérale de Yougoslavie n'a pas été explicitement autorisée par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. On peut le regretter, dans la mesure où la Charte des Nations Unies est le seul texte de droit international qui prévoit cette éventualité. En l'occurrence, la légalité internationale n'a pas été respectée à la lettre.
Le chapitre VII de la Charte des Nations Unies précise le cadre de toute « action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression ». Il dispose que le Conseil de sécurité constate, dans un premier temps, l'existence d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression. Sur cette base, cette instance fait des recommandations ou décide les mesures qu'elle estime nécessaires au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Ces mesures peuvent éventuellement impliquer la force (article 42 de la Charte).
Conçues essentiellement dans le but de prévenir ou faire cesser l'agression (ou tout autre acte de guerre) contre un Etat reconnu membre de l'ONU, ces possibilités d'intervention devraient être adaptées aux nécessités du règlement des conflits internes aux Etats, qui se multiplient depuis la fin de la guerre froide. Mais, faute d'adhésion de la plupart des membres de l'ONU à la reconnaissance de la prévention des atteintes massives aux droits de l'homme comme norme de droit impératif (jus cogens) que le Conseil de sécurité serait tenu d'appliquer, seule la Charte des Nations Unies constitue la référence en ce domaine.
L'OTAN a pris acte de cet état de fait tout en entretenant une certaine ambiguïté. La déclaration du sommet atlantique de Bruxelles des 10 et 11 janvier 1994, faisait ainsi référence au recours à la force sous l'autorité du Conseil de sécurité, les chefs d'Etats et de gouvernements des pays de l'Alliance réitérant la disponibilité de cette dernière à « soutenir, cas par cas, et conformément à (ses) procédures, les opérations de maintien de la paix et autres opérations menées sous l'autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies ou sous la responsabilité de l'OSCE ».
Au moment de l'intervention alliée au Kosovo, cette déclaration a donné lieu à deux interprétations différentes :
- la première, assez restrictive, y décelait l'obligation absolue pour l'OTAN de tirer son mandat d'une résolution expresse du Conseil de sécurité de l'ONU sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies ;
- la seconde, plus pragmatique et privilégiée par les Alliés, exploitait le flou sémantique de l'expression « sous l'autorité du Conseil de sécurité » pour considérer qu'une référence de ce dernier à l'emploi de la force suffisait.
La formule du sommet de 1994 a donc été jugée suffisante pour permettre l'action des Alliés au Kosovo. Elle permettait de lever l'obstacle du veto que la Russie et la Chine auraient sans aucun doute opposé, en leur qualité de membres permanents du Conseil de sécurité, à l'adoption d'une résolution autorisant l'OTAN à intervenir militairement contre la République fédérale de Yougoslavie. On peut supposer, entre autres, que ces deux pays se seraient montrés particulièrement attachés aux principes de souveraineté des Etats et d'intangibilité des frontières en raison notamment des revendications séparatistes auxquelles ils sont confrontés, l'un en Tchétchénie, l'autre au Tibet.
L'utilisation de cet argument, mis en avant par les Etats-Unis, pourrait conduire à généraliser ce contournement des Nations Unies et à ouvrir la voie à un prétendu droit d'autosaisine de l'OTAN. Cependant, le caractère particulier du contexte, qui fait du conflit du Kosovo une exception, explique l'attitude des Alliés, qui, par ailleurs, ont pu avancer des arguments juridiques solides.
2) Une interprétation large des résolutions antérieures et du principe dit « d'intervention d'humanité »
L'action alliée a été rattachée à un ensemble de textes du Conseil de sécurité ménageant une certaine marge d'interprétation et à un principe juridique assez ancien. Ces derniers présentaient l'avantage de lui donner une base juridique, certes ténue, mais bien établie.
Ce pragmatisme, dicté par la nécessité d'agir, a exposé les Alliés à de nombreuses critiques. L'ambiguïté qui entachait les motivations des frappes a affaibli la démarche de l'Alliance, qui s'est trouvée ainsi dans une position moins favorable pour défendre, tout au long du conflit, son action auprès de l'opinion publique.
a) La base textuelle de l'action de l'OTAN : les résolutions 1199 et 1203 du Conseil de sécurité
L'intervention militaire de l'OTAN n'a pas été décidée sans fondement juridique. En effet, elle constituait une réponse à la violation par Belgrade de ses obligations internationales, telles qu'elles résultaient de deux résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU prises sur la base du chapitre VII.
Les résolutions dont il s'agit étaient plus précisément :
- la résolution 1199 du 23 septembre 1998, exigeant notamment que « toutes les parties et tous les groupes et individus mettent immédiatement fin aux hostilités et maintiennent un cessez-le-feu au Kosovo » (paragraphe premier), et également que « les autorités de la République fédérale de Yougoslavie et les dirigeants albanais du Kosovo prennent immédiatement des mesures en vue d'améliorer la situation humanitaire et d'éviter le danger imminent de catastrophe humanitaire » (paragraphe 2) ;
- la résolution 1203 du 24 octobre 1998, mandatant l'OSCE pour la mise en place de la MVK, tout en notant que cette dernière « envisage des arrangements qui seraient mis en _uvre en coopération avec d'autres organisations », et affirmant qu'« en cas d'urgence, des actions peuvent être nécessaires pour assurer la sécurité et la liberté de mouvement » des missions créées par la résolution.
A la lecture de ces deux textes, il apparaît que le Conseil de sécurité avait insisté sur la menace pour la paix et la sécurité dans la région, que faisait peser la détérioration de la situation au Kosovo. Les obligations énoncées n'ont jamais été respectées par Belgrade, malgré leur réitération expresse par le Conseil de sécurité et malgré les efforts diplomatiques inlassablement entrepris à cette fin.
De ce fait, les bombardements aériens de l'Alliance atlantique ne contrevenaient pas à la Charte des Nations Unies, dans la mesure où leur décision avait été prise dans un contexte conforme à celui visé par son chapitre VII, et également parce qu'elle pouvait être rattachée à des résolutions adoptées sur ce fondement.
b) La base principale des bombardements alliés : le principe « d'intervention d'humanité »
L'urgence de la situation humanitaire sur le terrain du fait de l'accumulation de moyens offensifs de l'armée yougoslave et la crainte d'une recrudescence de massacres au sein d'une communauté de près de 2 millions de personnes pouvait conduire, elle aussi, conformément au principe dit « d'intervention d'humanité », à ce qu'une action soit entreprise.
Ce principe permet précisément le recours à des actions coercitives sur un territoire étranger pour sauver des individus menacés d'un péril imminent, quelle que soit leur nationalité. Même s'il n'a jamais été consacré expressément par aucun texte de droit international, il est largement admis par la doctrine qui le fait généralement remonter au XIXème siècle, lorsque les grandes puissances européennes intervenaient en faveur des Chrétiens persécutés par l'empire ottoman.
En l'occurrence, il fallait éviter un désastre humanitaire prévisible depuis 1998 et dont la responsabilité incombait clairement aux autorités yougoslaves. Le principe dit « d'intervention d'humanité » pouvait justifier une telle ingérence internationale.
Les Etats membres de l'OTAN d'origine anglo-saxonne, sensibles aussi bien à la pratique coutumière qu'à la lettre du droit international, ont été les premiers à en faire mention. Néanmoins, les autres Alliés en ont également accepté la référence.
Mais cette argumentation peut aussi être interprétée comme un signe de la fragilité de la base juridique des bombardements alliés contre la République fédérale de Yougoslavie, la coalition atlantique ayant été obligée de recourir à un principe plus que centenaire pour montrer qu'elle était juridiquement fondée à agir. Les dispositions du droit international moderne sont pourtant claires à elles seules : il suffit que le Conseil de sécurité de l'ONU donne son aval, sur le fondement des critères du chapitre VII de la Charte des Nations Unies.
Tel ne pouvant être le cas, les Etats membres de l'Alliance atlantique ont donc cherché à donner une interprétation qui leur était propre aux dispositions de la Charte relatives au recours à la force. Certes, on ne peut contester la validité juridique du principe invoqué. Celui-ci confortait partiellement l'intervention de l'OTAN. Cependant, tout comme les trois résolutions du Conseil de sécurité, il ne suffisait pas à la rendre véritablement incontestable.
La réintégration de l'ONU dans le processus de paix conduisant au cessez-le-feu s'est opérée par étapes, le tournant diplomatique majeur étant représenté par les sommets des Ministres des Affaires étrangères du G 8 les 6 mai et 7-8 juin derniers.
a) Les relations ONU-OTAN de nouveau fondées sur la résolution 1244
Le principe du déploiement d'une force internationale sous mandat de l'ONU, a été définitivement acquis au terme de l'accord difficilement conclu avec les Russes. Parallèlement, à l'initiative du Ministre français des Affaires étrangères, l'enchaînement des étapes devant mettre fin aux hostilités a été fixé sur la base d'une simultanéité entre le début de l'évacuation des forces serbes du Kosovo, la suspension des frappes aériennes de l'Alliance et le vote d'une résolution par le Conseil de sécurité de l'ONU, reprenant le texte adopté par le G 8.
Un tel dénouement a vu le jour après d'intenses discussions diplomatiques, les Russes négociant quatre des vingt points du projet de résolution tout en conditionnant leur accord à une consultation formelle du Conseil de sécurité des Nations Unies préalablement à tout retrait des forces serbes du Kosovo. Les Chinois eux-mêmes ont cherché à peser sur la rédaction de la résolution. Néanmoins, les concessions des Alliés se sont révélées dans l'ensemble assez minimes.
L'intervention du Conseil de sécurité s'est effectuée à deux niveaux :
- dans un premier temps, il a validé l'accord du G 8 à Cologne le 8 juin, en le reprenant comme projet de résolution, ce qui a permis de débloquer les négociations militaires de Kumanovo ;
- dans un second temps, il a voté ce projet20, devenu résolution 1244, lui conférant ainsi une valeur juridique véritable et une force contraignante déterminante puisque c'est sur cette base que la force internationale de sécurité (la KFOR) a pu pénétrer sur le territoire du Kosovo21.
Force est de reconnaître que le rôle de l'ONU s'est borné à la ratification des principes définis par une autre instance. Néanmoins, cette appréciation ne tient pas compte de la place désormais impartie aux Nations Unies dans le processus de rétablissement de la société civile. En effet, non seulement un représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU « dirigera la mise en place de la présence internationale civile » (paragraphe 6), mais le Secrétaire général lui-même est responsable de l'établissement d'une « administration intérimaire...qui assurera une administration provisoire de même que la mise en place et la supervision des institutions démocratiques provisoires nécessaires pour que tous les habitants du Kosovo puissent vivre en paix et dans des conditions de vie normales » (paragraphe 10). Par ailleurs, sans conférer aux autorités des Nations Unies un quelconque pouvoir décisionnel sur le plan militaire, la résolution donne quand même un certain droit de regard au représentant spécial du Secrétaire général sur l'action de la KFOR puisqu'il est chargé de coordonner l'action des autorités civiles et militaires au Kosovo (paragraphe 6).
Au total, l'implication de l'ONU est révélatrice de l'impossibilité d'écarter cette organisation au profit de l'OTAN. La réintégration du Conseil de sécurité des Nations Unies dans le processus juridique devant permettre une issue pacifique est logique dans la mesure où l'ONU doit rester l'instance ultime de la légalité internationale.
b) Le cadre d'intervention de la KFOR
Ce cadre d'intervention repose sur deux textes précis et complémentaires : la résolution 1244 adoptée par le Conseil de sécurité le 10 juin ainsi que « l'accord militaire technique » signé sur la base aérienne de Kumanovo par les généraux Jackson (alors commandant de la KFOR) au nom de l'OTAN, Marjanovic (chef d'état-major adjoint de l'armée yougoslave) et Stevanovic (chef des forces de police serbes du Kosovo).
La résolution 1244 confère à la KFOR un mandat clair et d'importantes prérogatives.
_ Le paragraphe 7 autorise « les Etats membres et les organisations internationales compétentes à établir la présence internationale de sécurité au Kosovo conformément au point 4 de l'annexe 2, en la dotant de tous les moyens nécessaires pour s'acquitter des responsabilités que lui conférera le paragraphe 9 ». Or, l'annexe 2 précise que « la présence internationale de sécurité, avec une participation substantielle de l'OTAN doit être déployée sous commandement et contrôle unifiés ».
Le paragraphe 9 détaille les huit missions de la KFOR (préservation du cessez-le-feu, démilitarisation de l'UCK et autres groupes armés d'Albanais du Kosovo, sécurisation du retour des réfugiés, maintien de l'ordre public, déminage, soutien de la présence civile internationale, contrôle des frontières, protection des présences internationales).
Le paragraphe 19 précise enfin que le mandat des présences civiles et de sécurité internationales est de douze mois reconductibles, à moins que le Conseil de sécurité n'en décide autrement, ce qui inscrit l'action de la KFOR dans la durée.
_ Bien que concis22, l'accord militaire technique du 9 juin complète ces dispositions en ce qu'il prévoit les étapes du retrait des forces yougoslaves et celles du déploiement de la KFOR. Il attribue également au commandant de la KFOR une grande autorité dans la mise en _uvre du cessez-le-feu. Il stipule enfin que « ni la KFOR, ni aucun de ses personnels ne sauraient être justiciables pour un quelconque dommage commis à l'encontre de la propriété publique ou privée, qui serait intervenu dans le cadre de sa mission ». Là encore, les modalités d'intervention de la KFOR font l'objet de la plus grande précision possible afin de ne pas prêter à contestation ultérieure.
Si l'accord militaire technique a fixé les conditions de retrait des armées yougoslaves et celles du déploiement simultané de la KFOR, il n'a pas assuré pour autant un environnement totalement favorable au déploiement des contingents pour de multiples raisons :
- l'UCK, dont l'attitude vis-à-vis de sa démilitarisation était encore incertaine, avait annoncé qu'elle ne cesserait ses actions qu'après le départ des troupes yougoslaves et qu'elle pourrait mener des offensives de harcèlement contre des forces fragilisées lors de leur repli ;
- les Kosovars d'origine albanaise pouvaient adopter une attitude de vengeance à l'égard de ceux dont la KFOR devait assurer la protection ;
- des actes isolés de paramilitaires déçus ou d'unités réfractaires au retrait risquaient d'attenter à la sécurité des personnels de la KFOR ;
- les infrastructures du Kosovo étaient dans un état désastreux et les forces serbes pouvaient ne pas s'acquitter totalement de leur obligation de participer au déminage.
Cependant, aux termes de l'accord conclu, l'environnement dans lequel la KFOR allait se déployer semblait relativement sécurisé, la principale menace des forces armées et de police yougoslaves demeurant sous contrôle. En effet, le retrait des troupes de Belgrade s'est inscrit dans un délai de onze jours courants à compter de la signature de l'accord et s'est décliné en trois étapes : évacuation du nord du Kosovo dans un premier temps (6 000 hommes et 90 blindés lourds) ; retrait de la bande frontalière longeant l'Albanie et la Macédoine et départ de Pristina en six jours ; abandon du centre de la province en neuf jours. Au total, quelques 43 000 hommes appuyés par 200 chars, 300 blindés et 600 pièces d'artillerie étaient amenés à quitter le Kosovo et à se placer hors d'une « zone de sécurité terrestre » large de 5 km au-delà des limites de la province avec la Serbie. Par ailleurs, tous les avions yougoslaves ainsi que tous les systèmes de missiles antiaériens devaient se retirer au-delà d'une « zone de sécurité aérienne » de 25 km au-delà des limites territoriales entre le Kosovo et la Serbie dans les trois jours de la signature de l'accord.
Parallèlement, l'avant-garde de la KFOR23 a été amenée à se déployer simultanément et progressivement. Ce positionnement s'est appuyé sur un découpage de la province en cinq secteurs géographiques tenus par des troupes multinationales placées sous la responsabilité d'une nation-cadre (Grande-Bretagne pour le secteur centre-ouest, Etats-Unis pour le secteur sud-est, France pour le secteur nord-ouest, Italie pour le secteur ouest, Allemagne pour le secteur sud). Aucune responsabilité de zone n'a été attribuée aux Russes, contrairement aux revendications qu'ils avaient formulées en ce sens. En rétorsion, ils ont donc décidé de dépêcher à Pristina des éléments de leurs troupes stationnées en Bosnie afin de mettre l'Alliance devant le fait accompli et de peser sur les discussions relatives aux modalités de leur participation, sans que leur initiative modifie fondamentalement le cadre de déploiement prévu par l'Alliance.
c) Les relations opérationnelles entre la MINUK et la KFOR
Le statut de la KFOR n'est pas encore fixé. La conclusion d'un accord de stationnement des forces (SOFA) entre l'OTAN et la République fédérale de Yougoslavie n'a pas pu se faire et la présence de la force multinationale au Kosovo s'appuie sur une déclaration commune du représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU et du commandant de la KFOR, l'idée étant de regrouper dans un document juridique unique le statut de la MINUK et celui de la KFOR.
Les modalités de la coopération et de la collaboration de ces institutions relèvent d'un pragmatisme dicté par le contexte local.
La KFOR a pris en charge certaines fonctions de la MINUK en attendant que cette dernière soit en mesure de les assurer elle-même en particulier pour le maintien de l'ordre, la montée en puissance du dispositif de la police internationale se heurtant à des difficultés matérielles et à la réticence de certains pays à assumer leurs responsabilités. De même, la KFOR a assumé une plus grande responsabilité qu'initialement prévu quant aux aspects militaires de la transformation de l'UCK en corps de protection civile du Kosovo.
_ Compte tenu de la situation sur le terrain, la MINUK et la KFOR ont été conduites à prendre des décisions pour adapter leurs actions notamment face au comportement de certains commandants locaux de l'UCK, et à la détérioration de la sécurité dans certaines zones. De plus, ni la MINUK, ni la KFOR, ne disposent d'une base juridique dans leurs activités quotidiennes : les codes juridiques de la fédération yougoslave n'ont pas été traduits (de toute façon, les Kosovars albanophones ont refusé que ce droit leur soit appliqué). C'est ainsi que chaque nation-cadre a appliqué dans sa zone son propre code de procédure pénale lors des arrestations et des gardes à vue. Certains officiers de gendarmerie ont tenu le rôle de procureurs. Actuellement subsiste un réel vide juridique au Kosovo et de nombreuses opérations courantes restent impossibles (état-civil, transactions commerciales, contrats, cessions,...).
Ce rôle particulier de la Gendarmerie est d'ailleurs à souligner, car, pour la première fois dans une opération de maintien de la paix, des unités ont participé de manière importante au maintien de l'ordre (un escadron de gendarmes mobiles a été envoyé à Mitrovica) et ont été amenées à exercer des fonctions de police judiciaire. Il se développe ainsi un vrai concept d'intervention commune armée de Terre-Gendarmerie.
Cette inadaptation de la base juridique lors de la mise en place de la KFOR souligne l'impréparation de l'ONU et de l'OTAN dans ce domaine et rend plus que jamais nécessaire l'élaboration de règles de droit, minimales et communes, lors des opérations de maintien de la paix.
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a examiné les rapports d'activité de la KFOR, en particulier celui couvrant la période estivale, pour juger de la réalisation des objectifs fixés par la résolution 1244.
Le Conseil atlantique s'est réuni le 12 août pour apprécier la situation au Kosovo et examiner de nouvelles propositions du SACEUR compte tenu du retard dans le déploiement de la force internationale de police des Nations Unies.
Une certaine concurrence s'est cependant fait jour entre l'action de la MINUK et les affaires civilo-militaires (ACM) gérées par les différents contingents de la force multinationale, soit pour faciliter l'installation et l'insertion des forces militaires dans leur environnement, soit pour renforcer le volet civil de l'action de la communauté internationale. La présence d'experts militaires insérés dans la MINUK et de certaines organisations internationales permet à l'état-major de la KFOR d'être informé des décisions prises et de participer à leur élaboration.
En ce qui concerne la France, les actions ACM sont prises en charge, d'une part par une cellule du REPFRANCE basée à Pristina et chargée de conseiller le Général Thomann, d'autre part des personnels insérés dans le bureau G 9 de l'état-major de la KFOR, enfin par leurs antennes dans les différents secteurs.
B. LE RÔLE DES PARLEMENTS DANS LE DÉROULEMENT DES OPÉRATIONS
De manière générale, le contrôle parlementaire des opérations extérieures fait partie des préoccupations fondamentales de l'Assemblée nationale et en tout premier lieu de la Commission de la Défense, qui réfléchit aux moyens d'en améliorer l'efficacité. C'est évidemment la crise du Kosovo qui a retenu, ces derniers mois, l'essentiel de l'attention depuis le déclenchement des frappes aériennes jusqu'à la mise en place de la KFOR.
Le contrôle parlementaire sur le déroulement du conflit du Kosovo a fait l'objet de deux critiques, l'une portant sur l'absence de consultation préalable du Parlement avant le déclenchement des frappes aériennes, l'autre relative au suivi des opérations par la représentation nationale.
1. L'absence de consultation préalable
Le nécessaire dialogue entre le Parlement et le Gouvernement dans un Etat démocratique est affecté en France par le rôle particulier que les institutions de la Vème République confèrent au Président de la République.
a) Les relations entre le Parlement et le Gouvernement
La Constitution française ne soumet le déploiement des forces militaires hors du territoire national à aucune procédure d'autorisation parlementaire préalable dès lors qu'elles ne sont pas engagées dans des opérations de guerre. Aux termes de l'article 35 de la Constitution, en effet, l'autorisation du Parlement n'est requise qu'en cas de « déclaration de guerre ». Cette disposition est restée sans application sous la Vème République du fait d'une interprétation restrictive de la notion de déclaration de guerre. La pratique constitutionnelle actuelle interprète en effet celle-ci comme « l'avertissement préalable non équivoque » effectué de manière unilatérale tel que le prévoit la Convention de la Haye en 1907. Or, le droit international prohibe aujourd'hui le recours unilatéral à la force.
Le Parlement français, tout particulièrement l'Assemblée nationale, a cependant la possibilité d'exercer ses prérogatives constitutionnelles de droit commun en matière de contrôle de l'action du Gouvernement qui, aux termes de l'article 20 de la Constitution « dispose de la force armée », l'article 21 précisant par ailleurs que le Premier Ministre, chef du Gouvernement, est « responsable de la Défense nationale ».
Ainsi, lorsque le Premier Ministre juge que l'engagement des forces françaises revêt un caractère particulièrement grave, il peut engager la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur une déclaration de politique générale, comme ce fut le cas lors de la guerre du Golfe. Il a également la faculté de demander au Sénat l'approbation de cette déclaration. Il peut, en outre, faire une déclaration, non suivie d'un vote, devant l'Assemblée nationale : ce fut le cas à trois reprises pour la situation au Kosovo les 26 mars, 27 avril et 9 juin derniers.
Pour autant, et bien que le Président de la Commission de la Défense, M. Paul Quilès, ait demandé fin 1998 que le Parlement puisse être consulté avant que la France ne s'engage dans une opération militaire au Kosovo, le premier débat a été seulement engagé deux jours après le début des frappes aériennes et l'avis du Parlement n'a été sollicité qu'a posteriori. Un second débat en séance publique sur le conflit du Kosovo a eu lieu le 27 avril. Un troisième débat a été organisé à l'Assemblée nationale et au Sénat sur la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies. Mais, aucun vote n'a eu lieu, alors que la situation s'apparentait bien à une opération de guerre.
b) Le rôle du Président de la République
L'exercice réel par le Premier Ministre de ses compétences en matière de Défense est fortement limité par le rôle du Président de la République en matière militaire, puisque l'article 15 de la Constitution dispose que le « Président de la République est le chef des armées ». Dans la pratique constitutionnelle récente, le Président de la République a joué un rôle décisionnel de premier plan, lors de la guerre du Golfe, comme lors de l'envoi de troupes en Bosnie-Herzégovine et en Somalie dans le cadre de résolutions de l'ONU. La tâche du Premier Ministre a alors consisté à assurer la coordination intergouvernementale pour la mise en _uvre des décisions du Président de la République.
La participation de la France aux opérations menées dans le cadre de la crise du Kosovo a été facilitée, en période de cohabitation, par l'accord du Président de la République et du Premier Ministre.
L'Assemblée nationale ne peut exercer de contrôle sur les décisions du Président de la République. Celui-ci peut communiquer avec l'Assemblée nationale et le Sénat par des messages qu'il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat. Le Président de la République a ainsi utilisé la procédure du message au Parlement pour exposer la politique de la France lors de la guerre du Golfe, le 16 janvier 1991, mais cela n'a pas été le cas pour la crise du Kosovo. Dans le même temps, le Président de la République s'est adressé directement à la Nation à travers des allocutions télévisées.
2. Un suivi des opérations continu mais quelquefois difficile
Le Parlement s'est régulièrement tenu informé du déroulement des opérations.
L'Assemblée nationale a utilisé toutes les ressources de son Règlement pour se tenir informée du déroulement des opérations : auditions des Ministres concernés par les commissions permanentes, questions au Gouvernement, questions écrites, création d'un groupe de travail au sein de la Commission de la Défense. Le Ministre de la Défense a par ailleurs communiqué à certaines autorités et aux membres des Commissions de la Défense et des Affaires étrangères, des dossiers d'actualité qui permettaient de suivre les opérations militaires et humanitaires.
Si les députés n'ont posé qu'une dizaine de questions écrites relatives au Kosovo entre décembre 1998 et juin 1999, la procédure des questions au Gouvernement lors des séances des mardis et mercredis de session a été plus largement utilisée. Deux séances spécifiques ont été consacrées, les 6 et 13 avril, à de telles questions auxquelles a répondu le Premier Ministre. Il en a été de même au Sénat lors de deux séances de questions d'actualité au Gouvernement les 15 et 24 avril.
RÉPARTITION DES QUESTIONS AU GOUVERNEMENT
(de début janvier à fin juin 1999)
THÈME |
Majorité |
Opposition |
Situation militaire et politique |
17 |
10 |
Négociations diplomatiques |
9 |
1 |
Situation humanitaire |
4 |
4 |
Application du plan de paix |
1 |
1 |
Total |
31 |
16 |
La Commission de la Défense nationale a procédé à l'audition du Ministre de la Défense dès le 26 mars. Au total, elle a entendu huit fois le Ministre de la Défense sur la crise du Kosovo, seul ou avec le Ministre des Affaires étrangères, en réunion ordinaire ou en réunion conjointe avec la Commission des Affaires étrangères. L'une de ces réunions communes a été présidée par le Président de l'Assemblée nationale. De la même manière, la Commission de la Défense nationale a entendu cinq fois le Ministre des Affaires étrangères, seul ou avec le Ministre de la Défense, le plus souvent au cours de réunions spécifiques tenues avec la Commission des Affaires étrangères. La Commission de la Défense a également procédé à l'audition du Chef d'état-major des armées, le Général Jean-Pierre Kelche.
Le langage convenu et très général pratiqué lors des auditions a cependant montré très rapidement les limites de ce type de rencontres.
Votre rapporteur a eu connaissance des notes de la Direction du renseignement militaire (DRM) et de la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) du Ministère de la Défense pour la période allant de février 1998 à juin 1999. La nature confidentielle des informations contenues dans ces notes justifie que le rapport n'en fasse pas état.
L'information du Parlement s'est également appuyée sur les missions réalisées par certains de ses membres. Des délégations se sont rendues auprès des forces qui avaient été ou qui étaient engagées dans la crise, soit dans leurs lieux de casernement en France, soit sur le théâtre d'opérations (bases aériennes en Italie et en France, groupe aéronaval) ainsi qu'auprès des forces en Macédoine et au Kosovo.
De manière générale, par le biais de la procédure budgétaire, le Parlement détient, en théorie, des pouvoirs de contrôle des déploiements de forces à l'étranger, même en dehors d'opérations militaires. Ces déploiements donnent en effet lieu à des modifications dans la répartition des crédits entre les différents chapitres et titres de budget de la Défense. Ces modifications doivent, dès lors qu'elles excèdent les limites de la simple gestion, être approuvées par le Parlement sous la forme d'une loi de finances rectificative. A cette occasion, la Commission de la Défense de l'Assemblée nationale procède régulièrement à l'audition du Ministre de la Défense.
En pratique, le contrôle parlementaire est difficile à exercer dans la mesure où les informations de nature budgétaire ne parviennent que tardivement aux commissions permanentes.
A l'Assemblée nationale, le projet de loi de finances rectificative pour 1999 a été renvoyé à la Commission des Finances, la Commission de la Défense s'en saisissant pour avis comme elle le fait depuis le début des années quatre-vingt-dix, de manière à examiner les modifications apportées aux crédits militaires. Le projet de loi de finances rectificative a été ensuite examiné en séance publique, les 7 et 8 décembre derniers, par l'Assemblée nationale qui a alors disposé pour se prononcer du rapport de la Commission des Finances et de l'avis de la Commission de la Défense.
Pour compléter l'information du Parlement dans une crise similaire à celle du Kosovo et lors d'opérations militaires, il sera sans doute nécessaire à l'avenir que les assemblées disposent de leurs propres sondages d'opinion publique.
Comme pour la guerre du Golfe, le conflit du Kosovo a été très médiatisé. La presse écrite, les radios et les chaînes de télévision ont traité les évolutions quotidiennes des événements. Internet a également permis la diffusion de nombreuses informations.
La communication publique était un enjeu essentiel pour tous les belligérants, y compris pour le régime yougoslave. Par ce biais, l'OTAN et les gouvernements des Etats membres ont cherché à expliquer à leurs opinions publiques les raisons de l'intervention contre la République fédérale de Yougoslavie. Les dirigeants serbes et yougoslaves, quant à eux, se sont rallié la population par une propagande officielle manifestement efficace, tout en essayant de semer le trouble dans les opinions des pays alliés.
Dans tous les cas, les médias se sont révélés être un paramètre stratégique à part entière en raison de leur influence sur l'opinion. Cependant, alors que la grande majorité des médias serbes étaient sous la dépendance des autorités du pays, il en allait tout autrement des moyens de communication et d'information des Etats membres de l'OTAN.
Belgrade a ainsi pu instrumentaliser la radio-télévision serbe (RTS) en fonction de ses objectifs, à savoir le maintien de l'unité de la population derrière le pouvoir et l'usure des puissances intervenantes par affaiblissement de la cohésion de l'OTAN. Pour ce faire, les journalistes occidentaux ont été expulsés dès les premiers jours de frappes, conférant ainsi aux médias officiels l'exclusivité des informations en provenance du Kosovo et de la Yougoslavie. Or, bien que l'objectivité de cette source ait été fortement contestable, certaines images qui en étaient issues ont été reprises par les médias occidentaux, davantage soucieux d'impartialité.
A l'inverse, la communication institutionnelle de l'OTAN et des autorités des pays engagés dans l'opération « Force alliée » était contrebalancée par la forte autonomie des médias occidentaux. La puissance de conviction des messages militaires ou politiques était quelque peu atténuée par la critique de la presse, légitime et caractéristique de toute démocratie.
Le conflit du Kosovo a ainsi été marqué par une asymétrie médiatique, qui a indirectement pesé sur le cours des événements. Certaines conclusions peuvent être tirées de ce constat.
1) Une transparence médiatique contraignante
La transparence est le propre de toute démocratie. Elle n'épargne plus aucun domaine, pas même la conduite d'une guerre. A cet égard, la seconde guerre mondiale, la guerre du Vietnam, la guerre du Golfe et le conflit du Kosovo sont autant d'étapes qui ont marqué l'implication grandissante des médias dans le suivi des opérations.
L'intérêt d'une communication des institutions politiques et des armées s'en trouve accru. Or il convient de remarquer qu'à tous les niveaux, un effort important a été entrepris en ce domaine lors de l'opération « Force alliée ».
· Tout d'abord, les porte-parole civil et militaire de l'OTAN se sont prêtés au délicat exercice des conférences de presse quotidiennes, expliquant les décisions prises par les autorités politiques et militaires de l'Alliance tout en apportant un éclairage sur le déroulement des événements. Par ailleurs, le site Internet de l'OTAN apportait également un grand nombre d'informations précises sur le contexte, les forces en présence et le suivi du conflit. D'ailleurs, dès les premiers jours de frappes, il a fait l'objet de tentatives de piratage et de saturation par des internautes serbes, ce qui confirme bien qu'une guerre de l'information a été tentée en parallèle du conflit proprement militaire.
· Le Chef de l'Etat et le Gouvernement français ont eux aussi porté une attention particulière à l'adresse des médias et de l'opinion publique, de même que l'exécutif des autres Etats alliés. Le Président de la République est intervenu 6 fois à la télévision afin de faire le point sur l'évolution de la situation au Kosovo. Le Premier ministre a tenu 4 conférences de presse et accordé 2 entretiens télévisés lors de la phase aérienne du conflit. Tout au long des frappes, le Ministre de la Défense a tenu 12 points de presse et accordé 15 interviews télévisées, 11 interviews radios et 12 interviews à la presse écrite. Sur la même période, le Ministre des Affaires étrangères est intervenu par 21 déclarations, 8 interviews télévisées, 18 interviews radios et 11 interviews à la presse écrite.
· Enfin, les opérationnels ont également participé à l'information de la population et des médias. Ainsi, le Chef d'état-major des Armées a tenu 7 points de presse et accordé 12 interviews. Les militaires impliqués ont rencontré assez régulièrement la presse, comme l'illustre la pratique d'entretiens bihebdomadaires avec les chefs d'escadron organisés les mardis et vendredis sur la base d'Istrana en Italie. Cette initiative du Général Jean-Patrick Gaviard, Commandant des forces aériennes françaises à Vicence, visait également à maîtriser la pression sur les personnels opérationnels en limitant à dix minutes leurs contacts avec les médias.
La communication des responsables politiques et militaires était étroitement coordonnée par le porte-parole du Président de la République, les collaborateurs du Premier Ministre, le porte-parole du Ministre des Affaires étrangères et la Délégation à l'Information et à la Communication de la Défense (DICOD) créée par le décret du 27 juillet 1998. Cette dernière a permis un suivi médiatique au plus près des forces en divulguant une information brute et continue. Ainsi, elle a diffusé 104 communiqués de presse à l'attention de 233 rédactions. Elle a également donné suite à 1 600 demandes de reportages et traité 4 000 contacts téléphoniques avec des journalistes français et étrangers. Enfin, elle a organisé 14 voyages de presse, dont 6 à Istrana et 4 sur le porte-avions Foch.
Cette transparence était certes nécessaire, mais aussi contraignante. Les forces yougoslaves étaient informées des évolutions de la stratégie de l'OTAN et se trouvaient ainsi en mesure d'adapter leur dispositif en conséquence. De même, la pression médiatique sur les militaires en mission pouvait être préjudiciable à la concentration de ces derniers sur leurs tâches, qui étaient à la fois difficiles et dangereuses ; c'est pourquoi les contacts directs entre la presse et les pilotes étaient réduits.
Le pouvoir yougoslave, quant à lui, ne s'est pas imposé la même ouverture. En l'absence de journalistes étrangers, rares étaient les médias indépendants. La radio indépendante B 92 a ainsi été fermée. Par contre, la chaîne de télévision contrôlée par la ville de Belgrade, studio B, a pu exercer un rôle modérément critique. Toutefois, la propagande du régime était assurée, l'agence Tanjug permettant un contrôle total de l'information et la RTS restant le seul média diffusé sur l'ensemble de la Serbie. Cet instrument de pouvoir sera d'ailleurs la cible de plusieurs frappes. Les Américains essaieront également de brouiller ses canaux d'émission par la diffusion de programmes en serbo-croate depuis leurs avions de guerre psychologique, baptisés « Commando solo ». Malgré leur efficacité ponctuelle, ces actions ont tout de même révélé leurs limites sur la durée.
2) L'influence de la couverture médiatique sur la conduite des opérations
L'attention de la mission d'information a été attirée sur le fait que l'opinion publique est devenue une « arme de guerre » à part entière, c'est-à-dire que l'opinion publique doit être désormais considérée comme un élément essentiel d'une opération militaire. De manière générale, elle est informée a priori et plus à même de former son jugement grâce à des sources d'information diversifiées, voire contradictoires. Elle joue aussi un rôle important tant au moment du déclenchement de la crise que dans son déroulement car elle peut conforter ou fragiliser les décisions des autorités politiques et militaires. C'est pourquoi l'effet des images est essentiel.
Ainsi les reportages télévisés lors de la crise du Koweït après l'invasion de l'Irak ont montré une communauté internationale unie contre une agression, ce qui confortait l'intervention armée. De même, l'évocation par la presse de la situation dans la région des Grands Lacs en Afrique a incité la France à établir une zone humanitaire protégée au Rwanda en 1994 alors qu'elle avait retiré ses éléments de ce pays quelques années auparavant.
La conduite du conflit du Kosovo a certainement été affectée par l'omniprésence des médias. En revanche, la stratégie ne semble pas avoir été influencée par la pression de la presse. A preuve, les journaux anglo-saxons ont fortement critiqué les effets de la campagne aérienne dès les premières semaines, annonçant même à plusieurs reprises l'imminence d'un revirement en faveur d'une opération terrestre. Ni les autorités des principaux Etats membres de l'Alliance, ni les opérationnels n'ont pourtant infléchi leurs choix initiaux à cause des médias.
On ne peut pas pour autant dire que l'exigence de transparence et l'intérêt médiatique à propos de tous les aspects du conflit n'aient pas eu d'incidences sur le déroulement des opérations. Comment expliquer en effet les conditions particulières d'engagement des forces et le refus d'envisager une intervention terrestre, si ce n'est par la crainte de la réaction de l'opinion devant les images de pertes significatives dans les rangs alliés ? De même, pourquoi ne pas avoir dépêché sur le théâtre des éléments des forces spéciales, si ce n'est pour éviter tout risque de retournement de l'opinion publique du fait de l'exploitation médiatique de leur possible capture par les Serbes ?
Tout au long du conflit, la gestion des réactions de l'opinion publique est donc restée une préoccupation majeure des autorités militaires qui ont dû veiller à limiter les risques de pertes. En effet, toute image de soldats alliés tués aurait pu nuire à la fermeté de l'opinion en rappelant le fort niveau de risques encourus par les contingents de la coalition. Les dirigeants serbes et yougoslaves n'auraient pas hésité à s'en servir, comme ils ont essayé de le faire de la carcasse du F 117 abattu le 27 mars ou des trois soldats américains faits prisonniers le mois suivant au sud du Kosovo.
Cette question du seuil de tolérance de l'opinion semble être différente selon que les effectifs en cause sont des pilotes ou des fantassins. La perte des premiers revêt un caractère beaucoup plus médiatique, comme l'a illustré l'exemple bosniaque où la capture de 2 pilotes français a tout autant ému l'opinion publique que le décès de 65 casques bleus de l'armée de Terre. Néanmoins, on ne peut contester que l'épisode du retrait américain de Somalie en 1993, après que plusieurs marines eurent été tués, ait infléchi l'attitude des Etats-Unis vis-à-vis des opérations extérieures dans lesquelles ils engagent leurs troupes. Premier acteur de l'Alliance atlantique, ils ont été les promoteurs d'une guerre « à pertes limitées », terme plus pertinent que celui de guerre à « zéro mort ». C'est principalement pour cette raison que les hélicoptères Apache n'ont pas été employés, le Pentagone ayant refusé de donner son accord pour leur mise en _uvre, devant la forte probabilité qu'ils soient abattus par les défenses yougoslaves réorganisées précisément à cette fin.
Les choix stratégiques ont donc directement tenu compte de l'état de l'opinion, la guerre se gagnant aussi sur le plan psychologique. En ce sens, le rôle des médias n'a pas été négligeable. Les dirigeants yougoslaves, qui l'avaient bien compris, ont cherché à exploiter ce phénomène à leur avantage par la diffusion d'images de civils tués ainsi que par une abondante désinformation et l'ambiguïté de leur langage. Ces tentatives ont échoué principalement à cause de l'émotion suscitée par les images de centaines de milliers de réfugiés kosovars. Sans cette attention portée par les médias sur le drame humanitaire provoqué par les forces serbes et yougoslaves, le cours du conflit eût peut-être été différent.
Pour ne prendre que l'exemple français, la décision d'engager les frappes contre la République fédérale de Yougoslavie était soutenue par environ 70 % des personnes interrogées par les instituts de sondage. De même, 60 % d'entre elles étaient favorables à un envoi de troupes au sol, y compris dans un contexte non permissif. Or, les experts rencontrés par votre rapporteur ont confirmé que cette approbation était fortement liée aux considérations humanitaires de l'intervention alliée et à l'objectif de protection des droits de l'homme mis en avant par les gouvernements des pays membres de l'OTAN. Ces motifs étaient d'ailleurs largement partagés par les opinions des autres pays impliqués dans l'opération « Force alliée ».
Malgré son expérience dans la manipulation des opinions, M. Slobodan Milosevic a donc commis une erreur d'appréciation fondamentale en sous-estimant l'effet médiatique de sa propre politique d'épuration ethnique, ce qui prouve que la gestion de l'opinion publique est toujours délicate, que ses effets sont difficilement prévisibles et qu'elle peut se retourner contre ceux qui s'en servent.
3) Une communication des institutions encore imparfaite
L'OTAN et le ministère de la Défense n'ont pas toujours communiqué avec les meilleurs résultats. Dans certains cas en effet, les institutions ont davantage donné l'impression de subir les événements que de les maîtriser.
_ Dans un document intitulé « Les bavures médiatiques de l'OTAN » et publié le 15 juin, l'organisation non gouvernementale Reporters sans frontières (RSF) affirme que « l'OTAN n'a pas fait preuve de bonne foi dans ses relations avec les médias et a malmené à plusieurs reprises la vérité »24. Deux exemples permettent de mettre en évidence les limites du choix de conférences de presse quotidiennes.
Le 29 mars, alors que l'opération « Force alliée » avait tout juste commencé, l'OTAN annonçait l'exécution par les forces serbes du principal conseiller d'Ibrahim Rugova, Fehmi Agani et de cinq autres personnalités kosovares d'origine albanaise, dont Baton Haxhiu, le rédacteur en chef du quotidien Koha Ditore. En fait, M. Agani fut bien assassiné, mais trois semaines plus tard, dans des circonstances non élucidées, alors qu'il tentait de fuir le Kosovo ; M. Haxhiu, quant à lui, n'a pas subi un sort aussi funeste.
Le 14 avril, des avions de l'OTAN bombardaient deux convois de réfugiés dans la région de Djakovica. Le lendemain, l'état-major de l'Alliance publiait un communiqué dans lequel, « d'après son enquête préliminaire, l'OTAN confirme qu'il semble que l'un de ses avions ait lâché par erreur une bombe sur un véhicule civil dans un convoi ». Le 16 avril, les porte-parole civil et militaire de l'OTAN affirmaient : « nous sommes sûrs d'avoir visé des véhicules militaires ». Le 19 avril, l'Alliance reconnaissait qu'une douzaine de ses avions avaient largué neuf bombes sur deux colonnes de véhicules, mais se justifiait en diffusant la bande son d'un pilote qui déclarait que ces derniers « étaient de type militaire ». Démentis par une contre-enquête du quotidien britannique The Express, « les responsables de l'OTAN admettent (finalement) que la bande audio du pilote diffusée le 19 avril n'a rien à voir avec l'affaire des convois bombardés »25, fait observer RSF.
Certes, de tels exemples restent isolés. L'OTAN a fait un louable effort de transparence alors même qu'elle était partie prenante à un conflit important. Cependant, il semble que la volonté de communiquer ait parfois pris le pas sur le contenu et la fiabilité des informations divulguées. Des contacts plus espacés avec la presse auraient peut-être permis de centrer davantage la communication de l'Alliance sur les évolutions de fond et non sur des données factuelles difficiles à vérifier et prêtant à controverses.
En tout état de cause, il y a là matière à enseignement pour l'OTAN qui ne possédait visiblement ni les moyens, ni l'expérience nécessaires pour mener une campagne d'information en temps de guerre, et qui a dû improviser des structures de presse en faisant appel aux conseillers en communication des gouvernements des pays de l'Alliance.
Fin avril, plusieurs conseillers du Premier Ministre britannique Tony Blair et du Président américain Bill Clinton sont venus épauler le porte-parole civil de l'OTAN, Jamie Shea qui faisait l'objet de critiques. Deux conseillers civils en communication et deux experts militaires auprès du gouvernement français les ont rejoints par la suite.
_ La communication du ministère de la Défense n'a pas été totalement satisfaisante non plus, comme en conviennent ses propres services26. Non planifiée, elle n'a pas été réactive. De plus, elle n'a pas véritablement apporté la contradiction aux affirmations yougoslaves. Trop centralisée, elle a laissé une marge d'initiative trop réduite aux services d'information des armées alors même que l'expérience des études d'opinion montre que la population accorde davantage de crédit aux militaires, surtout ceux qui interviennent sur le terrain. Par ailleurs, le ministère de la Défense n'a pas suffisamment fait valoir la position de la France et sa contribution aux efforts de la coalition auprès des médias étrangers.
Dès les premiers jours des frappes, les médias audiovisuels ont fait appel à des journalistes spécialisés dans les questions de défense, au détriment des experts militaires. Or, l'expérience de la guerre du Golfe avait déjà montré que l'opinion publique accorde davantage de crédit aux militaires lorsqu'il s'agit d'informations relatives à la conduite d'opérations. Faute d'une politique de communication militaire préparée dès la planification amont des opérations, l'opinion n'a pas été suffisamment sensibilisée aux implications du conflit dès son déclenchement.
Là encore, des adaptations semblent nécessaires afin de former des opérationnels aux méthodes de la communication et également afin de mieux valoriser la participation française au sein de l'Alliance auprès des médias étrangers. Cette formation d'officiers à la communication concerne aussi bien les personnels des états-majors que l'encadrement des effectifs susceptibles d'être projetés, l'information de terrain étant au moins aussi importante. A cet égard, les difficultés rencontrées par le contingent français lors de son entrée au Kosovo mi-juin auraient sans doute été perçues davantage comme une contrainte technique assumée que comme une impréparation des forces à la réalité du théâtre si des officiers avaient expliqué dès le début du déploiement les raisons de l'option privilégiée par le détachement français ainsi que les solutions alternatives prévues pour contourner les handicaps rencontrés.
Il est donc souhaitable que les efforts entrepris en ce domaine par le ministère de la Défense depuis 1998 soient prolongés et amplifiés.
D. CONCLUSION : LES AMÉLIORATIONS POSSIBLES
Le Kosovo a été le révélateur de certaines inadaptations du fonctionnement démocratique, ce qui souligne la nécessité d'évolutions, voire de réformes institutionnelles.
1. La réforme de l'article 35 de la Constitution
La Commission de la Défense de l'Assemblée nationale réfléchit actuellement à l'évolution de la pratique des institutions, voire du texte de la Constitution, en matière d'opérations extérieures. Elle s'interroge en particulier sur les modalités d'une éventuelle modification de l'article 35 de la Constitution. Il s'agirait de rendre obligatoire, dans les conditions prévues par une loi organique, la consultation ou l'accord du Parlement avant tout engagement des forces armées en dehors du territoire de la République, même s'il ne s'agit pas d'hostilités classiques, précédées d'une déclaration de guerre formelle. Cette hypothèse devient en effet peu probable et est, de plus, prohibée par le droit international positif : ce dernier n'autorise que deux cas de recours à la force, la légitime défense face à une agression ou l'imposition de la paix en vertu d'une décision du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Cette réforme permettrait d'améliorer les relations entre le Parlement et le Gouvernement, en renforçant l'action de la France et confortant ainsi l'intervention de ses forces armées.
Les résultats du travail engagé seront publiés dans le courant de l'année 2000.
Le monopole de la contrainte (armée ou non) que la Charte attribue au Conseil de sécurité dans son chapitre VII doit être impérativement maintenu. Pour cela, le Conseil de sécurité doit pouvoir être capable d'intervenir dans toute crise interne à un Etat menaçant la stabilité stratégique. Si tel n'était pas le cas, d'autres systèmes d'intervention se mettraient de fait en place (sous l'égide de l'OTAN pour ce qui concerne les crises affectant les intérêts euro-américains). Ces systèmes d'intervention favoriseraient la reconstitution de zones d'influence et discréditeraient la notion de règlement des conflits par le droit pour la remplacer par une logique des rapports de force. A l'espoir de la paix par le droit se substitueraient des tentatives de stabilité par la force. On ne voit guère le progrès pour la paix que représenterait une telle situation mais on en devine les risques. En outre, lorsqu'une crise sans incidence forte sur la stabilité stratégique a des conséquences humanitaires exceptionnellement graves, il est également primordial que le Conseil de sécurité soit capable d'intervenir.
En ce qui concerne l'amélioration des capacités d'intervention de l'ONU, quelques solutions peuvent être imaginées qui nécessitent à terme une révision de la Charte. Dans un premier temps, elles peuvent consister à la fois, soit en une adaptation coutumière du système existant, soit en des modifications légères de la Charte supposant, au moins, l'abstention des membres permanents et, en tout état de cause, l'approbation de deux tiers des membres.
Certains pays pourraient refuser une telle évolution. Cette dernière n'est pas pour autant impossible. La mondialisation économique a comme corollaire une mondialisation des opinions et des valeurs relatives aux droits de l'homme. Des exemples récents comme la création du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) ou l'interdiction des mines antipersonnel montrent la force de cette dynamique, dont même les grandes puissances doivent tenir compte.
Une modification « légère » pourrait consister à accroître la représentativité du Conseil de sécurité :
- d'une part, en augmentant le nombre des membres non permanents (actuellement 10) et en accélérant leur tour de rotation. Même s'il est difficile de citer des pays, l'Allemagne, le Japon, l'Afrique du Sud ou l'Inde pourraient ainsi être représentés au Conseil de sécurité en tant que membres non permanents pour un mandat de 2 ans par période de 4 ans ;
- d'autre part, en créant des sièges d'observateurs avec voix consultative auprès du Conseil de sécurité. Ces observateurs pourraient se faire les interprètes des décisions de l'Assemblée générale auprès du Conseil ;
- enfin, en instaurant un dialogue entre l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité pour assouplir la répartition stricte des fonctions prévue par l'article 12 de la Charte (par exemple interdiction pour l'Assemblée générale de « faire aucune recommandation » tant que le Conseil de sécurité remplit sa fonction).
Des modifications plus importantes consisteraient à accroître la représentativité du Conseil de sécurité en augmentant :
- ses effectifs au-delà de la limite de fait imposée par les Etats-Unis (20 ou 21), le Conseil prenant ses décisions à la majorité et l'extension des effectifs ne risquant pas de compromettre l'efficacité ;
- le nombre de ses membres permanents. Certains Etats comme l'Inde font l'objet d'un refus américain peu acceptable étant donné leur capacité de contribuer au règlement des conflits (modération indienne lors de la récente crise avec le Pakistan). Certains membres permanents du Tiers Monde pourraient alterner de manière à éviter les querelles de préséance. Ils seraient dans ce cas tenus à une obligation de consultation mutuelle. L'objectif doit être de représenter de manière permanente tous les groupes d'Etats auxquels il est nécessaire de donner la possibilité de s'exprimer pour le règlement de toute crise majeure ;
- le nombre de ses membres non permanents.
L'usage du veto pourrait être discipliné par l'obligation faite aux membres permanents d'énoncer une « doctrine » du veto (comportant des motifs généraux et des principes d'utilisation), voire de motiver publiquement leur veto, par l'accroissement de la transparence des débats. Il pourrait même être envisagé de restreindre l'usage du veto aux questions relevant du chapitre VII impliquant l'usage de la force. Dans ce cas, les autres actions du chapitre VII comme l'embargo ne seraient pas susceptibles d'être bloquées.
Le renforcement des moyens d'intervention des Nations Unies pourrait porter en premier lieu sur les forces de maintien de la paix (peacekeeping) accomplissant des missions d'interposition et ultérieurement sur la constitution d'une grande unité d'imposition de la paix (peace enforcement). L'objectif dans l'un et l'autre cas serait de mettre à la disposition des Nations Unies des contingents rapidement déployables. On relève que le système des « forces en attente » participe de cette logique dans la perspective d'un déploiement rapide de forces d'interposition. En pratique, une priorité serait d'instituer une chaîne de contrôle opérationnel des Nations Unies sous l'autorité politique du Conseil. Les moyens des Nations Unies doivent également être accrus en ce qui concerne les ressources civiles (humaines et financières) de la reconstruction des Etats en crise (peacebuilding), ce qui nécessite au préalable d'obtenir le paiement de leur contribution par les pays redevables aux Nations Unies d'arriérés de paiement.
A ce sujet, il convient d'indiquer que les arriérés des Etats-Unis vis-à-vis de l'ONU représentent au moins 1,6 milliard de dollars au 30 septembre dernier soit plus de 10 milliards de francs. L'administration américaine a récemment pris l'engagement de rembourser ces arriérés sous réserve d'un étalement dans le temps et à la condition que le Secrétaire Général de l'ONU fournisse des informations sur le budget des Nations Unies. Mais le Congrès, qui dispose du pouvoir de décision en la matière, a édicté des conditions plus sévères visant le fonctionnement même de l'ONU.
Il paraît par ailleurs nécessaire d'établir juridiquement la capacité du Conseil de sécurité à intervenir en cas de violation exceptionnellement grave et systématique des droits de l'homme.
Enfin, un lien organique pourrait être institué entre le Conseil de sécurité et les organes directeurs des organisations régionales auxquelles le règlement des conflits peut être délégué en application du chapitre VIII de la Charte (OSCE pour l'Europe, OUA pour l'Afrique, ASEA ou APEC pour l'Asie). Il est par conséquent essentiel que se développent, conformément toujours au chapitre VIII de la Charte, le rôle de ces organisations régionales et leur capacité d'action pour le recours à la force ou toute mesure de contrainte non armée.
IV. - LES ENSEIGNEMENTS MILITAIRES DU CONFLIT
Les enseignements proprement militaires du conflit du Kosovo portent évidemment sur les équipements et les systèmes de forces. Ils concernent également la professionnalisation des armées et le mode de financement des coûts occasionnés par les opérations. Mais ils intéressent en premier lieu l'insertion des forces françaises dans l'organisation de l'Alliance atlantique.
A. L'INTÉGRATION DES FORCES FRANÇAISES DANS L'ALLIANCE
Une première réponse satisfaisante peut être apportée aux interrogations de la mission d'information sur la participation de la France au dispositif de l'Alliance atlantique. Notre pays a su s'insérer dans le dispositif militaire intégré malgré quelques difficultés préalables et a figuré en bonne place parmi les pays contributeurs. Mais le conflit a surtout révélé le fonctionnement de l'Alliance atlantique dans ses bons comme dans ses mauvais aspects.
L'Alliance atlantique, qui a célébré au sommet de Washington le cinquantième anniversaire de sa création, est intervenue pour la première fois au Kosovo dans une opération de combat. Si le bilan militaire peut souligner les qualités de l'Alliance, le fonctionnement de celle-ci a démontré une fois encore son déséquilibre interne du fait de la prépondérance militaire des Etats-Unis.
1. Les qualités et les dysfonctionnements de l'Alliance au cours de la crise
Le conflit du Kosovo a permis de mettre à jour le fonctionnement de l'OTAN lorsqu'elle accomplit les nouvelles missions qu'elle s'est assignées.
a) Le bilan d'une première intervention armée
Tous les intervenants rencontrés par la mission d'information ont fait valoir que le succès de l'Alliance au cours de la phase aérienne ne pouvait être nié puisque l'objectif fixé initialement avait été atteint. L'OTAN a fait la preuve de ses capacités militaires et de ses qualités pour ce type d'opérations, au premier rang desquelles doivent être soulignées la cohésion entre ses membres et la cohérence de l'action, malgré une certaine lourdeur bureaucratique et l'inadaptation de ses choix de commandement. Ce constat, valable pour les opérations aériennes, reste prématuré dans le cas de la force terrestre (KFOR) dont le mandat n'est pas achevé.
La cohésion de l'Alliance est soulignée a contrario par l'erreur d'appréciation du Président Slobodan Milosevic qui, non seulement n'imaginait pas une intervention militaire des Alliés, mais qui avait fait le double pari, soit que les Alliés n'iraient pas au bout de leur détermination, soit que sa stratégie provoquerait une rupture au sein de l'OTAN après plusieurs semaines de conflit. Comme nous l'avons vu, les autorités yougoslaves ont cherché à agir sur les opinions publiques des pays de l'Alliance et à profiter de la « faiblesse » politique de certains d'entre eux suite au renouvellement de leurs gouvernements.
Mais, à aucun moment, ne sont apparues de réelles failles dans le dispositif politique allié. La poursuite du conflit aérien n'aurait sans doute pas entamé la détermination de la coalition car l'issue favorable du conflit paraissait inéluctable à mesure que s'accroissaient les destructions dans la profondeur du territoire serbe.
La réussite de la stratégie ne doit pas cependant faire oublier la difficulté de mieux quantifier les résultats obtenus et la spécificité de l'engagement de l'OTAN, certaines conditions de déroulement des opérations n'ayant pas été entièrement maîtrisées par l'Alliance.
La conférence de Toronto sur le bilan du conflit, évitant toute autocritique de l'Alliance atlantique, s'est félicitée du fonctionnement de ses structures et de ses procédures. Le fonctionnement de l'Alliance a bénéficié des efforts effectués pour renforcer l'interopérabilité dans les domaines des moyens de planification, de commandement et de conduite des opérations mais également dans certains aspects opérationnels comme le contrôle aérien, les capacités de ravitaillement ou l'intégration des forces.
Mais l'Alliance apparaît aussi comme une structure complexe et lourde dans ses rouages organisationnels. Le général allemand Klaus Reinhardt, commandant la KFOR, dispose ainsi d'un état-major multinational de près de 1 700 personnes, dont 1 100 au Kosovo et 600 dans trois autres états-majors arrières en Albanie, en Macédoine et en Grèce. L'importance des missions confiées à la KFOR n'explique pas l'ampleur de l'état-major qui paraît surdimensionné même s'il est nécessaire d'intégrer des personnels des dix-neuf pays membres de l'OTAN.
Le fonctionnement de l'Alliance a souligné la force de l'influence américaine. Plusieurs exemples illustrent cette prépondérance :
- tout d'abord, le Commandant suprême en Europe, actuellement le Général Wesley Clark, est en même temps le commandant des forces américaines en Europe. De même, les officiers généraux américains, responsables de l'engagement des forces dans le cadre de l'OTAN, sont également responsables des forces des Etats-Unis non placées sous le commandement de l'OTAN. Cette confusion des fonctions introduit un biais, dans la mesure où le SACEUR semble autant dépendre, sur le plan du commandement, du Pentagone que du Conseil atlantique ;
- par ailleurs, le système militaire intégré n'a pas réellement fonctionné. D'une part, le comité militaire a été marginalisé et son information est apparue à certains de moins bonne qualité que celle des représentants de presse. Il n'a donc pas pu exercer sur le SACEUR le contrôle qui normalement lui incombe. D'autre part, la réforme des commandements régionaux n'a pas été appliquée. Le Commandement Sud de l'OTAN, à Naples, qui aurait dû jouer un rôle opérationnel majeur a été écarté au profit du SACEUR ; il faut cependant reconnaître que la gestion politique de la crise ne pouvait être assurée qu'auprès du SACEUR.
C'est ce qui explique que des procédures spécifiques aient été mises en place pour la gestion de la crise et que des relations directes aient été instituées entre le SACEUR et les Chefs d'état-major des pays alliés par exemple ;
- le poids des forces des Etats-Unis a été prépondérant. Elles ont effectué de 60 à 80 % des missions de bombardement effectives, soit dans le cadre de l'OTAN, soit dans un cadre uniquement national. Pour des raisons politiques et techniques, 90 % des bombardements sensibles ont été réalisés par les appareils américains. Des vols d'avions américains, dans des couloirs aériens réservés, avec des procédures nationales, ont été effectués sans information des Alliés. Les frappes des avions B2 et F 117 n'étaient pas supervisées par le CAOC à Vicence, même si leurs objectifs avaient été au préalable soumis à la coalition.
On peut également souligner que seuls les Etats-Unis ont utilisé des bombes à fragmentation qui constituent actuellement une des principales sources de pollution militaire dans la campagne kosovare, comme la mission d'information a pu le constater lors de son dernier déplacement sur le théâtre.
Grâce à ses moyens de renseignement autonomes (Mirage IV P, satellite Hélios, AWACS) et à la présence du groupe aéronaval autour du porte-avions Foch, qui a plusieurs fois détecté ces vols dont elle n'était pas informée, la France a pu reconstituer certaines de ces missions a posteriori.
La suprématie américaine, tant en ce qui concerne le niveau des équipements que l'ampleur des moyens engagés (près des deux tiers de ceux de l'Alliance), est liée à leur ambition et à l'importance des programmes d'armement menés aux Etats-Unis depuis vingt ans. Mais elle n'est pas sans poser des questions sur la nature multinationale de l'Alliance et le fonctionnement des structures de commandement.
c) La prise de conscience de la faiblesse militaire des Européens
Si l'importance du rôle politique et diplomatique des pays européens ne peut être niée, leur participation aux opérations militaires suscite de nombreux débats car elle a mis en avant le décalage avec les forces des Etats-Unis.
Dans une organisation telle que l'Alliance atlantique, les pays n'ont d'influence que selon leur poids militaire et cette influence est toujours difficile à exercer. C'est sans doute cette situation qui a conduit la RFA à engager ses forces sur un théâtre extérieur pour la première fois depuis sa création. La faiblesse militaire de certains Alliés européens a conduit à leur exclusion des cercles réels de décision. Les Alliés non-membres du Conseil de sécurité des Nations Unies ont ainsi contesté le directoire des puissances qui se constituait au sein de l'OTAN et auquel étaient associées l'Allemagne, en raison de son poids militaire, et l'Italie, directement concernée géographiquement par la mise en _uvre des opérations.
En revanche, le Royaume-Uni a su conserver une influence particulière car, pendant les phases des frappes, il est apparu comme le seul pays européen capable de tirer des missiles de croisière depuis un sous-marin (une vingtaine de tirs a été ainsi effectuée au début des frappes). Les Britanniques étaient donc présents dans le processus d'information et de gestion de telles frappes. De même, lors de la préparation de la phase terrestre, le Royaume-Uni a obtenu la responsabilité d'une zone et le poste de Commandement de la KFOR en annonçant qu'il enverrait près de 13 000 hommes sur le terrain.
Le bilan effectué par les grands commandements de l'OTAN et les réflexions des travaux sur l'initiative sur les capacités de défense se concentrent sur les insuffisances des pays européens principalement dans le déploiement de moyens offensifs, de surveillance, de gestion de théâtre, et de soutien. A travers les déclarations du SACEUR, la réunion de Toronto, les conférences de presse du Secrétaire général de l'OTAN ou des Ministres de la défense, se profile une double tentation :
- les structures atlantiques justifient « l'initiative sur les capacités de défense »27 par les insuffisances européennes sur le plan des capacités militaires et réorientent les réflexions liées à cette initiative sur les cinq priorités déjà dégagées par le sommet de Washington d'avril dernier. Parallèlement sont évitées toutes critiques sur le fonctionnement de l'Alliance ;
- la majorité des pays européens ont envisagé jusqu'à une période récente de ne développer leurs capacités que dans le cadre de l'OTAN. Dans le prolongement de la déclaration franco-britannique de Saint-Malo et du sommet de Cologne, le sommet d'Helsinki (voir déclaration en annexe) a posé les bases de la constitution de capacités militaires proprement européennes, à la fois au sein de l'OTAN et en dehors de cette organisation. Ils continuent néanmoins de mettre l'accent sur la nécessité d'éviter toute duplication de moyens inutile.
2. La participation des forces françaises
Les tableaux ci-joints retracent le bilan de la participation française, d'une part, à la campagne aérienne, du 24 mars au 10 juin, d'autre part, à la force terrestre depuis mi-juin.
Les simples données statistiques ne rendent pas compte du rang dans lequel notre pays s'est situé selon les différentes catégories d'opérations. La France a été le second contributeur de l'Alliance derrière les Etats-Unis et le premier partenaire européen.
_ Sur un total de 786 aéronefs de l'Alliance impliqués dans les opérations jusqu'au 10 juin, la France a déployé 98 appareils dont 76 avions de combat. Elle a mis en _uvre, au plus fort de son implication, près de 10 % des capacités aériennes (contre 5,3 % à l'Italie, 4,8 % au Royaume-Uni et 2,1 % à l'Allemagne) et a effectué 12 à 13 % des missions d'attaque, 20 % des missions de renseignement mais seulement 8 % des missions de défense aérienne. Le dispositif français s'est réduit de près de 25 % avec le retrait du Foch à partir du 3 juin. La diminution de potentiel aérien a été compensée par la mise en alerte, en métropole, de moyens complémentaires de l'armée de l'Air, à un moment où les Etats-Unis procédaient à une augmentation de leur participation aérienne.
Selon les modes de calcul de l'Etat-major des armées, la France a conduit, du 24 mars au 10 juin, entre 1263 et 1675 missions de bombardement, dont 851 pour l'armée de l'Air et 412 pour la Marine. On estime que 41 % de ces missions ont été annulées en vol (431 pour l'armée de l'Air et 88 pour la Marine) pour des raisons météorologiques ou liées aux contraintes fixées aux pilotes de ne tirer que sur des cibles identifiées.
Bilan de la participation française par type de missions
(en termes de vols ou d'avions participant aux missions)
Type de mission |
Total Alliance |
France |
Part française |
Attaque dans la profondeur |
4 941 |
840 |
17 % |
Harcèlement des forces adverses |
5 493 |
421 |
7,7 % |
Sous-total missions offensives |
10 434 |
1 261 |
12,08 % |
Défense aérienne |
6 077 |
470 |
7,7 % |
Reconnaissance |
1 564 |
327 |
20,9 % |
Reconnaissance électronique |
623 |
52 |
8,8 % |
Détection aéroportée |
926 |
47 |
5,6 % |
Ravitaillement |
7 454 |
563 |
7,5 % |
SEAD(1) |
4 397 |
0 |
0 |
Commandement aéroporté |
317 |
0 |
0 |
Divers |
489 |
12 |
2,45 % |
Total |
32 281 |
2 732 |
8,5 % |
Source : Etat-major des Armées
(1) Suppression of ennemy air defense
(2) Recherche et sauvetage (CSAR), forces spéciales...
_ S'agissant de la dimension aéronavale, quarante bâtiments de combat furent engagés, dont 12 américains, 5 français, 5 italiens et 4 britanniques. Le groupe aéronaval français constituant la Task force 470 a été déployé du 27 janvier, jour du départ de Toulon, au 3 juin, jour de son retour. Il comprenait le porte-avions Foch, deux frégates, l'une antiaérienne, l'autre anti-sous-marine (d'abord le Montcalm et le Surcouf, puis le Cassard et le Tourville), le pétrolier ravitailleur Meuse. Les frégates antiaériennes assuraient la protection du groupe, la maîtrise de l'espace aérien et l'intégration dans la gestion tactique des opérations.
Le groupe aéronaval comprenait également un sous-marin nucléaire d'attaque, autre instrument de puissance. Le sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) a eu pour mission d'immobiliser la flotte yougoslave dans les bouches du fleuve Kotor, tout d'abord le Saphir, relayé en février par l'Améthyste, lui-même relevé par l'Emeraude à partir du 2 mai. En juin, trois navires ont opéré sur le théâtre, la frégate anti-sous-marine La Motte Picquet et les deux transports de chalands de débarquement TCD Orage et Sirocco pour la mise en place des éléments de la KFOR. Près de 2 700 personnels étaient alors embarqués sur des navires français.
Les forces aéronavales ont assuré 412 missions de bombardement (dont 88 ont été annulées en vol) et 158 missions de surveillance maritime.
L'engagement du groupe aéronaval français s'est révélé déterminant en raison de ses qualités : souplesse d'emploi (une seule flottille et 22 appareils), réactivité dans un système multinational assez lourd (où tout ce qui n'est pas programmé à l'avance devient impossible), endurance durant cinq mois dans l'Adriatique et positionnement géographique au plus près du théâtre. De plus, le groupe aéronaval offre d'importantes capacités logistiques, de commandement et de renseignement autonomes en complément d'autres sources. La proximité du théâtre a permis non seulement de mener davantage de missions d'appui aérien rapproché (240 missions ont ainsi été effectuées) ou de recherche et sauvetage des pilotes (CSAR), mais également d'économiser le potentiel des équipements.
Ainsi, une mission à partir des bases italiennes requérait des vols de trois à quatre heures, du moins tant que le survol de la Bosnie-Herzégovine est resté interdit (donc deux à trois ravitaillements en vol) alors que, pour une mission identique, les Super Etendard volaient seulement une heure et demie et n'avaient pas besoin du dispositif de ravitaillement en vol. De plus, le taux d'annulation des missions a été limité à 21 % pour le groupe aéronaval car celles-ci pouvaient être annulées au dernier moment avant le catapultage des avions.
L'engagement de l'armée de Terre a débuté avec l'installation à Kumanovo en Macédoine, dès le 7 décembre 1998, des premiers éléments de la force d'extraction des observateurs de l'OSCE présents au Kosovo. Les effectifs français ont régulièrement crû, de 500 personnes en décembre 1998 à 1 160 en février puis 2 340 mi-mars 1999.
La brigade française, qui a fait suite à la force d'extraction et était destinée à participer à la KFOR, regroupait près de 3 000 hommes à la fin de juin. Elle comprenait deux bataillons, dont l'un assurait l'ensemble des activités de soutien (logistique, santé, transmissions).
Même si elle n'a pas directement participé à la première phase aérienne, l'armée de Terre a assuré, en Macédoine et en Albanie, d'importantes missions de surveillance des frontières et de renseignement. Il convient également de souligner que ses unités soutenaient le volet humanitaire de l'opération. C'est ainsi que, dans le cadre de l'opération « Trident humanitaire », la France a assuré le rôle de la nation cadre depuis avril 1999, avec un détachement de près de 900 hommes en Albanie. Par ailleurs, plusieurs éléments ont été placés en alerte, certains d'entre eux étant même prépositionnés à Miramas.
Les deux tableaux suivants donnent une idée de l'évolution des effectifs français, d'une part, au sein de la brigade multinationale Nord, d'autre part, de manière générale au Kosovo, en Macédoine et en Grèce.
Composition de la brigade multinationale Nord
sous responsabilité française
Au 06/08/99 |
Au 06/09/99 |
Au 15/10/99 |
Au 10/11/99 | |
Effectifs français |
5 350 |
4 994 |
4 287 |
3 694 |
Effectifs étrangers |
||||
Belgique |
1 019 |
752 |
993 | |
EAU |
964 |
985 |
982 | |
Danemark |
865 |
834 |
834 | |
Russie |
491 |
480 |
468 | |
Maroc |
- |
- |
- |
270 |
Sous-total |
3 339 |
3 051 |
3 547 | |
Total |
8 333 |
7 338 |
7 141 | |
Source : Etat-major des armées |
Dispositif français (mi-novembre 1999)
Kosovo |
Macédoine |
Grèce | ||||||
Brigade multinationale Nord |
3 694 |
147 |
- | |||||
Hors brigade |
Quartier général |
76 |
||||||
REPFRANCE |
84 |
|||||||
Détachement |
37 |
Détachement |
554 |
Détachement |
30 | |||
Détachement air |
190 |
|||||||
Total |
3 891 |
891 |
30 | |||||
Source : Etat-major des armées |
Au 30 juin, dans le cadre strict de la KFOR, la France avait déployé un peu plus de 3 000 soldats et un escadron d'environ 135 gendarmes chargés de tâches de police judiciaire au profit du tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie. Le niveau de la participation a été primordial pour obtenir la responsabilité de l'une des cinq brigades multinationales déployées au Kosovo. Les effectifs français ont atteint un maximum d'environ 7 000 personnes en août dont 5 500 au sein de la KFOR qui comptait au Kosovo environ 31 000 hommes début août et 40 000 début septembre. Ils ont diminué à mesure que les contingents des autres pays présents dans la zone de la brigade multinationale Nord se mettaient en place.
Avec un effectif de 4 800 hommes fin novembre, la France figurait au quatrième rang des pays contributeurs derrière les Etats-Unis (7 400), l'Italie (6 400), l'Allemagne (6 000). La Grande-Bretagne a réduit fortement sa participation (4 300 hommes en novembre contre 8 000 hommes en août).
Les forces françaises ont compris six bataillons, un bataillon interarmes, le bataillon Guépard (reparti en octobre), un bataillon d'hélicoptères, un bataillon d'infanterie mécanisée, un bataillon du Génie, un bataillon de soutien logistique, ainsi qu'un groupe d'artillerie et un détachement de Gendarmerie (renforcé début novembre par un escadron de Gendarmerie mobile).
3. Une « intégration » dans l'Alliance sous contrôle national
La participation des forces françaises a été intégrée dans le dispositif de l'Alliance atlantique. C'était d'ailleurs une condition impérative de la participation de notre pays aux opérations. Pour autant, les missions que les forces françaises ont réalisées sont restées sous contrôle politique national.
Au cours de la phase aérienne du conflit, la France est apparue comme le premier contributeur européen de l'Alliance et a su s'insérer dans le dispositif de l'OTAN en conservant une certaine spécificité. Depuis juin, les forces françaises sont davantage intégrées dans l'organisation de la coalition multinationale, mais on peut avant tout souligner la complexité des chaînes de commandement.
a) Une association réussie dans le dispositif opérationnel
de l'OTAN
L'association de la France a tout d'abord été facilitée par les relations directes entre le SACEUR et le Chef d'état-major des Armées et par l'action de la mission militaire française au niveau des principaux subordonnés du SACEUR. La présence de personnels militaires français dans les états-majors mis en place pour les opérations aériennes et navales et pour les opérations terrestres a également facilité cette insertion.
Sur le plan opérationnel, la participation des unités de l'armée de l'Air comme de la Marine a montré leur parfaite interopérabilité avec les forces alliées au cours de la phase des frappes aériennes. Mais les situations de l'armée de l'Air et de l'Aéronavale ont un peu différé.
Les forces aériennes étaient véritablement intégrées dans le dispositif allié. Elles recevaient chaque jour les ordres de mission et accomplissaient ces missions. La chaîne de commandement partait du SACEUR, transitait par le commandement Sud de l'OTAN et arrivait au Général américain Michael Short, commandant l'ensemble des forces aériennes de l'Alliance et dont dépendait le centre d'opérations alliées (CAOC) de Vicence. Le Général Jean-Patrick Gaviard, commandant des forces aériennes françaises engagées dans la coalition, assistait également le Général Michael Short au CAOC. En tant que représentant de la France REPFRANCE, il était chargé de lui préciser et de lui expliquer les positions des autorités françaises. Il participait quotidiennement aux briefings de présentation des quelque mille missions soumises à autorisation des autorités politiques.
Dans un schéma analogue, du fait de la spécificité de la Marine, le groupe aéronaval bénéficiait d'une autonomie plus forte. Comme c'est l'usage, les forces navales sont restées en permanence sous commandement national. Seules les frégates intégrées dans la force alliée permanente (FORMED) et les unités de lutte anti-sous-marine ont été placées sous commandement OTAN. Les forces maritimes françaises disposaient d'une seconde chaîne opérationnelle, nationale, partant du Chef d'état-major des Armées, transitant par le CECMED, qui assurait le contrôle opérationnel, et aboutissant au commandant tactique des forces françaises (TF 470). Les avions français étaient mis sous le contrôle tactique du CAOC pour exécuter leurs missions, la chaîne d'approbation de celles-ci passant directement par le Général Jean-Patrick Gaviard.
Le Contre-amiral Alain Coldefy qui commandait la TF 470 était tenu informé de manière continue des lancements des missiles de croisière américains et britanniques, car il recevait des informations préalables aux tirs. Il a refusé que les bâtiments du groupe aéronaval français, notamment le SNA placé depuis janvier devant les bouches du Kotor, quittent la zone où souhaitaient opérer les sous-marins américains. Ce refus a obligé les forces américaines à informer les bâtiments français de manière permanente sur leurs tirs.
b) La situation des forces terrestres et la complexité des chaînes de commandement
(1) Au cours de la période de la force d'extraction
Dépendant directement du CINSOUTH, le général Marcel Valentin, qui commandait la force d'extraction, ne prenait ses ordres que de l'état-major de Naples. Ainsi, si un incident était constaté par les observateurs de l'OSCE, ces derniers en référaient à leur PC à Pristina, qui répercutait le problème au siège de l'organisation à Vienne, laquelle s'adressait au SACEUR, qui demandait pour sa part l'autorisation formelle d'intervenir auprès du Conseil de l'Atlantique Nord. Ce n'est qu'après l'aval politique du Conseil qu'il répercutait ses ordres au CINSOUTH qui les transmettait alors au Général Marcel Valentin. Ce processus prenant environ 6 heures au mieux, le Général Marcel Valentin était averti en amont par la KVCC (PC de Skopje), elle-même prévenue par le PC de la KVM à Pristina, ce qui lui laissait le temps de faire les préparatifs nécessaires à une réaction immédiate aux ordres de CINSOUTH.
Dès janvier 1999, la force d'extraction a été chargée de planifier une entrée au Kosovo dans le cadre d'une application d'un accord politique entre les parties en conflit. A cet fin, des renforts italiens et britanniques ont permis d'accroître le volume de forces disponibles. Ainsi, au moment des négociations de Rambouillet, le Général Jackson et l'état-major de l'ARRC étaient arrivés à Skopje pour organiser le déploiement au Kosovo. A cette occasion, la chaîne de commandement de la force d'extraction a été modifiée en quatre PC de brigades (un français disposant d'éléments multinationaux, un allemand, un italien, un britannique auquel le bataillon américain de casques bleus présents en Macédoine a été rattaché après le non-renouvellement du mandat de cette force par l'ONU).
Cette organisation est devenue permanente après l'échec des négociations de Paris qui ont entraîné le départ des observateurs de l'OSCE. La brigade française prit alors une zone de responsabilité au nord de la Macédoine, face à la frontière. Progressivement, les contingents alliés se sont renforcés, mais rapidement, le volume de forces a atteint le plafond fixé par les autorités macédoniennes (12 000 hommes28).
(2) Dans le cadre de la KFOR
Deux événements ont modifié les chaînes de commandement de l'OTAN.
D'une part, la chaîne de la KFOR a été simplifiée, l'échelon de l'AFSOUTH ayant été supprimé. Une chaîne de commandement unique va désormais du SACEUR (Général américain Wesley Clark, commandant stratégique en Europe) au COMKFOR (commandant de théâtre, de juin à octobre le Général britannique Michael Jackson, actuellement le Général allemand Klaus Reinhardt) et descend jusqu'aux cinq commandants de secteur (pour la France actuellement le Général Henri Poncet).
D'autre part, la mise en _uvre de l'état-major de la KFOR successivement par l'ARCC (corps de réaction rapide) puis par LANDCENT a conduit à des réorganisations. Dans l'ARCC, la France avait placé 50 hommes à l'état-major (le Général Thomann déjà présent était par exemple l'adjoint du COMKFOR chargé de la reconstruction). Au niveau de LANDCENT, la France a inséré 81 hommes car le volume de forces sur le terrain n'a pas permis d'exiger un grand nombre de postes clés, et dispose de trois postes d'officiers généraux (l'adjoint au commandant de la KFOR, le Général Thomann ; les généraux de Lestrange, soutien logistique, et Tartinville au bureau opérations).
Chaînes de commandement opérationnel
c) Un contrôle national maintenu
(1) Pendant la phase des frappes aériennes
Pendant toute la crise, mais plus encore au cours de la phase des frappes aériennes, la France a gardé un contrôle politique et opérationnel de ses forces.
L'accord au sein de l'exécutif français et sa position particulière par rapport aux structures intégrées ont permis à notre pays d'intervenir dans les travaux de planification et de peser dans la conduite politico-militaire des opérations.
Au sein de l'OTAN, la France est représentée au niveau du commandement suprême de l'Alliance. L'OTAN avait élaboré, dans le cadre de la crise du Kosovo, dix concepts d'emploi des forces et sept plans d'intervention, dont celui qui a été utilisé et qui comportait les phases de frappes aériennes. La France, comme tous les membres de l'Alliance, a validé ces concepts et ces plans.
Les représentants de la France au comité militaire et au groupe de coordination des orientations siégeaient aux réunions pendant lesquelles les objectifs ont été déterminés par le commandement allié. Un débat sur les cibles des frappes aériennes a eu lieu régulièrement au sein du Conseil de l'Alliance atlantique, mais il semblerait que les décisions aient été préparées (et souvent déjà prises) en dehors de cette instance. Le Conseil a effectivement donné son accord sur le passage d'une phase à une autre, notamment lors du passage à la phase 2 « élargie ».
Comme ses homologues, le Chef d'Etat-major des armées a eu connaissance de la liste des objectifs sensibles et était informé des plans de frappes. Comme il bénéficiait de directives claires et précises, il a pu intervenir pour faire modifier à certaines reprises le choix des cibles. Sur la base de critères géographiques tendant à exclure le Monténégro ou l'agglomération de Belgrade, ou de critères politiques comme le refus des destructions systématiques, les autorités de notre pays ont tantôt infléchi les choix effectués par l'état-major de l'OTAN, tantôt imposé des limitations à l'ambition des frappes.
Les commandements opérationnels, qui recevaient chaque jour la liste des missions à effectuer dans le cadre de l'Alliance, ont toujours eu la possibilité de contrôler les objectifs assignés. La procédure d'alerte du Chef d'état-major des armées françaises, qui permettait de « reboucler » les informations, a fonctionné et a permis à plusieurs reprises de refuser les missions assignées à nos avions de combat, soit parce que le choix de l'objectif n'apparaissait pas pertinent, soit parce que les conditions (météorologiques ou opérationnelles) ne s'y prêtaient pas.
(2) Pendant les opérations terrestres
L'existence d'une double chaîne de commandement mérite d'être soulignée, mais le cas de la France n'a rien d'exceptionnel et toutes les nations-cadres responsables d'un secteur disposent d'un système analogue. Ce schéma n'a pas réellement posé de difficultés dans la mesure où il n'y a pas eu d'engagement des forces sur le terrain.
La France est représentée par le Général Thomann, qui cumule ainsi les fonctions de REPFRANCE et d'adjoint du commandement de la force (DCOMKFOR). Il dispose d'un état-major constitué d'une centaine de personnes. Ses principaux conseillers assurent les fonctions liées à l'évaluation politique, à la communication, aux affaires juridiques, aux opérations spéciales et aux affaires civilo-militaires.
Le soutien de la brigade multinationale Nord et d'éléments dits « abonnés » est assuré par une importante structure, essentiellement basée en Macédoine, à Kumanovo (pour le détachement de soutien) et à l'aéroport de Petrovec près de Skokje (pour le détachement air). Chaque nation cadre dispose de manière identique d'un élément de soutien sur lequel l'OTAN n'a pas d'autorité et qui dépend des commandements nationaux (COIA, CFAT, COAT, CFLT dans le cas de la France).
Les structures françaises continuent à soutenir certains détachements d'autres pays (par exemple du Maroc), le remboursement à la France des prestations se faisant selon des procédures OTAN assez simples.
Le fonctionnement de l'Alliance pendant les opérations a ainsi montré des travers qui ne peuvent que conforter le choix fait par la France d'une situation spécifique. Les inconvénients de cette position particulière ne doivent pas être sous-estimés. Ils expliquent en particulier la position de certains officiers français en faveur d'une réintégration dans les structures militaires intégrées. Cependant, les avantages politiques que notre pays retire de sa situation sont loin d'être négligeables car elle incite à un dialogue plus intense entre Alliés.
B. LE BILAN DES ÉQUIPEMENTS UTILISÉS PAR LES FORCES FRANÇAISES
1. Le décalage entre les besoins et la préparation de certains équipements pendant la phase aérienne
Les opérations menées par l'armée de l'Air et la Marine ont montré la difficulté de préparer des systèmes d'armes pour des opérations dont on ne connaît pas la nature à l'avance.
a) La reconnaissance de la qualité des porteurs et de leurs équipements
De nombreux types d'appareils ont été utilisés dans la phase de frappes aériennes dans la profondeur : les avions d'attaque au sol Mirage 2000 D, Mirage F1 CT, Jaguar de l'armée de l'Air et Super Etendard du porte-avions Foch, les avions de défense aérienne Mirage 2000 RDI, d'alerte et de reconnaissance AWACS et Transall Gabriel ainsi que les avions de reconnaissance Mirage IV P et Mirage F1 CR.
Tous les appareils ont fait preuve d'une disponibilité maximale, proche de 100 % pour les Mirage 2000, et d'une grande précision de navigation. Leur besoin en soutien logistique était trois fois moins important que celui des autres forces : à titre d'exemple, un escadron de vingt avions français a mobilisé environ 150 mécaniciens et personnels de soutien au sol alors qu'un escadron de vingt appareils similaires, anglais ou américains, nécessitait la présence de deux à trois fois plus de techniciens. Mais le chef d'état-major de l'armée de l'Air a souligné devant la Commission de la Défense que les effectifs déployés par l'armée de l'Air étaient sans doute trop sévèrement calculés et qu'un ratio de douze personnels au sol par avion serait sans doute plus raisonnable. La faiblesse des effectifs présente l'inconvénient de n'apporter aucune marge de sécurité ; il semblerait que la fatigue des personnels de maintenance ait été la cause d'erreurs techniques.
Les Mirage ont fait la preuve de leurs capacités de navigation et de contre-mesures dans les missions diurnes ou nocturnes. Les Mirage 2000 RDI ont obtenu des résultats satisfaisants. Leur version future 2000-5, en service dès la fin de 1999, développera, en outre, des performances bien supérieures en raison de sa capacité « multicibles » et de sa plus grande autonomie en vol. Les Mirage 2000 D apparaissent comme le meilleur appareil en matière de vol à basse altitude et à très grande vitesse et ses capacités de tir de précision en altitude seront améliorées par les systèmes de tirs sur coordonnées. D'ores et déjà, sur 96 bombes non guidées et tirées dans ces conditions, 92 sont allées au but.
Les équipages ont su également adopter sans difficulté les systèmes aux contraintes des missions fixées par l'OTAN. Ces appareils ont largué des bombes BGL de 1000 kg et des bombes GBU 12 de 250 kg. Pour cela les Jaguar étaient équipés d'une nacelle de désignation Atlis sous voilure pour les tirs de jour et les Mirage 2000 D d'une nacelle PDL-CT ou PDL-CT S (pod de désignation laser à caméra thermique) pour les vols de jour comme de nuit. Les Super Etendard et les Jaguar n'ont mené que des missions d'attaque diurnes, compte tenu de leur équipement en nacelles Atlis.
NOMBRE D'AÉRONEFS ENGAGÉS ET DE MISSIONS
PAR TYPE D'APPAREIL
Type d'appareils par mission |
Nombre d'appareils |
Armements utilisés |
Avions de combat Mirage 2000 D |
12 ou 15 |
394 bombes lisses/260 BGL |
Défense aérienne Mirage 2000 RDI Reconnaissance Mirage IVP |
8 (1) 2 3(2) 4 5(2) |
|
Autres missions AWACS |
1 5 4 |
|
(1) dont deux en réserves |
b) Les limitations techniques et opérationnelles
Une des premières limitations de l'emploi des appareils provient des conditions opérationnelles. Il a fallu plusieurs semaines pour réduire le potentiel militaire adverse en raison de la configuration géographique et de la capacité des Serbes à camoufler et à rendre mobiles leurs moyens de combat.
La défense sol-air yougoslave est restée efficace jusqu'à la fin et a compliqué l'emploi des aéronefs, qu'elle ait été basée sur les missiles portables à guidage infrarouge SA 18 et à plus haute altitude, sur les SA 6 ou SA 7 à guidage radar. Elle a longtemps conservé l'atout qu'ont représenté les radars civils de veille de la circulation aérienne avant que ceux-ci ne soient détruits. Elle a interdit l'action des avions à basse altitude et a obligé les appareils de l'Alliance à voler au-dessus de 5 000 voire 6 000 mètres. Elle a pareillement empêché l'action des hélicoptères de combat. C'est ainsi que les forces américaines ont refusé d'engager les Apache déployés en Albanie parce que leurs contre-mesures étaient jugées insuffisantes. Le déploiement de ces hélicoptères de combat aurait cependant été utile car il aurait obligé les forces adverses à se concentrer et à se découvrir : c'est alors que les dommages subis dans leurs rangs se seraient accrus. De plus, la neutralisation des défenses antiaériennes a mobilisé les moyens alliés et a conduit à l'utilisation de munitions coûteuses.
Compte tenu de la menace sol-air, les avions français ont dû s'intégrer dans des « packages » alliés, protégés par le dispositif SEAD (suppression of ennemy air defense) dont seuls les Etats-Unis disposent. Seuls les Mirage IV, qui volaient au-dessus de 50 000 pieds, ont pu effectuer des missions sans ce dispositif.
_ Un autre facteur limitant résulte du faible nombre de PDL-CT disponibles au début du conflit. Compte tenu du calendrier du programme d'équipement de l'armée de l'Air qui prévoyait d'équiper seulement l'équivalent d'un escadron de Mirage 2000 D pour le tir laser à l'horizon de la loi de programmation militaire, seule une dizaine de pods étaient disponibles début mai. De même, l'utilisation d'une nacelle de désignation laser pour le tir de nuit n'est programmée qu'à l'horizon 2002 pour les Super Etendard modernisés. Or l'efficacité ne peut être maximale que si tous les appareils engagés sont équipés.
On peut également se poser la question de savoir pourquoi, alors que la possibilité de frappes était connue depuis six mois, rien n'avait été fait pour se doter de l'ensemble des pods nécessaires.
Il paraît également important de souligner qu'au début des opérations, les Super Etendard ont été amenés à larguer des armements non utilisés avant d'apponter sur le porte-avions Foch (environ 50 bombes). En effet, les configurations de retour des appareils avec armement n'avaient pas été qualifiées pour l'appontage. Si les réserves ont pu être levées après une phase d'études qui n'a pas excédé quelques jours, les conséquences sur l'opinion publique ne doivent pas être négligées. C'est ainsi que l'OTAN a dû accomplir un effort d'explication après que des pêcheurs italiens eurent récupéré des bombes non tirées dans leurs filets.
Par ailleurs, les capacités techniques elles-mêmes des appareils ont limité leur emploi. Les Jaguar comme les Super Etendard ne peuvent être mis en _uvre que par paire, un appareil éclairant la cible, l'autre délivrant les armements. Dans certains cas, la présence d'avions supplémentaires s'est même révélée nécessaire pour vérifier la qualité de l'objectif et confirmer l'autorisation de frapper.
Les Mirage 2000 RDI, chargés d'identifier les moyens aériens adverses et de les traiter, n'ont pas été capables d'identifier leurs cibles avec certitude. Seuls les Mirage 2000-5, qui entreront en service opérationnel à la fin de l'année, ont cette capacité d'identification air-air grâce à des systèmes informatiques (bases de données) et à des capteurs spécifiques qui identifient les appareils à partir de l'analyse des échos radars de leurs moteurs. Le système NCTR (Non Cooperative Target Recognition) n'équipait que les F 15 et les F 16 américains alors qu'il est essentiel pour des missions de combat dans un cadre de coalition.
Enfin, les opérations aériennes ont souffert d'un manque de ravitailleurs en vol. Si la présence du groupe aéronaval à faible distance des côtes yougoslaves a facilité les missions des Super Etendard, les distances entre la base d'Istrana et la Serbie ont nécessité deux ravitaillements en vol pour les avions d'attaque, l'un à l'aller, l'autre au retour de la mission. Notre pays n'a pu déployer qu'une dizaine d'appareils dans le cadre des opérations aériennes sur la centaine de ravitailleurs utilisés quotidiennement par l'Alliance atlantique. Les difficultés ont été résolues grâce à la coopération entre Alliés, les Etats-Unis ayant fourni près de 80 % des ravitailleurs en service, et à l'interopérabilité des systèmes. Mais la question reste posée d'une acquisition de nouveaux appareils, au niveau national ou européen.
La phase des frappes aériennes n'a pas montré de difficultés significatives dans le domaine des capacités de transport militaire. L'ensemble des moyens du CFAP a été mis à contribution pour l'opération Trident, les avions C 160 et C 130 assurant 60 % de l'activité aérienne. De même, les moyens de transport maritime, qu'ils aient été militaires (TCD, Batral) ou affrétés, ont été correctement dimensionnés et ont complété le transport aérien militaire. Mais la proximité du théâtre d'opérations a joué favorablement et l'absence d'un appareil logistique et tactique de meilleures capacités se serait posée de manière directe dans le cas d'un conflit plus éloigné, d'où la nécessité du programme d'avions de transport ATF.
c) les avantages et inconvénients des différents systèmes d'armements
Près de 900 bombes ou missiles ont été tirés par les forces françaises au cours des trois mois de frappes aériennes dont 500 bombes guidées laser de 250 ou de 1000 kilogrammes et 400 bombes lisses. Huit tirs de missiles AS 30 laser ont également été effectués contre des objectifs à forte valeur ajoutée dont deux ont été délivrés par les forces aéronavales et 6 par l'armée de l'Air conformément au tableau ci-joint.
CONSOMMATION DE MUNITIONS
AU COURS DES FRAPPES AÉRIENNES
(en millions de francs) | |||
Types de munitions |
Nombre |
Prix unitaire |
Coût total |
I. -Aéronautique navale |
|||
Bombes guidées laser de 250 kilos |
268 |
0,284 |
76,05 |
Missiles AS 30 laser |
2 |
2,7 |
5,4 |
Leurres |
- |
- |
2 |
II. -Armée de l'Air |
|||
Bombes guidées laser de 250 kg |
187 |
0,165 |
30,8 |
Bombes guidées laser de 1 000 kg |
127 |
0,9 |
114,3 |
Bombes lisses de 250 kg MK 82 |
128 |
0,22 |
2,5 |
Bombes lisses SAMPT 25 |
270 |
0,36 |
9,7 |
Missiles AS 30 laser |
6 |
2 |
12 |
Missiles Magic II |
29 |
1,44 |
|
Missiles Super 530 D |
18 |
4,96 |
|
Source : Ministère de la Défense |
La précision des tirs est attestée par le taux de réussite des frappes, 65 à 70 % des objectifs traités par les appareils de l'alliance ayant été atteints selon le Général Jean-Pierre Kelche, Chef d'état-major des armées. Il est vrai que ces résultats incluent également des leurres (camions au lieu de chars par exemple) et ont été difficiles à vérifier sur le terrain, non seulement pendant les opérations mais aussi après, malgré les missions d'évaluation organisées par le commandement allié. Les principales raisons de l'imprécision de l'évaluation tiennent à la persistance de mines sur de nombreux sites et à l'insuffisance de la capacité autonome d'évaluation des frappes.
Les appareils français ont obtenu des résultats très satisfaisants avec les bombes lisses sur toutes sortes d'objectifs (bâtiments bétonnés, casernes, infrastructures, voies de communication,...).
Les frappes aériennes ont consacré l'intérêt des armements de précision. L'armement guidé laser présente trois avantages dont le conflit a montré l'intérêt : il permet d'identifier au préalable la cible visée ; sa précision est de l'ordre de quelques mètres ; l'évaluation des résultats est effectuée de manière instantanée avec une quasi-certitude.
Par contre, son utilisation est limitée par les conditions de sécurité et de météorologie. Un missile guidé ne peut être largué qu'à une distance relativement proche de l'objectif ce qui rend le porteur vulnérable aux défenses sol air de courte portée. Or, nous l'avons vu, la menace antiaérienne des forces yougoslaves n'a jamais été sous-estimée en raison des nombreux missiles disséminés sur tout le territoire et rapidement déplacés. De plus le guidage laser suppose d'excellentes conditions météorologiques. Le ciel doit être dégagé et les éléments comme les nuages ou le vent perturbent les tirs et leur précision. De nombreuses missions ont ainsi été annulées pour ces deux types de raisons. Mais l'échec d'une bombe sur quatre trouve là aussi son explication.
Par ailleurs, seuls les Etats-Unis disposaient et ont utilisé des « soft weapons », c'est-à-dire des armes neutralisant les objectifs sans les détruire, comme les bombes dites au graphite qui ont paralysé les centrales électriques civiles. De même, après l'abandon du missile Martel, la France n'a pas disposé de missiles anti-radars. Seuls les Etats-Unis avec les HARM et les Britanniques avec les missiles ALARM disposent de cette capacité dont l'efficacité n'est pas toujours optimale.
Si le potentiel en munitions notamment en munitions intelligentes s'est amélioré depuis le début des années quatre-vingt-dix et si l'approvisionnement en munitions peut être considéré comme globalement satisfaisant pendant le conflit aérien, certaines réflexions peuvent conduire à une révision de la politique d'acquisition et de stockage. En effet, les armées auraient pu être confrontées à certaines défaillances d'approvisionnement si le conflit aérien s'était prolongé au-delà de onze semaines.
Plusieurs facteurs ont contribué à minimiser les difficultés liées aux stocks de munitions. Pour le Chef d'état-major des armées, le niveau initial des stocks était satisfaisant. Pour le chef d'état-major de l'armée de l'Air, l'application régulière des ajustements budgétaires aux programmes de cohérence et de soutien, donc aux munitions, conduit à ce que la France ne dispose pas de stocks de munitions adaptés pour une campagne de tirs intensifs. Les procédures de coopération entre Alliés pour les recomplètements nécessaires ont pu pallier la faiblesse des stocks.
En fait, pour la constitution de ses stocks, l'armée de l'Air avait mis l'accent sur deux extrêmes, les missiles tirés à distance de sécurité d'une part, les bombes classiques d'autre part. Aucun effort particulier n'avait été réalisé en faveur des armements à guidage laser. Leur niveau suffisant pour toute la durée du conflit n'a pas empêché que des achats de munitions aient été réalisés dans l'urgence. Les fournisseurs américains ont été préférés aux industriels français, car la DGA pratique la mise en concurrence de ses fournisseurs afin de bénéficier des prix les moins élevés. A titre d'exemple, Matra avait fait une proposition à propos des bombes à guidage laser de 1 000 kg, mais le prix s'est révélé bien supérieur à celui d'une acquisition sur étagère.
Si les bombes américaines étaient moins chères, elles étaient également moins sûres, ce qui a posé problème pour un stock utilisé pour la Marine.
Plusieurs points méritent d'être soulignés :
- la politique d'acquisition, qui date des années soixante, repose sur la mise en place des plans de mobilisation industrielle s'appuyant sur des études d'achats afin de préparer la gestion de court terme des stocks de munitions en période de crise. Cependant, cette gestion prévisionnelle des stocks a disparu depuis plus de dix ans. Les réponses alternatives reposent donc uniquement sur la constitution de stocks suffisants ;
- les industriels n'ont été effectivement sollicités que lorsque 75 % des stocks des armées ont été épuisés, c'est-à-dire courant avril. Une demande d'approvisionnement aussi tardive confirme peut-être que les militaires français n'ont pas pris conscience d'emblée que leur action risquait de s'inscrire dans la durée.
- le niveau d'équipement des forces françaises, l'état d'avancement des programmes d'armement, les complexités administratives et les programmes d'urgence demandés par les états-majors ont souligné les contraintes entravant la réactivité des industriels français de l'armement. A titre d'exemple, douze mois sont nécessaires pour produire et livrer des bombes guidées laser en raison des règles en vigueur, ce qui, ajouté au critère de coût, a incité les armées françaises à s'approvisionner auprès d'industriels américains (Raytheon) dès que l'état des stocks s'est avéré insuffisant.
Par ailleurs, les Mirage 2000 RDI conçus pour la défense aérienne et l'alerte au sol, ont été utilisés en alerte en vol. Les missions, qui ont duré parfois 6 heures lors de la phase aérienne de la crise au Kosovo, ont soulevé la question de l'endurance des missiles air-air en emport sous avion. Cette question est connue depuis plusieurs années. Les équipements ont été en effet conçus, dans le cadre d'une défense aérienne contre les forces du Pacte de Varsovie, pour une alerte au sol des appareils avec stockage des missiles dans de bonnes conditions. Les missiles ont donc été qualifiés pour une durée d'emport sous avion d'environ 40 heures. A la suite de l'expérience des missions en Bosnie-Herzégovine, le producteur Matra a testé les éléments les plus sollicités par les vibrations et les changements de conditions physiques (températures et pression notamment) et a réalisé les essais nécessaires de qualification, portant le potentiel des missiles Super 530 D et Magic 2 de 40 à 200 heures.
2. Les matériels utilisés pendant l'engagement terrestre
Les premières unités présentes en Macédoine étaient constituées de plusieurs compagnies de véhicules de l'avant blindé VAB, d'un escadron de cavalerie légère blindée avec une douzaine de chars AMX 10 RC et d'une escadrille d'hélicoptères (8 Puma et 4 Gazelle).
Sur le plan des armements, le déploiement de la force d'extraction puis l'intervention de la brigade Leclerc ont mis en lumière plusieurs carences :
- tout d'abord, les moyens français d'hélitransport lourd se sont révélés insuffisants et il a fallu faire appel aux hélicoptères Chinook néerlandais plus adaptés que les Puma français ;
- ensuite, les véhicules de combat d'infanterie ont démontré leurs limites tant sur le plan de la protection des troupes que sur celui de leur transport, l'emport de 10 fantassins se faisant au détriment des munitions et de leur paquetage, arrimé sur le toit ;
- par ailleurs, les difficultés rencontrées par les unités françaises lors de leur entrée au Kosovo sur un itinéraire miné par les forces yougoslaves ont montré l'insuffisance des capacités en matière de déminage.
Par ailleurs, même si la menace serbe à proximité de la frontière avec la Macédoine s'est révélée moins dangereuse que prévu, la force d'extraction a pu compter sur la brigade blindée britannique basée près de Skopje, dont les autorités avaient par ailleurs restreint la mobilité en interdisant les déplacements de véhicules chenillés. De telles restrictions de la part des autorités macédoniennes demeurent. Elles accentuent la faiblesse de l'axe stratégique et logistique qui relie Skopje à Pristina. Cette route assez étroite est encombrée par les véhicules et les poids lourds et il n'est pas rare de mettre plusieurs heures en véhicule léger pour parcourir les 160 kilomètres entre les deux villes, voire plusieurs jours pour les poids lourds en raison des restrictions au passage de la frontière.
Durant la phase aérienne, les capacités de renseignement mises en _uvre par l'armée de Terre s'appuyaient sur deux systèmes radars Horizon aéroportés sur hélicoptère Puma et sur les drones, d'abord les CL 289, missiles rapides qui permettent des observations de basse altitude (300 mètres) dans un rayon d'action de près de 200 km, puis les Crécerelle, aérodynes téléguidés, dont le rayon d'action est inférieur à 50 km mais dont l'autonomie dépasse cinq heures.
L'envoi de chars lourds au Kosovo a été décidé, d'une part parce que l'entrée au Kosovo s'est effectuée dans un environnement « semi-permissif » c'est-à-dire incertain, l'OTAN ne sachant pas si les forces serbes allaient ou non se retirer, d'autre part, en raison d'un risque de retour offensif serbe qui nécessitait la présence d'un bataillon blindé dans chaque secteur, en particulier dans la zone Nord qui jouxtait la Serbie. La décision d'envoyer un détachement Leclerc a été prise à une époque où il était normal d'inclure des chars lourds compte tenu des incertitudes de la situation et la composition du détachement n'a pas été modifiée eu égard au maintien de ces incertitudes. Les risques d'embrasement dans la région ne peuvent être négligés et les Leclerc offrent une nette plus-value par rapport aux AMX 30 B 2. Par ailleurs, l'expérience a permis de valider les concepts d'emploi des Leclerc (sauf les tirs).
La présence des chars Leclerc basés à Sbrica, à 40 minutes de route de Mitrovica, est sans doute surdimensionnée dans la mesure où un char lourd n'est sans doute pas l'équipement le mieux adapté au maintien de l'ordre ou à la surveillance des enclaves serbes.
Dans le système français, les matériels restent sur place en cas de relève. Mais cet aspect mériterait d'être analysé car s'il offre l'avantage de réduire les coûts de transport et d'adaptation des matériels, il accélère l'usure des équipements et prive les troupes qui rentrent en France des équipements nécessaires à leur entraînement.
Enfin, certaines défaillances logistiques ont été constatées en raison de l'arrivée tardive du 2ème échelon, des plans de chargement des bateaux de transport (TCD) et des exigences croissantes des personnels dans le domaine de leur confort. Le commissariat de l'armée de Terre a effectué de gros efforts afin que chaque compagnie soit dotée des moyens nécessaires (douches, toilettes, cuisines...), mais il reste toujours une distorsion, le déploiement des moyens lourds opérationnels étant privilégié par rapport à la logistique.
3. Les adaptations des matériels et des équipements
Deux types d'adaptations se sont révélées nécessaires, soit pour développer des programmes d'urgence, soit pour accélérer des programmes déjà prévus mais pas encore opérationnels dans les domaines des transmissions, des systèmes d'information et de commandement, ou de la protection.
Le tableau suivant retrace pour l'armée de l'Air les commandes et les modifications directement liées à l'intervention. La Délégation générale pour l'armement (DGA) a commandé en urgence aux industriels des pods de désignation laser supplémentaires. A la fin des frappes aériennes, début juin, une vingtaine de PDL-CT ou PDL-CT S étaient disponibles pour les Mirage 2000 D. En second lieu, des adaptations d'urgence ont été menées pour accroître les domaines de tir des bombes de 250 kg et de 1000 kg (par exemple vers la haute altitude). En effet, l'accent avait été mis depuis une dizaine d'années sur les missions en basse altitude des avions d'attaque et sur la mise au point des systèmes de contre-mesures.
Au début des frappes aériennes, les Mirage 2000 D ont utilisé des bombes guidées laser de type BGL de 1000 kg. L'armée de l'air française a demandé à Dassault Aviation d'intégrer de nouveaux équipements aux Mirages 2000 D (adaptation aux bombes américaines à guidage laser GBU 12 et GBU 22 de 250 kg, GBU 16 de 500 kg et GBU 24 de 1 000 kg) et aux Mirages F 1 (amélioration du système de navigation du F 1 CR et qualification de la bombe américaine MK 82 lisse de 250 kg pour le F 1 CT).
PROGRAMMES D'URGENCE OU ACCÉLÉRÉS
(en millions de francs) | |
Nature du programme |
Coût |
Moyens de transmission et d'environnement |
8,5 |
Stations autonomes d'exploitation d'images Hélios |
2,1 |
Moyens de télécommunications |
1,3 |
Extension de l'altitude de largage de la bombe GBU16 |
1,3 |
Expérimentation des consoles associées aux pods Désiré |
1,7 |
Moyens informatiques |
0,8 |
Sous-total des programmes développés pour l'occasion |
16,9 |
Configuration d'emport des bombes GBU12 |
16,2 |
Adaptation bi-bombes pour Mirage 2000 D |
17 |
Equipements d'identification pour analyse de l'écho radar |
16 |
Autoprotection du Mirage IV P |
6 |
Adaptations diverses sur les aéronefs |
21 |
Eléments d'infrastructures projetables |
29 |
Moyens de transmission et d'environnement |
10,1 |
Sous-total des programmes accélérés (hors munitions) |
115,3 |
La Marine nationale française a, quant à elle, demandé au même industriel d'apporter les modifications techniques visant à permettre l'appontage du Super Etendard équipé de deux bombes GBU 12 (ce qui autorisait une vingtaine d'atterrissages avec le même armement pour chaque appareil). Il était également envisagé de permettre aux Super Etendard l'emploi de la nacelle de désignation laser PDLCT-S mais les délais requis dépassaient la durée prévue pour l'engagement.
Deux types de programmes d'urgence ont été lancés dans le cas de l'armée de Terre.
Certains sont de véritables acquisitions et n'auraient pas été réalisés si le conflit n'avait pas eu lieu, comme le surblindage du véhicule de transport de troupes AMX 10 P dont la protection a été jugée insuffisante par rapport à ce qu'offrira le futur VBCI.
D'autres correspondent à des équipements qu'il était prévu d'acquérir et qui étaient inscrits dans les budgets mais dont le calendrier d'acquisition a été accéléré. Il en va ainsi de l'adaptation de matériels existants à la fonction déminage (AMX 30 B 2 DT et VAB PC), de l'amélioration de la protection des VAB ou des matériels du Génie, de l'acquisition d'équipements de vision nocturne ou des commandes anticipées de munitions.
Cette expérience a révélé la grande capacité de réaction de l'industriel, puisqu'un délai de quinze jours s'est seulement écoulé en moyenne entre les demandes et la réponse de Dassault Aviation. Cette rapidité de réaction correspond à des actions déjà en développement ou qui ne nécessitaient pas une adaptation trop complexe. Dans d'autres cas, comme pour la Marine, il n'a pas été possible de mettre à la disposition des forces les changements de systèmes souhaités sans qu'il faille interpréter cela comme un insupportable retard ou une défaillance.
Des difficultés ont néanmoins été éprouvées au sujet des bombes américaines, le fabricant Raytheon refusant de divulguer toutes les informations utiles avant leur livraison.
Il semble cependant nécessaire de rénover les procédures administratives pesant sur l'acquisition des armements et de prévoir des mesures contractuelles dans les situations exceptionnelles, le code des marchés publics se révélant inadapté même s'il prévoit des procédures particulières pour les programmes d'urgence. Après visa du contrôleur financier, une lettre de commande notifie à l'industriel l'objet, le volume et le prix plafond de la commande envisagée. Le marché de confirmation est passé dans les trois mois qui suivent. Ce faisant, une commande peut être engagée dans un délai très bref et répondre ainsi à certaines urgences. Néanmoins, ce mécanisme n'est pas adapté aux marchés à l'étranger pour lesquels des acomptes sont généralement demandés. Pour plus d'efficacité, il serait utile que ces règles permettent de payer des acomptes.
4. Le bilan des fonctions de renseignement, de commandement et de communications
Les opérations ont mis en évidence le caractère essentiel des fonctions de renseignement, de commandement et de communications. Elles ont illustré l'avance américaine sur les moyens européens, même si la France s'est distinguée dans ce domaine.
a) Le renseignement et l'évaluation
La crise du Kosovo a confirmé l'importance des fonctions de renseignement mais a également montré leur antinomie puisque le renseignement reste avant tout national même au sein d'une alliance ou coalition. Elle a souligné s'il en était encore besoin l'importance d'une capacité autonome d'appréciation de la situation. La capacité américaine de renseignement est très supérieure à celle des Alliés européens car les Etats-Unis disposent de l'ensemble de la gamme des moyens de renseignement et ont accumulé d'importantes bases de données en sachant que la probabilité d'y recourir serait forte. Néanmoins ces informations ont été largement mises à la disposition de tous les Alliés et diffusées à l'ensemble des forces présentes sur la zone, notamment lorsque les avions de ces derniers avaient des objectifs à traiter.
Seules la France et la Grande-Bretagne disposaient d'une capacité propre de renseignement susceptible d'assurer leur crédibilité en la matière et de remplir ainsi deux fonctions :
- vérifier, contrôler et compléter les informations reçues de l'Alliance ;
- permettre, par voie de conséquence, un échange d'informations avec les Etats-Unis.
Plusieurs observateurs ont souligné que les systèmes de renseignement et d'évaluation de l'OTAN ont montré leurs limites. Ainsi, ils n'ont jamais prévu l'opération d'épuration ethnique nommée « fer à cheval ». Pourtant celle-ci a fait l'objet d'un plan systématique dont l'exécution a requis des ordres écrits, des communications et une organisation. Les systèmes de renseignement ont permis de savoir que les forces serbes se positionnaient autour du Kosovo et s'y infiltraient à l'automne 1998 en violation de leurs engagements. Mais aucune interprétation n'a été faite sur la signification de ces mouvements.
De même, le limogeage du Chef d'état-major de l'armée yougoslave n'a pas été interprété comme il le fallait, alors qu'il a conduit à distendre les relations entre l'OTAN et cet état-major. Par ailleurs, il semblerait que l'Alliance n'ait pas suffisamment approfondi les conséquences politiques ou médiatiques de l'exécution de ses plans militaires : la lourdeur de la préparation des différents scénarios d'intervention ne permet pas d'envisager les modifications à apporter à ces scénarios s'ils ne se déroulent pas comme prévu.
(1) La mise en _uvre de moyens complémentaires
Au cours de la phase des frappes aériennes, tous les systèmes de renseignement en service dans les armées françaises ont été déployés. Bénéficiant des investissements réalisés depuis dix ans, notre pays, qui a assuré près de 20 % des missions de reconnaissance de l'Alliance, a montré qu'il disposait d'une réelle complémentarité de moyens et d'une excellente maîtrise des capteurs utilisés.
_ L'intérêt de disposer d'une capacité d'observation spatiale a été confirmé. Les qualités de l'observation spatiale ont été reconnues. Par beau temps, la réactivité a été bonne et le système a permis d'identifier des cibles ou de confirmer leur localisation. Un usage opérationnel a ainsi complété la mission stratégique du renseignement spatial. Le système satellitaire Hélios a aussi montré quelques limites d'emploi dans des conditions météorologiques peu favorables ce qui ne peut que renforcer la nécessité, d'une part, de développer des améliorations techniques pour le système Hélios II de nouvelle génération (par exemple pour accroître la capacité de renouvellement des images), d'autre part, de disposer d'un moyen complémentaire d'observation radar. A ce titre, il paraît intéressant de signaler que les Etats-Unis présentent rarement d'images radar à leurs alliés.
Comme aucune station de théâtre n'a été déployée, les images satellitaires ont transité par la base de Creil avant d'être renvoyées sur les bases italiennes ou françaises et sur le groupe aéronaval.
Si un ou deux satellites paraissent suffisants pour établir des bases de données, le développement d'autres capacités, comme celles qui permettent d'assurer des fonctions de renseignement tous temps, n'est possible qu'aux Etats-Unis qui, seuls, ont dégagé les moyens nécessaires.
_ La surveillance de théâtre a fait appel aux deux systèmes d'hélicoptères Horizon. Le système est capable d'assurer la détection, la localisation et la reconnaissance des mobiles terrestres et des hélicoptères, de jour comme de nuit, jusqu'à une distance de 150 kilomètres. Il a été utilisé en temps réel en liaison avec des systèmes américains JSTARS et aurait permis de détecter des cibles non vues par ces derniers. Mais des doutes ont été émis sur ses capacités à distinguer entre différentes catégories de véhicules (camions, chars ou aéronefs).
_ Les supports aériens du recueil de renseignement se sont révélés quant à eux très efficaces, notamment le Mirage IV P que sa capacité de vol à haute altitude et la vitesse supersonique mettaient à l'abri de la défense serbe. Ces appareils effectuaient des missions en solo de neuf à dix heures. Leurs images d'une excellente qualité ont fourni des estimations précieuses sur le résultat des bombardements. Quatre Mirage F1 CR, basés à Solenzara, ont effectué des missions quotidiennes de reconnaissance des dispositifs adverses et ont apporté une contribution intéressante. Ils ont confirmé la valeur du pod de reconnaissance « Désiré » et de l'analyseur de signaux tactiques ASTAC. Il est à regretter que l'armée de l'Air ne soit pas encore dotée des moyens de transmissions UHF qui faciliteraient la transmission de données en vol depuis l'ASTAC et réduiraient de quelques heures à quelques minutes le temps de redistribution des signaux aux analystes.
_ Les drones ont été utilisés au cours de la phase aérienne, soit pour la localisation des réfugiés civils, soit pour évaluer les dommages occasionnés aux forces adverses. De plus, ils ont été les seuls aéronefs autorisés à survoler le Kosovo avant le début des frappes aériennes. Le tableau suivant résume les principaux avantages et les limites de l'emploi des drones. Le taux de réussite des missions a été estimé à 95 %. Ils ont montré leur intérêt dans le cadre de la désignation laser car ils permettent à la fois aux équipages des avions d'attaque de prendre moins de risques dans un environnement où la défense antiaérienne adverse ne peut être négligée et fournissent une meilleure vision de l'objectif en volant à plus basse altitude.
Les drones français ont subi des pertes en vol (2 CL 289 et 3 Crécerelle) en raison de pannes, de tirs adverses ou de brouillage par des avions alliés. Ces appareils sont en effet très vulnérables du fait de leur vol à basse altitude et de leurs concepts d'emploi. Au total 21 drones alliés ont été perdus.
Intérêts |
Limites | |
CL 289 |
Drone rapide à faible vulnérabilité Imagerie de haute résolution |
Peu de réactivité Absence de cartographie numérisée Absence de traitement et de transmission des images |
Crécerelle |
Drone lent Transmission des images en temps réel |
Vulnérabilité Sensibilité au brouillage de la télécommande Peu de moyens de transmission |
Hunter |
Aide à la désignation laser des cibles Transmission des images en temps réel |
La participation des drones à l'acquisition et à l'exploitation des renseignements est réelle. Des améliorations technologiques sont à prévoir, ne serait-ce que pour renforcer la protection des appareils et la transmission des données en temps réel. Mais elles doivent maintenir un équilibre entre nouvelles performances et faible coût des engins (entre 5 et 15 millions de francs pour les systèmes actuellement en service).
(2) La préparation et la restitution des missions
La crise du Kosovo a montré l'importance des fonctions opérationnelles depuis la préparation de la mission jusqu'à son accomplissement voire sa restitution. Comme le souligne l'Etat-major des armées, les normes de l'OTAN lient fortement les capacités de chaque pays dans ces différentes fonctions à leur participation aux opérations.
Là aussi, certaines limites sont apparues. Par exemple, la détermination des cibles a souffert d'un manque d'information sur leurs coordonnées géographiques précises. L'origine de ces faiblesses est certainement liée à la saturation de la chaîne d'élaboration des dossiers d'objectif par l'OTAN et à l'inadaptation de l'organisation des moyens de recueil d'information. Si le bombardement de l'ambassade de Chine à Belgrade a mis en avant la nécessité de s'assurer des cibles, de nombreux autres cas ont montré également l'importance de cette fonction essentielle de « ciblage ».
A l'avenir, le fonctionnement de missiles de croisière comme le SCALP-EG nécessitera un renforcement du recueil des données géographiques et de la modélisation des cibles.
b) Les systèmes d'information et d'organisation du commandement et les communications
Dans le cadre de la crise du Kosovo, le poste de commandement du SACEUR a joué directement le rôle de poste de commandement opératif. Mais les centres de commandement ont été multipliés, d'une part, parce que la France a souhaité maintenir une chaîne nationale de consultation politique à haut niveau, d'autre part, parce que le dispositif de commandement dans la crise du Kosovo a été dissocié de celui de la Bosnie-Herzégovine.
Les exercices qui avaient été organisés entre Alliés ont montré tout leur intérêt puisque les réseaux de commandement ont été validés lors de ces entraînements et qu'ils ont pu être rapidement installés.
Le système de communications satellitaires Syracuse a été utilisé comme en Bosnie-Herzégovine pour l'échange de données et de messages. Dès le mois d'avril, le satellite Télécom 2C a été activé. Compte tenu de la proximité avec la métropole, le système a permis de couvrir le théâtre d'opérations avec la même antenne, ce qui a permis de doubler les capacités offertes de Syracuse 2. Les armées ont disposé de toutes les capacités car les liaisons durcies n'ont pas été utilisées. Par ailleurs, les liaisons commerciales ont été utilisées pour l'ensemble des communications non protégées.
c) L'action des services de renseignement
Tous les services de renseignement français sont intervenus lors de la crise du Kosovo : Direction du renseignement militaire (DRM), Direction de la surveillance du territoire (DST), Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Ils ont organisé des échanges, le plus souvent bilatéraux, avec leurs homologues dans les autres pays de la coalition.
La crise du Kosovo a confirmé que les activités de renseignement ne peuvent que bénéficier d'un renforcement de la synergie entre les différents services responsables, en particulier dans les activités d'évaluation et d'expertise. Les services sont complémentaires, même si leurs objectifs diffèrent, et tous nécessitent un renforcement de leurs moyens humains et matériels ne serait-ce que pour intégrer le développement des nouvelles technologies. Si les sources ouvertes de renseignement se révèlent d'une importance capitale, elles ne remplacent pas dans tous les cas la présence humaine.
Votre rapporteur a eu connaissance de notes et de synthèses de la Direction du renseignement militaire après leur déclassification.
Un compte rendu des rencontres avec les directeurs des services français de renseignement a eu lieu à huis clos au sein de la mission d'information.
C. LE COÛT DE LA PARTICIPATION FRANCAISE
L'analyse des surcoûts engendrés par les différentes opérations militaires est essentielle pour comprendre le mécanisme de financement des dépenses extraordinaires et analyser l'impact de celles-ci sur le budget de chaque armée. Elle permet également de mieux préparer l'avenir en instaurant une véritable méthode de prévision pour le financement de telles opérations.
Les surcoûts sont évalués par chaque état-major ou chaque service par référence à l'activité normale des forces et en application de différents textes dont l'instruction ministérielle du 25 mai 1984 et le décret n° 97-901 du 1er octobre 1997 sur les rémunérations des personnels en opérations extérieures.
La notion de surcoûts est difficile à établir pour certaines catégories de dépenses. Si elle est bien établie pour les rémunérations et charges sociales (RCS), il n'en est pas de même pour les dépenses de fonctionnement des unités et a fortiori pour les dépenses liées à l'équipement. D'ailleurs, les discussions entre le ministère de la Défense et celui du Budget sont moins difficiles pour les RCS dont l'existence ne peut être contestée car elle est facilement vérifiable. C'est pourquoi, depuis que les opérations extérieures ont pris une telle importance, les chapitres consacrés aux RCS ont été correctement abondés dans les collectifs de fin d'année. Le facteur dimensionnant est d'ailleurs celui des effectifs engagés. Or le nombre d'hommes varie beaucoup et rapidement (de 6 500 au Kosovo fin août à 4 500 en octobre).
S'agissant des dépenses d'équipement, un débat existe à la fois sur le fond et sur la nature de ces dépenses. Le budget du ministère de la Défense permet la mise en condition opérationnelle des armées dès le temps de paix mais ne prévoit pas leur fonctionnement opérationnel, encore moins le coût des matériels détruits dont l'estimation peut être faite soit au coût de leur remplacement par un matériel identique ou similaire, si cela reste possible, soit à leur valeur d'inventaire.
La répartition des surcoûts peut s'analyser par armée, par catégorie de dépenses et selon les phases de l'opération militaire. Bien que la Gendarmerie et les services communs, notamment le Service de santé des armées et le Service des essences, aient identifié des dépenses supplémentaires, parfois non négligeables compte tenu de leur budget, l'estimation des surcoûts concerne essentiellement les trois armées. Par ailleurs, il est intéressant de séparer les dépenses selon les titres en raison de leur mode de financement.
Trois phases peuvent être distinguées pour l'analyse des surcoûts des opérations militaires : la montée en puissance du dispositif de décembre 1998 (installation d'unités en Albanie et de la force d'extraction en Macédoine) à fin mars 1999 ; l'opération « Trident Force alliée » du 24 mars au 10 juin 1999 ; à partir de juin, le fonctionnement du contingent français, le déploiement et l'action de la KFOR.
a) La montée en puissance du dispositif militaire
Le coût du dispositif français en Macédoine de janvier à mars 1999 a été estimé par l'armée de Terre à 102,54 millions de francs. Il comprend essentiellement des dépenses de personnel liées notamment aux rémunérations et charges sociales (RCS pour 60 millions de francs) ou au fonctionnement associé des unités (alimentation, transport, carburant pour 14,5 millions de francs). Comme le niveau d'engagement de la brigade a été faible, l'entretien programmé des matériels n'a pas été concerné et les dépenses d'infrastructures (environ 15 millions de francs au titre de l'exercice 1998) ou d'équipements (27,6 millions de francs) sont restées mesurées.
De manière similaire, la présence du groupe aéronaval dans l'Adriatique a généré un surcoût de 71,87 millions de francs ou 106 millions de francs si on inclut les dépenses liées à l'exercice précédent. L'essentiel concerne les RCS (43,62 millions de francs). Les particularités de la Marine expliquent que son état-major ait estimé à 15 millions de francs les crédits d'entretien programmé (titres III et V) et à 13,25 millions de francs les dépenses de fonctionnement des unités.
Enfin, l'armée de l'Air a estimé que le déploiement des aéronefs, avant même le début des frappes aériennes, avait engendré un surcoût de 65,33 millions de francs, dont 19 millions de francs pour les rémunérations et charges sociales, 11 millions de francs pour le fonctionnement, et 35,31 millions de francs pour les munitions et les fabrications.
Au total, la montée en puissance des armées françaises a représenté un surcoût de 250 millions de francs pour le budget de la Défense, dont plus des deux tiers liés aux effectifs engagés et seulement un quart affectant les matériels et les équipements. Il est en effet logique que la mobilisation et la projection des hommes représentent l'essentiel des dépenses avant leur engagement proprement dit.
Durant les onze semaines de conflit, la permanence des unités de l'armée de Terre a représenté un surcoût de près de 160 millions de francs soit environ 60 millions de francs par mois pour les seules dépenses de fonctionnement. La perte des trois drones a été estimée à 13,2 millions de francs mais leur remplacement, pourtant impératif, n'a pas été prévu.
La Marine a évalué les surcoûts à 375,8 millions de francs dont 137,8 millions de francs pour les RCS, 17,25 millions de francs pour le fonctionnement courant des unités, près de 97 millions de francs pour l'entretien programmé des matériels EPM (sur le titre III), qui correspond à l'usure du potentiel des navires et des aéronefs, et 81,41 millions de francs pour les munitions utilisées. Des équipements ont été installés en urgence pour un montant de 43,1 millions de francs.
En raison de son rôle primordial, c'est évidemment l'armée de l'Air qui a supporté les dépenses les plus importantes évaluées à près de 500 millions de francs dont 26,57 millions de francs directement liés aux effectifs (RCS et alimentation), 42,51 millions de francs pour les autres dépenses de fonctionnement, 24,4 millions de francs pour l'EPM. Le tir des munitions a été chiffré à environ 300 millions de francs.
Au total, la période des frappes aériennes a représenté un surcoût de plus de 1 milliard de francs pour onze semaines de conflit soit un peu plus de 90 millions de francs par semaine ou environ 400 millions de francs par mois. Ces évaluations a posteriori correspondent aux indications fournies à la Commission de la Défense, dès le mois de juin, par M. Alain Richard qui avait précisé, dans un premier temps, que le conflit générait un surcoût mensuel de 300 millions de francs avant de citer le chiffre de 400 millions de francs en raison de l'utilisation de munitions coûteuses. Mais elles ne tiennent pas compte de l'anticipation de certains programmes, dont l'impact financier peut difficilement être mesuré.
L'accélération du calendrier initial de certains programmes a concerné toutes les armées pour des montants loin d'être négligeables, même si ces programmes faisaient déjà l'objet d'autorisations de programme. Le rapporteur spécial de la Commission des Finances de notre Assemblée a pour sa part estimé, en juillet dernier, que l'ensemble des accélérations de programmes représentait près de 510 millions de francs.
L'opération extérieure au Kosovo aura donc coûté à la France 1,3 milliard de francs de décembre 1998 à mi-juin 1999.
Dès le 9 juillet, le Ministre de la Défense, M. Alain Richard, annonçait que le déploiement de la KFOR occasionnerait un surcoût mensuel compris entre 350 et 400 millions de francs, soit près de 2,5 milliards de francs pour le restant de l'année 1999. En fait, ces premières estimations étaient fondées sur des effectifs français de près de 7 000 personnes au maximum au début de l'été. Ceux-ci ayant été réduits, le Secrétariat général pour l'administration a évalué les surcoûts du déploiement de la KFOR à environ 1,5 milliard de francs du 11 juin au 31 décembre de cette année.
En raison de sa participation, c'est évidemment l'armée de Terre qui est la plus concernée (pour 800 millions de francs). Mais le recomplètement des stocks de munitions a induit pour l'armée de l'Air des surcoûts d'environ 425 millions de francs.
SURCOÛTS PAR ARMÉE ET PAR PHASE LORS DU CONFLIT DU KOSOVO
(au titre de l'exercice 1999)
(en millions de francs) | |||||
I - Montée en puissance |
Terre |
Air |
Marine |
Autres services |
Total |
RCS |
59,87 |
19,06 |
43,62 |
2,27 |
124,82 |
Alimentation |
4,63 |
0,89 |
1,55 |
0,03 |
7,10 |
Fonctionnement |
3,75 |
4,29 |
0,78 |
6,1 |
14,92 |
Transport |
5,11 |
1,1 |
4,98 |
- |
11,19 |
Carburants |
1,02 |
2,96 |
5,94 |
- |
9,92 |
Entretien programmé des matériels |
0,56 |
1,72 |
3,16 |
0,19 |
5,63 |
Sous-total Titre III |
74,94 |
30,02 |
60,03 |
8,59 |
173,58 |
Fabrications |
27,6 |
9,99 |
- |
2,81 |
26,64 |
Munitions |
- |
22,68 |
- |
- |
22,68 |
Entretien programmé des matériels |
- |
2,64 |
11,84 |
- |
14,48 |
Infrastructures |
- |
- |
- |
- |
- |
Sous-total Titre V |
27,60 |
35,31 |
11,84 |
2,81 |
77,56 |
Total |
102,54 |
65,33 |
71,87 |
11,4 |
251,14 |
II - Opération Trident |
Terre |
Air |
Marine |
Autres services |
Total |
RCS |
129,8 |
26,57 |
137,23 |
4,14 |
297,74 |
Alimentation |
8,59 |
2,87 |
1,53 |
0,05 |
13,04 |
Fonctionnement |
1,87 |
27,71 |
6,3 |
7,45 |
43,33 |
Transport |
4,36 |
4,11 |
1,22 |
0,04 |
9,73 |
Carburants |
1,65 |
7,82 |
8,2 |
0,10 |
17,77 |
Entretien programmé des matériels |
- |
9,25 |
96,81 |
0,26 |
106,32 |
Sous-total Titre III |
146,27 |
78,33 |
251,29 |
12,03 |
487,92 |
Fabrications |
13,38 |
101 |
43,1 |
10,08 |
167,56 |
Munitions |
- |
298,37 |
81,41 |
- |
379,78 |
Entretien programmé des matériels |
- |
15,15 |
- |
- |
15,15 |
Infrastructures |
- |
- |
- |
- |
- |
Sous-total Titre V |
13,38 |
414,52 |
124,51 |
10,08 |
562,49 |
Total |
159,65 |
492,85 |
375,8 |
22,11 |
1 050,41 |
TOTAL I et II |
262,19 |
558,18 |
447,67 |
33,51 |
1 301,55 |
III - Kosovo Force |
Terre |
Air |
Marine |
Autres services |
Total |
RCS |
497,51 |
27,20 |
0,00 |
35,47 |
560,18 |
Alimentation |
33,89 |
0,00 |
0,21 |
1,34 |
35,44 |
Fonctionnement |
61,14 |
0,00 |
19,42 |
33,77 |
114,33 |
Transport |
11,67 |
11,20 |
0,00 |
1,26 |
24,13 |
Carburants |
8,46 |
0,25 |
0,00 |
0,00 |
8,71 |
EPM |
6,44 |
0,38 |
0,00 |
0,00 |
6,82 |
Sous-total Titre III |
619,11 |
39,03 |
19,63 |
71,84 |
749,61 |
EPM |
37 |
28,47 |
93,41 |
158,88 | |
Fabrications |
81,75 |
0,00 |
11,53 |
93,28 | |
Munitions |
10,00 |
424,58 |
434,58 | ||
Infrastructures |
51,74 |
51,74 | |||
Sous-total Titre V |
180,49 |
453,05 |
93,41 |
11,53 |
738,48 |
Total |
799,60 |
492,08 |
113,04 |
83,37 |
1 488,09 |
SURCOÛTS LIÉS À L'OPÉRATION « TRIDENT HUMANITAIRE »
ALBANIE ET MACÉDOINE
Terre |
Air |
Marine |
Autres services |
Total | |
RCS |
21,82 |
11,41 |
0,61 |
0,76 |
34,60 |
Alimentation |
6,62 |
0,51 |
0,04 |
7,17 | |
Fonctionnement |
0,24 |
1,54 |
1,31 |
3,08 | |
Transport |
4,27 |
0,02 |
4,30 | ||
Carburants |
0,60 |
0,70 |
0,00 |
1,31 | |
EPM |
2,31 |
2,31 | |||
Sous-total Titre III |
29,28 |
20,74 |
0,61 |
2,13 |
52,77 |
EPM/MCO |
0,01 |
3,39 |
3,40 | ||
Fabrications |
5,03 |
1,99 |
7,02 | ||
Munitions |
0,00 | ||||
Infrastructures |
0,01 |
0,01 | |||
Sous-total Titre V |
5,05 |
3,39 |
0,00 |
1,99 |
10,43 |
Total |
34,33 |
24,13 |
0,61 |
4,12 |
63,19 |
Source : Direction des services financiers du ministère de la défense |
2. Les conséquences sur le budget des armées
Les chiffres mentionnés précédemment sont considérables. Ils invitent à la plus grande vigilance quant à leur mode de financement et à leur incidence sur le budget des armées.
a) L'analyse des différentes catégories de dépenses
Plusieurs catégories de remarques méritent d'être formulées :
- la part des rémunérations versées aux personnels en opération et des dépenses d'alimentation liées directement à leur présence atteint le tiers des surcoûts constatés. La réforme de l'indemnité de sujétion pour service à l'étranger (ISSE), qui est égale à 1,5 fois le montant de la solde de base, et des suppléments à caractère familial permet à un militaire de percevoir en opération à l'étranger une rémunération quasi double de celle qu'il toucherait en métropole.
La Commission des finances de notre Assemblée a estimé que le surcoût mensuel des rémunérations applicable aux opérations extérieures s'élevait à 15 000 francs par homme. Cette évaluation doit être revue à la hausse pour l'armée de l'Air en raison de modes de calcul un peu différents et de la structure plus importante en personnels d'encadrement.
L'application de l'ISSE a d'ailleurs été étendue à la Marine par le décret n °97-901 du 1er octobre 1997 alors que les personnels embarqués disposaient auparavant d'un régime de primes d'embarquement. Cette extension a permis une homogénéité des modes de calcul, toutes les armées suivant le même régime, mais elle a pour conséquence d'alourdir le coût d'intervention du groupe aéronaval.
L'application des règles de l'ISSE manque peut-être quelquefois de cohérence, voire d'équité. Ainsi, à titre d'exemple, l'ISSE a bénéficié aux pilotes basés à Istrana ou à Grosseto en Italie mais pas à ceux demeurés à Solenzara, en Corse, qui effectuaient pourtant des missions comparables. De même, l'obligation minimale de présence de quatorze jours sur le théâtre d'opérations, qui constitue le facteur déclenchant de l'ISSE, n'a pas bénéficié au personnel embarqué sur le TCD Foudre qui effectuait des rotations entre Toulon et Thessalonique. Leurs missions étaient certes moins dangereuses que celles des personnels du groupe aéronaval ;
- les dépenses de fonctionnement courant des unités sont restées mesurées, même celles qui concernent les carburants et les combustibles, car les consommations sont calculées par rapport à un dépassement de potentiels, c'est-à-dire au-delà de l'activité normalement programmée ;
- peu de matériels ayant été détruits ou perdus, les surcoûts liés aux équipements concernent les programmes d'adaptation, les munitions et l'entretien programmé.
Les dépenses d'entretien programmé prennent en compte la suractivité des équipements par rapport à la situation normale d'entraînement et l'usure qui en découle par rapport aux normes habituellement requises. Si cette suractivité n'est pas compensée durant le restant de l'année, il en découle un surcoût.
La consommation de munitions pendant la campagne aérienne aura coûté près de 384 millions de francs, ce qui révèle l'intensité des missions. Pour l'armée de l'Air, l'utilisation des munitions a représenté près de 170 millions de francs, le reste des surcoûts, environ 125 millions de francs, étant lié à la baisse de potentiel des missiles qui étaient emportés, mais qui n'ont pas été tirés (Super 530 D et Magic II). La remise à niveau des stocks de munitions a fait l'objet de commandes. Les bombes guidées laser de 1000 kg seront remplacées par des bombes GBU 24 ou GBU 24 P. En fait, il semble que les armées aient décidé d'élever le niveau des stocks à un échelon supérieur, comme en témoigne une première tranche de commandes pour un montant de 812 millions de francs.
b) Le financement des surcoûts sur l'exercice en cours
Le financement des dépenses occasionnées par le conflit du Kosovo a fait l'objet d'une triple exception dans la mesure où :
- le décret d'avances du 2 septembre dernier a satisfait toutes les demandes concernant le titre III, le Gouvernement tenant à afficher qu'il n'y a aucune difficulté pour le financement de l'opération. Des demandes ont également été faites pour le titre V mais, comme d'habitude, elle n'ont pas été prises en compte. Le décret s'est fondé sur les données disponibles en juin et a été négocié pendant deux mois (juillet et août). C'est pourquoi, la situation ayant changé (arrêt des frappes aériennes et mise en place de la KFOR notamment), il n'est pas impossible que les sommes demandées excèdent les besoins réels ;
- un décret de virement du 29 novembre dernier a permis de redistribuer 907 millions de francs de dotations disponibles à l'intérieur des crédits votés pour ajuster les dépenses, dont 775 millions de francs de crédits de personnels non consommés ;
- le collectif de fin d'année devrait résoudre les difficultés de financement qui apparaîtront en fin d'exercice et régler ainsi le redéploiement à l'intérieur des dotations de fonctionnement.
Il y a cependant un paradoxe pour le ministère de la Défense car l'abondement du titre III sera opéré comme toujours à partir du titre V (il ne faut pas oublier que le décret d'avances est équilibré en recettes et en dépenses). De plus, le ministère ne pourra pas affecter les sommes sur les articles comme il le souhaite. Il y a une réelle difficulté à vouloir à la fois préserver les dotations en capital, compte tenu de leurs conséquences sur les industries d'armement, et sauvegarder les dotations de fonctionnement car les RCS liées aux opérations extérieures sont aussi garantes du maintien du moral des forces armées.
La revue du titre III opérée au début de l'année 1999, à l'image de la revue des programmes de 1998, a permis de dégager des économies sur les dépenses de fonctionnement. Des pistes nouvelles sont apparues. Les armées envisagent par exemple, ce qui paraissait impossible il y a quelques années, de « dépyramider » certains emplois. Mais, même si le Premier ministre a évoqué, lors de son discours devant l'IHEDN en octobre dernier, la possibilité de « réfléchir à la pertinence du modèle » d'armées, le Ministre, quant à lui, envisage plutôt « d'optimiser » le modèle retenu par la programmation actuelle.
c) Vers une méthode de prévision des surcoûts
_ L'analyse des surcoûts constatés lors de précédentes opérations extérieures, en particulier en Bosnie-Herzégovine où les conditions de déploiement des forces étaient similaires à celles du conflit au Kosovo, ont permis dans un premier temps à votre rapporteur d'évaluer de manière autonome les dépenses occasionnées par le conflit en cours des mois de mai et de juin.
Pour près de 6 000 hommes présents mi-mai (soit 500 pour l'armée de l'Air, 2 500 pour la Marine et 3 000 pour l'armée de Terre), il a pu établir un surcoût mensuel de 90 millions de francs pour les rémunérations et 5 millions de francs pour l'alimentation. De même, une relation arithmétique liant les effectifs et les frais de transport et de carburants permet d'évaluer ces postes à une quinzaine de millions de francs (en 1998, 1 300 millions de francs de RCS pour 200 millions de francs de transports et de carburants). Les surcoûts concernant le fonctionnement et l'entretien programmé des matériels (EPM) sont plus difficiles à estimer, car ils dépendent de la nature des missions exécutées. Dans le cas de l'intervention aérienne, les surcoûts imputables à l'armée de Terre sont très faibles, puisque les forces sont restées statiques. Par contre, les frappes aériennes ont représenté plusieurs dizaines de millions de francs supplémentaires pour l'armée de l'Air et la Marine, les dépenses d'EPM du groupe aéronaval pouvant atteindre 10 millions de francs par semaine. Pour les services communs, dont la participation est importante (Santé, Essences) et pour la Gendarmerie, toujours par comparaison avec les autres opérations, les surcoûts pourraient atteindre 10 millions de francs, dont la majeure partie en fonctionnement. Au total, les dépenses de fonctionnement pourraient être estimées à 170 millions de francs par mois selon le tableau ci-après.
Au titre V, l'essentiel des surcoûts concerne des munitions engagées et des fabrications consommées directement lors des frappes aériennes. Il a été possible de déterminer les dépenses sur la base du nombre de bombes délivrées par les forces armées françaises. Sur un millier de missions aériennes assurées par la France, les munitions pourraient représenter de 90 à 120 millions de francs par mois, dont les trois quarts pour l'armée de l'Air et le reste pour la Marine. Pour les services communs (Santé, Essences) et la Gendarmerie, toujours par comparaison avec les autres opérations, les surcoûts pourraient atteindre 10 millions de francs. Enfin, quelques dizaines de millions de francs doivent être prévus pour le poste des fabrications qui regroupe l'acquisition de matériels supplémentaires et autant pour les infrastructures de théâtre.
ESTIMATION DES SURCOÛTS D'UNE OPÉRATION EXTÉRIEURE (en millions de francs) | |||||
Catégorie |
Armée |
Armée |
Marine |
Autres armes |
Total |
TITRE III |
|||||
RCS |
10 |
45 |
35 |
2 |
90 |
Alimentation |
- |
- |
- |
- |
5 |
Fonctionnement |
- |
- |
- |
8 |
- |
EPM |
10 |
- |
40 |
- |
50 |
Carburants |
- |
- |
- |
- |
15 |
Transports |
- |
- |
- |
- |
- |
Sous-total |
20 |
45 |
75 |
10 |
170 |
TITRE V |
- |
||||
Fabrications |
50 |
- |
10 |
60 | |
Munitions |
67,5 à 90 |
- |
22,5 à 30 |
- |
90 à 120 |
EPM |
- |
- |
- |
- | |
Infrastructures |
- |
- |
- |
10 | |
Sous-total |
117,5 à 140 |
- |
22,5 à 30 |
10 |
160 à 190 |
Total par mois |
330 à 360 |
_ La précision des données fournies par les états-majors permet à la Direction des services financiers d'établir des critères et des ratios pour tout engagement, l'essentiel des dépenses dépendant de manière presque mécanique des effectifs engagés.
Les estimations fournies par le ministère de la Défense ont évolué dans le temps en fonction de l'intensité des opérations militaires : de 150 millions de francs par mois début avril à 250 millions de francs par mois mi-avril, l'estimation des surcoûts a atteint entre 300 et 350 millions de francs par mois en mai, puis de 350 à 400 millions de francs en juin. Cette croissance est évidemment liée à la montée en puissance des moyens engagés.
L'une des hypothèses envisagées consisterait à prévoir en loi de finances initiale une ligne consacrée aux opérations extérieures. La direction du Budget est réticente à accorder un « socle » pour les RCS liées à ces opérations dès la loi de finances initiale. Pourtant cette solution a la faveur du SGA qui dispose de bons moyens d'évaluation des surcoûts par armée et par type de dépenses et qui fournit d'ailleurs chaque mois au Ministre un état détaillé des dépenses réellement effectuées et des prévisions de dépenses pour la période en cours.
Le débat sera relancé à l'occasion de la préparation de la loi de programmation militaire car la tendance actuelle est de vouloir programmer, non seulement les titres V et VI et les effectifs, mais également les dépenses de fonctionnement courant hors RCS.
De même, la direction du Budget souhaite que les surcoûts liés au fonctionnement hors RCS soient financés par redistribution au sein des dotations du titre III. S'il est possible pour les armées de financer en trésorerie les surcoûts en début d'exercice, ce n'est plus le cas par la suite, ce qui explique que les entraînements soient quelquefois arrêtés en fin d'année faute de disponibilités. C'est pourquoi, programmer les dépenses de fonctionnement comporte un risque réel si on considère que toute mesure nouvelle comme toute hausse de dépenses non prévue initialement (par exemple, les revalorisations indemnitaires) doivent néanmoins être financées dans l'enveloppe prévue. Une question analogue concerne le fonds de professionnalisation (dont on ne sait pas s'il sera reconduit pour consolider les actions déjà menées) ou le fonds d'adaptation industrielle (FAI) pour la DCN et le CEA.
D. LA PROFESSIONNALISATION DES ARMÉES
Tant les opérations aériennes de l'Alliance atlantique que le déploiement de la KFOR ont confirmé la pertinence de la professionnalisation des armées françaises.
La participation de la France à la guerre du Golfe avait montré les limites du modèle d'armée mixte face à la projection des forces militaires et à leur engagement hors du territoire de la République. La loi de programmation militaire 1997-2002 a intégré la décision du Président de la République en février 1996 et a, pour la première fois, pris acte de la disparition progressive du service national et planifié l'évolution des effectifs civils et militaires de la défense.
Bien que le processus de professionnalisation des armées ne soit pas achevé et que quelques difficultés soient apparues dans la déflation des appelés, le nouveau modèle d'armée, au cours de la quatrième annuité de transition, a parfaitement répondu aux impératifs de l'engagement sur le terrain.
Plusieurs aspects méritent d'être abordés. Si le déploiement des unités durant les différentes phases des opérations s'est opéré dans de bonnes conditions, deux points méritent une attention particulière, d'une part, l'intégration des personnels français dans une structure multinationale, d'autre part, la question des relèves.
Conséquence de la professionnalisation des armées, la capacité de projection des unités françaises s'est accrue depuis quatre ans comme le souligne la réactivité dans la mobilisation et le déploiement des effectifs opérationnels.
a) Au cours de la phase des frappes aériennes
Contrairement à ce qui s'était passé lors de la guerre du Golfe et pour éviter les difficultés qui étaient alors apparues du fait des limitations imposées à l'emploi des appelés, la projection des forces françaises s'est effectuée à partir d'unités entièrement professionnalisées, dans l'armée de l'Air comme dans la Marine. Les appelés n'ont pas tenu de rôle opérationnel sur le terrain mais leur présence est restée indispensable dans l'actuelle phase transitoire de la professionnalisation, premièrement parce qu'ils participent aux unités de soutien des armées, ensuite parce qu'ils assurent encore certains rôles essentiels.
Le déploiement du groupe aéronaval en Adriatique, qui a concerné près de 2 700 personnels embarqués, n'a pas posé de problème particulier. Les unités navales chargées des interventions extérieures ont bénéficié en priorité des mesures de professionnalisation. Les appelés qui étaient embarqués ont été remplacés par des personnels d'active, dont 200 engagés sur contrat court qui opèrent notamment sur le pont d'envol du porte-avions. Seules quelques dizaines de militaires du contingent ont été remplacées avant le début de l'engagement. Le préavis de disponibilité opérationnelle a été d'autant plus facile à satisfaire que le porte-avions Foch se trouvait déjà dans l'Adriatique depuis deux mois.
Les unités de l'armée de l'Air déployées en Italie étaient entièrement professionnalisées. Elles ont bénéficié de la présence de bases mises à la disposition de l'Alliance par l'Italie. Les armées du pays d'accueil ont ainsi fourni l'essentiel du personnel de soutien et de sécurité contrairement à la situation dans le Golfe où l'armée de l'Air avait mis en _uvre des bases aériennes de manière autonome. Sur la base d'Istrana, les forces françaises ont compté jusqu'à 980 hommes dont 121 militaires techniciens de l'air (MTA), militaires du rang engagés sur contrat court de quatre ans.
b) La spécificité de l'armée de Terre
Les unités déployées en Macédoine et en Albanie puis au Kosovo préfigurent les forces terrestres qui seront projetées au terme de la phase de transition. Caractérisées par une entière professionnalisation des personnels militaires, elles ont mis en _uvre deux principes élaborés par l'état-major, la modularité et la disponibilité immédiate.
L'armée de Terre a eu la responsabilité d'encadrer d'autres contingents dans le cadre :
- de la force d'extraction basée en Macédoine, la France ayant été désignée comme nation pilote. L'état-major a ainsi employé les procédures opérationnelles et administratives de l'Alliance atlantique ;
- puis de la KFOR, puisque le secteur confié à la brigade multinationale Nord sous responsabilité française comprend des contingents de cinq pays (deux de l'Alliance, Belgique et Danemark, et trois autres pays, Russie, Emirats arabes unis et Maroc).
c) Un faible recours aux réserves
Les opérations aériennes et terrestres ont fait peu appel jusqu'à présent aux réservistes, en raison, d'une part, du faible éloignement du théâtre d'opérations, d'autre part, de la relative brièveté de la première phase. Les trois armées ont eu seulement recours à des spécialistes, en particulier pour des missions ponctuelles liées aux actions civilo-militaires pour certains postes d'état-major exigeant des compétences particulières ou pour faciliter la continuité du service sur les bases de métropole. Les principes d'emploi opérationnel des réserves n'ont donc pas pu être expérimentés.
Un plus grand éloignement du théâtre ainsi que la prolongation des opérations pourrait modifier cet état de fait et inciter à un recours plus important aux réserves afin d'assurer la continuité du service, notamment en ce qui concerne les spécialistes d'état-major, les personnels médicaux et les équipages de transport.
Il est à signaler que la délégation de la mission qui s'est rendue au Kosovo a rencontré des réservistes suivant deux régimes distincts, d'une part des ORSA (officiers de réserve en situation d'activité), d'autre part, des réservistes du régime issu de la nouvelle politique des réserves. Il est d'ailleurs apparu que les nouvelles dispositions paraissent mieux adaptées à des durées d'emploi réduites. Il y a un risque qu'elles n'arrivent à séduire que des jeunes retraités ou des membres de professions libérales et qu'elles se limitent à des spécialistes bénéficiant de ressources personnelles et pouvant attendre plusieurs mois les rémunérations versées par le ministère de la Défense.
2. Les qualités des personnels
En ce qui concerne l'intégration des personnels dans une coalition, certaines difficultés sont apparues mais elles ont été résolues dans le temps.
La plus importante des difficultés provient de la position particulière de la France qui ne facilite pas l'association des unités françaises à une force multinationale. D'une part, l'attribution des postes de commandement dans une opération OTAN privilégie les pays intégrés dans la structure militaire qui se partagent la majorité des postes, seule une partie étant répartie entre tous les membres selon un principe officiel de répartition. Les militaires français se voient donc souvent accorder des postes d'adjoints sans véritable valeur opérationnelle. D'autre part, les personnels de notre pays, qui ont participé à la structure militaire pendant l'opération, ont dû s'insérer dans un dispositif constitué de longue date et qui a éprouvé « naturellement » des réticences à céder une partie de sa place à de nouveaux venus.
Les opérations ont souligné les qualités des personnels engagés et leur aptitude à travailler au sein d'une coalition multinationale. Ces qualités résultent à la fois de leur formation, de leur entraînement et de la participation aux exercices internationaux, qui permettent de tester les dispositifs et de familiariser les personnels avec les procédures, notamment celles de l'OTAN, et par lesquels s'acquièrent les réflexes nécessaires. Elles reposent aussi sur l'expérience des opérations sur le théâtre yougoslave depuis plusieurs années et sur la professionnalisation des forces. Ainsi, depuis 1995, une vingtaine d'officiers français exercent des fonctions importantes au sein du CAOC de Vicence qui supervise l'ensemble des opérations dans les Balkans.
C'est pourquoi la préparation des structures de commandement suppose d'être constamment améliorée tant sur le plan linguistique (l'anglais étant la seule langue de travail) que pour l'instruction des personnels devant s'intégrer aux structures de l'OTAN.
3. Les interrogations sur la question des relèves
La question de la relève des unités engagées se pose différemment selon les armées. Alors que la phase des frappes aériennes n'a pas soulevé directement la question de la conduite des opérations dans la durée, le problème reste entier dans le cadre d'une intervention de long terme et il se posera directement à l'armée de Terre.
La relève au sein de la Marine intéresse non seulement les équipages embarqués, les contraintes sur les hommes concernant de manière prioritaire les équipages d'aéronefs et les équipes techniques qui les mettent en _uvre, mais également les navires.
La décision de retirer le porte-avions Foch a été prise fin mai, alors que son potentiel aurait permis de prolonger l'activité jusqu'au 15 juillet, autant pour assurer la nécessaire relève des équipages embarqués que pour des facteurs techniques, liés en l'occurrence à la révision des catapultes après plusieurs mois d'intenses sollicitations. Mais elle visait surtout à garantir un retour sur zone début août afin d'assurer un appui indispensable à l'opération terrestre alors envisagée, ce qui correspondait à une application du principe de prudence opérationnelle. Le redéploiement du groupe aéronaval a été rendu inutile en raison de l'évolution de la situation, mais le porte-avions est quand même reparti sur zone en août.
_ L'objectif fixé par la loi de programmation militaire pour l'armée de Terre vise la capacité de projeter 30 000 hommes sur un théâtre, soit 2 à 3 divisions, pour une durée maximale d'un an incluant des relèves, la possibilité étant maintenue d'un engagement de 5 000 hommes (avec relève) simultanément sur un autre théâtre d'opérations. En cas de crise grave, il pourrait être fait appel à une force de 50 000 à 60 000 hommes sans aucune possibilité de relève pour une durée n'excédant pas un an.
Actuellement l'armée de Terre dispose d'une capacité opérationnelle double de celle qu'elle avait en 1991 (12 000 hommes contre 6 000 alors), soit l'équivalent d'une division de l'OTAN. Cette capacité sera portée à 17 500 hommes à la fin de la période de transition.
Compte tenu de ses multiples engagements permanents (8 500 hommes déployés dans les forces de souveraineté et de présence) et des contributions en Bosnie dans le cadre de la SFOR (près de 3 000 hommes à la fin de cette année) et en Albanie (environ un millier d'hommes), l'armée de Terre ne peut déployer que 8 000 hommes pour une autre opération majeure. En raison de diverses autres opérations en cours, c'est bien un chiffre maximum de 7 000 hommes qui a été avancé pour la participation de la France dans la KFOR.
A ce stade de la professionnalisation, l'armée de Terre paraît donc aux limites de ses capacités de projection. Le problème de la relève tous les quatre mois pour les unités opérationnelles ou tous les six mois pour les personnels d'état-major se posera si l'engagement se poursuit sur le long terme. La brigade déployée en Macédoine a été relevée au cours des mois d'avril et de mai 1999. Les forces rentrées au Kosovo en juin ont été relevées en octobre ou en novembre.
Comme l'a indiqué le Ministre de la défense, M. Alain Richard, devant la Commission de la Défense, une seconde opération extérieure faisant intervenir autant de personnels militaires qu'au Kosovo ne serait possible qu'à plusieurs conditions. Il faudrait tout d'abord qu'elle ait lieu dans un cadre interarmées pour éviter que l'armée de Terre en supporte seule le poids. Sa durée devrait être limitée à un an avec des relèves de personnels opérationnels tous les quatre mois. Elle nécessiterait également d'alléger les dispositifs dans les DOM-TOM et dans les forces prépositionnées.
En fait, les difficultés ne viennent pas de la professionnalisation mais du nombre d'opérations extérieures. Le problème de fond porte sur le contrat opérationnel des armées. La question peut être posée : « où doivent-elle intervenir ? ». C'est pourquoi, dans les travaux préparatoires de la prochaine loi de programmation militaire que le ministère de la Défense va lancer à la suite du discours du Premier ministre à l'IHEDN, il conviendra de réactualiser les analyses du Livre blanc de 1994.
E. CONCLUSION : LA PRÉPARATION DE L'AVENIR
1. Les domaines prioritaires d'acquisition des futurs équipements
Les équipements en service dans les armées sont apparus efficaces, même si les conditions d'emploi différaient de leurs spécifications techniques et n'étaient pas toujours celles pour lesquelles ils étaient optimisés. Les problèmes techniques rencontrés ont concerné plus particulièrement l'absence d'une capacité de tir tous temps et l'absence de haute précision dans le guidage des munitions. Les adaptations nécessaires, inévitables quel que soit l'engagement, ont été effectuées grâce à une bonne collaboration entre les industriels et les états-majors.
Si le comportement des équipements a justifié les choix antérieurs et validé les programmes en cours, il apparaît nécessaire de disposer d'armements complémentaires sur le plan des performances et des conditions d'utilisation mais aussi en termes de coûts. La question essentielle n'est pas de savoir s'il faut ou non réorienter les programmes d'équipement des armées. Il s'agit plutôt de réexaminer les priorités en accélérant le calendrier de programmes essentiels.
La mission n'avait ni les moyens ni le temps d'étudier avec précision les programmes d'équipement à modifier. La préparation de la prochaine loi de programmation militaire, dès 2001, devrait fournir l'occasion d'une telle étude et justifier la création d'une nouvelle mission d'information.
D'ores et déjà, grâce à l'analyse des enseignements militaires du conflit, des ajustements pourraient être opérés. Plusieurs exemples peuvent être relevés :
- l'armement guidé laser est précis mais cher et ne peut être mis en _uvre que par de bonnes conditions météorologiques. Au contraire, les bombes non guidées manquent de précision mais sont peu onéreuses et peuvent être larguées quel que soit le temps. L'armement air-sol modulaire est certes coûteux mais il fonctionne en emport multiple, un même avion pouvant détruire plusieurs cibles au cours d'un seul tir, et il est sécurisant puisque les portées dépassent 15 kilomètres pour un tir à basse altitude et 50 kilomètres pour à un tir à 12 000 mètres.
La nécessité de disposer d'armements précis et utilisables quel que soit le temps confirme l'intérêt du programme d'armement air-sol modulaire AASM. Selon la loi de programmation militaire, les unités françaises devraient être dotées de ce type d'armement à partir de 2004 ;
- l'absence de capacité pour supprimer la capacité de défense sol-air adverse mérite d'être corrigée. Les Etats-Unis étaient le seul allié à déployer des brouilleurs spécifiques et des missiles antiradar. Se posent donc deux questions de l'acquisition de tels missiles pour détruire le potentiel de menaces que les radars adverses représentent et du développement d'un système capable de localiser et de neutraliser ces radars, même lorsqu'ils n'émettent plus.
De même, une réflexion mérite de s'engager sur plusieurs points :
- s'il apparaît nécessaire d'adapter les armements utilisés au système de navigation par satellite afin d'améliorer la précision des frappes, il ne doit pas être perdu de vue que le système de navigation des aéronefs repose sur le GPS (Global positionning system) et est donc entièrement sous contrôle américain. Le retard dans l'adaptation des missiles air-sol modulaires SCALP s'explique à la fois par le coût des récepteurs GPS et les restrictions d'accès imposées par les Américains ;
- les systèmes de double identification des aéronefs n'équipent pas les avions de combat européens, souvent très différents. La réponse réside sans doute dans l'association d'une identification par rayonnements infrarouges des moteurs (le Rafale en sera équipé) ;
- l'équipement des hélicoptères pour contrer la menace des missiles sol-air à courte portée mérite également d'être étudié.
Ceci dit, il ne faudrait pas généraliser avec trop de hâte les caractéristiques du conflit du Kosovo. Les calendriers d'équipement des armées traduisent les choix des chefs d'état-major qui souhaitent disposer de matériels adaptés pour faire face à des situations opérationnelles diverses. Ainsi, les capacités adverses de défense aérienne ont conditionné pour beaucoup le mode d'intervention des appareils. Mais, dans l'hypothèse d'un appui aérien à une offensive terrestre, les avions français auraient volé à plus basse altitude et à une vitesse plus élevée, ce qui aurait validé leurs caractéristiques actuelles.
2. Vers une Europe de la Défense
Le conflit du Kosovo a été l'occasion de mesurer le décalage existant entre l'émergence d'une Europe politique et les insuffisances militaires. Il est difficile pour l'Europe de faire prévaloir son point de vue dans la mesure où elle n'a pas encore les moyens de sa politique. La nécessité se fait donc sentir du renforcement de cette existence militaire et d'un rééquilibrage au sein de l'Alliance.
A ce titre, deux questions clés sont fréquemment abordées mais jamais résolues, portant, l'une sur l'effort budgétaire, l'autre sur la nécessité de combler le fossé technologique entre l'Europe et les Etats-Unis.
Il est impératif d'éviter que le retard technologique se creuse entre forces européennes et américaines, d'autant plus que ce retard se double souvent d'une différence quantitative. Dans tous les cas répertoriés, les améliorations possibles ne pourront réellement aboutir que si elles reposent sur des initiatives européennes concertées. Mais il est également nécessaire de s'interroger pour savoir si la supériorité technologique, qui constitue un atout lors des opérations aériennes préalables, doit devenir un moyen systématique de règlement des conflits, surtout face à un adversaire qui dispose d'outils rustiques mais performants. Tant que l'Europe n'aura pas les moyens de mener ce type de conflits qui résultent de l'échec des médiations diplomatiques, elle restera dépendante des Etats-Unis.
La question budgétaire semble en fait mal posée. En l'occurrence, il s'agit moins de dépenser plus que de dépenser mieux. Il est concevable d'améliorer l'effort de défense européen à enveloppes budgétaires constantes pour en accroître l'efficacité. En effet, plusieurs solutions complémentaires sont envisageables : la rationalisation des méthodes et des acquisitions, l'adaptation des appareils militaires, le développement de l'interopérabilité. Pour cela, à court terme, les pays européens pourraient faire un état des lieux des redondances et des manques, harmoniser les spécifications opérationnelles des matériels en développement en mettant davantage l'accent sur une obligation de résultats, voire mettre en place un véritable programme d'équipement commun. Par ailleurs, le développement des missions multinationales supposera à l'avenir l'amélioration des dispositifs communs de chaînes de renseignement, de préparation des missions et de commandement.
L'amélioration de l'effort militaire ne pourra cependant pas se réaliser sans une harmonie des efforts budgétaires dans les pays européens. Or on constate un décalage entre le débat sur les critères de convergence et la réalité. Aucun pays n'annonce un renforcement de cet effort financier. Au contraire, les récentes décisions allemande, hollandaise et italienne semblent dans la continuité de la décélération du budget militaire de ces pays depuis le début des années quatre-vingt-dix. La contradiction est encore plus forte si on veut bien considérer que les pays européens qui ne disposent pas d'une industrie d'armement s'enclenchent dans une dynamique peu européenne. Leur intérêt de court terme est d'avoir accès à des équipements au prix le plus faible : ils militent donc pour l'acquisition de matériels américains moins coûteux et plus standardisés.
Si, dans certains cas, la décélération des budgets de défense peut s'expliquer, elle risque de contredire quelque peu la volonté de mettre en place une Europe de la défense et d'atteindre l'objectif ambitieux d'un meilleur cadre d'intervention de l'Europe. De plus, sans réelle coordination des efforts de recherche technologique dans le domaine de défense, aucun renforcement de potentiel européen ne peut être durable.
Depuis la déclaration de Saint-Malo de décembre 1998, les récentes initiatives franco-anglaise et franco-allemande, confirmées par les sommets de Cologne et d'Helsinki, vont bien dans le sens du renforcement croissant de l'Europe de la défense.
Il nous faut réfléchir à une meilleure organisation du cadre dans lequel l'Europe peut être amenée à agir. Il est en effet inimaginable qu'elle agisse en dehors de la légalité internationale, c'est-à-dire des règles définies par la Charte des Nations Unies. L'Europe n'aurait rien à gagner de la perte de crédibilité de l'ONU qui inciterait d'autres pays à se détacher de la légalité internationale.
EXAMEN DU RAPPORT EN COMMISSION
La Commission a procédé à l'examen du rapport de M. François Lamy au cours de sa séance du mercredi 15 décembre 1999.
M. François Lamy s'est attaché à présenter les conclusions de sept mois de travaux de la mission, étayées par 13 auditions, un grand nombre d'entretiens particuliers avec des responsables militaires témoins du déroulement du conflit, des déplacements au siège de l'OTAN à Bruxelles, au quartier général des forces alliées à Mons, en Macédoine et à deux reprises au Kosovo. Il a plus particulièrement évoqué quatre thèmes structurant l'analyse du rapport et a détaché pour chacun d'entre eux, les principales conclusions auxquelles la mission d'information était parvenue.
Précisant que le premier de ces thèmes consistait à se demander si le conflit du Kosovo était inévitable, il a indiqué que, pour répondre à cette interrogation, le rapport tentait d'éclaircir les processus diplomatiques à l'_uvre jusqu'à l'engagement militaire de l'OTAN, le 23 mars 1999. Il a fait valoir que les belligérants avaient bénéficié d'occasions réelles d'aboutir à une solution politique négociée puisque dès 1997, les Ministres allemand et français des Affaires étrangères avaient averti le Président Slobodan Milosevic des conséquences prévisibles de son obstination à ne pas rétablir les droits culturels et civiques de la population kosovare d'origine albanaise, supprimés en 1989.
Soulignant que les Etats-Unis ne s'étaient fortement impliqués dans la recherche d'une solution politique qu'à partir du printemps 1998, lorsque les attentats de l'armée de libération du Kosovo (UCK) et la répression de la police serbe s'intensifiaient, il précisé que l'échec des négociations bilatérales entre le Président yougoslave et Ibrahim Rugova, « Président » clandestinement élu par les Kosovars d'origine albanaise avait conduit les ambassadeurs américains, Richard Holbrooke et Christopher Hill, à présenter aux parties, au cours de plusieurs missions de bons offices, trois projets de statut intérimaire pour le Kosovo. Les membres du Groupe de contact avaient validé le dernier de ces projets en décembre 1998, avant de convoquer les belligérants à la Conférence de Rambouillet.
Le rapporteur a observé que la partie serbe a rejeté le volet militaire des accords, qui ne lui avait été présenté qu'à Rambouillet, alors même qu'il différait peu de celui des accords de Dayton et que les Etats-Unis ainsi que les autres Etats membres du Groupe de contact étaient prêts à l'aménager. Il a souligné que l'intransigeance de Slobodan Milosevic avait ainsi conduit à l'échec du processus diplomatique. Le recours à la force est alors devenu inévitable. En premier lieu, la stabilité de la région, déjà précaire, risquait d'être mise à mal par le réveil des tensions ethniques en Macédoine et en Bosnie. En second lieu, l'émigration de 170 000 réfugiés kosovars et le déplacement de 230 000 personnes à l'intérieur du Kosovo constituaient un motif humanitaire suffisant pour réagir. Enfin, la crédibilité de l'OTAN, qui avait menacé de recourir à la force pour permettre le règlement du conflit en cas d'échec des négociations, était en cause.
M. François Lamy a ensuite présenté le deuxième thème du rapport, relatif aux choix opérationnels retenus. Rappelant que la pertinence du choix stratégique inédit d'une intervention aérienne publiquement présentée dès les premiers jours comme exclusive de tout soutien terrestre avait donné lieu à contestation, il s'est interrogé sur l'appréciation, initialement optimiste, des effets des premières frappes de la part de l'OTAN et de ses pays membres.
Rappelant que l'intervention alliée avait à l'origine pour objectif d'obliger le Président Milosevic à revenir à la table de négociation, il a observé que son but avait ensuite consisté à le forcer à accepter sans conditions le plan euro-américain. Il a estimé que la stratégie avait été retenue en fonction de ces orientations politiques, la pression militaire devant s'intensifier par paliers successifs au cours des phases initialement planifiées.
Le rapporteur a considéré que les dirigeants politiques et certains responsables militaires de l'Alliance, se référant à l'exemple bosniaque de 1995, avaient pu supposer que quelques jours de frappes seraient suffisants, alors que, pour le Président yougoslave, la partie diplomatique n'était qu'un leurre visant à préparer au Kosovo une solution militaire conduisant soit à une partition de la province, soit à son « rééquilibrage ethnique ». Le pari d'une intervention aérienne qui supposait un résultat rapide, tout en permettant de minimiser les pertes et les dommages causés aux populations civiles, a conduit à écarter explicitement par avance toute option terrestre. Convenant que la géographie du Kosovo se prêtait mal à une entrée de forces terrestres dans un environnement « non permissif », il a souligné que les effectifs nécessaires et la probabilité de pertes importantes expliquaient la réticence des gouvernements à envisager cette hypothèse. Il a ajouté que son exclusion d'entrée de jeu avait facilité la tactique de dispersion de l'armée et des forces spéciales serbes, les frappes aériennes ne les empêchant pas, par ailleurs, de mener leur guerre contre l'UCK et les populations civiles albanophones.
Il s'est alors demandé si, dans l'hypothèse où Slobodan Milosevic n'aurait pas cédé au début du mois de juin, il aurait été possible de poursuivre les bombardements pendant des mois supplémentaires sans résultats probants. Il a souligné néanmoins que l'engagement d'une offensive terrestre aurait été perçu comme un changement majeur de stratégie et, à ce titre, aurait fragilisé fortement l'Alliance.
Il a estimé enfin que les opérations aériennes n'avaient été qu'une des causes du succès, auquel avaient également contribué d'importants facteurs extérieurs, tels que l'attitude de la Russie à l'égard de la politique serbe, l'inculpation des principaux dirigeants yougoslaves par le tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie ou encore le soutien au sol apporté par l'UCK. Qualifiant l'opération « Force alliée » de pari stratégique risqué, il a conclu que le mode d'intervention retenu par l'OTAN ne semblait pas constituer un modèle pour le règlement des crises à venir.
Présentant le troisième thème du rapport d'information, M. François Lamy a considéré que le conflit du Kosovo imposait aussi une réflexion dépassant le cadre de la politique militaire pour envisager comment les démocraties modernes peuvent faire face à la guerre et comment, en pareil cas, elles peuvent satisfaire aux exigences de légitimité et de légalité qui les caractérisent. Il a évoqué à cet égard trois domaines où des réformes lui paraissaient nécessaires.
Il a d'abord relevé que les Nations Unies qui, en dehors du cas d'agression par un pays tiers, disposent pourtant seules du pouvoir d'autoriser une intervention armée contre un Etat souverain, n'avaient joué qu'un rôle secondaire dans la gestion de la crise du Kosovo au moment du déclenchement de l'action militaire de l'OTAN. L'absence de mandat du Conseil de sécurité avait soulevé de nombreuses interrogations sur la base juridique de l'intervention. Toutefois, la réintégration de l'ONU, et plus particulièrement du Conseil de sécurité, dans le processus de sortie de crise avait contribué de manière décisive au succès de l'Alliance.
Par ailleurs, alors que son approbation est de nature à renforcer la légitimité de l'usage de la force, le Parlement a seulement été informé des opérations menées dans le cadre du conflit du Kosovo par le Premier ministre et les Ministres de la Défense et des Affaires étrangères à l'occasion de questions écrites et orales, d'auditions en Commission et de deux déclarations du Gouvernement. Le rapporteur a, à ce propos, regretté que le Parlement n'ait pas été en mesure de se prononcer avant l'intervention militaire.
Il a enfin souligné que les démocraties alliées comme l'OTAN étaient soumises à une exigence de transparence bien plus forte que le pouvoir yougoslave. Cette asymétrie était susceptible d'avoir influencé les choix stratégiques de l'Alliance, la gestion des opinions publiques n'étant sans doute pas étrangère au souci d'exposer les forces au minimum de risques et à l'affichage d'une stratégie excluant explicitement toute intervention terrestre.
Le rapporteur s'est alors prononcé en faveur d'une réforme de la composition du Conseil de sécurité de l'ONU, afin de donner plus de légitimité à ses décisions, et d'une modification des modalités d'usage du droit de veto par ses membres permanents dans le but d'éviter sa paralysie. Il a également préconisé une révision de l'article 35 de la Constitution, en vue d'introduire une procédure d'approbation parlementaire des interventions extérieures impliquant les forces françaises.
Abordant le quatrième thème du rapport, M. François Lamy a souligné que le conflit du Kosovo était porteur d'enseignements proprement militaires concernant non seulement les équipements et les systèmes de forces, mais également la professionnalisation des armées et le mode de financement des coûts occasionnés par les opérations extérieures.
Après avoir rappelé que la guerre du Golfe avait révélé des insuffisances notoires dans les équipements et la préparation des forces, il a salué les efforts menés par les armées depuis le début des années 90, tant sur le plan de la professionnalisation des personnels que sur celui de la modernisation de leurs armements. Il a estimé que, sans ces adaptations, les forces n'auraient pas pu accomplir leurs missions dans de bonnes conditions opérationnelles ni permettre à la France de tenir le rang de premier contributeur européen de l'Alliance en matériels et en moyens humains lors de la crise du Kosovo.
Il a toutefois mis l'accent sur le fait que l'intégration plus que satisfaisante des forces françaises dans l'OTAN ne devait pas faire oublier la domination des Etats-Unis à tous les échelons de la chaîne de commandement et au niveau des forces aériennes engagées. Il a estimé à ce propos que le choix de la stratégie aérienne et la volonté d'éviter au maximum les pertes humaines avaient renforcé cette suprématie, les Etats-Unis étant seuls en mesure de mettre en _uvre la plupart des missiles de croisière ou armements de grande précision tout temps à distance de sécurité, tels que les munitions à guidage GPS.
Dressant par ailleurs un bilan positif des équipements utilisés par les unités françaises, notamment du Mirage 2000 D, ainsi que des nouveaux programmes de production de missiles de croisière et d'armements à guidage par satellite et soulignant l'intérêt de la présence du groupe aéronaval sur un théâtre d'opérations, il a néanmoins relevé plusieurs insuffisances dans les systèmes de communication et de commandement ainsi que dans la préparation et la restitution des missions ou le renseignement. Il a également soulevé la question du niveau des stocks d'armement et de la politique d'acquisition des munitions. Après avoir remarqué que la proximité du théâtre avait évité des difficultés en matière de logistique et de transport comme en matière de relève des unités, il s'est prononcé en faveur du programme d'avion de transport futur et d'un achèvement dans les meilleures conditions de la période de transition dans la professionnalisation des armées.
En conclusion, M. François Lamy a qualifié le conflit du Kosovo d'expérience atypique qu'il serait sans doute hâtif de considérer comme le précédent d'une nouvelle forme d'intervention internationale dans le règlement des crises. Il a considéré que l'opération « Force alliée » ne remettait en cause ni la responsabilité primordiale du Conseil de sécurité de l'ONU dans le rétablissement de la paix, ni la dimension terrestre de toute intervention militaire. Il a également souligné que, quels que soient les progrès de la technologie, toute action armée présentait des risques graves, la contrainte de limitation des pertes s'appliquant d'abord aux forces menant l'opération de rétablissement de la paix. Il s'est par ailleurs félicité que, sur le plan institutionnel, l'Europe de la défense commence enfin à prendre corps, après la révélation de ses carences au cours du conflit du Kosovo et a souligné les efforts qui devraient être prochainement consentis par la France en faveur de la projection des forces, du renseignement et des munitions intelligentes, de manière à satisfaire aux besoins manifestés dans la conduite des opérations.
Après avoir souligné la logique de l'architecture du rapport d'information, le Président Paul Quilès a fait valoir que le conflit était devenu inévitable une fois l'échec des négociations de Rambouillet-Kléber constaté. Il a par ailleurs estimé que l'absence d'ambiguïté stratégique due à l'annonce par les Alliés qu'ils ne mèneraient en aucun cas d'offensive terrestre avait permis aux forces yougoslaves de mieux faire face aux frappes aériennes.
S'agissant de la réaction des démocraties face à la guerre, le Président Paul Quilès a considéré que le conflit du Kosovo avait mis en lumière la nécessité d'une réforme de l'ONU, de manière à permettre au Conseil de sécurité de remplir efficacement sa fonction d'instance de légitimité pour les opérations de rétablissement de la paix. Après avoir relevé que la médiatisation extrême des événements avait donné aux images, retransmises notamment par la télévision, un pouvoir de justification de l'intervention, il a estimé que la médiation du Parlement lui aurait conféré une légitimité démocratique incontestable et regretté que la France ne dispose pas de procédure permettant cette médiation, contrairement à la pratique des autres grandes démocraties.
Enfin, il a souligné que le conflit avait servi de révélateur des mécanismes réels de fonctionnement de l'OTAN et du poids prépondérant des Etats-Unis à l'intérieur de cette organisation, ce qui n'était sans doute pas étranger aux décisions prises par les Européens en matière de défense lors du récent sommet d'Helsinki. Il a noté à ce propos que la position de la France en dehors de l'organisation militaire intégrée ne l'avait pas empêchée d'exercer, dans la conduite du conflit, une influence due à l'importance de sa contribution militaire.
M. Arthur Paecht a estimé que le rapport contribuait à faire prendre conscience à l'opinion publique que tout conflit se déroulant sur le continent européen ou à ses portes nous concernait. Il a par ailleurs considéré que l'absence d'autorisation des frappes aériennes par le Conseil de sécurité des Nations Unies avait affaibli leur légitimité, ce qui imposait une réflexion sur l'évolution nécessaire du Conseil de sécurité et en particulier sur sa composition et sur le droit de veto, héritage historique d'une situation dépassée.
Il a insisté sur le fait que, tout autant que l'Alliance atlantique, l'Union européenne aurait à l'avenir besoin de la légitimité que pouvait seul accorder le Conseil de sécurité de l'ONU si elle décidait d'intervenir militairement dans le cadre d'une gestion de crise. Puis, après avoir observé que le fonctionnement de l'OTAN n'avait pas été dépourvu d'efficacité, M. Arthur Paecht a estimé que la prépondérance des Etats-Unis au sein de cette organisation ne serait pas indéfinie. Il a en conséquence souligné la nécessité de la faire évoluer pour permettre à l'Europe d'y jouer un plus grand rôle et pour préciser les conditions de ses éventuelles interventions.
Evoquant ensuite les conséquences du sommet d'Helsinki, M. Arthur Paecht a estimé que la constitution du futur corps d'intervention européen supposait une négociation entre l'Union européenne et l'OTAN. Il lui est apparu essentiel qu'un accord entre les deux organisations permette d'établir entre elles des relations claires et transparentes en vue d'une gestion concertée des crises et d'une politique harmonisée d'équipement.
Revenant sur la situation de quasi-rupture de stock qu'avait connue la France dans le domaine des munitions pendant le conflit, il a souligné les inconvénients, tant au regard de leur disponibilité que de leur adaptation aux besoins européens, de l'achat de ce type d'armement aux Américains, et plaidé pour un accroissement de l'effort budgétaire en faveur des programmes correspondants, récusant la notion de programme majeur ou mineur.
Il a considéré que le terme de guerre qualifiait mieux les opérations menées dans le cadre de la crise du Kosovo que ceux d'intervention extérieure ou de frappes aériennes. A cet égard, il a jugé qu'il n'était pas convenable que le pouvoir exécutif n'ait pas préalablement consulté le Parlement, contrairement à l'obligation morale qu'il avait de le faire.
M. Michel Voisin s'est interrogé sur l'évolution de la nature de l'OTAN qui, de défensive à l'origine, semblait être devenue offensive, cette organisation paraissant s'arroger un droit d'ingérence. Après s'être inquiété des problèmes juridiques posés par une telle évolution, il a interrogé le rapporteur sur les conclusions de la mission de l'OSCE, rappelant qu'elles faisaient état d'une concomitance entre l'intensification des exactions commises par les troupes serbes au Kosovo et le début des frappes aériennes.
M. Robert Poujade a jugé que, sans apporter d'enseignements révolutionnaires, la guerre du Kosovo avait été l'occasion, pour l'opinion publique, de mieux comprendre les nouvelles données stratégiques. Il a également estimé qu'elle devrait inciter à concevoir la défense européenne non seulement en termes techniques, mais également à partir d'une définition claire de ses fins et de ses moyens. Il a, en outre, souligné qu'elle posait la question de la gestion d'une alliance en temps de guerre, évoquant les propos de Foch sur la difficulté de conduire une coalition. Sur le plan pratique, il a fait observer que deux interrogations vitales pour notre politique de défense mais auxquelles il n'était toujours pas répondu de manière satisfaisante, en découlaient : d'une part, le conflit du Kosovo conduit à s'interroger sur les moyens dont la France serait susceptible de manquer en cas d'intervention de longue durée, notamment en matière de munitions ou d'effectifs ; d'autre part, il invite à la réflexion sur les perspectives de projection des forces sur des théâtres lointains et sur les capacités de la France à y faire face.
M. Jean-Claude Sandrier a indiqué que le groupe communiste ne pouvait pas approuver le rapport de la mission d'information sur le conflit du Kosovo, étant donné qu'il concluait au caractère inévitable et à la légitimité de l'intervention de l'OTAN. Il a fait observer sur ce point que la guerre actuellement menée en Tchétchénie par les autorités russes sans que les pays occidentaux interviennent illustrait toute l'ambiguïté d'une politique de sécurité qui s'oriente vers un traitement militaire des crises. Après avoir précisé qu'il ne portait pas de jugement sur cette non-intervention, il s'est interrogé sur les critères en fonction desquels les pays occidentaux décident d'entreprendre des actions militaires pour défendre des valeurs dans certains pays, alors qu'ils y renoncent dans d'autres. Il a estimé que seule une politique de sécurité, de paix et de défense des droits de l'homme intégrant les dimensions politiques, économiques, sociales et culturelles des crises et renforçant les organisations internationales qui ont vocation à les traiter permettrait de prévenir efficacement les conflits.
Revenant au conflit du Kosovo, s'il a jugé incontestable l'écrasante responsabilité de Slobodan Milosevic dans les événements qui se sont déroulés dans cette province, il a cependant considéré qu'elle ne rendait pas nécessaire l'intervention de l'OTAN. Il s'est élevé contre l'affirmation selon laquelle la guerre était inévitable, rappelant que l'ensemble du processus avait été géré hors de l'ONU et, plus encore, dans le cadre de l'OTAN, organisation militaire dominée par les Etats-Unis, ce qui avait compliqué le travail diplomatique. Il a par ailleurs relevé que la Russie avait été exclue de ce processus.
De même, il a mis en doute la légitimité d'une intervention militaire qui s'était déroulée sans mandat de l'ONU et avait été menée par une alliance qui s'était autoproclamée représentante de la communauté internationale.
Il a, en revanche, approuvé l'utilisation du terme de guerre pour qualifier les événements qui s'étaient déroulés au Kosovo, regrettant que le Parlement n'ait pas été consulté, que ce soit en vertu des dispositions de l'article 35 de la Constitution ou sous la forme d'un engagement de responsabilité du Gouvernement, comme lors du conflit du Golfe.
Enfin, jugeant que toutes les conséquences de la guerre du Kosovo n'avaient pas été analysées, il a estimé nécessaire de faire le point sur ce sujet d'ici à un ou deux ans soulignant que, malgré l'intervention de l'OTAN, le conflit bosniaque n'avait toujours pas reçu de véritable solution.
M. Jean-Claude Sandrier a ajouté que le conflit avait montré les lacunes de l'organisation de la sécurité internationale et estimé que, dans le prolongement d'un texte signé aussi bien par le Président Paul Quilès que par lui-même, il fallait travailler à donner à l'ONU les moyens de représenter effectivement la communauté internationale.
S'agissant de la coopération militaire européenne, il a considéré que, autant son développement ne suscitait pas de difficultés pour le groupe communiste, autant la définition d'une politique européenne de sécurité et de défense sur la base de l'expérience du conflit du Kosovo n'apparaissait pas comme la meilleure démarche, les questions qui devaient être abordées devant plutôt porter sur les objectifs politiques, les circonstances et les motifs des interventions, les mandats à donner à la capacité militaire européenne, son degré d'autonomie par rapport aux Etats-Unis et son articulation avec la défense nationale de chacun des pays membres.
Le Président Paul Quilès a estimé qu'il n'était pas si sûr que les orientations du rapport soient en désaccord avec la plupart des positions exposées par M. Jean-Claude Sandrier. Il a d'abord souligné que l'appréciation selon laquelle la guerre avait été inévitable n'avait pas été portée dans l'absolu mais au vu du déroulement et de l'échec du processus de négociation qui l'avait précédée. S'agissant du contournement de l'ONU, il a fait observer que le mode de fonctionnement du Conseil de sécurité n'avait pas permis de résoudre la crise et que les initiatives prises, qu'il s'agisse de la première démarche franco-allemande, puis de celles du Groupe de contact et du G8, avaient d'abord eu pour but, eu égard à ce blocage, dû notamment à la certitude d'un veto russe, d'éviter un règlement par la seule puissance américaine. La question a, en revanche, été posée devant le Conseil de sécurité dès que l'évolution de la position russe l'a permis.
Il a conclu que les modalités de règlement de la crise avaient montré l'inadaptation actuelle du système de sécurité international à la prévention et à la gestion des crises et que celui-ci devait donc être réformé.
Après avoir félicité les membres de la mission et tout particulièrement le rapporteur et le président pour la qualité de leur rapport, M. Guy-Michel Chauveau a mis l'accent sur le fait que la prévention des conflits en Europe passait d'abord par des actions économiques, diplomatiques et culturelles, conduites très en amont du déclenchement des crises. Il s'est ensuite interrogé sur une forme d'absence de l'autorité politique au profit des autorités militaires dans les tout premiers jours du déclenchement de l'action de l'OTAN et sur le défaut d'anticipation à la fin du conflit des difficultés juridiques et des problèmes de sécurité qu'il avait fallu traiter dans l'urgence lors de la mise en place de la KFOR. A ce propos, il a estimé que la future politique européenne de sécurité et de défense devrait à l'avenir comporter une composante civile, notamment en matière de police, les pays européens disposant au Kosovo d'un nombre de formateurs très inférieur à celui qu'alignaient les Etats-Unis.
Le rapporteur a répondu qu'on avait en effet l'impression que, alors que la phase diplomatique avait été conduite aussi loin que possible, de même que la planification militaire, les pays de l'OTAN s'étaient trouvés, au soir de l'échec des négociations devant une sorte de vide et contraints en quelque sorte de déclencher les frappes principalement pour maintenir la crédibilité de leur engagement et de leur détermination.
Rappelant la volonté très claire des autorités serbes de régler le conflit du Kosovo par d'importants déplacements de populations, M. François Lamy a confirmé, en accord avec le rapport de l'OSCE, que les exactions s'étaient effectivement amplifiées dans les premiers jours ayant suivi le début des frappes aériennes alliées, mais qu'on ne pouvait pas pour autant prétendre que l'OTAN en était responsable.
Il a considéré que l'intervention alliée n'avait peut-être pas été strictement légale au regard du droit international, mais qu'elle pouvait être considérée comme légitime sur le plan moral et politique.
M. Robert Poujade a estimé que le conflit du Kosovo avait mis en évidence la limite de nos capacités d'intervention militaire dans la durée et dans l'espace, conséquence directe de la réduction du format de nos armées.
M. François Lamy a considéré que ces limites étaient inhérentes à la période de transition que connaissaient les armées françaises dont les capacités seraient fortement améliorées à partir de 2002. Il a par ailleurs rappelé que le Ministre de la Défense, interrogé sur ce sujet à l'Assemblée nationale lors de la discussion budgétaire, avait indiqué qu'une seconde intervention terrestre d'un volume comparable à celle de la KFOR, bien que difficile à organiser, aurait été techniquement possible.
La Commission de la Défense a alors autorisé la publication du rapport de la mission d'information sur le conflit du Kosovo conformément à l'article 145 du Règlement.
EXPLICATION DE VOTE
DE M. BERNARD BIRSINGER
AU NOM DU GROUPE COMMUNISTE
Les députés communistes votent contre ce rapport car nous demeurons persuadés que la guerre n'était pas la meilleure solution pour empêcher Milosevic de nuire, pour arrêter les exactions et l'épuration ethnique.
Tout d'abord, et c'est la première raison de notre vote, parce que tout n'a pas été fait pour trouver une issue diplomatique à la situation au Kosovo. J'ai tout particulièrement en tête l'annexe B du processus de Rambouillet qui met la République fédérale de Yougoslavie sous tutorat de l'OTAN. Je rappelle qu'il était prévu, entre autres dispositions, le passage sans restriction des personnels de la KFOR avec leurs équipements sur le territoire yougoslave, la fourniture d'un accès sans restriction aux moyens et services requis pour permettre les communications avec l'OTAN, la mise à disposition sans frais des infrastructures publiques requises par l'OTAN, ou encore la possibilité de modifier certaines structures de la RFY.
Contre toute logique, le rapport estime qu'« aucune de ces dispositions ne paraît attentatoire à la souveraineté de la RFY ». Lorsqu'on voit l'étendue de ces contraintes, force est de constater que ces accords étaient inacceptables tant par le régime yougoslave que par la Russie.
A-t-on vraiment été au bout du processus diplomatique ? Pour cela, et nous n'avons eu de cesse de le dire à l'époque, il aurait été nécessaire de proposer la constitution d'une force multinationale, associant les Russes, et placée sous l'égide de l'ONU. Malheureusement, cette voie n'a pas été explorée. Je rappelle que l'issue politique au conflit n'est intervenue qu'après la réintroduction de l'ONU et de la Russie dans le processus. Preuve que si on avait commencé par là, la guerre aurait pu être évitée.
La deuxième raison du vote négatif des députés communistes concerne l'efficacité de l'intervention. Les frappes aériennes ont abouti à un très faible pourcentage de destruction du potentiel militaire serbe. Elles n'ont guère été efficaces pour arrêter les exactions. D'ailleurs le rapport de l'OSCE publié le 6 décembre dernier met en évidence le phénomène inverse : le départ des observateurs dont il faut souligner le rôle et le travail, associé au démarrage des frappes ont accéléré les épurations ethniques.
Pour nous, l'efficacité de la guerre n'a toujours pas été démontrée. J'ai participé à une mission parlementaire d'observation au mois d'avril en Macédoine. Les responsables politiques locaux rencontrés à cette occasion nous ont fait part de leur sentiment que cette intervention au Kosovo risquait de ne régler aucun des problèmes récurrents des Balkans mais que, bien au contraire, elle allait séparer et opposer encore plus les différents peuples de la région. La solution dans cette région passe par le développement économique, social et démocratique, par un recul de la pauvreté.
Ces constats confortent les députés communistes dans leur conviction profonde que la guerre ne résout rien et qu'elle ne peut intervenir qu'en tout dernier recours lorsque toutes les solutions diplomatiques ont été épuisées. Et même dans cette optique, des principes doivent être fermement affirmés.
Tout d'abord, il convient que la représentation nationale soit consultée avant toute opération de guerre. Je rappelle que le premier débat a été engagé deux jours après le début des opérations militaires, et n'a pas fait l'objet d'un vote. Le rapport évoque d'ailleurs ce manque de consultation avant et pendant le conflit.
Deuxièmement, il faut promouvoir une dynamique de prévention politique des conflits. Concernant le conflit du Kosovo, l'ONU a été tenue à l'écart des décisions stratégiques. Il convient d'en finir avec la toute-puissance de l'OTAN. Le nouveau concept stratégique défini par le sommet de Washington lui permet de s'arroger le droit d'intervenir militairement, et participe d'une planète où prévaut la loi du plus fort. Je note au passage combien les principes qui justifient les interventions ne sont pas les mêmes au Kosovo ou encore en Tchétchénie.
A l'inverse, je pense que notre pays peut jouer un rôle pour desserrer cette emprise. Ainsi, nous devons mettre à profit les enseignements de la guerre au Kosovo pour pousser plus loin le débat sur la défense européenne. Lors du sommet d'Helsinki une idée a été retenue avec la possibilité de mobiliser un corps de 50 000 à 60 0000 hommes pour le maintien ou le rétablissement de la paix, hors de la tutelle de l'OTAN, même si bien des points restent à éclaircir sur la portée réelle de cette autonomie. Il peut y avoir des situations où la préservation d'une paix juste et durable implique en dernier ressort la présence d'une force armée. Celle-ci doit alors répondre à des critères stricts et vérifiables : d'abord être réellement au service de la mise en _uvre d'une solution politique clairement définie ; ensuite agir sur mandat de l'ONU et hors de toute tutelle de l'OTAN ; enfin, à l'opposé d'une vraie armée, être dissoute dès qu'est accomplie la mission pour laquelle elle a été constituée.
I. - LISTE DES MEMBRES DE LA MISSION D'INFORMATION SUR LE CONFLIT DU KOSOVO
TITULAIRES |
SUPPLÉANTS |
- M. Paul Quilès, Député du Tarn (S) |
- M. Bernard Cazeneuve, Député de la Manche (S) |
- M. Bernard Grasset, Député de la Charente Maritime (S) |
- M. Georges Lemoine, Député de l'Eure-et-Loir (S) |
- M. François Lamy, Député de l'Essonne (S) |
- M. Jean-Pierre Marché, Député des Deux-Sèvres (S) |
- Mme Martine Lignières-Cassou, Députée des Pyrénées-Atlantiques (S) |
- Christian Franqueville, Député des Vosges (S) |
- M. René Galy-Dejean, Député de Paris (RPR) |
- M. Jean-Yves Besselat, Député de Seine-Maritime (RPR) |
- M. Pierre Lellouche, Député de Paris (RPR) |
- M. Charles Cova, Député de Seine-et-Marne (RPR) |
- M. Bernard Birsinger, Député de Seine-Saint-Denis (C) |
- M. Jean-Claude Sandrier, Député du Cher (C) |
- M. Guy Teissier, Député des Bouches-du-Rhône (DL) |
- M. Antoine Carré, Député du Loiret (DL) |
- M. Gérard Charasse, Député de l'Allier (RCV) |
(29) |
- M. Loïc Bouvard, Député du Morbihan (UDF) |
- M. Jean-Louis Bernard, Député du Loiret (UDF) |
II. - TRAVAUX DE LA MISSION D'INFORMATION SUR LE CONFLIT DU KOSOVO
- Auditions effectuées par la mission d'information sur le conflit du Kosovo
· Mardi 20 juillet : Audition du Général Jean-Pierre Kelche, Chef d'état-major des Armées
· Mercredi 21 juillet : Audition de M. Yves Michot, Président d'Aérospatiale-Matra et de M. Jean-Louis Gergorin, Directeur délégué
· Mardi 14 septembre : Audition de M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères
· Mercredi 22 septembre : Audition de M. Jean-Claude Mallet, Secrétaire général de la Défense nationale
· Mardi 12 octobre : Audition de MM. Pierre Faure et Jacques Paccard, responsables de la SAGEM ; audition de MM. Denis Ranque, Président directeur général de Thomson-CSF, et Jean-Claude Vertagna, Directeur des affaires France
· Mercredi 20 octobre : Audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense
· Mardi 2 novembre : Audition de MM. Jean-Dominique Giulani et Philippe Méchet (SOFRÈS)
- Auditions effectuées par le rapporteur, M. François Lamy
· Jeudi 7 octobre : Audition de M. Philippe ERRERA, Secrétaire général adjoint du ministère des Affaires étrangères
· Jeudi 14 octobre : Audition du Général Jean-Patrick Gaviard
· Jeudi 21 octobre : Audition des Généraux Bruno Cuche et Delcourt
· Jeudi 28 octobre : Audition du Général Marcel Valentin, ancien commandant de la force d'extraction ; audition de M. Jean-François Hébert, Secrétaire général de l'administration du ministère de la Défense
· Mercredi 24 novembre : Audition du Contre-amiral Alain Coldefy, commandant du groupe aéronaval français ; audition de M. Jean-Yves Helmer, Délégué général pour l'armement
· Vendredi 3 décembre : Audition du Préfet Jean-Jacques Pascal, directeur de la Direction de la surveillance du territoire (DST)
· Vendredi 10 décembre : Audition du Préfet Jacques Dewatre, directeur de la Direction générale des services extérieurs (DGSE)
· Vendredi 10 décembre : Audition de M. Jean-François Bureau, directeur de la délégation à l'information et à la communication du ministère de la défense (DICOD)
· Jeudi 15 avril : Déplacements de trois délégations de la Commission de la Défense au 17ème R.G.P. à Montauban, au 1er R.E.C. à Orange et au 1er R.H.P. à Tarbes
· Lundi 19 avril : Déplacement en Macédoine d'une délégation de la Commission de la Défense nationale conduite par le Président Paul Quilès
Entretiens avec des autorités politiques macédoniennes ainsi qu'avec des membres de l'état-major et des forces françaises en Macédoine
· Lundi 19 avril : Déplacement d'une délégation de la Commission de la Défense sur la base d'Istrana en Italie et sur le porte-avions Foch en Adriatique
· Du mardi 17 au jeudi 19 août : Déplacement en Macédoine et au Kosovo du Président Paul Quilès et du rapporteur François Lamy
· Jeudi 9 septembre : Déplacement à Bruxelles
Entretien avec la représentation permanente française auprès de l'OTAN : M. Philippe Guelluy, représentant permanent de la France, Général Sabathe, représentant au Comité militaire, M. Arnaud de Sury.
Entretien avec M. Javier Solana, Secrétaire général de l'OTAN
· Le lundi 25 octobre : Déplacement à Mons
Entretiens avec le Général Wesley Clark, Commandant suprême allié en Europe et avec la délégation militaire française à l'OTAN
· Le jeudi 4 novembre : Visite de la base de la Direction du renseignement militaire (DRM) à Creil
· Du lundi 15 au jeudi 18 novembre : : Déplacement en Macédoine et au Kosovo d'une délégation de la Commission de la Défense conduite par le rapporteur François Lamy
- Programme de la mission au Kosovo, du 15 au 18 novembre 1999
Lundi 15 novembre
17 h 00 - 20 h 00 Présentation du REPFRANCE par le Colonel Six, Chef d'état-major du Général Thomann,
et trois conseillers du REPFRANCE
(Colonels Clert et Méchain, Commandant Peillon)
20 h 00 Dîner de travail avec le Général Thomann, Adjoint
du Général Reinhard.
Mardi 16 novembre
08 h 30 - 11 h 15 Déplacement de Pristina à Skopje par voie routière.
11 h 30 - 12 h 30 Présentation de la base logistique de Kumanovo par le Colonel Latappy (commandant organique),
14 h 00 - 15 h 30 par le Colonel Bernard, Directeur du Commissariat et le Colonel Maillet, Commandant des soutiens.
16 h 00 - 18 h 00 Visite des installations du détachement de soutien à Kumanovo et du détachement air à Petrovec. Entretien avec le Commandant Boutry (service des Essences des Armées).
18 h 00 - 22 h 00 Retour par voie routière jusqu'à Pristina.
Mercredi 17 novembre
08 h 00 - 9 h 30 Rencontres avec des officiers, des sous-officiers et des personnels du rang de REPFRANCE (Présentation des activités, des rythmes de vie et de travail, appréciation de la situation).
09 h 30 à 10 h 15 Déplacement de Pristina à Mitrovica par voie routière. Traversée de la zone sous responsabilité française.
10 h 30 à 12 h 00 Présentation de la Brigade multinationale Nord.
Exposés du Général Poncet, Commandant de la Brigade, du Colonel Reglat (zone d'action, missions, effectifs), du Colonel Fradin (affaires civilo-militaires) et du Colonel Monchanain, Commandant le détachement de Gendarmerie.
12 h 30 -14 h 00 Déjeuner de travail avec les officiers de l'état-major du Général Poncet et ses adjoints belge et danois.
14 h 00 - 15 h 30 Visite de la ville de Mitrovica (quartiers albanophones et serbes, ponts d'Austerlitz et de Cambronne, usines du conglomérat TREPCA).
Visites de différents postes de surveillance et de contrôle tenus par des soldats français.
15 h 30 - 16 h 00 Retour en hélicoptère sur Pristina. Survol de la zone.
16 h 00 - 16 h 45 Entretien avec le Général Klaus Reinhard, Commandant la KFOR.
17 h 00 - 17 h 30 Exposés du Colonel Beaufils et du Lieutenant Colonel Houssaye sur les personnels français insérés dans l'état-major de la KFOR.
17 h 30 - 18 h 30 Entretien avec M. Covey, adjoint de Bernard Kouchner.
19 h 00 - 20 h 00 Rencontre avec des officiers, des sous-officiers et des personnels du rang insérés dans l'état-major de la KFOR.
20 h 00 Dîner au quartier général de l'OTAN.
Jeudi 18 novembre
08 h 30 - 9 h 00 Déplacement en hélicoptère de Pristina à Mitrovica puis de Mitrovica à Srbica.
09 h 30 - 10 h 30 Présentation du détachement Leclerc à Srbica.
Entretiens avec les personnels servant les chars.
Présentation statique d'un peloton.
10 h 45 - 11 h 00 Retour sur Mitrovica en hélicoptère.
11 h 00 - 12 h 00 Visites de l'implantation du futur camp de 1 500 hommes avec travaux de déminage et de dépollution par le bataillon du Génie. Visite de l'unité hospitalière.
13 h 30 - 14 h 50 Retour sur Pristina en hélicoptère.
14 h 00 - 14 h 45 Entretien avec le Général Ceku, Commandant du Corps de protection du Kosovo.
III. - LETTRE VÉDRINE KINKEL DU 19 NOVEMBRE 1997
République Française République Fédérale d'Allemagne
Le Ministre des Affaires Etrangères Le Ministre des Affaires Etrangères
Francfort sur l'Oder, le 19 novembre 1997
Cher Monsieur le Président,
De concert avec les autres ministres des Affaires étrangères du Groupe de contact, nous avons discuté le 24 septembre 1997 de la situation au Kosovo et exprimé notre profonde préoccupation concernant la situation sur place. Nous avons appelé votre gouvernement et les responsables des Albanais du Kosovo à entamer un dialogue pacifique. La situation au Kosovo s'est depuis lors aggravée. Des manifestations au Kosovo et des attentats terroristes incitent le Groupe de contact à se saisir plus activement, comme l'Union européenne le fait déjà, du problème du Kosovo. Le Groupe de contact désirerait ainsi contribuer à ce que le gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie et les représentants de la communauté albanaise au Kosovo parviennent à résoudre le problème. La France et l'Allemagne seront guidées au sein du Groupe de contact par une série de principes que nous souhaiterions expliciter ci-après.
- La France et l'Allemagne partent du principe que seule une solution négociée entre les représentants de la République fédérale de Yougoslavie, la République de Serbie et la communauté albanaise au Kosovo peut jeter les bases d'une paix stable et durable dans la région. Un tiers acceptable par les partenaires de la négociation devrait prendre part aux négociations.
- La Communauté internationale devrait soutenir toute solution qui pourrait recevoir l'accord des parties à la condition que cette solution ne se fasse pas au détriment d'un tiers. L'Union européenne a déjà fait une offre de ce type pour aider à la résolution des problèmes qui se posent dans le domaine de l'éducation. Ceci doit aussi valoir pour de nouvelles mesures de confiance.
- La Communauté internationale a déclaré plusieurs fois que ni une indépendance du Kosovo ni le statu quo ne peuvent servir de bases à un règlement pacifique à long terme. Une solution durable au niveau européen doit prévoir un statut spécial pour le Kosovo.
- Toute solution doit s'appuyer sur des principes démocratiques.
La France et l'Allemagne s'engageront pour que l'Union européenne et la Communauté internationale réagissent positivement aux progrès effectués en faveur d'un règlement pacifique du problème du Kosovo.
Son Excellence Monsieur Slobodan MILOSEVIC
Président de la République Fédérale de Yougoslavie
BELGRADE .../...
- Elles s'engageront pour qu'un accord sur des mesures de confiance entre les parties aux négociations rencontre un large soutien. Cela vaut au-delà de l'aide de l'Union européenne annoncée dans le domaine de l'éducation. De nouveaux projets acceptés par les deux parties pour encourager la cohabitation pacifique des communautés au Kosovo devraient là aussi être soutenus par l'Union européenne et d'autres organisations internationales. Ce soutien doit profiter à tous les groupes ethniques au Kosovo.
- Une représentation de l'Union européenne à Pristina pourrait faciliter la définition et l'exécution de ce genre de projets et contribuer au renforcement de la confiance. L'ouverture de cette représentation ouvrirait la voie à l'établissement de relations diplomatiques normales entre l'Union européenne et la République fédérale de Yougoslavie.
La France et l'Allemagne essaieront, après le retour de la mission à long terme de l'OSCE au Kosovo, au Sandjak et en Voïvodine, de répondre à un souhait de la République fédérale de Yougoslavie d'être membre de l'OSCE sous une forme acceptable par toutes les parties.
- La reconduction par l'Union européenne des mesures commerciales au profit de la RFY serait facilitée par l'ouverture du dialogue sérieux que nous avons proposé sur le problème du Kosovo.
- Des progrès dans la mise en _uvre des recommandations de Felipe Gonzalez souligneraient la disponibilité de la RFY à adhérer au camp des Etats démocratiques et faciliteraient la pleine intégration internationale de la RFY ainsi que sa coopération avec l'Union européenne.
Cher Monsieur le Président,
Ces réflexions ont pour but de frayer un chemin visant à résoudre les problèmes du Kosovo et à mettre un terme à l'isolement international de la République fédérale de Yougoslavie. Ces deux aspects sont dans l'intérêt de la stabilité à l'échelle des Balkans et de toute l'Europe.
Pour poursuivre avec vous l'échange de vues sur ces réflexions visant à résoudre le problème du Kosovo, nous serons à votre disposition à l'occasion de notre visite programmée, et pour l'instant reportée, en République fédérale de Yougoslavie.
Hubert Védrine Klaus Kinkel
IV. - ACCORD INTÉRIMAIRE POUR LA PAIX ET L'AUTONOMIE AU KOSOVO (version française)
Les Parties au présent Accord,
convaincues de la nécessité d'une solution pacifique et politique au Kosovo, comme condition préalable pour la stabilité et la démocratie ;
résolues à instaurer un climat de paix au Kosovo ;
réaffirmant leur attachement aux objectifs et aux principes des Nations Unies, ainsi qu'aux principes de l'OSCE, y compris ceux de l'Acte final d'Helsinki et de la Charte de Paris pour une nouvelle Europe ;
rappelant l'attachement de la communauté internationale à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie ;
rappelant les éléments de base/principes adoptés par le Groupe de Contact lors de sa réunion ministérielle de Londres, le 29 janvier 1999 ;
reconnaissant la nécessité d'une autonomie démocratique au Kosovo, avec la pleine participation des membres de toutes les communautés nationales à la prise de décisions politiques ;
désireuses d'assurer la protection des droits de l'homme de toutes les personnes au Kosovo, ainsi que des droits des membres de toutes les communautés nationales reconnaissant la contribution actuelle de l'OSCE à la paix et à la stabilité au Kosovo ;
constatant que le présent Accord a été conclu sous l'égide des membres du Groupe de Contact et de l'Union européenne et s'engageant envers ces membres et l'Union européenne à respecter le présent Accord ;
conscientes de ce que le respect total du présent Accord sera essentiel pour l'évolution des relations avec les institutions européennes ;
sont convenues de ce qui suit :
Cadre
Article 1er - Principes
1. Tous les citoyens du Kosovo bénéficient, sans discrimination, des mêmes droits et des mêmes libertés établis par le présent Accord.
2. Les communautés nationales et leurs membres jouissent des droits complémentaires énoncés au Chapitre 1er. Les autorités du Kosovo, de la Fédération et de la République ne doivent pas entraver l'exercice de ces droits complémentaires. Les communautés nationales sont juridiquement égales en vertu de l'Accord et ne doivent pas utiliser leurs droits complémentaires pour porter préjudice aux droits d'autres communautés nationales ou aux droits des citoyens, à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie ou au fonctionnement du gouvernement démocratique représentatif du Kosovo.
3. Toutes les autorités du Kosovo doivent respecter totalement les droits de l'homme, la démocratie et l'égalité des citoyens et des communautés nationales.
4. Les citoyens du Kosovo ont droit à une autonomie démocratique, prenant la forme d'institutions législatives, exécutives, judiciaires et d'autres institutions, créées conformément à l'Accord. Ils ont la possibilité de se faire représenter au sein de toutes les institutions du Kosovo. Le droit à l'autonomie démocratique inclut le droit de participer à des élections libres et équitables.
5. Tout habitant du Kosovo peut avoir accès aux institutions internationales pour que ses droits soient protégés conformément aux procédures desdites institutions.
6. Les Parties reconnaissent qu'elles agiront uniquement dans le cadre de leurs pouvoirs et responsabilités au Kosovo, tels qu'ils sont définis dans le présent Accord. Les actes dépassant le cadre de ces pouvoirs et responsabilités sont nuls et non avenus. Le Kosovo bénéficie de tous les droits et pouvoirs qui y sont énoncés, notamment et en particulier ceux qui sont spécifiés dans la Constitution au Chapitre 1er. Le présent Accord prime toutes les autres dispositions juridiques des Parties et il est d'application directe. Les Parties mettront leurs pratiques et leurs textes en conformité avec le présent Accord.
7. Les Parties s'engagent à coopérer sans réserve avec toutes les organisations internationales travaillant au Kosovo pour la mise en _uvre du présent Accord.
Article II: Mesures de confiance
Cessation de l'emploi de la force
1. L'emploi de la force au Kosovo doit cesser immédiatement. En vertu du présent Accord, les violations présumées du cessez-le-feu doivent être signalées aux observateurs internationaux et ne doivent pas servir à justifier l'usage de la force par représailles.
2. Le statut des forces de police et de sécurité au Kosovo, y compris le retrait des forces, est régi par les dispositions du présent Accord. Les forces paramilitaires ou irrégulières au Kosovo sont incompatibles avec les termes du présent Accord.
Retour
3. Les Parties reconnaissent à toutes les personnes le droit de rentrer dans leurs foyers. Les autorités compétentes prennent toutes les mesures nécessaires pour faciliter le retour des personnes en toute sécurité, notamment en leur délivrant les documents nécessaires. Toutes les personnes ont le droit de réoccuper leurs biens immobiliers, de faire valoir leurs droits d'occupation des propriétés appartenant à l'État et de récupérer leurs autres propriétés et leurs biens personnels. Les Parties prennent toutes les mesures nécessaires pour la réadmission des personnes qui rentrent au Kosovo.
4. Les Parties collaborent sans réserve à l'ensemble des actions du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ainsi que des autres organisations internationales et non gouvernementales concernant le rapatriement et le retour des personnes, notamment avec les organisations qui surveillent le traitement dont font l'objet les personnes après leur retour.
Accès à l'aide internationale
5. Il ne doit y avoir aucune entrave au flux normal des marchandises au Kosovo, y compris des matériaux destinés à la reconstruction des habitations et des structures. La République fédérale de Yougoslavie ne doit pas exiger de visas, de droits de douanes ou d'autorisations concernant les personnes ou marchandises destinées à la Mission de mise en _uvre, au HCR, aux autres organisations internationales, ainsi qu'aux organisations non gouvernementales travaillant au Kosovo conformément aux décisions du Chef de la Mission de mise en _uvre.
6. L'ensemble du personnel, national ou international, qui travaille avec les organisations internationales ou non gouvernementales, notamment avec la Croix-Rouge yougoslave, est autorisé à accéder librement aux habitants du Kosovo à des fins d'aide internationale. De la même façon, toutes les personnes au Kosovo doivent avoir accès directement et sans restrictions au personnel de ces organisations.
Autres questions
7. Les organes fédéraux ne prennent aucune décision ayant un effet différencié, disproportionné, préjudiciable ou discriminatoire sur le Kosovo. Ces décisions, si elles devaient être prises, seraient nulles en ce qui concerne le Kosovo.
8. L'état de siège n'est pas déclaré au Kosovo.
9. Les Parties se conforment immédiatement à toutes les demandes de soutien de la Mission de Mise en _uvre. La Mission de Mise en _uvre dispose de ses propres fréquences de radio et de télévision pour émettre des programmes au Kosovo. La République fédérale de Yougoslavie fournit toutes les installations nécessaires, y compris les fréquences de communications radio, à toutes les organisations humanitaires chargées d'apporter de l'aide au Kosovo.
Détention des combattants et questions relevant de la justice
10. Toutes les personnes enlevées ou autres personnes détenues sans motif doivent être libérées. En vertu du présent Accord, les Parties libèrent et transfèrent également toutes les personnes détenues en liaison avec le conflit. Les Parties coopèrent pleinement avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) afin de faciliter le travail qu'il effectue en vertu de son mandat, y compris en lui accordant un accès total à toutes ces personnes, quel que soit leur statut, quel que soit le lieu de leur détention, afin que le CICR leur rende visite conformément à ses règles de fonctionnement courantes.
11. Les Parties fournissent des informations, grâce aux mécanismes de localisation du CICR, aux familles de toutes les personnes disparues. Les Parties coopèrent pleinement avec le CICR et la Commission internationale pour les Personnes disparues dans les efforts qu'ils mettent en _uvre pour vérifier l'identité, les déplacements et le sort des disparus.
12. Les Parties :
(a) ne doivent engager de poursuites contre personne pour des délits liés au conflit au Kosovo, à l'exception des personnes accusées d'avoir commis de graves violations du droit humanitaire international. Aux fins d'une plus grande transparence, les Parties garantissent l'accès des experts étrangers (y compris des experts en médecine légale), accompagnés d'enquêteurs mandatés par les États.
(b) doivent accorder une amnistie générale pour toutes les personnes reconnues coupables de crimes ou délits à motivation politique, liés au conflit au Kosovo. Cette amnistie ne s'applique pas aux personnes dûment reconnues coupables de violations graves du droit humanitaire international dans le cadre d'un procès public et équitable mené conformément aux normes internationales.
13. Toutes les Parties doivent se conformer à leur obligation de coopérer en matière d'enquêtes et de poursuites concernant les violations graves du droit humanitaire international.
(a) Ainsi que le demande la résolution n° 827 (1993) du Conseil de Sécurité des Nations Unies et les résolutions suivantes, les Parties coopèrent sans réserve avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie dans le cadre de ses enquêtes et de ses poursuites, notamment en se conformant à ses demandes d'assistance et à ses décisions.
(b) Les Parties accordent également aux experts internationaux - notamment aux experts en médecine légale et aux enquêteurs - un accès total, sans entrave ni restriction, afin de leur permettre d'enquêter sur les allégations de violations graves du droit humanitaire international.
Médias indépendants
14. Reconnaissant l'importance de la liberté et de l'indépendance de la presse pour l'instauration du climat politique démocratique nécessaire à la reconstruction et au développement au Kosovo, les Parties garantissent la liberté de la presse la plus large possible au Kosovo pour tous les médias, publics et privés, qu'il s'agisse de la presse écrite, de la télévision ou de la radio.
Chapitre premier
Constitution
Affirmant leur foi dans une société pacifique, dans la justice, la tolérance et la réconciliation ;
Résolus à assurer le respect des droits de l'homme et l'égalité de tous les citoyens et de toutes les communautés nationales ;
Reconnaissant que la préservation et l'encouragement de l'identité nationale, culturelle et linguistique de chacune des communautés nationales du Kosovo sont nécessaires au développement harmonieux d'une société pacifique ;
Désireux, grâce à la présente Constitution provisoire, d'établir des institutions permettant l'autonomie démocratique au Kosovo et fondées sur le respect de l'intégrité territoriale et de la souveraineté de la République fédérale de Yougoslavie et sur celui du présent Accord d'où émanent les autorités mentionnées ci-après ;
Reconnaissant que les institutions du Kosovo doivent représenter équitablement les communautés nationales du Kosovo et développer l'exercice de leurs droits et de ceux de leurs membres ;
Rappelant et approuvant les principes/les éléments fondamentaux adoptés par le Groupe de contact lors de sa réunion ministérielle de Londres le 29 janvier 1999 ;
Article premier: Principes de l'autonomie
démocratique au Kosovo
1. Le Kosovo se gouvernera lui-même au moyen des organes et institutions législatives, exécutives, judiciaires et autres mentionnés ci-après. Les organes et institutions du Kosovo exerceront leurs fonctions conformément aux dispositions du présent Accord.
2. Toutes les autorités du Kosovo respecteront pleinement les droits de l'homme, la démocratie et l'égalité entre les citoyens et les communautés nationales.
3. La République fédérale de Yougoslavie a compétence au Kosovo dans les domaines ci-après, sauf autres dispositions du présent Accord : (a) l'intégrité territoriale ; (b) le maintien d'un marché commun au sein de la République fédérale de Yougoslavie, pouvoir exercé de manière à ne créer aucune discrimination à l'encontre du Kosovo , (c) la politique monétaire ; (d) la défense ; (e) la politique étrangère ; (f) les douanes ; (g) la fiscalité fédérale ; (h) les élections fédérales, et (i) les autres domaines précisés dans le présent Accord.
4. La République de Serbie aura compétence au Kosovo comme mentionné dans le présent Accord, y compris en ce qui concerne les élections au niveau de la République.
5. Les citoyens du Kosovo pourront continuer à participer aux domaines dans lesquels la République fédérale de Yougoslavie et la République de Serbie ont compétence, par l'intermédiaire de leur représentation au sein des institutions appropriées, sans préjudice de l'exercice de compétences par les autorités du Kosovo mentionnées dans le présent Accord.
6. En ce qui concerne le Kosovo :
a) aucune modification ne sera apportée aux frontières du Kosovo ;
b) le déploiement et le recours aux forces de police et de sécurité seront régis par les chapitres 2 et 7 du présent Accord ;
c) le Kosovo sera habilité à entretenir, dans le cadre de ses attributions, des relations extérieures dans une mesure équivalente aux pouvoirs accordés aux Républiques en vertu de l'article 7 de la Constitution de la République fédérale de Yougoslavie.
7. Il ne sera admis aucune restriction au droit qu'ont les citoyens et les communautés nationales du Kosovo de s'adresser aux institutions appropriées de la République de Serbie aux fins ci-après :
a) aide à la définition des programmes scolaires et des normes en matière d'enseignement ;
b) droit à des prestations sociales destinées notamment aux anciens combattants, aux retraités et aux invalides ; et
c) autres prestations de service, à condition qu'elles ne soient pas liées aux questions de police et de sécurité régies par les chapitres 2 et 7 du présent Accord et que les agents de la République en fonctions au Kosovo en vertu du présent paragraphe soient des prestataires de service non armés et agissant à l'invitation d'une communauté nationale du Kosovo.
La République aura compétence pour percevoir des impôts et taxes sur les citoyens qui sollicitent des prestations en vertu du présent paragraphe, dans la mesure nécessaire pour financer lesdites prestations.
8. L'unité territoriale de base de l'autonomie locale au Kosovo sera la commune. Toutes les responsabilités au Kosovo non expressément conférées à une autre entité relèveront de la compétence des communes.
9. Afin de préserver et d'encourager l'autonomie démocratique au Kosovo, tous les candidats à des postes désignés, électifs ou autres fonctions publiques et tous les détenteurs de fonctions publiques devront satisfaire aux critères ci-après :
a) nul ne pourra se porter candidat à une fonction publique ni détenir cette fonction s'il purge une peine prononcée par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ou s'il est inculpé par ledit Tribunal et n'a pas donné suite à une citation à comparaître devant ledit Tribunal ;
b) tout candidat à une fonction publique ou détenteur d'une telle fonction devra renoncer à la violence comme moyen de parvenir à des objectifs politiques ; des activités politiques ou de résistance dans le passé ne pourront empêcher l'accès à des fonctions publiques au Kosovo.
Article II: L'Assemblée
Dispositions générales
1. Le Kosovo disposera d'une Assemblée composée de 120 membres.
a) Quatre-vingts membres seront élus au suffrage direct.
b) Les quarante membres restants seront élus par les membres des communautés nationales satisfaisant aux conditions requises.
(i) Les communautés dont les membres constituent plus de 0,5 % mais moins de 5 % de la population du Kosovo auront dix de ces sièges, à répartir entre elles conformément à leur proportion dans la population totale.
(ii) Les communautés dont les membres constituent plus de 5 % de la population du Kosovo partageront à égalité les trente sièges restants. Les communautés nationales serbe et albanaise seront présumées atteindre le seuil de population de 5 %.
Autres dispositions
2. L'élection de tous les membres aura lieu démocratiquement et conformément aux dispositions du chapitre 3 du présent Accord. Les membres seront élus pour une durée de trois ans.
3. La répartition des sièges à l'Assemblée sera fondée sur les données recueillies au cours du recensement mentionné au chapitre 5 du présent Accord. En attente de l'achèvement du recensement, aux fins du présent article, les déclarations d'appartenance aux communautés nationales faites lors de l'inscription sur les listes électorales seront utilisées afin de déterminer le pourcentage de la population du Kosovo représenté par chacune des communautés nationales.
4. Les membres de l'Assemblée jouiront de l'immunité de juridiction civile ou pénale concernant les opinions exprimées ou les autres actes accomplis en leur qualité de membres de l'Assemblée.
Compétences de l'Assemblée
5. L'Assemblée aura compétence en matière d'adoption des lois du Kosovo, y compris dans les domaines politique, de sécurité, économique, social, éducatif, scientifique et culturel tel qu'énoncé ci-après et par ailleurs dans le présent Accord. La présente Constitution et les lois adoptées par l'Assemblée du Kosovo ne pourront être modifiées par les autorités des Républiques ou de la Fédération.
a) L'Assemblée aura compétence en matière :
(i) de financement de l'action des institutions du Kosovo, notamment au moyen de la perception d'impôts et taxes à l'intérieur du Kosovo ;
(ii) d'adoption des budgets des Organes administratifs et autres institutions du Kosovo, à l'exception des institutions communales et de celles des communautés nationales, sauf dispositions contraires ci-après ;
(iii) d'adoption des règles d'organisation et, de procédure des Organes administratifs du Kosovo ;
(iv) d'agrément de la liste des Ministres du Gouvernement, y compris le Premier ministre ;
(v) de coordination des arrangements relatifs à l'enseignement au Kosovo avec les autorités des communautés nationales et des communes ;
(vi) d'élection des candidats à des fonctions judiciaires présentés par le Président du Kosovo ;
(vii) d'adoption des lois assurant la libre circulation des biens ' des services et des personnes au Kosovo et compatibles avec le présent Accord ;
(viii) d'approbation des accords conclus par le Président dans le cadre des domaines de compétence du Kosovo ;
(ix) de coopération avec l'Assemblée fédérale et avec les Assemblées des Républiques, et de relations avec les organes législatifs étrangers ;
(x) de définition du cadre de l'autonomie locale ;
(xi) d'adoption des lois relatives aux questions intercommunales et aux relations entre les communautés nationales, en cas de nécessité ;
(xii) d'adoption des lois régissant le fonctionnement des institutions médicales et des hôpitaux ;
(xiii) de protection de l'environnement lorsqu'elle met en jeu des questions intercommunales ;
(xiv) d'adoption des programmes de développement économique, scientifique, technologique, démographique, régional et social, ainsi que d'urbanisme ;
(xv) d'adoption des programmes de développement de l'agriculture et des zones rurales ;
(xvi) de réglementation des élections conformément aux chapitres 3 et 5 ;
(xvii) de réglementation des biens possédés par le Kosovo ; et
(xviii) de réglementation foncière.
b) L'Assemblée aura également compétence pour adopter des lois dans des domaines qui relèvent des attributions des communes si la question ne peut être réglementée efficacement par les communes ou si leur réglementation par certaines communes est susceptible de porter atteinte aux droits d'autres communes. En l'absence de loi adoptée par l'Assemblée en vertu du présent alinéa, la compétence en la matière reviendra aux communes.
Procédure
6. Les lois et autres décisions de l'Assemblée seront adoptées à la majorité des membres présents et votants.
7. Une majorité des membres d'une seule et même communauté nationale élus à l'Assemblée en application du paragraphe l(b) pourra adopter une motion estimant qu'une loi ou une autre décision porte atteinte aux intérêts vitaux de sa communauté nationale. La loi ou décision ainsi contestée sera suspendue en ce qui concerne ladite communauté nationale jusqu'à ce que la procédure de règlement des différends énoncée au paragraphe 8 ait été menée à bien.
8. La procédure ci-après sera appliquée en cas de motion adoptée en vertu du paragraphe 7 :
a) Les membres qui prennent l'initiative de la motion relative aux intérêts vitaux devront en exposer les motifs. Ceux qui sont favorables au texte considéré devront avoir la possibilité de leur répondre.
b) Les membres qui prennent l'initiative de la motion désigneront dans un délai de vingt-quatre heures un médiateur de leur choix qui s'efforcera de parvenir à un accord avec ceux qui sont favorables au texte considéré.
c) Si la médiation ne débouche pas sur un accord dans un délai de sept jours, l'affaire pourra être soumise pour décision définitive. Cette décision sera prononcée par une commission composée de trois membres de l'Assemblée : un Albanais et un Serbe, chacun désigné par la délégation de sa communauté nationale, et un troisième membre qui devra être d'une troisième nationalité et sera désigné dans un délai de deux jours par consensus de la Présidence de l'Assemblée.
(i) Une motion relative aux intérêts vitaux sera retenue si le texte contesté porte atteinte aux droits constitutionnels fondamentaux de la communauté, aux droits complémentaires énoncés à l'Article VII ou au principe de traitement équitable.
(ii) Si la motion n'est pas retenue, le texte contesté entrera en vigueur pour ladite communauté.
d) Le paragraphe c ne s'appliquera pas à la désignation des responsables de l'Assemblée.
(e) L'Assemblée pourra exclure d'autres décisions de cette procédure au moyen d'une loi adoptée par une majorité comprenant la majorité de chacune des communautés nationales élues en vertu du paragraphe 1 (b).
9. La majorité des membres de l'Assemblée constituera le quorum. L'Assemblée adoptera son propre règlement intérieur.
Bureau
10. L'Assemblée élira parmi ses membres une Présidence composée d'un Président, de deux Vice-présidents et d'autres responsables conformément à son règlement intérieur. Chaque communauté nationale atteignant le seuil mentionné au paragraphe 1(b)(ii) devra être représentée au Bureau. Le Président de l'Assemblée ne devra pas être issu de la même communauté nationale que le Président du Kosovo.
11. Le Président de l'Assemblée la représentera, la convoquera en session, en présidera les réunions, coordonnera les travaux des commissions qu'elle aura instituées et exercera les autres fonctions prévues par le règlement intérieur de l'Assemblée.
Article III : le Président du Kosovo
1. Le Kosovo aura un Président élu par l'Assemblée à la majorité de ses membres. La durée du mandat du Président du Kosovo sera de trois ans. Nul ne pourra être Président du Kosovo pendant plus de deux mandats.
2. Le Président du Kosovo aura compétence pour:
(i) représenter le Kosovo, y compris auprès de tout organisme international ou fédéral ou de tout organe des Républiques ;
(ii) proposer à l'Assemblée les candidats aux fonctions de Premier ministre, de membre de la Cour constitutionnelle, de membre de la Cour suprême, et les candidats aux autres fonctions judiciaires du Kosovo ;
(iii) rencontrer régulièrement les représentants démocratiquement élus des communautés nationales ;
(iv) mener les relations extérieures et conclure, dans le cadre de ces attributions, des accords compatibles avec les attributions des institutions du Kosovo découlant du présent Accord. Lesdits accords n'entreront en vigueur qu'après leur approbation par l'Assemblée ;
(v) désigner un représentant pour participer aux travaux de la Commission mixte instituée par l'article premier paragraphe 2 du chapitre 5 du présent Accord ;
(vi) rencontrer régulièrement le Président de la Fédération et les Présidents des Républiques ;
(vii) exercer les autres fonctions mentionnées par le présent Accord ou par la loi.
Article IV : Gouvernement et Organes administratifs
1. Le pouvoir exécutif sera exercé par le Gouvernement. Le Gouvernement sera responsable de l'application des lois du Kosovo, ainsi que de celles des autres autorités publiques lorsque ces attributions lui auront été dévolues par ces autorités. Le Gouvernement aura également compétence pour soumettre à l'Assemblée des projets de lois.
a) Le Gouvernement se composera d'un Premier ministre et de ministres, dont au moins une personne issue de chacune des communautés nationales atteignant le seuil mentionné à l'article II paragraphe 1 (b) (ii). Les ministres dirigeront les Organes administratifs du Kosovo.
b) Le candidat aux fonctions de Premier ministre présenté par le Président soumettra à l'Assemblée une liste de ministres. Le Premier ministre, de même que la liste des ministres, seront agréés à la majorité des membres présents et votants de l'Assemblée. Au cas où le Premier ministre ne pourrait recueillir une majorité autour de son Gouvernement, le Président présentera un nouveau candidat aux fonctions de Premier ministre dans un délai de dix jours.
c) Le Gouvernement devra démissionner en cas d'adoption d'une motion de défiance par la majorité des membres de l'Assemblée. En cas de démission du Premier ministre ou du Gouvernement, le Président choisira un nouveau candidat aux fonctions de Premier ministre qui s'efforcera de former un Gouvernement.
d) Le Premier ministre réunira le Gouvernement, le représentera dans les cas appropriés et en coordonnera les travaux. Les décisions du Gouvernement devront être adoptées à la majorité des ministres présents et votants. Le Premier ministre aura voix prépondérante en cas de partage des voix entre les ministres. Le Gouvernement adoptera par ailleurs son propre règlement intérieur.
2. Les Organes administratifs seront chargés d'assister le Gouvernement dans l'exercice de ses attributions.
a) Les communautés nationales seront représentées équitablement à tous les niveaux des Organes administratifs.
b) Tout citoyen du Kosovo qui affirmera avoir subi un préjudice direct du fait d'une décision d'un organe exécutif ou administratif aura le droit de recourir à la justice aux fins de contrôle de la légalité de cette décision, après avoir épuisé toutes les voies de recours administratif. L'Assemblée adoptera une loi régissant ce recours en justice.
3. Il sera institué un Procureur général chargé de poursuivre les individus qui enfreindront la législation pénale du Kosovo. Le Parquet placé sous son autorité aura un personnel représentatif de la population du Kosovo.
Article V : Organes judiciaires
Dispositions générales
1. Le Kosovo aura une Cour constitutionnelle, une Cour suprême, des tribunaux de district et des tribunaux communaux.
2. Les tribunaux du Kosovo auront juridiction sur toutes les affaires relevant de la présente Constitution ou des lois du Kosovo, sauf dispositions contraires du paragraphe 3. Ils auront également juridiction sur les questions relevant de la législation fédérale, sous réserve d'appel aux tribunaux fédéraux pour ce qui est desdites questions après épuisement de toutes les voies de recours ouvertes en vertu du système en vigueur au Kosovo.
3. Les citoyens du Kosovo pourront choisir que les différends civils auxquels ils sont parties soient jugés par d'autres tribunaux de la République fédérale de Yougoslavie, lesquels appliqueront la législation en vigueur au Kosovo.
4. Les affaires pénales seront régies par les règles ci-après :
a) Au début de la procédure pénale, le défendeur aura le droit d'obtenir le transfert de son procès devant un autre tribunal du Kosovo désigné par lui.
b) Pour les affaires pénales dans lesquelles les défendeurs et les victimes sont tous membres d'une même communauté nationale, tous les membres du tribunal seront issus de la communauté nationale de leur choix si une partie le demande.
c) Un défendeur dans une affaire pénale jugée par les tribunaux du Kosovo aura le droit d'obtenir que l'un au moins des membres du tribunal qui a à connaître de l'affaire soit issu de sa propre communauté nationale. Les autorités du Kosovo autoriseront des juges d'autres tribunaux de la République fédérale de Yougoslavie à exercer à ces fins les fonctions de juges du Kosovo.
La Cour constitutionnelle
5. La Cour constitutionnelle sera composée de neuf juges. Elle devra compter au moins un juge issu de chacune des communautés nationales atteignant le seuil mentionné à l'article II paragraphe 1 (b) (ii). Jusqu'à ce que les Parties conviennent de mettre fin au présent accord, cinq des juges de la Cour constitutionnelle seront choisis sur une liste établie par le Président de la Cour européenne des droits de l'homme.
6. La Cour constitutionnelle aura compétence pour régler les différends relatifs à l'interprétation de la présente Constitution. Cette compétence s'étendra, de manière non limitative, aux avis déterminant si des lois applicables au Kosovo, des décisions ou des actes du Président, de l'Assemblée, du Gouvernement, des communes ou des communautés nationales sont ou non conformes à la présente Constitution.
a) Les affaires pourront être soumises à la Cour constitutionnelle par le Président du Kosovo, le Président ou les Vice-présidents de l'Assemblée, le Médiateur, les assemblées et conseils communaux et par toute communauté nationale agissant conformément à ses procédures démocratiques.
b) Tout tribunal qui estimera, au cours de l'examen d'une affaire, que le différend dépend de la réponse à une question qui relève de la juridiction de la Cour constitutionnelle soumettra cette question à la Cour constitutionnelle pour avis préalable.
7. Après l'épuisement des autres voies de recours, la Cour constitutionnelle aura compétence pour connaître, à la demande de toute personne qui affirmera en être victime, des actions introduites pour atteinte, de la part d'une autorité publique, aux droits de l'homme et libertés fondamentales et aux droits des membres des communautés nationales énoncés par la présente Constitution.
8. La Cour constitutionnelle aura toute autre compétence énoncée par ailleurs dans le présent Accord ou par la loi.
La Cour suprême
9. La Cour suprême sera composée de neuf juges. Elle devra compter au moins un juge issu de chacune des communautés nationales atteignant le seuil mentionné à l'article II paragraphe 1 (b)(ii).
10. La Cour suprême connaîtra des appels provenant des tribunaux de district et des tribunaux communaux. Sauf dispositions contraires de la présente Constitution, elle agira en qualité de cour d'appel de dernière instance pour toutes les affaires relevant des lois applicables au Kosovo. Ses décisions seront reconnues et exécutées par toutes les autorités en République fédérale de Yougoslavie.
Fonctionnement des tribunaux
1l. L'Assemblée arrêtera le nombre des juges des tribunaux de district et des tribunaux communaux nécessaires pour faire face aux besoins.
12. Les juges de tous les tribunaux du Kosovo devront être des juristes éminents présentant les garanties morales les plus hautes. Ils devront être dans l'ensemble représentatifs des communautés nationales du Kosovo.
13. La révocation d'un juge du Kosovo sera soumise à l'avis unanime des juges de la Cour constitutionnelle. En cas de révocation d'un juge de la Cour constitutionnelle, celui-ci ne pourra prendre part aux délibérations qui le concernent.
14. La Cour constitutionnelle adoptera les règles de procédure destinées à son propre usage et à celui des autres tribunaux du Kosovo. La Cour constitutionnelle et la Cour suprême adopteront l'une et l'autre leurs décisions à la majorité de leurs membres.
15. Sauf dispositions contraires de leurs règles de procédure, tous les tribunaux du Kosovo siégeront en audience publique. Ils rendront publics les avis motivés de leurs décisions.
Article VI : Droits de l'homme et libertés fondamentales
1. Toutes les autorités du Kosovo assureront le respect des droits de l'homme et libertés fondamentales internationalement reconnus.
2. Les droits et libertés énoncés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par ses Protocoles s'appliqueront directement au Kosovo. Les autres textes internationalement reconnus en matière de droits de l'homme et adoptés par l'Assemblée du Kosovo comme ayant force de loi s'appliqueront également. Lesdits droits et libertés prévaudront sur toute autre loi.
3. Tous les tribunaux, organes, institutions gouvernementales et toutes les autres institutions publiques du Kosovo ou dont l'action concerne le Kosovo se conformeront à ces droits de l'homme et libertés fondamentales.
Article VII : Communautés nationales
1. Les communautés nationales et leurs membres jouiront des droits complémentaires énoncés ci-après en vue de préserver et d'exprimer leur identité nationale, culturelle, religieuse et linguistique conformément aux normes internationales et à l'Acte final de Helsinki. L'exercice de ces droits sera conforme aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales.
2. Chaque communauté nationale pourra élire, par des voies démocratiques et d'une manière conforme aux principes du chapitre 3 du présent Accord, des institutions destinées à administrer ses affaires au Kosovo.
3. Les communautés nationales seront soumises aux lois applicables au Kosovo, sous réserve que les actes ou décisions relatifs aux communautés nationales ne soient pas discriminatoires. L'Assemblée arrêtera une procédure de règlement des différends entre communautés nationales.
4. Les droits complémentaires des communautés nationales, agissant par l'intermédiaire de leurs institutions démocratiquement élues, seront les suivants :
a) préserver et protéger leur identité nationale, culturelle, religieuse et linguistique, notamment :
(i) en faisant figurer les noms de villes et de villages, de places et de rues et autres toponymes dans la langue et l'alphabet de la communauté nationale, outre leur désignation en albanais et en serbe, conformément aux décisions prises par les institutions communales quant à leur présentation ;
(ii) en diffusant des informations dans la langue et l'alphabet de la communauté nationale;
(iii) en assurant l'enseignement et en créant des établissements d'enseignement, en vue notamment d'assurer la scolarisation dans leur langue et leur alphabet propres et d'enseigner leur culture et leur histoire nationales, activités qui devront bénéficier du soutien financier des autorités appropriées , les programmes des études devront être empreints de tolérance entre les communautés nationales et de respect des droits des membres de toutes les communautés nationales, conformément aux normes internationales ;
(iv) en entretenant librement des contacts avec les représentants de leur communauté nationale respective, au sein de la République fédérale de Yougoslavie et à l'étranger ;
(v) en utilisant et en arborant des symboles nationaux, y compris ceux de la République fédérale de Yougoslavie et de la République de Serbie ;
(vi) en protégeant les traditions nationales en matière de droit de la famille grâce à l'adoption, si la communauté en décide ainsi, de règles applicables aux successions, aux rapports familiaux et matrimoniaux, à la tutelle et à l'adoption ;
(vii) en assurant la préservation des sites qui revêtent une importance religieuse, historique ou culturelle pour la communauté nationale, en coopération avec d'autres autorités ;
(viii) en mettant en place des services sociaux et de santé publique sur une base non discriminatoire pour les citoyens et les communautés nationales ,
(ix) en assurant le fonctionnement d'institutions religieuses en coopération avec les autorités religieuses ; et
(x) en participant à des organisations non gouvernementales régionales et internationales conformément aux procédures de ces organisations ,
b) disposer de la garantie d'accès aux médias publics et de représentation au sein de ceux-ci, y compris des dispositions prévoyant une programmation distincte dans les langues considérées sous la direction de personnes désignées par la communauté nationale considérée sur une base équitable ; et
c) financer leurs activités en collectant les contributions que les communautés nationales pourront décider de prélever auprès des membres de leur propre communauté.
5. Les membres des communautés nationales jouiront également, à titre individuel :
a) du droit d'entretenir librement des contacts avec les membres de leur communauté nationale respective en tout autre lieu de la République fédérale de Yougoslavie et à l'étranger ;
b) de l'égalité d'accès aux emplois publics de tout niveau ;
c) du droit à l'usage de leur langue et de leur alphabet ;
d) du droit d'utiliser et d'arborer les symboles de leur communauté nationale ;
e) du droit de participer aux institutions démocratiques qui définiront l'exercice par la communauté nationale des droits collectifs énoncés au présent article ; et
f) du droit de fonder des associations culturelles et religieuses qui bénéficieront du soutien financier des autorités appropriées.
6. Chaque communauté nationale et, en cas de nécessité, leurs membres agissant à titre individuel pourront exercer ces droits complémentaires par l'intermédiaire d'institutions fédérales et d'institutions des Républiques, conformément aux procédures de ces institutions et sans préjuger de la capacité des institutions du Kosovo à exercer leurs attributions.
7. Chacun aura le droit de choisir librement d'être ou non traité comme membre d'une communauté nationale, et aucun désavantage ne devra résulter de ce choix ou de l'exercice des droits y afférents.
Article VIII : Communes
1. Le Kosovo aura les communes actuellement existantes. Des modifications pourront être apportées aux limites de communes par décision de l'Assemblée du Kosovo, après consultation des autorités des communes considérées.
2. Les communes pourront établir entre elles des relations mutuellement avantageuses.
3. Chaque commune disposera d'une Assemblée, d'un Conseil exécutif et des organes administratifs dont elle pourra décider la création.
a) Chaque communauté nationale dont les membres constituent au moins trois pour cent de la population d'une commune sera représentée au Conseil soit au pro rata de sa part de la population de la commune soit par un membre, selon la solution qui lui est le plus favorable.
b) En attente de la réalisation d'un recensement, les différends relatifs aux pourcentages de la population d'une commune aux fins du présent paragraphe seront réglés par référence aux déclarations d'appartenance aux communautés nationales figurant aux registres électoraux.
4. Les communes auront pour attributions :
a) l'application des lois comme mentionné au chapitre 2 du présent Accord ;
b) la réglementation et, en cas de nécessité, l'exercice des actions de protection de l'enfance ;
c) l'enseignement, en conformité avec les droits et devoirs des communautés nationales et dans un esprit de tolérance entre les communautés nationales et de respect des droits des membres de toutes les communautés nationales conformément aux normes internationales ;
d) la protection de l'environnement de la commune ;
e) la réglementation des activités commerciales et des magasins privés ;
f) la réglementation de la chasse et de la pêche ;
g) la prévision et la réalisation des travaux publics d'intérêt communal, notamment les routes et l'approvisionnement en eau, et la participation à la définition et à la réalisation des projets de travaux publics intéressant l'ensemble du Kosovo en coordination avec d'autres communes et avec les autorités du Kosovo ;
h) la réglementation des affaires foncières, d'urbanisme, de construction et de logement ;
i) la conception des programmes en matière de tourisme, d'hôtellerie, de restauration et de sports ;
j) l'organisation des foires et des marchés locaux ;
k) l'organisation des services publics d'intérêt communal, notamment en matière de lutte contre les incendies, d'interventions d'urgence et de police, en conformité avec le chapitre 2 du présent Accord ;
1) le financement du fonctionnement des institutions communales, y compris la collecte de taxes et de redevances, et la préparation des budgets.
5. Les communes auront également compétence dans tous les autres domaines relevant de l'autorité du Kosovo et non expressément réservés à une autre entité, sous réserve des dispositions de l'article Il paragraphe 5 (b) de la présente Constitution.
6. Chaque commune administrera ses affaires publiquement et tiendra à la disposition du public des registres de ses délibérations et décisions.
Article IX : Représentation
1. Les citoyens du Kosovo auront le droit de participer à l'élection :
a) d'au moins dix députés à la Chambre des citoyens de l'Assemblée fédérale ;
et
b) d'au moins vingt députés à l'Assemblée nationale de la République de Serbie.
2. Les modalités de l'élection des députés mentionnés au paragraphe 1 seront définies respectivement par la République fédérale de Yougoslavie et par la République de Serbie, en vertu de procédures à établir d'un commun accord avec le Chef de la Mission de mise en _uvre.
3. L'Assemblée aura la possibilité de soumettre aux autorités appropriées une liste de candidats à partir de laquelle seront sélectionnés :
a) au moins un citoyen du Kosovo appelé à être membre du Gouvernement fédéral et au moins un citoyen du Kosovo appelé à être membre du Gouvernement de la République de Serbie; et
b) au moins un juge de la Cour constitutionnelle fédérale, un juge de la Cour fédérale et trois juges de la Cour suprême de Serbie.
Article X : Amendement
1. L'Assemblée pourra adopter des amendements à la présente Constitution à la majorité des deux tiers de ses membres, dont une majorité des membres élus par chacune des communautés nationales conformément à l'article II paragraphe 1 (b) (ii).
2. Toutefois, l'article premier paragraphes 3 à 8 et le présent article ne pourront faire l'objet d'aucun amendement, et aucun amendement ne pourra restreindre les droits accordés par les articles VI et VII.
Article XI : Entrée en vigueur
La présente Constitution entre en vigueur dès la signature du présent Accord.
Chapitre 2
Police et sécurité publique civile
Article 1er : Principes généraux
1. Tous les organes, organisations et personnels de la force publique des Parties qui, aux fins du présent Chapitre, incluent les douanes et la police des frontières opérant au Kosovo, devront se conformer au présent Accord et observer les normes internationalement reconnues en matière de droits de l'homme et de légalité des procédures. Dans l'exercice de ses attributions, le personnel de la force publique ne devra pratiquer aucune discrimination pour quelque motif que ce soit, que ce soit le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l'origine nationale ou sociale, les liens avec une communauté nationale, les biens, la naissance ou un autre statut.
2. Les Parties invitent l'Organisation pour la Coopération et la Sécurité en Europe (OSCE), à surveiller et superviser, par l'intermédiaire de sa Mission de Mise en _uvre, l'application du présent Chapitre et des dispositions connexes du présent Accord. Le Chef de la Mission de Mise en _uvre ou une personne nommée par lui aura le pouvoir de donner des instructions contraignantes aux Parties et aux organes subsidiaires sur des questions de police et de sécurité civile publique pour obtenir le respect des dispositions du présent chapitre par les Parties. Les Parties conviennent de coopérer pleinement avec la Mission de mise en _uvre et de se conformer à ses directives. Le personnel affecté à des fonctions liées à la police au sein de la Mission de mise en _uvre sera autorisé à porter un uniforme lorsqu'il sert dans cette section de la Mission.
3. Dans l'exercice de ses fonctions, le chef de la Mission de mise en _uvre informera et consultera la KFOR en tant que de besoin.
4. La Mission de mise en _uvre sera habilitée à
(a) contrôler, observer et inspecter les activités, le personnel et les installations de la force publique, y compris les unités de la police des frontières et les unités des douanes, ainsi que les organismes, structures et procédures judiciaires y afférents ;
(b) conseiller les personnels et les forces chargés du maintien de l'ordre, y compris les unités de la police des frontières et des douanes et, si nécessaire, les faire se conformer au présent Accord, y compris au présent chapitre, et donner les instructions contraignantes appropriées en coordination avec la KFOR ;
(c) participer à la formation du personnel de la force publique et l'encadrer ;
(d) évaluer, en coordination avec la KFOR, les menaces pour l'ordre public ;
(e) informer et conseiller les autorités gouvernementales sur la manière de faire face à des menaces pour l'ordre public et sur l'organisation de services civils efficaces de maintien de l'ordre et
(f) assister les personnels de la force publique des Parties dans l'exercice de leurs fonctions, si la Mission de Mise en _uvre le juge approprié ;
(g) révoquer ou sanctionner le personnel de la force de sécurité publique des Parties pour des motifs justifiés, et
(h) demander à la communauté internationale un soutien approprié en matière de maintien de l'ordre afin de permettre à la Mission de Mise en _uvre de s'acquitter des fonctions qui lui sont assignées dans le présent Chapitre.
5. Toutes les autorités chargées du maintien de l'ordre et les autorités militaires du Kosovo, de la République et de la Fédération seront tenues, dans leurs domaines respectifs de compétences, d'assurer la liberté de circulation et la sécurité de passage de toutes personnes, de tous véhicules et de tous biens. Cette obligation inclut le devoir de permettre l'acheminement sans entrave, au Kosovo, des équipements policiers agréés par la Mission de mise en _uvre et le COMKFOR aux fins d'utilisation par la police du Kosovo et de tout autre soutien apporté dans le cadre de l'alinéa 4 (h) ci-dessus.
6. Les Parties s'engagent à se prêter mutuellement assistance, sur requête, pour la remise de personnes accusées d'avoir commis des actes criminels dans la juridiction d'une Partie et pour les enquêtes et poursuites relatives à des infractions commises au-delà de la frontière du Kosovo avec d'autres parties de la RFY. Les Parties élaboreront des procédures et mécanismes agréés pour répondre à de telles demandes. Le Chef de la Mission de mise en _uvre ou la personne nommée par lui régleront les différends sur ces questions.
7. La Mission de mise en _uvre aura pour objectif de transférer les fonctions de maintien de l'ordre définies à l'article II ci-dessous aux responsables et organisations de la force publique définis à l'article II ci-dessous dès que cela sera raisonnablement possible sans compromettre la sécurité publique civile.
Article II : Police communale
1. A mesure qu'elles seront constituées, les unités de la police communale, organisées et postées aux niveaux communal et municipal, auront la responsabilité première de faire respecter la loi au Kosovo. La police communale aura notamment pour attributions spécifiques les patrouilles de police et la prévention de la criminalité, les enquêtes judiciaires, l'arrestation et la détention d'individus suspectés d'infractions pénales, le contrôle des foules et la surveillance de la circulation.
2. Effectifs et composition : L'effectif total de la police communale opérant au Kosovo établie en vertu du présent Accord ne devra pas excéder 3 000 agents de la force publique en service actif. Toutefois, le Chef de la Mission de mise en _uvre aura le pouvoir de relever ou d'abaisser ce plafond d'effectifs s'il estime que cette mesure est nécessaire pour répondre à des besoins opérationnels. Avant de prendre une telle mesure, le Chef de la Mission de mise en _uvre devra se concerter avec l'Administration de la Justice pénale et d'autres responsables, en tant que de besoin. Les communautés nationales de chaque commune devront être équitablement représentées au sein de l'unité de police communale.
3. Administration de la justice pénale :
a. Une Administration de la Justice pénale (AJP) devra être mise en place. Il s'agira d'un organe administratif du Kosovo, qui devra rendre compte à un membre approprié du Gouvernement du Kosovo désigné par le Gouvernement. L'AJP assurera la coordination générale des opérations de maintien de l'ordre au Kosovo. Les attributions spécifiques de l'AJP seront notamment de superviser globalement et de conseiller les forces de police communales par l'intermédiaire de leurs commissaires, d'aider à coordonner des forces de police communales individuelles et de contrôler les opérations de l'Ecole de police. Dans l'exercice de ces fonctions, l'AJP peut émettre des directives qui seront contraignantes pour les commissaires et personnels de la police communale. Dans l'exercice de ses fonctions, l'AJP sera soumis aux instructions données par le Chef de la Mission de mise en _uvre.
b. Dans les douze mois suivant la mise en place de l'AJP, celle-ci devra soumettre pour examen au Chef de la Mission de mise en _uvre un plan relatif à la coordination et au développement des organes et personnels de la force publique au Kososo placés sous sa juridiction. Ce plan servira de cadre pour la coordination et le développement des personnels de la force publique et pourra être modifié par le Chef de la Mission de mise en _uvre.
c. La Mission de mise en _uvre s'efforcera de développer les capacités de l'AJP aussi rapidement que possible. Tant que le Chef de la Mission de mise en _uvre estimera que l'AJP n'est pas en mesure d'assumer correctement les fonctions définies au paragraphe précédent, la Mission de mise en _uvre s'acquittera de ces fonctions.
4. Commissaires communaux. Sous réserve de réexamen par le Chef de la Mission de mise en _uvre, chaque commune nommera et pourra révoquer pour des motifs justifiés, par un vote majoritaire du conseil communal, un commissaire chargé des opérations de police au sein de la commune.
5. Service dans la police
(a) Le recrutement du personnel de sécurité publique s'effectuera principalement au niveau local. En concertation avec les commissions de justice pénale communales, les autorités locales et communales, désigneront des candidats au poste d'agent de police pour suivre une formation à l'Ecole de police du Kosovo. Les propositions d'emploi ne seront présentées par les commissaires de la police communale, avec l'accord du directeur de l'Ecole, que lorsque le candidat aura achevé avec succès la formation de base des recrues assurée par l'Ecole.
(b) Le recrutement, la sélection et la formation des agents de police communaux seront effectués sous la direction de la Mission de mise en _uvre durant sa période d'activités.
(c) Aucune interdiction de servir dans la police communale ne pourra être prononcée en raison d'activités politiques antérieures. Toutefois, durant la période où ils seront en fonction, les membres de la police ne seront pas autorisés à participer aux activités politiques d'un parti mais pourront en être membres.
(d) Le maintien dans les fonctions de police est subordonné à un comportement compatible avec les dispositions du présent Accord, y compris du présent chapitre. La Mission de mise en _uvre supervisera des évaluations régulières des prestations des agents, qui seront effectuées conformément aux normes internationales en la matière.
6. Uniformes et équipement
(a) Tous les agents de police communaux à l'exception de ceux participant à des opérations de contrôle des foules devront porter un uniforme standard. Les uniformes devront comporter un badge, une photographie d'identité et l'indication du nom de leur propriétaire.
(b) Les agents de la police communale peuvent être équipés d'une arme de poing, de menottes, d'une matraque et d'une radio.
(c) Sous réserve d'une autorisation ou d'une modification par le Chef de la Mission de mise en _uvre, chaque commune ne peut détenir, au quartier général communal ou dans des postes municipaux, plus d'une arme longue d'un calibre inférieur à 7.62 mm pour quinze agents de police affectés à la commune. Chacune de ces armes devra être agréée et enregistrée par le Chef de la Mission de mise en _uvre et la KFOR conformément aux procédures fixées par ceux-ci. Lorsqu'elles ne sont pas utilisées, toutes les armes de ce type seront entreposées en sécurité et chaque commune devra tenir un registre de ces armes.
(i) En cas de menace grave pour le maintien de l'ordre justifiant l'emploi de ces armes, le commissaire de la police communale devra obtenir l'accord de la Mission de mise en _uvre avant d'utiliser ces armes.
(ii) Le commissaire de la police communale ne peut autoriser l'emploi de ces armes sans accord préalable de la Mission de mise en _uvre qu'à des fins de légitime défense. Dans de tels cas, il devra rendre compte de l'incident à la Mission de mise en _uvre et à la KFOR une heure au plus tard après sa survenue.
(iii) Si le chef de la Mission de mise en _uvre établit qu'une arme a été employée par un membre de la police communale en violation du présent chapitre, il peut prendre les mesures correctives appropriées; ces mesures peuvent inclure la réduction du nombre d'armes de ce type que la force de police communale est autorisée à détenir ou la révocation du personnel de la force public impliqué ou l'infliction d'une sanction à son encontre.
(d) Les agents de police communaux exerçant des fonctions de contrôle des foules recevront les équipements appropriés à leurs tâches, notamment des matraques, des casques et des boucliers sous réserve de l'accord de la Mission de mise en _uvre.
Article III : Ecole de Police provisoire
1. Sous la supervision de la Mission de mise en _uvre, l'AJP mettra en place une Ecole de police provisoire qui proposera une formation obligatoire et un perfectionnement professionnel à tous les personnels de la force publique, y compris la police des frontières. Jusqu'à la mise en place de l'école de police provisoire, la Mission de mise en _uvre supervisera un programme de formation temporaire destiné aux personnels de la force publique, y compris à la police des frontières.
2. Tous les personnels de la sécurité publique devront achever avec succès un stage de formation policière avant de servir en tant qu'agents de police communaux.
3. L'Ecole sera dirigée par un directeur nommé et révoqué par l'AJP en concertation avec la Commission de justice pénale du Kosovo et la Mission de mise en _uvre. Le directeur se concertera étroitement avec la Mission de mise en _uvre et se conformera intégralement à ses recommandations et avis.
4. Tous les établissements de formation de la police de la république et de la Fédération au Kosovo, y compris l'académie située à Vucitrn, cesseront leurs activités dans un délai de six mois à compter de l'entrée en vigueur du présent Accord.
Article IV : Commissions de justice pénale
1. Les Parties établiront une Commission de justice pénale du Kosovo et des Commissions de justice pénale communales. Le Chef de la Mission de mise en _uvre ou une personne désignée par lui présideront les réunions de ces commissions. Celles-ci seront des instances de coopération, de coordination et de règlement des différends relatifs à l'application de la loi et à la sécurité publique civile au Kosovo.
2. Les Commissions auront notamment les fonctions suivantes :
(a) Surveillance, examen et formulation de recommandations relatives aux activités du personnel de la force publique et aux mesures prises pour faire appliquer la loi au Kosovo, y compris celles des unités de police communale.
(b) Examen et formulation de recommandations relatives au recrutement, à la sélection et à la formation des agents et commissaires de police communaux.
(c) Examen des plaintes relatives aux pratiques policières déposées par des particuliers ou des communautés nationales, fourniture d'informations et formulation de recommandations aux commissaires de police communaux et au Chef de la Mission de mise en _uvre pour prise en compte dans leurs évaluations des prestations des agents ; et
(d) A la Commission de Justice pénale du Kosovo uniquement: en concertation avec les agents de police de liaison désignés au niveau local, au niveau de la République et de la Fédération, surveillance du partage de compétence dans des affaires de chevauchement de juridiction pénale entre les autorités du Kosovo, de la République et de la Fédération.
3. La composition de la Commission de Justice pénale du Kosovo et de chaque commission de justice pénale communale devra être représentative de la population et inclure :
(a) A la Commission de justice pénale du Kosovo :
(i) un représentant de chaque commune.
(ii) le chef de l'AJP du Kosovo.
(iii) un représentant de chaque organe de la force publique de la République et de la Fédération opérant au Kosovo (par exemple la police douanière et la police des frontières).
(iv) un représentant de chaque communauté nationale.
(v) un représentant de la Mission de mise en _uvre, durant la période d'activités de celle-ci au Kosovo.
(vi) un représentant des gardes frontières des forces armées de la RFY, en tant que de besoin.
(vii) un représentant des MUP, tant que de besoin, durant leur présence au Kosovo, et
(viii) Un représentant de la KFOR, en tant que de besoin.
(b) Dans les commissions de justice pénale communales
(i) le commissaire de police communal.
(ii) un représentant de tout organe de la force publique de la République ou de la Fédération opérant dans la commune.
(iii) un représentant de chaque communauté nationale.
(iv) un représentant civil des autorités communales.
(v) un représentant de la Mission de mise en _uvre, durant la période d'activité de celle-ci au Kosovo.
(vi) un représentant des gardes frontières des forces armées de la RFY, doté d'un statut d'observateur, en tant que de besoin ; et.
(vii) un représentant de la KFOR, en tant que de besoin.
4. Chaque commission de justice pénale se réunira au moins une fois par mois ou à la demande de tout membre de la Commission.
Article V : Opérations policières au Kosovo
1. La police communale constituée en vertu du présent Accord aura une compétence et une juridiction exclusives en matière de maintien de l'ordre et constituera la seule présence policière au Kosovo après la réduction et le retrait éventuel des MUP du Kosovo, à l'exception de la police des frontières, ainsi qu'il est spécifié à l'article VI, et de tout renfort apporté en application de l'article 1 (3) (h) :
(a) Durant la transition vers la police communale, les effectifs restants des MUP rempliront uniquement des fonctions policières normales et seront réduits conformément au calendrier figurant au chapitre 7.
(b) Durant la période de réduction progressive des MUP, les MUP du Kosovo seront uniquement habilités à remplir des fonctions de police civile et seront placés sous la supervision et la direction du Chef de la Mission de mise en _uvre. Le Chef de la Mission de mise en _uvre pourra démettre de ses fonctions tout membre du personnel des MUP qui ferait obstruction à la mise en _uvre du présent Accord ou prendre toute autre mesure disciplinaire à son encontre.
2. Coopération en matière de maintien de l'ordre au Kosovo
(a) Sous réserve des dispositions de l'article V 1 et de l'article VI, les agents de la force publique de la Fédération et de la République ne peuvent agir au Kosovo qu'en cas de poursuite à vue d'une personne suspectée d'avoir commis une infraction pénale grave.
(i) Les autorités de la Fédération et de la République engagées dans une poursuite à vue aviseront les responsables de la force publique du Kosovo les plus proches, dès que possible mais dans tous les cas au plus tard une heure après leur entrée au Kosovo que la frontière du Kosovo a été franchie dans le cadre de la poursuite. Une fois cette notification faite, la poursuite et l'arrestation seront coordonnées avec la force publique du Kosovo. Après l'arrestation, les suspects seront placés sous la garde des autorités qui ont été à l'origine de la poursuite. Si le suspect n'a pas été arrêté dans un délai de quatre heures, les autorités qui ont été à l'origine de la poursuite cesseront celle-ci et quitteront immédiatement le Kosovo sauf si elles sont invitées par l'AJP ou le Chef de la Mission de mise en _uvre à continuer leur poursuite.
(ii) Si la brièveté de la poursuite exclut toute notification, les responsables de la force publique du Kosovo seront avisés qu'une arrestation a été effectuée et il devront avoir accès au détenu avant son transfert du Kosovo.
(iii) Le personnel engagé dans la poursuite à vue aux termes des dispositions du présent article ne peut appartenir qu'à la police civile ; il ne peut porter que des armes appropriées pour des fonctions normales de police civile (armes de poing et armes longues d'un calibre de 7.62 mm au plus), ne peut se circuler que dans des véhicules de police revêtus des marques officielles et ses effectifs ne peuvent excéder 8 personnes en tout à chaque fois. Il est strictement interdit aux personnels de la police engagés dans une poursuite à vue de se déplacer dans des véhicules blindés.
(iv) Les mêmes règles s'appliqueront à la poursuite à vue de suspects sur le territoire fédéral hors du Kosovo par les autorités de la force publique du Kosovo.
(b) En réponse à des demandes raisonnables, toutes les Parties devront se prêter l'entraide mutuelle la plus large possible pour les affaires de maintien de l'ordre.
Article VI : Sécurité aux frontières internationales
1. Le Gouvernement de la RFY maintiendra des points de passage officiels le long de ses frontières internationales (Albanie et ARYM).
2. Le personnel issu des organisations énumérées ci-dessous peut être présent le long des frontières internationales du Kosovo et aux points de passage des frontières internationales mais ne peut agir en dehors de la compétence des autorités visées au présent chapitre.
(a) Police des frontières de la République de Serbie.
(i) La police des frontières continuera d'exercer son autorité aux points de passage des frontières internationales du Kosovo et dans le cadre de l'application des lois de la République fédérale de Yougoslavie en matière d'immigration. Les effectifs totaux de la police des frontières devront être réduits à 75 personnes dans les quatorze jours qui suivront l'entrée en vigueur du présent Accord.
ii) Tout en maintenant le plafond d'effectifs visé à l'alinéa (i), les effectifs des unités actuelles de la police des frontières opérant au Kosovo seront complétés par de nouvelles recrues de façon à ce qu'ils soient représentatifs de la population du Kosovo
(iii) Tous les effectifs de police des frontières stationnés au Kosovo devront suivre une formation policière à l'Ecole de police du Kosovo dans un délai de 18 mois à compter de l'entrée en vigueur du présent Accord.
(b) Fonctionnaires des douanes.
(i) Le service des douanes de la RFY continuera à exercer sa compétence douanière aux points de passage officiels de la frontière internationale et dans les entrepôts douaniers en tant que de besoin au Kosovo. Les effectifs totaux des douanes seront réduits à 50 personnes dans les 14 jours qui suivront l'entrée en vigueur du présent Accord.
(ii) Les agents kosovars d'origine albanaise du service des douanes seront formés et rétribués par la RFY.
(c) Le chef de la Mission de mise en _uvre procédera à un inventaire périodique des besoins des douanes et de la police des frontières et sera habilité à relever ou abaisser les plafonds d'effectifs définis aux paragraphes (a) (i) et (b) (i) ci-dessus afin de tenir compte des besoins opérationnels et d'ajuster la composition de certaines unités douanières.
Article VII: Arrestation et détention
1. Sous réserve des dispositions de l'article V, de l'article I (3) (h) et des alinéas (a) - (b) du présent paragraphe, seuls les agents de la police communale seront habilités à arrêter et détenir des individus sur le territoire du Kosovo.
(a) Les agents de la Police des frontières seront habilités à arrêter et détenir au Kosovo les auteurs d'infractions aux dispositions pénales de la législation sur l'immigration.
(b) Les agents du Service des Douanes seront habilités à arrêter et détenir au Kosovo les auteurs d'infractions pénales à la législation douanière.
2. Immédiatement après avoir procédé à une arrestation, l'agent responsable de l'arrestation doit notifier à la Commission de justice pénale communale la plus proche la détention et le lieu où se trouve le détenu. Il doit par la suite transférer dès que possible le détenu vers la prison appropriée la plus proche au Kosovo.
3. Les agents de la police peuvent faire usage de la force raisonnable et nécessaire en fonction des circonstances pour effectuer les arrestations et garder à vue les suspects.
4. Le Kosovo et les communes qui le composent établiront des maisons d'arrêt et des prisons destinées à la détention des suspects d'infractions pénales et à l'emprisonnement des individus déclarés coupables de violations de la législation en vigueur du Kosovo. Les prisons fonctionneront conformément aux nonnes internationales. Le personnel des organisations internationales, notamment les représentants du Comité international de la Croix-Rouge pourront y avoir accès.
Article VIII : Administration de la justice
1. Juridiction pénale sur les personnes arrêtées au Kosovo
(a) Sous réserve des dispositions de l'Article V et de l'alinéa (b) du présent paragraphe, toute personne arrêtée au Kosovo relèvera de la juridiction des tribunaux du Kosovo.
(b) Toute personne arrêtée au Kosovo, conformément à la législation et au présent Accord, par la police des frontières ou la police des douanes, relèvera de la juridiction des tribunaux de la RFY. Si aucun tribunal de la RFY n'est compétent pour examiner l'affaire, les tribunaux du Kosovo seront compétents.
2. Poursuites d'infractions pénales
(a) En concertation avec le Chef de la Mission de mise en _uvre, l'AJP nommera et sera habilitée à démettre un procureur général.
(b) La Mission de mise en _uvre sera habilitée à surveiller, observer, inspecter et si nécessaire diriger les opérations du Parquet et de l'ensemble du personnel qui lui est rattaché.
Article IX : Compétence d'interprétation en dernier ressort
Le Chef de la Mission de mise en _uvre est compétent en dernier ressort pour interpréter le présent Chapitre et ses décisions sont contraignantes pour toutes Parties et personnes.
Chapitre 3
Conduite et surveillance des élections
Article 1er : Conditions nécessaires pour des élections
1. Les Parties doivent veiller à ce que les conditions soient réunies pour l'organisation d'élections libres et équitables, et notamment, mais non exclusivement :
a) la liberté de circulation pour tous les citoyens ;
b) un climat d'ouverture et de liberté politique ;
c) un climat propice au retour des personnes déplacées ;
d) un climat de sécurité garantissant la liberté de réunion, d'association et d'expression ;
e) un cadre juridique constitué de règles et de règlements électoraux conformes aux engagements de l'OSCE, qui sera mis en _uvre par la Commission centrale des élections visée à l'article III, qui représente la population du Kosovo en termes de communautés nationales et de partis politiques ; et
f) la liberté de la presse, qui doit être accessible aux partis et candidats politiques déclarés et à la disposition de tous les électeurs du Kosovo.
2. Les Parties demandent à l'OSCE de certifier à quelle date pourront se dérouler les élections, compte tenu de la situation au Kosovo, et de prêter assistance aux Parties afin de créer les conditions d'élections libres et équitables.
3. Les Parties se conformeront pleinement aux dispositions des paragraphes 7 et 8 du Document de Copenhague de l'OSCE, qui sont joints à ce chapitre.
Article II : Rôle de l'OSCE
2. Les Parties demandent à l'OSCE d'adopter et de mettre en place un programme d'élections pour le Kosovo et de surveiller les élections conformément aux dispositions du présent Accord.
3. Les Parties demandent à l'OSCE de surveiller, selon les modalités qu'elle déterminera et en coopération avec les autres organisations internationales que l'OSCE jugerait nécessaires, la préparation et la tenue d'élections pour élire :
a) les membres de l'Assemblée du Kosovo,
b) les membres des Assemblées communales,
c) d'autres représentants élus par la population conformément au présent Accord, aux lois et à la Constitution du Kosovo, selon l'appréciation de l'OSCE.
Les Parties demandent à l'OSCE de mettre en place une Commission centrale des élections au Kosovo (ci-après dénommée « la Commission »).
4. Conformément à l'article IV du Chapitre 5, les premières élections devront se tenir dans un délai de neuf mois à compter de l'entrée en vigueur du présent Accord. Le président de la Commission arrêtera, après consultation des Parties, le calendrier et l'ordre précis des élections aux organes politiques du Kosovo.
Article III : La Commission centrale des élections
1 La Commission adoptera des règles et règlements électoraux régissant toutes les questions nécessaires à la tenue d'élections libres et équitables au Kosovo, et notamment en ce qui concerne les conditions d'éligibilité et d'enregistrement des candidats, et les conditions relatives aux partis, aux électeurs - y compris les personnes déplacées et les réfugiés - et à leur enregistrement ; les garanties d'une campagne électorale libre et équitable ; la préparation administrative et technique des élections, y compris la détermination, la publication et la certification des résultats définitifs des élections, ainsi que le rôle des observateurs nationaux et internationaux des élections.
2. Conformément aux règles et règlements électoraux, la Commission aura pour attribution :
a) de veiller à la préparation, à la tenue et à la surveillance du processus électoral sous tous ses aspects, y compris la réalisation et la surveillance de l'enregistrement des partis politiques et des électeurs, la mise en place de procédures transparentes et sûres de fabrication et de distribution des bulletins de vote et du matériel électoral sensible, de décompte des voix, de dépouillement et de publication des résultats des élections ;
b) de veiller au respect des règles et règlements électoraux définis en vertu du présent Accord, notamment en créant des organes auxiliaires en tant que de besoin ;
c) de veiller à ce que des mesures soient prises pour remédier à toute violation de l'une des dispositions du présent Accord, et notamment d'appliquer des sanctions telles que le retrait des listes de candidats ou de partis, contre toute personne, candidat, parti politique ou organisation qui violerait ces dispositions ; et
d) d'accréditer les observateurs, notamment les personnels des organisations internationales et des organisations non gouvernementales étrangères et nationales, et de veiller à ce que les Parties accordent aux observateurs accrédités une totale liberté d'accès et de circulation.
3. La Commission sera constituée d'une personne nommée par le Président en exercice de l'OSCE, de représentants de toutes les communautés nationales, et de représentants des partis politiques du Kosovo choisis selon des critères qui seront définis par la Commission. La personne nommée par le Président en exercice assumera les fonctions de président de la Commission. Le règlement intérieur de la Commission disposera que dans l'éventualité exceptionnelle d'un différend non résolu au sein de la Commission, la décision du Président sera définitive et contraignante.
4. La Commission aura le droit de se doter de moyens de communication et de recruter du personnel local et administratif.
Chapitre 4
Questions économiques
Article 1
1. L'économie du Kosovo fonctionnera selon les principes du libéralisme économique.
2. Les autorités habilitées à lever et à percevoir les impôts et autres taxes sont mises en place par le présent Accord. Sauf disposition expresse contraire, toutes les autorités ont le droit de conserver l'intégralité des recettes provenant de leurs propres impôts ou autres taxes, conformément au présent Accord.
3. Certaines recettes des impôts et droits du Kosovo reviendront aux communes en tenant compte de la nécessité d'une répartition équitable des recettes entre les communes, sur la base de critères objectifs. A cette fin, l'Assemblée du Kosovo adoptera une législation non discriminatoire adaptée. En vertu du présent Accord, les communes peuvent également prélever les impôts locaux.
4. La République fédérale de Yougoslavie sera chargée de percevoir la totalité des droits de douane collectés aux frontières internationales du Kosovo. Il n'y aura aucun obstacle à la liberté de mouvement des personnes, biens, services et capitaux vers le Kosovo et en provenance du Kosovo.
5. Les autorités fédérales veilleront à ce que le Kosovo reçoive une part équitable et proportionnelle des bénéfices pouvant provenir d'accords internationaux conclus par la République fédérale, ainsi que des ressources fédérales.
6. Les autorités fédérales et les autres autorités veilleront, dans la limite de leurs pouvoirs et responsabilités respectifs, à la libre circulation des personnes, biens, services et capitaux à destination du Kosovo, notamment en provenance de l'étranger. Elles permettront en particulier aux personnes chargées de fournir ces biens et ces services d'accéder librement et sans discrimination au Kosovo.
7. Si la demande expresse en est faite par un donateur ou un bailleur de fonds international, des contrats internationaux pour des projets de reconstruction seront conclus par les autorités de la République fédérale de Yougoslavie, qui créera des mécanismes appropriés permettant de fournir ces fonds au autorités du Kosovo. A moins que ce ne soit exclu en vertu des dispositions contractuelles, tous les projets de reconstruction concernant exclusivement le Kosovo seront gérés et mis en _uvre par les autorités compétentes du Kosovo.
Article II
1. Les Parties conviennent de modifier le régime de propriété et l'affectation des ressources conformément, dans la mesure du possible, à la répartition des compétences et des responsabilités énoncées dans le présent Accord, dans les domaines suivants :
(a) le patrimoine public (notamment les établissements d'enseignement, les hôpitaux, les ressources naturelles, et les équipements productifs) ;
(b) les cotisations aux caisses de retraite et de sécurité sociale ;
(c) les recettes devant être réparties au titre de l'Article I.5 ; et
(d) toutes autres questions ayant trait aux relations économiques entre les Parties et qui ne relèvent pas du présent Accord.
2. Les Parties conviennent de créer une Commission de règlement des différends (CSC) pour résoudre tous les litiges qui les opposent sur les sujets mentionnés au paragraphe 1.
(a) La Commission de règlement des différends est composée de trois experts désignés par le Kosovo, de trois experts désignés conjointement par la République fédérale de Yougoslavie et la République de Serbie, et de trois experts indépendants désignés par le chef de la Mission de mise en _uvre (CIM).
(b) Les décisions de la Commission de règlement des différends, qui sont prises par vote majoritaire, sont définitives et contraignantes. Elles sont mises en _uvre rapidement.
3. Les autorités auxquelles est confiée la propriété d'installations publiques auront le pouvoir de les diriger.
Chapitre 4 A
Assistance humanitaire, Reconstruction et Développement économique
1. Parallèlement à la mise en _uvre continue et intégrale du présent Accord, il faut se préoccuper d'urgence de satisfaire les véritables besoins humanitaires et économiques du Kosovo, afin de contribuer à créer les conditions propices à la reconstruction et à une reprise économique durable. L'aide internationale sera fournie sans faire de distinction entre les communautés nationales.
2. Les Parties se réjouissent que la Commission européenne, en collaboration avec la communauté internationale, soit disposée à coordonner le soutien international apporté aux efforts des Parties. La Commission européenne, en particulier, organisera une conférence internationale de bailleurs de fonds un mois au plus tard après l'entrée en vigueur du présent Accord. Martine
3. La communauté internationale fournira une aide humanitaire immédiate et inconditionnelle, destinée principalement aux réfugiés et aux personnes déplacées à l'intérieur du Kosovo qui réintègrent leur domicile. Les Parties se réjouissent du rôle moteur joué par le UNHCR en vue de coordonner cet effort et l'approuvent, de même que son intention d'organiser, en étroite coopération avec la Mission de mise en _uvre, le retour rapide, pacifique, ordonné et progressif des réfugiés et des personnes déplacées, et ce dans la sécurité et la dignité. Martine
4. La communauté internationale fournira les moyens d'améliorer rapidement les conditions de vie de la population du Kosovo au moyen de la reconstruction et de la réhabilitation de logements et des infrastructures locales (notamment pour l'eau, l'énergie, les soins médicaux et l'enseignement local), sur la base de rapports d'évaluation des dégâts.
5. Une aide sera également fournie pour appuyer la mise en place et le développement du cadre institutionnel et législatif établi par le présent Accord, comprenant notamment la gestion locale des affaires publiques et le régime fiscal, et pour renforcer la société civile, la culture et l'éducation. Les questions d'aide sociale seront également traitées, la priorité étant donnée à la protection des groupes sociaux vulnérables.
6. Il sera également essentiel de poser les bases d'un développement durable, en relançant l'économie locale. Ceci doit prendre en compte la nécessité de s'attaquer au problème du chômage et d'encourager la reprise économique à l'aide de divers mécanismes. La Commission européenne s'y consacrera sans délai.
7. L'aide internationale, à l'exception de l'aide humanitaire, sera régie intégralement par le présent Accord et les autres principes de conditionnalité définis au préalable par les bailleurs de fonds. Elle est fonction également de la capacité d'absorption du Kosovo.
Chapitre 5
Mise en _uvre I
Article 1er : Institutions
Mission de mise en _uvre
1. Les Parties invitent l'OSCE à constituer une Mission de mise en _uvre au Kosovo, en coopération avec l'Union européenne. Toutes les responsabilités et tous les pouvoirs dont la Mission de vérification au Kosovo et son chef étaient jusqu'ici investis au titre d'accords précédents sont transmis à la Mission de mise en _uvre et à son chef.
Commission mixte
2. Une Commission mixte sert de mécanisme central de contrôle et de coordination de la mise en _uvre civile du présent Accord. Elle est composée du chef de la Mission de mise en _uvre (CIM), d'un représentant de la Fédération et d'un représentant de la République, d'un représentant de chacune des communautés nationales du Kosovo, du Président de l'Assemblée, et d'un représentant du Président du Kosovo. Peuvent assister aux réunions de la Commission mixte d'autres représentants des organisations désignées dans le présent Accord ou dont le concours est nécessaire à sa mise en _uvre.
3. Le chef de la Mission de mise en _uvre assume la présidence de la Commission mixte. Le président coordonne et organise les travaux de la Commission mixte et décide de l'heure et du lieu de ses réunions. Les Parties se conforment aux décisions de la Commission mixte et en assurent l'exécution intégrale. La Commission mixte fonctionne sur la base du consensus, mais en l'absence de consensus la décision du président est considérée comme étant sans appel.
4. Le président a un accès libre et entier à tous les lieux, toutes les personnes et toutes les information (y compris des documents et autres archives) à l'intérieur du Kosovo qu'il considère nécessaires à l'exercice de ses responsabilités en ce qui concerne les aspects civils du présent Accord.
Conseil mixte et Conseils locaux
5. Le chef de la Mission de mise en _uvre peut, en tant que de besoin, créer un Conseil mixte du Kosovo et des Conseils locaux destinés à fournir un cadre informel pour la résolution des litiges et la coopération. Au Conseil mixte du Kosovo, chaque communauté nationale du Kosovo aurait un représentant. Les Conseils locaux seraient constitués de représentants de chacune des communautés nationales établie dans la localité du Conseil local.
Article II : Responsabilité et Pouvoirs
1. Le président de la Mission de mise en _uvre :
(a) supervise et dirige la mise en _uvre des aspects civils du présent Accord conformément au calendrier arrêté par lui ;
(b) reste en contact étroit avec les Parties en vue de promouvoir le respect total de ces aspects du présent Accord ;
(c) facilite, dans la mesure où il le juge nécessaire, la résolution des difficultés se rapportant à la mise en _uvre des aspects civils du présent Accord ;
(d) participe aux réunions des organisations de donateurs, y compris à celles consacrées aux questions de réhabilitation et de reconstruction, et formule, en particulier, des propositions et identifie les priorités à traiter, si besoin ;
(e) coordonne les activités au Kosovo des organisations et agences civiles qui aident à la mise en _uvre des aspects civils du présent Accord, dans le plein respect de leurs procédures organisationnelles spécifiques ;
(f) rend compte périodiquement aux organismes chargés de constituer la Mission de contrôle du progrès de la mise en _uvre des aspects civils du présent Accord, et
(g) s'acquitte des fonctions définies dans le présent Accord eu égard aux forces de police et de sécurité.
2. Le chef de la Mission de mise en _uvre s'acquitte d'autres responsabilités énoncées dans le présent Accord ou dont il pourra être convenu ultérieurement.
Article III : Statut de la Mission de mise en _uvre
1. Le personnel de la Mission de mise en _uvre bénéficie en permanence d'une totale liberté d'accès au Kosovo et de déplacement à l'intérieur du Kosovo.
2. Les Parties facilitent les opérations de la Mission de mise en _uvre, y compris par la fourniture de l'assistance nécessaire pour les transports, le ravitaillement, le logement, la communication et tous autres services.
3. La Mission de mise en _uvre ales pouvoirs juridiques compatibles avec l'exercice de ses fonctions en vertu des lois et des règlements du Kosovo, de la République fédérale de Yougoslavie, et de la République de Serbie. Ces pouvoirs comprennent celui de passer des contrats, ainsi que d'acquérir et de vendre des biens meubles et immeubles.
4. En vertu du présent Accord, la Mission de mise en _uvre et tout personnel associé bénéficient des privilèges et immunités suivantes :
(a) la Mission de mise en _uvre, ainsi que ses locaux, ses archives et tous autres biens, bénéficient des mêmes privilèges et immunités qu'un poste diplomatique aux termes de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ;
(b) le chef de la Mission de mise en _uvre, les professionnels faisant partie de son personnel et leurs familles, bénéficient des mêmes privilèges et immunités que ceux des agents diplomatiques et leurs familles aux termes de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques ; et
(c) les autre membres de la Mission de mise en _uvre et leurs familles bénéficient des mêmes privilèges et immunités que ceux des personnels administratifs et techniques et leurs familles aux termes de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.
Article IV : Processus de mise en _uvre
Dispositions générales
1. Les Parties reconnaissent que la mise en _uvre intégrale du présent Accord requiert des actes et des mesures politiques, ainsi que la procédure d'élection et la création des institutions et organes prévus par le présent Accord. Les Parties conviennent de s'acquitter de ces tâches dans les meilleurs délais conformément au calendrier arrêté par la Commission mixte. Les Parties apportent leur soutien actif, coopèrent et participent activement au succès de la mise en _uvre du présent Accord.
Élections et Recensement
2. Dans un délai de neuf mois à compter de l'entrée en vigueur du présent Accord, des élections seront organisées conformément aux procédures définies au Chapitre 3 du présent Accord pour élire les membres des institutions qui y sont définies, la liste des électeurs étant préparée selon les normes internationales par la Commission centrale des élections. L'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) supervisera ces élections afin d'en garantir la liberté et l'équité.
3. Sous le contrôle de l'OSCE et avec la participation des autorités du Kosovo et d'experts désignés par les communautés nationales du Kosovo auxquelles ils appartiennent, les autorités fédérales organiseront un recensement libre et objectif de la population du Kosovo, selon les règles et critères convenus avec l'OSCE conformément aux normes internationales. Le recensement sera effectué lorsque l'OSCE considérera que les conditions sont réunies pour y procéder de manière objective et exacte.
(a) Le premier recensement se limitera aux nom, lieu de naissance, lieu de résidence habituel et adresse, sexe, âge, citoyenneté, communauté nationale et religion.
(b) Les autorités des Parties se fournissent mutuellement et fournissent à l'OSCE tous les documents nécessaires à l'organisation du recensement, notamment les données relatives aux lieux de résidence, citoyenneté, liste des électeurs et toute autre information.
Arrangements pour la période transitoire
4. Toutes les lois et tous les règlements en vigueur au Kosovo lors de l'entrée en vigueur du présent Accord resteront en vigueur tant qu'ils n'auront pas été remplacés par des lois et des règlements adoptés par un organe compétent. Toutes les lois et tous les règlements applicables au Kosovo qui sont incompatibles avec le présent Accord seront considérés comme ayant été mis en conformité avec le présent Accord. En particulier, la loi martiale au Kosovo est abrogée par le présent Accord.
5. Les institutions actuelles du Kosovo continueront d'exister tant qu'elles n'auront pas été remplacées par les organes créés en vertu du présent Accord. Le chef de la Mission de mise en _uvre peut conseiller aux autorités appropriées la révocation ou la nomination de responsables et la réduction des opérations des institutions actuelles du Kosovo s'il le juge nécessaire en vue de la mise en _uvre efficace du présent Accord. Si les mesures recommandées ne sont pas prises dans les délais requis, la Commission mixte peut décider d'en imposer l'application.
6. Avant l'élection de responsables du Kosovo conformément au présent Accord, le chef de la Mission de mise en _uvre prendra les mesures nécessaires en vue d'assurer le développement et le fonctionnement de médias indépendants dans le respect des normes internationales, notamment en ce qui concerne la répartition des fréquences de radio et de télévision.
Article V : Pouvoir d'interprétation
Le chef de la Mission de mise en _uvre est l'autorité suprême sur le terrain pour ce qui est de l'interprétation des aspects civils du présent Accord, et les Parties conviennent de se conformer à ses décisions comme ayant force exécutoire pour tous et pour toutes les Parties.
Chapitre 6
Le Médiateur (Ombudsman)
Article 1: Dispositions générales
1. Le médiateur est chargé de contrôler le respect des droits des membres des communautés nationales et de protéger les droits de l'Homme et les libertés fondamentales au Kosovo. Le médiateur bénéficie d'un accès sans entrave à toute personne et à tout lieu et a le droit, s'il le souhaite, de se présenter ou d'intervenir auprès de toute autorité locale, fédérale, ou internationale (dans le respect des règles de l'organisme concerné). Aucun individu, ni institution ni entité des Parties ne peut intervenir dans l'exécution de ses fonctions.
2. Le Médiateur est une personnalité d'une autorité morale reconnue, qui a fait la preuve de son engagement en faveur des droits de l'homme et de ceux des membres des communautés nationales. Il ou elle, est désigné(e) par le Président du Kosovo et élu(e) par l'Assemblée à partir d'une liste de candidats préparée par le Président de la Cour européenne des droits de l'homme pour un mandat non renouvelable de trois ans. Le Médiateur ne peut être ressortissant d'un État ou d'une entité ayant appartenu à l'ex-Yougoslavie ou d'un État voisin quel qu'il soit. Dans l'attente de l'élection du Président et de l'Assemblée, le chef de la Mission de mise en _uvre désignera une personne pour assurer les fonctions de Médiateur par l'intérim, à laquelle succédera une personne choisie conformément à la procédure énoncée au présent paragraphe.
3. Le Médiateur a la responsabilité de choisir son personnel en toute indépendance. Il, ou elle, a deux adjoints, qui appartiennent à des communautés nationales différentes.
a) Les salaires et dépenses du Médiateur et de son personnel sont fixés et payés par l'Assemblée du Kosovo. Les salaires et dépenses doivent être suffisants pour permettre au Médiateur de remplir son mandat.
b) Le Médiateur et son personnel ne peuvent être poursuivis ni au civil ni au pénal pour les actes accomplis dans le cadre de leurs fonctions.
Article II : Compétence
1) Le Médiateur examine :
a) les violations manifestes ou alléguées des droits de l'homme et des libertés fondamentales au Kosovo, conformément aux dispositions des constitutions de la RFY et de la République de Serbie, et de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de ses protocoles; et
b) les violations manifestes ou alléguées des droits de membres des communautés nationales spécifiées dans le présent Accord.
2. Tous les habitants du Kosovo ont le droit de déposer plainte auprès du Médiateur. Les Parties conviennent de ne prendre aucune mesure de rétorsion à l'égard des personnes qui ont présenté ou s'apprêtent à présenter ces allégations, et s'engagent à n'entraver en aucune manière l'exercice de ce droit.
Article III : pouvoirs et devoirs du Médiateur
1. Le Médiateur enquête sur les allégations de violation relevant de sa compétence telle qu'elle est définie à l'article Il. 1. Il ou elle peut agir soit de sa propre initiative, soit à la suite d'une allégation présentée par l'une des parties, par une personne, une organisation non gouvernementale ou par un groupe de personnes se disant victimes d'une violation ou agissant au nom de victimes présumées qui sont décédées ou disparues. Le service du médiateur est gratuit pour la personne concernée.
2. Le Médiateur bénéficie d'un accès total , immédiat et sans restriction à toute personne , à tout lieu et à toute information.
a) Le Médiateur peut avoir accès et examiner tous les documents officiels, et il ou elle peut demander à toute personne, y compris des fonctionnaires du Kosovo, de coopérer en fournissant des informations, des documents et des dossiers ad-hoc.
b) Le Médiateur peut assister aux réunions et audiences administratives des autres institutions du Kosovo, afin de recueillir des informations.
c) Le Médiateur peut inspecter tout lieu et installation où des personnes privées de liberté sont détenues, travaillent ou vivent.
d) Le Médiateur et son personnel sont tenus d'assurer la confidentialité de toutes les informations confidentielles qu'ils obtiennent, à moins que le Médiateur n'établisse que telle ou telle information constitue la preuve d'une violation de droits qui relève de sa compétence; dans ce cas, l'information peut être divulguée dans un rapport public ou au cours de la procédure judiciaire.
e) Les parties s'engagent à coopérer aux enquêtes du Médiateur. Le refus volontaire et délibéré de coopérer constituera une infraction pénale passible de poursuites dans la juridiction de l'une ou l'autre des Parties. Si un fonctionnaire fait obstacle à une enquête en refusant de fournir les informations nécessaires, le Médiateur prend contact avec le supérieur hiérarchique du fonctionnaire ou le procureur général pour engager toute action pénale adéquate en vertu de la loi.
3. Le Médiateur communique ses conclusions sous la forme d'un rapport public dès la fin de son enquête.
a) La partie, l'institution ou le fonctionnaire ayant été convaincu de violation par le Médiateur, explique par écrit, dans le délai imparti par ce dernier, de quelle manière il ou elle entend satisfaire aux demandes émises par le Médiateur aux fins de réparation.
b) Si une personne ou une entité refuse les conclusions du médiateur ou ne se conforme pas à ses recommandations, le rapport est communiqué pour suite à donner à la Commission mixte instituée par le Chapitre 5 du présent Accord, au Président de la Partie concernée, et à tous fonctionnaires ou institutions selon l'appréciation du Médiateur.
Chapitre 7
Mise en _uvre Il
Article ler : Obligations générales
1. Les Parties s'engagent à recréer, dans les plus brefs délais possibles, des conditions de vie normales au Kosovo et à coopérer pleinement entre elles et avec toutes les organisations, agences et organisations non gouvernementales internationales participant à la mise en _uvre du présent Accord. Elles se félicitent de ce que la communauté internationale soit prête à envoyer une force dans la région afin d'aider à la mise en _uvre du présent Accord.
a. Le Conseil de Sécurité des Nations unies est invité à adopter une résolution, dans le cadre du Chapitre VII de la Charte, approuvant et adoptant les arrangements prévus au présent chapitre, notamment la mise en place d'une force militaire internationale de mise en _uvre au Kosovo. Les parties invitent l'OTAN à constituer et diriger une force militaire en vue d'assurer le respect des dispositions du présent chapitre. Elles réaffirment également la souveraineté et l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie (RFY).
b. Les Parties conviennent que l'OTAN mettra en place et déploiera une force (ci-après dénommée « KFOR ») qui pourrait être composée d'unités terrestres, aériennes et maritimes issues de pays membres ou non membres de l'OTAN, opérant sous l'autorité et placée sous la direction et le contrôle politique du Conseil de l'Atlantique nord (CAN) par l'intermédiaire de la chaîne de commandement de l'OTAN. Les Parties conviennent de faciliter le déploiement et les opérations de cette force et conviennent également de respecter entièrement toutes les obligations stipulées dans le présent chapitre.
c. Il est convenu que d'autres Etats pourront aider à la mise en _uvre du présent chapitre. Les parties conviennent que les modalités de la participation de ces Etats feront l'objet d'un accord entre lesdits Etats participants et l'OTAN.
2. Ces obligations ont les finalités suivantes :
a. instaurer une cessation durable des hostilités. Hormis les forces prévues dans le présent chapitre, aucune force année ne pourra pénétrer, pénétrer à nouveau ou demeurer au Kosovo sans le consentement préalable express du Commandant de la KFOR (COMKFOR). Aux fins du présent chapitre, le terme « forces » inclut tous les personnels ou organisations dotés de moyens militaires, y compris l'armée régulière, les groupes civils armés, les groupes paramilitaires, les forces aériennes, les gardes nationaux, la police des frontières, les corps de réserve de l'armée, la police militaire, les services de renseignement, le Ministère de l'Intérieur, les forces de la police locale, spéciale, anti-émeutes et anti-terroriste, et tout autre groupe ou individus ainsi désignés par le COMKFOR. La seule exception aux dispositions du présent paragraphe concerne la police civile engagée dans une poursuite à vue d'une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction pénale grave, ainsi que le prévoit le chapitre 2;
b. assurer le soutien et l'habilitation de la KFOR et notamment habiliter la KFOR à prendre les mesures requises, notamment l'emploi de la force nécessaire, afin d'assurer le respect du présent chapitre et la protection de la KFOR, de la mission de mise en _uvre (IM) et d'autres organisations, agences et organisations non gouvernementales internationales participant à la mise en _uvre de l'Accord, et contribuer à un environnement sûr.
c. mettre gratuitement à disposition tous les équipements et services requis pour le déploiement, les opérations et le soutien de la KFOR.
3. Les Parties comprennent et conviennent que les obligations souscrites dans le présent chapitre s'appliquent de manière égale à chaque Partie. Chacune des Parties sera tenue individuellement responsable du respect de ses obligations, et chacune convient qu'un retard dans l'exécution ou une inexécution par une Partie ne constituera pas pour une autre Partie une raison de ne pas s'acquitter de ses propres obligations. Toutes les Parties pourront également faire l'objet des mesures de coercition de la KFOR qui seront éventuellement nécessaires afin d'assurer la mise en _uvre du présent chapitre au Kosovo et la protection de la KFOR, de la mission de mise en _uvre et d'autres organisations, agences et organisations non gouvernementales internationales participant à la mise en _uvre du présent accord.
Article II : Cessation des hostilités
1. Dès l'entrée en vigueur du présent Accord, les Parties s'abstiendront de commettre tout acte hostile ou provocateur de quelque nature que ce soit à l'encontre d'une autre Partie ou de toute personne au Kosovo. Elles n'encourageront ni n'organiseront de manifestations hostiles ou provocatrices.
2. Les Parties s'engagent en particulier à cesser d'utiliser toutes armes et engins explosifs sauf ceux qui sont autorisés par le COMKFOR dans l'exécution des obligations stipulées au paragraphe 1 er. Elles ne placeront pas de mines, de barrages, de postes de contrôle non autorisés, de postes d'observation (à l'exception des postes d'observation et des points de passage approuvés par le COMKFOR) ou d'obstacles protecteurs. Sous réserve des dispositions du chapitre 2, les parties ne se livreront pas à des activités militaire, de sécurité ou liées à un entraînement, y compris à des opérations terrestres, aériennes ou de défense aérienne à l'intérieur ou au-dessus du Kosovo sans l'accord préalable express du COMKFOR.
3. A l'exception des forces des Gardes-frontières (ainsi que prévu à l'article IV) aucune des Parties ne doit stationner de forces à l'intérieur d'une zone s'étendant sur 5 kilomètres en-deçà de la frontière internationale de la RFY qui est aussi la frontière du Kosovo (ci-après dénommée « la Zone frontalière »). La Zone frontalière sera marquée au sol 14 jours après la date d'entrée en vigueur du présent Accord par des personnels de gardes frontières des conformément aux instructions de la Mission de mise en _uvre. Le COMKFOR peut décider de reconfigurations de faible ampleur pour des raisons opérationnelles.
4. a. A l'exception de la police civile accomplissant des tâches normales de police telles que fixées par le chef de la Mission de mise en _uvre, aucune Partie ne stationnera de forces dans un rayon de 5 kilomètres du côté kossovar de la frontière du Kosovo avec d'autres parties de la RFY.
b. La présence de toutes forces dans un rayon de 5 kilomètres de l'autre côté de ladite frontière devra être notifiée au COMKFOR ; si le COMKFOR estime que cette présence menace ou menacerait la mise en _uvre du présent chapitre au Kosovo, il devra contacter les autorités responsables des forces en cause et pourra demander auxdites forces de se retirer de cette zone ou de rester en dehors de celle-ci.
5. Aucune Partie ne devra se livrer à des représailles, des contre-attaques ou à toute action unilatérale en réponse à des violations du présent chapitre par une autre Partie. Les Parties devront répondre à toute violation du présent chapitre par le biais des procédures prévues à l'article XI.
Article III : Redéploiement, retrait et démilitarisation des forces
Afin de désengager leurs forces et d'éviter tout nouveau conflit, dès l'entrée en vigueur du présent Accord, les Parties commenceront à redéployer, à retirer ou à démilitariser leurs forces conformément aux articles IV, V et VI.
Article IV : Forces armées yougoslaves
1. Unités des forces armées yougoslaves
a. Au jour K + 5, toutes les unités des forces aimées yougoslaves au Kosovo (à l'exception des forces spécifiées au paragraphe 2 du présent article) devront avoir achevé leur redéploiement vers les sites de cantonnement approuvés énumérés à l'Appendice A au présent chapitre. Au jour K + 5, le commandant en chef des forces armées yougoslaves au Kosovo devra confirmer par écrit au COMKFOR que les forces armées yougoslaves se sont acquittées de ses obligations et fournir les informations requises dans l'article VII ci-après afin de tenir compte des retraits et autres changements effectués durant le redéploiement. Ces informations devront être actualisées chaque semaine.
b. Au jour K + 30, le chef d'état-major des forces armées yougoslaves, par l'intermédiaire du commandant en chef des forces armées yougoslaves au Kosovo devra soumettre à l'approbation du cOMKFOR un plan détaillé de retrait progressif des forces années yougoslaves du Kosovo vers d'autres emplacements situés en Serbie afin d'assurer que les échéances suivantes seront respectées :
1) au jour K + 90 jours, les autorités des forces armées yougoslaves devront, dans des conditions satisfaisantes pour le cOMKFOR, retirer du Kosovo vers d'autres emplacements situés en Serbie 50 % des hommes et du matériel et tous les équipements offensifs désignés. Ces équipements sont entendus comme étant : les principaux chars de bataille, tous les autres véhicules blindés équipés d'armes d'un calibre supérieur à 12.7 mm; et toutes les armes lourdes (équipant ou non des véhicules) de plus de 82 mm.
2) Au jour K + 180, tous les personnels et équipements des forces armées yougoslaves (à l'exception des forces spécifiées au paragraphe 2 du présent article) devront avoir été transférés du Kosovo vers d'autres emplacements situés en Serbie.
2. Forces des gardes-frontières des forces armées yougoslaves
a. Les forces des gardes-frontières des forces armées yougoslaves seront autorisées mais limitées à une structure de 1 500 membres dans les installations des bataillons de gardes-frontières constitués avant février 1998 situées à Djakovica, Prizren et Urosevac et dans les installations annexes à l'intérieur de la Zone frontalière de 5 kilomètres, ou dans un nombre limité d'installations existantes situées à proximité immédiate de la Zone frontalière, sous réserve de l'accord préalable du COMKFOR, ce nombre devant être atteint au jour K + 14. Un nombre supplémentaire de personnels des forces armées yougoslaves - n'excédant pas au total 1 000 membres des forces C2 et des forces logistiques - seront autorisés à demeurer dans les sites de cantonnement agréés énumérés à l'Appendice A pour remplir des fonctions du niveau de la brigade exclusivement liées à la sécurité de la frontière. Au bout d'une période initiale de 90 jours à partir du jour K, le COMKFOR pourra à tout moment réexaminer les déploiements des personnels des forces armées yougoslaves et demander de nouveaux ajustements du niveau des forces, en vue de parvenir à la structure minimale de forces requise pour une sécurité légitime des frontières, justifiée par la situation de sécurité et le comportement des Parties.
b. Les éléments de l'armée fédérale au Kosovo ne devront détenir que des armes de 82 mm et d'un calibre inférieur. Ils ne devront posséder ni véhicules blindés (autres que les véhicules à roues équipés d'armes de 12,7 mm ou moins) ni d'armes de défense anti-aérienne.
c. Les unités de gardes-frontières des forces armées yougoslaves ne seront autorisées à patrouiller au Kosovo que dans les limites de la zone frontalière et uniquement aux fins de défendre la frontière contre des attaques extérieures et de préserver son intégrité en empêchant les franchissements illégaux de la frontière. Des considérations géographiques de terrain peuvent exiger que les gardes-frontières man_uvrent à l'intérieur de la zone frontalière, toute man_uvre de ce type devra être coordonnée avec le COMKFOR et approuvée par lui.
d. A l'exception de la zone frontalière, les unités des forces armées yougoslaves ne peuvent circuler à travers le Kosovo que pour se rendre sur leur lieu d'affectation et vers des garnisons situées dans la zone frontalière ou des sites de cantonnement agréés. Ces déplacements ne peuvent s'effectuer que suivant les itinéraires et les procédures arrêtés par le COMKFOR après consultation avec le Chef de la Mission de mise en _uvre, les commandants d'unités des forces armées yougoslaves, les autorités de l'administration communale et les commandants de police. Ces itinéraires et procédures seront arrêtés au jour K + 14, et pourront être redéfinis par le COMKFOR à tout moment. Les forces armées yougoslaves situées au Kosovo, mais en dehors de la zone frontalière, ne seront autorisées à agir qu'en cas de légitime défense en réponse à un acte hostile conformément aux Règles d'engagement qui seront approuvées par le COMKFOR en consultation avec le Chef de la Mission de mise en _uvre. Lorsqu'elles seront déployées dans la zone frontalière, elles devront se conformer aux Règles d'engagement établies sous le contrôle du COMKFOR.
e. Les forces des gardes-frontières des forces armées yougoslaves ne peuvent se livrer à des activités d'entraînement que dans la zone frontalière de 5 kilomètres, et seulement avec l'accord préalable express du COMKFOR.
3. Forces aériennes et de défense aérienne yougoslaves
Dès l'entrée en vigueur du présent accord, tous les aéronefs, radars, missiles sol-air y compris les systèmes de défense antiaériens portables (MANPADS) ainsi que l'artillerie anti-aérienne se trouvant au Kosovo devront commencer à être transférés du Kosovo vers d'autres emplacements situés en Serbie, en dehors de la Zone de sécurité mutuelle de 25 kilomètres définie à l'article X. Ce retrait devra être achevé et notifié par le commandant en chef des forces armées yougoslaves au Kosovo au commandant de l'OTAN compétent dix jours au plus après l'entrée en vigueur du présent Accord. Le commandant compétent de l'OTAN contrôlera et coordonnera l'utilisation de l'espace aérien au-dessus du Kosovo à dater de l'entrée en vigueur du présent accord selon les modalités détaillées figurant à l'article X. Aucun système de défense aérienne, radar de poursuite de cibles ni aucune artillerie antiaérienne ne devra être positionné ou employé à l'intérieur du Kosovo ou de la Zone de sécurité mutuelle de 25 kilomètres sans l'accord express préalable du commandant compétent de l'OTAN.
Article V : Autres forces
1. Les actions des Forces au Kosovo autres que la KFOR, les forces armées yougoslaves, les MUP, ou les forces de police locales prévues au chapitre 2 (ci-après dénommées « les autres forces ») devront être conformes aux dispositions du présent article. A l'entrée en vigueur du présent accord, toutes les autres forces situées au Kosovo devront immédiatement observer les dispositions de l'article 1, paragraphe 2, de l'article 11, paragraphe ler et de l'article III et s'abstenir en outre de toute intention hostile, exercice et formations militaires, organisation de manifestations et de tout mouvement dans l'une ou l'autre direction ou de pratiquer la contrebande en franchissant les frontières internationales ou la frontière séparant le Kosovo des autres parties de la RFY. En outre, dès l'entrée en vigueur du présent accord, toutes les autres forces situées au Kosovo devront s'engager publiquement à démilitariser selon des modalités à déterminer par le COMKFOR, à renoncer à la violence, à garantir la sécurité du personnel international, et à respecter les frontières internationales de la RFY ainsi que toutes les conditions du présent chapitre.
2. Sauf accord du COMKFOR, à partir du jour K, toutes les autres forces situées au Kosovo ne devront pas porter d'armes:
a. dans un rayon de 1 km des cantonnements des forces armées yougoslaves et des MUP énumérés à l'Appendice A ;
b. dans un rayon de 1 km des routes principales suivantes :
1) Pec - Lapusnik- Pristina
2) frontière - Djakovica-Klina
3) frontière - Prizren - Suva Rika - Pristina
4) Djakovica - Orahovac - Lapusnik - Pristina
5) Pec - Djakovica - Prizren - Urosevac - frontière
6) frontière - Urosevac - Pristina - Podujevo - frontière
7) Pristina - Kosovska Mitrovica - frontière
8) Kosovska Mitrovica - (Rakos) - Pec
9) Pec - frontière avec le Montenegro (via Pozaj)
10) Pristina - Lisica - frontière avec la Serbie
11) Pristina - Gnjilane - Urosevac
12) Gnjilane - Velici Tmovac - frontière avec la Serbie
13) Prizren - Doganovic
c. dans un rayon de 1 kilomètre de la zone frontalière ;
d. dans toute autre zone désignée par le COMKFOR.
Au jour K + 5, toutes les autres forces devront quitter et fermer toutes les positions de combat, retranchements, et postes de contrôle.
4. Au jour K + 5, les commandants de toutes les autres forces désignées par le COMKFOR devront notifier au COMKFOR l'exécution des obligations susmentionnées selon les formes prévues à l'article VII et continuer à fournir des bilans hebdomadaires détaillés jusqu'à l'achèvement de la démilitarisation.
5. Le COMKFOR établira des procédures en vue de la démilitarisation et de la surveillance des autres forces situées au Kosovo et de l'organisation détaillée de leurs activités. Ces procédures seront fixées pour faciliter un programme de démilitarisation graduelle selon les modalités suivantes :
a. Au jour K + 5, toutes les autres forces devront établir des sites de stockage d'armes sûrs, qui seront enregistrés auprès de la KFOR et inspectés par celle-ci ;
b. Au jour K + 30, toutes les autres forces devront entreposer toutes les armes prohibées (toute arme de 12.7 mm ou de calibre supérieur, toute arme antichar ou antiaérienne, toutes grenades, mines ou tous explosifs) et armes automatiques dans les sites de stockage d'armes enregistrés. Les commandants des autres forces devront confirmer l'achèvement du stockage des armes au COMKFOR au plus tard au jour K + 30 ;
c. Au jour K + 30, toutes les autres forces devront cesser de porter des uniformes et insignes militaires, et de transporter des armes prohibées et des armes automatiques ;
d. Au jour K + 90, la responsabilité des sites de stockage sera transférée à la KFOR. Après cette date, il sera illégal pour les autres forces de détenir des armes prohibées et des armes automatiques et ces armes seront passibles d'une confiscation par la KFOR ;
e. Au jour K + 120, la démilitarisation de toutes les autres forces devra être achevée.
6. 30 jours après la date d'entrée en vigueur du présent accord, sous réserve de dispositions prises si nécessaire par le COMKFOR, tous les personnels des autres forces qui ne sont pas d'origine locale, qu'ils se trouvent légalement ou non sur le territoire du Kosovo, y compris les conseillers personnels, les combattants de la liberté, les instructeurs, les volontaires, et les personnels en provenance d'Etats voisins et d'autres Etats devront être retirés du Kosovo.
Article VI : MUP
1. La police du ministère de l'Intérieur (MUP) est définie comme toutes les unités et personnels chargés de la police et de la sécurité publique placés sous le contrôle des autorités fédérales ou de la République, à l'exception de la police des frontières mentionnée au chapitre 2 et des étudiants à l'école de police et du personnel employé à l'école de formation de Vucitern, visés au chapitre 2. Le Chef de la Mission de mise en _uvre, en consultation avec le COMKFOR, aura le pouvoir d'exclure de cette définition toutes unités chargées de la sécurité publique s'il estime que cette mesure est dans l'intérêt public (par ex. les pompiers).
a. Au jour K + 5, toutes les unités des MUP au Kosovo (à l'exception de la police des frontières visée au chapitre 2) devront avoir achevé leur redéploiement vers les sites de cantonnement énumérés à l'Appendice A au présent chapitre ou vers des garnisons situées hors du Kosovo. Au jour K + 5, le commandant en chef des MUP au Kosovo ou son représentant devront confirmer par écrit au Chef de la Mission de mise en _uvre que les MUP ont rempli leurs obligations et mettre à jour les informations requises à l'article VII pour tenir compte des retraits ou d'autres changements effectués durant le redéploiement. Cette information devra être actualisée chaque semaine. La reprise des patrouilles normales de la police communale sera autorisée sous la supervision et le contrôle de la Mission de mise en _uvre et dans des conditions spécifiquement agréées par le Chef de la Mission de mise en _uvre en consultation avec le COMKFOR et sera subordonnée au respect des termes du présent Accord.
b. Dès l'entrée en vigueur du présent Accord, les retraits suivants débuteront :
1) Au jour K + 5, les unités des MUP qui n' étaient pas affectées au Kosovo avant le ler février 1998 devront transférer tous leurs personnels et leurs équipements du Kosovo vers d'autres emplacements en Serbie.
2) Au jour K + 20, toutes les forces de police spéciale, y compris les PJP, SAJ, et JS 0 ainsi que leurs équipements devront être transférés de leurs sites de cantonnement hors du Kosovo vers d'autres emplacements situés en Serbie. En outre, tous les équipements offensifs des MUP (désignés comme les véhicules blindés équipés d'armes de 12.7 mm ou plus, et toutes les armes lourdes (équipant ou non des véhicules) de plus de 82 mm) devront être retirés.
c. Au jour K + 30, le commandant en chef des MUP devra fournir, pour approbation par le COMKFOR, en consultation avec le Chef de la Mission de mise en _uvre, un plan détaillé en vue de la réduction progressive du reste des forces des MUP. Au cas où le COMKFOR, en consultation avec le Chef de la Mission de mise en _uvre, n'approuverait pas le plan, il a le pouvoir d'établir son propre plan contraignant en vue de nouvelles réductions des MUP. Le Chef de la Mission de mise en _uvre décidera en même temps de la date à laquelle les unités des MUP restantes porteront de nouveaux insignes. Dans tous les cas, les échéances suivantes devront être respectées :
1) Au jour K + 60, réduction de 50 % des unités des MUP restantes y compris les réservistes. Le Chef de la Mission de mise en _uvre, après consultations avec le COMKFOR aura le pouvoir de repousser cette échéance jusqu'au jour K + 90 jours au plus s'il estime qu'il existe un risque de vide en matière de maintien de l'ordre;
2) Au jour K + 120, nouvelle réduction pour atteindre le chiffre de 2 500. Le Chef de la Mission de mise en _uvre, après consultation avec le COMKFOR aura le pouvoir de repousser cette échéance jusqu'au jour K + 180 pour répondre à des besoins opérationnels;
3) La transition vers la force de police communale devra commencer lorsque la police kossovar sera formée et en mesure d'assumer ses obligations. Le Chef de la Mission de mise en _uvre organisera la transition entre les MUP et la police communale.
4) Dans tous les cas, un an après la date d'entrée en vigueur, toutes les forces de police civiles du ministère de l'Intérieur devront avoir été supprimées. Le Chef de la Mission de mise en _uvre aura le pouvoir de prolonger ce délai de 12 mois de plus au maximum pour répondre à des besoins opérationnels.
d. Les 2 500 MUP autorisés par le présent chapitre et visés à l'article V.I (a) du chapitre 2 n'auront compétence que pour des fonctions de police civile et seront placés sous la supervision et le contrôle du Chef de la Mission de Mise en _uvre.
Article VII : Notifications
1. Au jour K + 5, les Parties devront fournir les informations spécifiques suivantes en ce qui concerne le statut de toutes les forces militaires classiques, toutes les forces de police, y compris la police militaire, le Département de la police chargé de la sécurité publique, la police spéciale, les paramilitaires, et toutes les autres forces au Kosovo, et devront informer le COMKFOR chaque semaine des modifications de ces informations :
a. emplacement, disposition et effectifs de toutes les unités militaires et des unités de la police spéciale visés ci-dessus ;
b. quantité et type d'armes de 12.7 mm et au-dessus, et munitions pour ces armes, y compris l'emplacement des cantonnements et des dépôts de fournitures et sites de stockage ;
c. positions et descriptions de tous missiles/lanceurs sol-air, y compris les systèmes mobiles, l'artillerie antiaérienne et les radars d'appui, et des systèmes de commandement et de contrôle associés ;
d. positions et descriptions de toutes les mines, toute l'artillerie non explosée, engins explosifs, engins de destruction, obstacles, engins piégés, fils de fer barbelés, risques physiques ou militaires pour la circulation dans des conditions de sécurité de tout personnel au Kosovo, systèmes d'armes, véhicules et tout autre équipement militaire, et
e. toute autre information de nature militaire ou relevant de la sécurité requise par le COMKFOR.
Article VIII : opérations et pouvoirs de la KFOR
1. En accord avec les obligations à caractère général figurant à l'article ler, les Parties comprennent et conviennent que la KFOR se déploiera et opérera sans entrave et avec le pouvoir de prendre toute mesure nécessaire contribuant à assurer le respect du présent chapitre.
2. Les Parties comprennent et conviennent que la KFOR aura le droit :
a. de surveiller et d'aider à assurer le respect, par toutes les Parties, du présent chapitre et de réagir promptement à toute violation ainsi que d'en rétablir le respect, en usant de la force si nécessaire. Cela inclut les mesures nécessaires pour :
1) faire appliquer les réduction des forces de l'armée fédérale et des MUP ;
2) faire appliquer la démilitarisation des autres forces ;
3) faire appliquer les restrictions sur toutes les activités, mouvements et exercices au Kosovo des forces armées yougoslaves, des MUP et des autres forces ;
b. d'établir des arrangements en matière de liaisons avec la Mission de mise en _uvre et de soutenir celle-ci en tant que de besoin;
c. d'établir des arrangements en matière de liaison avec les autorités locales du Kosovo, avec les autres forces et avec les autorités civiles et militaires de la RFY et de la Serbie;
d. d'observer, de surveiller et d'inspecter toute installation ou activité au Kosovo, y compris au sein de la zone frontalière, qui, selon le COMKFOR, a ou pourrait avoir une capacité militaire, ou est ou pourrait être associée à l'emploi de capacités militaires ou policières, ou concerne d'une autre manière le respect du présent Chapitre;
e. de demander aux Parties de marquer et de retirer les champs de mine et les obstacles et de surveiller l'exécution de ces tâches;
f. demander aux Parties de participer à la Commission militaire mixte et aux commissions militaires qui lui sont rattachées, visées à l'article XI.
3. Les parties comprennent et conviennent que la KFOR aura le droit de remplir ses fonctions d'appui, dans les limites des tâches principales qui lui sont assignées, de ses capacités, de ses moyens disponibles, et conformément aux instructions du CAN, qui sont notamment les suivantes :
a. aider à créer des conditions sûres pour l'exécution, par d'autres personnes, d'autres tâches liées au présent Accord, y compris la tenue d'élections libres et équitables,
b. aider à la circulation des organisations dans le cadre de leurs missions humanitaires;
c. aider les institutions internationales à remplir leur mission au Kosovo,
d. observer et prévenir les entraves à la circulation des populations civiles, des réfugiés et des personnes déplacées et réagir de manière appropriée à une menace délibérée contre leur vie et leur personne.
4. Les parties comprennent et conviennent que d'autres instructions émises par le CAN peuvent fixer des devoirs et missions supplémentaires pour la KFOR dans le cadre de la mise en _uvre du présent chapitre.
5. Les opérations de la KFR seront régies par les dispositions suivantes :
a. La KFOR et son personnel auront le statut juridique, les droits et obligations fixés dans l'Appendice B au présent chapitre.
b. La KFOR aura le droit d'utiliser tous les moyens nécessaires pour assurer sa pleine capacité à communiquer et aura le droit à un accès sans restriction à tout le spectre électromagnétique. Dans l'exercice de ce droit, la KFOR devra déployer des efforts raisonnables pour se coordonner avec les autorités compétentes des parties,
c. La KFOR aura le droit de contrôler et d'organiser la circulation au sol dans tout le Kosovo, y compris les mouvements des forces des parties. Toutes les activités d'entraînement et mouvements militaires au Kosovo devront être autorisés à l'avance par le COMKFOR;
d. La KFOR jouira d'une liberté de circulation complète et sans entrave par voie terrestre, aérienne et fluviale à l'intérieur et dans tout le Kosovo. Au Kosovo, elle aura le droit de bivouac, de man_uvre, de cantonnement et d'utilisation de toutes zones et équipements pour remplir ses missions, requis pour sa logistique, son entraînement et ses opérations, avec le préavis qui sera raisonnablement possible. Ni la KFOR ni aucun de ses personnels ne pourront être tenus responsables de tous dommages à des biens publics ou privés qu'ils pourraient causer au cours des missions liées à la mise en _uvre du présent chapitre. Les barrages routiers, les postes de contrôle ou autres entraves à la liberté de circulation de la KFOR constitueront une infraction au présent chapitre et la Partie ayant commis la violation sera passible de mesures militaires prises par la KFOR, y compris l'usage de la force si nécessaire pour assurer le respect du présent chapitre.
6. Les Parties comprennent et conviennent que le COMKFOR aura le pouvoir, sans ingérence ni autorisation d'aucune Partie, de faire tout ce qu'il estime nécessaire et approprié, y compris d'user de la force militaire, pour protéger la KFOR et la Mission de mise en _uvre et pour s'acquitter des obligations énumérées dans le présent chapitre. Les Parties respecteront en tous points les instructions et exigences de la KFOR.
7. Nonobstant toute disposition contraire du présent chapitre, les Parties comprennent et conviennent que le COMKFOR a le droit et l'autorisation d'exiger l'enlèvement, le retrait ou la réaffectation de forces et d'armes spécifiques, et d'ordonner la cessation de toutes activités à chaque fois qu'il estime que ces forces, armes ou activités constituent une menace ou une menace potentielle pour la KFOR ou sa mission, ou pour une autre Partie. Les forces qui ne se seront pas redéployées, retirées ou transférées ou qui n'auront pas cessé d'avoir des activités constituant une menace directe ou potentielle à la suite d'une telle demande de la KFOR seront passibles d'une action militaire de la KFOR, y compris l'emploi de la force nécessaire, pour assurer l'exécution, conformément aux modalités fixées à l'article 1er, paragraphe 3.
Article IX : Contrôle des frontières
Les Parties conviennent qu'en l'attente d'autres arrangements et sous réserve des dispositions du présent chapitre et du chapitre 2, les contrôles le long de la frontière internationale de la RFY qui constitue également la frontière du Kosovo continueront à être exercés par les institutions existantes normalement investies de ces fonctions, sous réserve de supervision par le Commandant de la KFOR et la Mission de mise en _uvre, lesquels auront le droit d'inspecter et d'agréer tous personnels et toutes unités, d'en surveiller l'action et de déplacer ou de remplacer tout personnel dont le comportement n'est pas conforme aux dispositions du présent chapitre.
Article X : Contrôle de la circulation aérienne
Le commandant compétent de l'OTAN aura seul autorité pour instituer les règles et procédures qui régissent le contrôle de l'espace aérien au-dessus du Kosovo, ainsi que dans une Zone de sécurité commune de 25 kilomètres. Cette Zone de sécurité commune sera constituée par l'espace aérien de la RFY s'étendant sur 25 kilomètres à partir de la frontière entre le Kosovo et les autres parties de la RFY. Les dispositions du présent chapitre remplacent celles de l'Accord relatif à la Mission de vérification de l'OTAN au Kosovo en date du 12 octobre 1998, en tout point sur lequel les deux textes pourraient être en contradiction. Aucun aéronef militaire, à ailes fixes ou rotatives, d'aucune Partie ne sera autorisé à survoler le Kosovo ou la Zone de sécurité commune sans l'approbation préalable expresse du commandant compétent de l'OTAN. Les infractions à l'une quelconque des dispositions ci-dessus, y compris les règles et procédures du commandant compétent de l'OTAN régissant l'espace aérien sus-jacent au Kosovo, ainsi que le survol non autorisé ou le recours à des dispositifs de défense aérienne intégrée de la RFY à l'intérieur de la Zone de sécurité commune, feront l'objet d'une action militaire de la part de la KFOR, y compris le recours à la force appropriée. La KFOR maintiendra une équipe de liaison auprès de l'Etat-major de l'Armée de l'air de la RFY, et une liaison sera instituée entre les Forces aériennes et anti-aériennes yougoslaves et la KFOR. Les Parties conviennent que le commandant compétent de l'OTAN pourra déléguer le contrôle des activités aériennes civiles normales aux institutions appropriées de la RFY en les chargeant de surveiller le trafic, de mettre « hors conflit » la circulation aérienne relevant de la KFOR et assurer la régularité et la sûreté de la circulation aérienne.
Article XI : Institution d'une Commission militaire mixte
1. Il sera établi une Commission militaire mixte parallèlement au déploiement de la KFOR au Kosovo.
2. La Commission militaire mixte est présidée par le Commandant de la KFOR ou son représentant et se compose des membres suivants :
a. le commandant en chef des Forces de la RFY ou son représentant ;
b. les ministres de l'Intérieur de la RFY et de la République de Serbie ou leurs représentants ;
c. un représentant militaire de haut niveau de toutes les autres forces ;
d. un représentant de la Mission de mise en _uvre ;
e. d'autres personnes désignées par le Commandant de la KFOR, dont un ou plusieurs représentants des dirigeants civils du Kosovo.
3. La Commission militaire mixte :
a. est l'organe central qui permet à toutes les Parties de traiter les plaintes, questions ou problèmes de nature militaire qui doivent être résolus par le Commandant de la KFOR, telles que les allégations de violations du cessez-le-feu ou autres allégations de non-respect des dispositions du présent chapitre ;
b. reçoit des rapports et émet des recommandations d'action spécifique à l'intention du Commandant de la KFOR en vue d'assurer le respect par les Parties des dispositions du présent chapitre ;
c. aide le Commandant de la KFOR à définir et à mettre en _uvre les mesures locales de transparence entre les Parties.
4. La Commission militaire mixte ne comprend aucune personne qui aurait été mise publiquement en accusation par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
5. La Commission militaire mixte est un organe consultatif destiné à conseiller le Commandant de la KFOR. Les décisions définitives sont toutefois prises par le Commandant de la KFOR et s'imposent aux Parties.
6. La Commission militaire mixte se réunit sur convocation du Commandant de la KFOR. Toute Partie peut demander au Commandant de la KFOR de convoquer une réunion.
7. La Commission militaire mixte institue des sous-commissions militaires chargées de l'aider à exercer les fonctions susmentionnées. Ces sous-commissions sont établies au niveau approprié décidé par le Commandant de la KFOR. Leur composition est arrêtée par le Commandant de la KFOR.
Article XII : Libération des prisonniers
1. Vingt et un jours après l'entrée en vigueur du présent Accord, les Parties procéderont à la libération et au transfert, conformément aux normes humanitaires internationales, de toutes les personnes détenues du fait du conflit (ci-après dénommées "les prisonniers"). En outre, les Parties coopéreront pleinement avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) afin de faciliter son action, conformément à son mandat, de mise en _uvre et de supervision d'un plan de libération et de transfert des prisonniers dans le délai susmentionné. Afin de permettre le respect de cette condition, les Parties :
a. accorderont au CICR le libre accès à toutes les personnes, quel que soit leur statut, qui sont détenues par elles du fait du conflit, afin de leur rendre visite conformément aux procédures normales de fonctionnement du CICR ;
b. fourniront au CICR, à sa demande, toutes informations relatives aux prisonniers dans un délai de quatorze jours suivant l'entrée en vigueur du présent Accord.
2. Les Parties informeront, par l'intermédiaire des mécanismes de recherche du CICR, les familles de toutes les personnes disparues. Elles coopéreront pleinement avec le CICR en vue d'identifier, de localiser et de préciser le sort des personnes disparues.
Article XIII : Coopération
Les Parties coopéreront pleinement avec toutes les entités associées à la mise en _uvre du présent règlement qui sont mentionnées dans l'Accord-cadre ou autorisées par ailleurs par le Conseil de sécurité des Nations Unies, y compris le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
Article XIV: Notification aux commandements militaires
Chacune des Parties fera en sorte que les dispositions du présent chapitre et les instructions écrites dont l'exécution est obligatoire soient aussitôt communiquées à l'ensemble de ses forces.
Article XV : Interprétation
1 . Sous réserve des dispositions du paragraphe 2, le Commandant de la KFOR est l'autorité suprême sur le terrain en matière d'interprétation du présent chapitre ; ses avis s'imposent à toutes les Parties et à tous.
2. Le Chef de la Mission de mise en _uvre est l'autorité suprême sur le terrain en matière d'interprétation des références faites dans le présent chapitre à ses fonctions (direction des gardes-frontières de la VJ en vertu de l'Article Il paragraphe 3, fonctions afférentes aux forces de police du ministère de l'Intérieur [MUP] en vertu de l'Article VI) ; ses avis s'imposent à toutes les Parties et à tous.
Article XVI : Jour K
La date d'entrée en action de la KFOR, dénommée "Jour K", sera arrêtée par l'OTAN.
Annexes :
A. Cantonnements agrées des forces armées de la RFY (VJ) et des MUP.
B. Statut de la Force armée multinationale de mise en _uvre.
Annexe A : Cantonnements agréés de la VJ et de la MUP
1 . Les cantonnements agréés pour l'ensemble des unités, armes, équipements et munitions de la VJ au Kosovo sont au nombre de 13. Le transfert vers ces sites et le retrait ultérieur du Kosovo s'effectueront conformément aux dispositions du présent chapitre. Au fur et à mesure du retrait graduel des unités de la VJ dans les délais énoncés au présent chapitre, le Commandant de la KFOR procédera à la fermeture de sites choisis.
2. Cantonnements initiaux approuvés de la VJ
a) sud-ouest de Pristina 42°39'13" N 021°08'19" E
b) aéroport de Pristina 42°34'12" N 021°00'40" E
c) nord de Vuctrin 42°49'36" N 020°57'55" E
d) Kosovska Mitrovica 42°53'15" N 020°52'27" E
e) nord-est de Gnjilane 42°28'07" N 021°28'45" E
f) Urosevac 42°22'33" N 021°07'53" E
g) Prizren 42°13'15" N 020°45'04" E
h) sud-ouest de 42°22'12" N 020°25'30" E
Djakovica
1) Pec 42°39'l 0" N 020" 17'28" E
j) entrepôt d'explosifs 42°36'36" N 021°12'25" E
de Pristina"
k) dépôt de munitions 42°35'l 8" N 020°59'23" E
de Pristina sud-ouest
1) dépôt de munitions 42°42'l 1" N 021°10'56" E
n° 510 de Pristina
m) installations du 42°39'38" N 021°09'34" E
Quartier général à Pristina
3. Sur chaque site, les unités de la VJ devront regrouper toutes les armes lourdes et les véhicules lourds hors des entrepôts.
4. A l'issue d'un délai de 180 jours suivant l'entrée en vigueur du présent Accord, les 2 500 hommes restants de la VJ affectés aux tâches de sécurité des frontières prévues par le présent Accord seront regroupés sur les sites ci-après : Djakovica, Prizren et Urosevac ; des postes-frontières secondaires dans la Zone frontalière ; un nombre restreint d'installations existantes à proximité immédiate de la Zone frontalière, sous réserve de l'accord préalable du Commandant de la KFOR; l'Etat-major C2 et les installations de soutien logistique de Pristina.
5. Les cantonnements agréés pour l'ensemble des unités de la MUP et des forces de police spéciale au Kosovo sont au nombre de 37. Les SUP [?] régionaux approuvés sont au nombre de sept (7). Chacun des 37 cantonnements approuvés sera placé sous l'autorité administrative de l'un des SUP régionaux. Le transfert vers les sites et le retrait ultérieur de la MUP du Kosovo s'effectueront conformément aux dispositions du présent chapitre.
6. SUP régionaux et cantonnements agréés de la MUP :
a) SUP de Kosovska Mitrovica 42°53'00" N 020°52'00" E
1) Kosovska Mitrovica (2 sites)
2) Leposavic
3) Srbica
4) Vucitrn
5) Zubin Potok
b) SUP de Pristina 42°40'00" N 021°10'00" E
1) Pristina (6 sites)
2) Glogovac
3) Kosovo Polje
4) Lipjan
5) Obilic
6) Podujevo
c) SUP de Pec 42°39'00" N 020°18'00" E
1) Pec (2 sites)
2) Klina
3) Istok
4) Malisevo
d) SUP de Djakovica 42°23'00" N 030°26'00" E
1) Djakovica (2 sites)
2) Decani
e) SUP d'Urosevac 42"22'00" N 021°10'00" E
1) Urosevac (2 sites)
2) Stimlje
3) Strpce
4) Kacanik
f) SUP de Gnjilane 42°28'00" N 021°29'00" E
1) Gnjilane (2 sites)
2) Kamenica
3) Vitina
4) Kosovska
5) Novo Brdo
g) SUP de Prizren 42°13'00" N 020°45'00" E
1) Prizren (2 sites)
2) Orahovac
3) Suva Reka
4) Gora
7. Sur chaque site, les unités de la NIUP devront regrouper l'ensemble des véhicules de plus de 6 tonnes, y compris les transports de troupes blindés et les BOV [?], et l'ensemble des armes lourdes hors des entrepôts.
8. La KFOR aura le droit exclusif d'inspecter tout cantonnement ou tout autre site à tout moment, sans ingérence d'aucune Partie.
Annexe B : Statut de la Force armée multinationale de mise en _uvre
1. Aux fins de la présente Annexe, les termes et expressions ci-après ont la signification suivante :
a. Le terme "OTAN" désigne l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN), ses organes subsidiaires, ses états-majors militaires, la KFOR dirigée par l'OTAN, ainsi que tout élément ou unité qui fait partie de la KFOR ou la soutient, provenant ou non d'un pays membre de l'OTAN et placé ou non sous le commandement et l'autorité de l'OTAN ou sous commandement national, agissant dans le cadre de l'application du présent Accord.
b. L'expression "autorités de la RFY" désigne les autorités appropriées, au niveau fédéral, d'une république, du Kosovo ou autre.
c. L'expression "personnel de l'OTAN" désigne le personnel militaire, civil et sous contrat affecté ou attaché à l'OTAN ou employé par elle, y compris le personnel militaire, civil et sous contrat originaire des Etats non membres de l'OTAN qui participent à l'Opération, à l'exception du personnel recruté sur place.
d. Le terme "l'Opération" désigne les activités de soutien, de mise en _uvre, de préparation et de participation de l'OTAN et du personnel de l'OTAN dans le cadre de l'application du présent chapitre.
e. L'expression "état-major militaire" désigne toute entité, indépendamment de son appellation, composée en tout ou partie de personnel militaire de l'OTAN et instituée en vue de l'exécution de l'Opération.
f. Le terme "autorités" désigne le responsable, l'administration ou l'organisme approprié des Parties.
g. L'expression "personnel sous contrat" désigne les experts techniques ou spécialistes dont les services sont requis par l'OTAN et qui se trouvent sur le territoire de la RFY aux seules fins de servir l'OTAN soit en qualité de conseiller technique soit afin d'assurer la mise en place, le fonctionnement et l'entretien d'équipements, sauf s'il s'agit :
(1) de ressortissants de la RFY ; ou
(2) de personnes résidant habituellement en RFY.
h. L'expression "usage officiel" désigne tout usage de biens acquis ou de services destiné à l'exercice d'une fonction nécessaire à l'activité des états-majors.
i. Le terme "installations" désigne tout bâtiment, toutes structures, tous locaux et tout terrain nécessaire aux activités opérationnelles, d'entraînement et administratives de l'OTAN pour l'Opération ainsi qu'à l'hébergement du personnel de l'OTAN.
2. Sous réserve des privilèges et immunités découlant de la présente Annexe, l'ensemble du personnel de l'OTAN doit respecter les lois applicables en RFY, qu'il s'agisse de lois fédérales, d'une république, du Kosovo ou d'autres, dans la mesure où le respect de ces lois est compatible avec la mission ou le mandat qui lui est confié, et s'abstenir de toute action incompatible avec la nature de l'Opération.
3. Les Parties reconnaissent la nécessité de procédures rapides de départ et d'entrée pour le personnel de l'OTAN. Ledit personnel sera exempté des règles en matière de passeports, de visas et d'enregistrement applicables aux étrangers. A tous les points d'entrée et de sortie du territoire de la RFY, les membres du personnel de l'OTAN seront autorisés à entrer en RFY ou à en sortir sur présentation d'une carte nationale d'identité. Ils devront être porteurs des pièces d'identité dont la présentation peut être réclamée par les autorités de la RFY ; toutefois, les opérations, entraînements et déplacements ne sauraient être entravés ou retardés à cause de ces formalités.
4. Les membres du personnel militaire de l'OTAN porteront habituellement l'uniforme et pourront détenir et porter des armes s'ils y sont autorisés par leurs instructions. Les Parties admettront, sans taxes ni droits, les permis de conduire délivrés aux membres du personnel de l'OTAN par leurs autorités nationales respectives.
5. L'OTAN sera autorisée à arborer le drapeau de l'OTAN et/ou les drapeaux nationaux de ses éléments ou unités constitutives nationales sur tout uniforme, moyen de transport ou installation de l'OTAN.
6. a. L'OTAN jouira de l'immunité de juridiction civile, administrative et pénale.
b. Le personnel de l'OTAN jouira, en toutes circonstances et à tout moment, de l'immunité de juridiction des Parties au titre de toute infraction de nature civile, administrative, pénale ou disciplinaire qu'il aura pu commettre en RFY. Les Parties aideront les Etats qui prennent part à l'Opération à exercer leur juridiction sur leurs propres ressortissants.
c. Nonobstant les dispositions ci-dessus et avec l'accord expressément émis par le Commandant de l'OTAN dans chaque cas, les autorités de la RFY pourront, à titre exceptionnel, exercer leur juridiction dans lesdits domaines mais uniquement à l'égard des membres du personnel sous contrat qui ne sont pas soumis à la juridiction de l'Etat dont ils possèdent la nationalité.
7. Le personnel de l'OTAN ne sera soumis à aucune forme d'arrestation, d'enquête ou de détention par les autorités de la RFY. Les membres dudit personnel qui auront été arrêtés ou détenus par erreur seront immédiatement remis aux autorités de l'OTAN.
8. Le personnel de l'OTAN aura, de même que ses véhicules, navires, aéronefs et équipements, toute liberté de passage et d'accès dans l'ensemble de la RFY, y compris son espace aérien et ses eaux territoriales. Cette faculté portera, de manière non limitative, sur le droit de bivouaquer, de man_uvrer, de loger, et d'utiliser toute zone ou toute installation requise aux fins de logistique, d'entraînement ou d'opérations.
9. L'OTAN sera exemptée de tous droits, taxes et autres redevances, de toute inspection et de toute formalité de douane, y compris la production d'inventaires ou d'autres documents douaniers habituels, en ce qui concerne le personnel et les véhicules, navires, aéronefs, équipements, fournitures et provisions entrant sur le territoire de la RFY, en sortant ou transitant par ledit territoire à l'appui de l'Opération.
10. Les autorités de la RFY faciliteront par tous moyens appropriés et en priorité tous les déplacements de personnel, véhicules, navires, aéronefs, équipements ou fournitures empruntant l'espace aérien et les ports, aéroports ou routes. Aucune redevance ne pourra être imposée à l'OTAN au titre de la navigation aérienne, de l'atterrissage ou du décollage d'aéronefs, nationaux ou affrétés. De même, aucun droit, taxe, péage ou redevance ne pourra être imposé aux navires de l'OTAN, nationaux ou affrétés, au seul titre de leur entrée dans des ports ou de leur sortie de ceux-ci. Les véhicules, navires et aéronefs utilisés à l'appui de l'Opération ne seront soumis à aucune condition d'agrément, d'enregistrement ou d'assurance commerciale.
1l. L'OTAN pourra utiliser les aéroports, routes, voies ferrées et ports sans avoir à verser de charges, droits, taxes, péages ou redevances liés uniquement à leur utilisation. Elle ne demandera toutefois pas à être exemptée de redevances raisonnables au titre de la prestation des services particuliers qu'elle aura sollicités, mais les opérations ou déplacements et l'accès ne sauraient être empêchés en l'attente du paiement afférent à ces services.
12. Le personnel de l'OTAN sera exempté de toute imposition par les Parties au titre des salaires et émoluments reçus de l'OTAN et des revenus de provenance étrangère à la RFY.
13. Les membres du personnel de l'OTAN et leurs biens meubles importés ou acquis en RFY ou exportés de RFY seront exemptés de tous droits, impôts et autres taxes, de toute inspection et de toute formalité de douane.
14. L'OTAN sera autorisée à importer et exporter en exemption de droits, impôts et autres taxes, les équipements, provisions et fournitures qui lui seront nécessaires pour l'Opération, à condition que ces biens soient destinés à l'usage officiel de l'OTAN ou à être revendus à son personnel. Les biens revendus seront destinés uniquement à l'usage du personnel de l'OTAN et ne pourront être cédés à des personnes non autorisées.
15. Les Parties reconnaissent que l'utilisation de canaux de communication est nécessaire à l'Opération. L'OTAN sera autorisée à faire fonctionner son propre courrier interne. Les Parties accorderont, sur simple demande, tous services de télécommunications, y compris les services d'émission, que l'OTAN estimera nécessaires à l'Opération. Cette faculté comprendra le droit d'utiliser les moyens et services requis pour permettre pleinement les communications, et le droit d'utiliser sans frais la totalité du spectre électromagnétique à cette fin. Dans l'exercice de ce droit, l'OTAN s'efforcera raisonnablement de coordonner son action avec les autorités appropriées de la RFY et de prendre en considération leurs besoins et leurs nécessités.
16. Les Parties fourniront sans frais les installations publiques requises par l'OTAN pour la préparation et l'exécution de l'Opération. Elles aideront l'OTAN à obtenir au tarif le plus bas l'électricité, l'eau, le gaz et autres ressources dont elle aura besoin pour l'Opération.
17. L'OTAN et son personnel jouiront de l'immunité à l'égard de toute plainte découlant d'activités menées dans le cadre de l'Opération; l'OTAN recevra toutefois les plaintes formulées à titre de recours gracieux.
18. L'OTAN sera autorisée à conclure directement des contrats d'acquisition de biens ou de services et des contrats de construction auprès de tout fournisseur à l'intérieur ou à l'extérieur de la RFY. Lesdits contrats, biens, services et constructions ne pourront donner lieu au versement d'aucun droit, impôt ou autre redevance. L'OTAN pourra également faire exécuter des travaux de construction par son propre personnel.
19. Les entreprises commerciales actives en RFY au seul service de l'OTAN seront exemptées des lois et règlements locaux afférents aux conditions d'engagement du personnel et d'enregistrement des sociétés.
20. L'OTAN pourra engager du personnel local, ce dernier demeurant à titre individuel soumis aux lois et règlements locaux, à l'exception de la législation du travail. Toutefois, les membres du personnel local engagé par l'OTAN devront :
a. jouir de l'immunité de juridiction au titre des paroles prononcées ou écrites et de tout acte accompli en leur qualité officielle ;
b. être exemptés des obligations de service national et/ou de service militaire national ;
c. être régis uniquement par les conditions d'emploi que l'OTAN aura définies , et d. être exemptés de tout impôt sur les salaires et émoluments versés par l'OTAN.
21. Dans l'exercice des attributions énoncées au présent chapitre, l'OTAN est habilitée à détenir des individus et à les remettre aussitôt que faire se peut aux autorités appropriées.
22. L'OTAN pourra, dans le cadre de l'exécution de l'Opération, avoir besoin d'apporter des améliorations ou des modifications à certaines infrastructures en RFY telles que routes, ponts, tunnels, édifices ou réseaux de distribution. Toute amélioration ou modification à caractère autre que temporaire formera partie intégrante de l'infrastructure considérée et relèvera du même propriétaire que celle-ci. Les améliorations ou modifications à caractère temporaire pourront être supprimées à la discrétion du Commandant de l'OTAN, et l'infrastructure considérée sera rétablie dans un état aussi proche que possible de son état d'origine, exception faite de son usure normale.
23. En l'absence de règlement préalable, les différends portant sur l'interprétation ou l'application de la présente Annexe seront résolus entre l'OTAN et les autorités appropriées de la RFY.
24. Des arrangements complémentaires pourront être conclus avec telle ou telle Partie afin de faciliter toute action liée à l'Opération.
25. Les dispositions de la présente Annexe demeureront en vigueur jusqu'à ce que l'Opération ait été menée à bien ou jusqu'à ce que les Parties et l'OTAN en disposent autrement.
Chapitre 8
Modification, examen d'ensemble et dispositions finales
Article premier : Modification et examen d'ensemble
1. Les modifications au présent Accord seront adoptées par accord de toutes les Parties, sauf dispositions contraires de l'Article X du chapitre premier.
2. Chacune des Parties pourra proposer à tout moment des modifications et consultera les autres Parties sur les modifications proposées.
3. Trois ans après l'entrée en vigueur du présent Accord, une réunion internationale sera organisée en vue de définir un mécanisme de règlement définitif pour le Kosovo, sur la base de la volonté du peuple, des avis des autorités compétentes, des efforts de chacune des Parties en matière d'application du présent Accord, et de l'Acte final de Helsinki, ainsi qu'en vue d'entreprendre un examen d'ensemble de l'application du présent Accord et d'examiner les propositions de mesures complémentaires émanant de toute Partie.
Article II : Dispositions finales
1 . Le présent Accord est signé en langue anglaise.
Après la signature du présent Accord, il en sera établi des traductions en serbe, en albanais et dans les autres langues des communautés nationales du Kosovo, qui seront jointes au texte anglais.
2. Le présent Accord entre en vigueur dès sa signature.
Pour Pour Pour
la République fédérale la République le Kosovo
de Yougoslavie de Serbie
V. - RÉSOLUTION N° 1244 (1999)
Adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4011è séance,
le 10 juin 1999
Le Conseil de sécurité,
Ayant à l'esprit les buts et les principes consacrés par la Charte des Nations Unies, ainsi que la responsabilité principale du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales,
Rappelant ses résolutions 1160 (1998) du 31 mars 1998, 1199 (1998) du 23 septembre 1998, 1203 (1998) du 24 octobre 1998 et 1239 (1999) et 1239 (1999) du 14 mai 1999,
Déplorant que les exigences prévues dans ces résolutions n'aient pas été pleinement satisfaites,
Résolu à remédier à la situation humanitaire grave qui existe au Kosovo (République fédérale de Yougoslavie) et à faire en sorte que tous les réfugiés et personnes déplacées puissent rentrer chez eux en toute sécurité et liberté,
Condamnant tous les actes de violence à l'encontre de la population du Kosovo ainsi que tous les actes de terrorisme, quels qu'en soient les auteurs,
Rappelant la déclaration du 9 avril 1999 dans laquelle le Secrétaire général a exprimé sa préoccupation devant la catastrophe humanitaire qui sévit au Kosovo,
Réaffirmant le droit qu'ont tous les réfugiés et personnes déplacées de rentrer chez eux en toute sécurité,
Rappelant la compétence et le mandat du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie,
Accueillant avec satisfaction les principes généraux concernant la solution politique de la crise du Kosovo adoptés le 6 mai 1999 (S/1999/516 ; annexe 1 à la présente résolution) et se félicitant de l'adhésion de la République fédérale de Yougoslavie aux principes énoncés aux points 1 à 9 du document présenté à Belgrade le 2 juin 1999 (S/1999/649 ; annexe 2 à la présente résolution), ainsi que de son accord quant à ce document,
Réaffirmant l'attachement de tous les Etats Membres à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et de tous les autres Etats de la région, au sens de l'Acte final d'Helsinki et de l'annexe 2 à la présente résolution,
Réaffirmant l'appel qu'il a lancé dans des résolutions antérieures en vue d'une autonomie substantielle et d'une véritable auto-administration au Kosovo,
Considérant que la situation dans la région continue de constituer une menace pour la paix et la sécurité internationales,
Résolu à assurer que la sécurité du personnel international soit garantie et que tous les intéressés s'acquittent des responsabilités qui leur incombent en vertu de la présente résolution, et agissant à ces fins en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
1. Décide que la solution politique de la crise au Kosovo reposera sur les principes généraux énoncés à l'annexe 1 et les principes et conditions plus détaillés figurant à l'annexe 2 ;
2. Se félicite de l'adhésion de la République fédérale de Yougoslavie aux principes et conditions visés au paragraphe 1 et exige de la République fédérale de Yougoslavie qu'elle coopère sans réserve à leur prompte application ;
3. Exige en particulier que la République fédérale de Yougoslavie mette immédiatement et de manière vérifiable un terme à la violence et la répression au Kosovo, entreprenne et achève le retrait vérifiable et échelonné du Kosovo de toutes les forces militaires, paramilitaires et de police suivant un calendrier serré, sur la base duquel il sera procédé au déploiement synchronisé de la présence internationale de sécurité au Kosovo ;
4. Confirme qu'une fois ce retrait achevé, un nombre convenu de militaires et de fonctionnaires de police yougoslaves et serbes seront autorisés à retourner au Kosovo pour s'acquitter des fonctions prévues à l'annexe 2 ;
5. Décide du déploiement au Kosovo, sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies, de présences internationales civile et de sécurité dotées du matériel et du personnel appropriés, en tant que de besoin, et accueille avec satisfaction l'accord de la République fédérale de Yougoslavie relatif à ces présences ;
6. Prie le Secrétaire général de nommer, en consultation avec le Conseil de sécurité, un représentant spécial chargé de diriger la mise en place de la présence internationale civile et le prie en outre de donner pour instructions à son représentant spécial d'agir en étroite coordination avec la présence internationale de sécurité pour assurer que les deux présences poursuivent les mêmes buts et s'apporter un soutien mutuel ;
7. Autorise les Etats Membres et les organisations internationales compétentes à établir la présence internationale de sécurité au Kosovo conformément au point 4 de l'annexe 2, en la dotant de tous les moyens nécessaires pour s'acquitter des responsabilités que lui confère le paragraphe 9 ;
8. Affirme la nécessité de procéder sans tarder au déploiement rapide de présences internationales civile et de sécurité efficaces au Kosovo et exige des parties qu'elles coopèrent sans réserve à ce déploiement ;
9. Décide que les responsabilités de la présence internationale de sécurité qui sera déployée et agira au Kosovo incluront les suivantes :
a) Prévenir la reprise des hostilités, maintenir le cessez-le-feu et l'imposer s'il y a lieu, et assurer le retrait des forces militaires, policières et paramilitaires fédérales et de la République se trouvant au Kosovo et les empêcher d'y revenir, si ce n'est en conformité avec le point 6 de l'annexe 2 ;
b) Démilitariser l'Armée de libération du Kosovo (ALK) et les autres groupes armées d'Albanais du Kosovo, comme le prévoit le paragraphe 15 ;
c) Établir un environnement sûr pour que les réfugiés et les personnes déplacées puissent rentrer chez eux, que la présence internationale civile puisse opérer, qu'une administration intérimaire puisse être établie, et que l'aide humanitaire puisse être acheminée ;
d) Assurer le maintien de l'ordre et la sécurité publics jusqu'à ce que la présence internationale civile puisse s'en charger ;
e) Superviser le déminage jusqu'à la présence internationale civile puisse, le cas échéant, s'en charger ;
f) Appuyer le travail de la présence internationale civile selon qu'il conviendra et assurer une coordination étroite avec ce travail ;
g) Exercer les fonctions requises en matière de surveillance des frontières :
h) Assurer la protection et la liberté de circulation pour elle-même, pour la présence internationale civile et pour les autres organisations internationales ;
10. Autorise le Secrétaire général, agissant avec le concours des organisations internationales compétentes, à établir une présence internationale civile au Kosovo afin d'y assurer une administration intérimaire dans le cadre de laquelle la population du Kosovo pourra jouir d'une autonomie substantielle au sein de la République fédérale de Yougoslavie, et qui assurera une administration transitoire de même que la mise en place et la supervision des institutions d'auto-administration démocratiques provisoires nécessaires pour que tous les habitants du Kosovo puissent vivre en paix et dans des conditions normales ;
11. Décide que les principales responsabilités de la présence internationale civile seront les suivantes :
a) Faciliter, en attendant un règlement définitif, l'instauration au Kosovo d'une autonomie et d'une auto-administration) substantielles, compte pleinement tenu de l'annexe 2 et des Accords de Rambouillet (S/1999/648) ;
b) Exercer les fonctions d'administration civile de base là où cela sera nécessaire et tant qu'il y aura lieu de faire ;
c) Organiser et superviser la mise en place d'institutions provisoires pour une auto-administration autonome et démocratique en attendant un règlement politique, notamment la tenue d'élections ;
d) Transférer ses responsabilités administratives aux institutions susvisées, à mesure qu'elles auront été mises en place, tout en supervisant et en facilitant le renforcement des institutions locales provisoires du Kosovo, de même que les autres activités de consolidation de la paix ;
e) Faciliter un processus politique visant à déterminer le statut futur du Kosovo, en tenant compte des Accords de Rambouillet ;
f) A un stade final, superviser le transfert des pouvoirs des institutions provisoires du Kosovo aux institutions qui auront établies dans le cadre d'un règlement politique ;
g) Faciliter la reconstruction des infrastructures essentielles et le relèvement de l'économie ;
h) En coordination avec les organisations internationales à vocation humanitaire, faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire et des secours aux sinistrés ;
i) Maintenir l'ordre public, notamment en mettant en place des forces de police locales et, entre-temps, en déployant du personnel internationale de police servant au Kosovo ;
j) Défendre et promouvoir les droits de l'homme ;
k) Veiller à ce que tous les réfugiés et personnes déplacées puissent rentrer chez eux en toute sécurité et sans entrave au Kosovo ;
12. Souligne qu'il importe que des opérations de secours humanitaires coordonnées soient entreprises et que la République fédérale de Yougoslavie permette aux organisations à vocation humanitaire d'accéder librement au Kosovo et coopère avec elles de façon à assurer l'acheminement rapide et efficace de l'aide internationale ;
13. Encourage tous les Etats Membres et les organisations internationales à contribuer à la reconstruction économique et sociale ainsi qu'au retour en toute sécurité des réfugiés et personnes déplacées, et souligne, dans ce contexte, qu'il importe de convoquer, aux fins énoncées au paragraphe 11 g), notamment, une conférence internationale de donateurs qui se tiendra à une date aussi rapprochée que possible ;
14. Exige que tous les intéressés, y compris la présence internationale de sécurité, apportent leur entière coopération au Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie ;
15. Exige que l'ALK et les autres groupes armés d'Albanais du Kosovo mettent immédiatement fin à toutes opérations offensives et satisfassent aux exigences en matière de démilitarisation que le responsable de la présence internationale de sécurité aura définies en consultation avec le Représentant spécial du Secrétaire général ;
16. Décide que les interdictions énoncées au paragraphe 8 de la résolution 1160 (1998) ne s'appliqueront ni aux armements ni au matériel connexe à l'usage de la présence internationale civile et de la présence internationale de sécurité ;
17. Se félicite du travail que l'Union européenne et les autres organisations internationales accomplissent en vue de mettre au point une approche globale du développement économique et de la stabilisation de la région touchée par la crise du Kosovo, y compris la mise en _uvre d'un pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est avec une large participation internationale en vue de favoriser la démocratie, la prospérité économique, la stabilité et la coopération régionale ;
18. Exige que tous les Etats de la région coopèrent pleinement à l'application de la présente résolution sous tous ses aspects ;
19. Décide que la présence internationale civile et la présence internationale de sécurité sont établies pour une période initiale de 12 mois, et se poursuivront ensuite tant que le Conseil n'en aura pas décidé autrement ;
20. Prie le Secrétaire général de lui rendre compte à intervalles réguliers de l'application de la présente résolution, y compris en lui faisant tenir les rapports des responsables de la présence internationale civile et de la présence internationale de sécurité, dont les premiers devront lui être soumis dans les 30 jours qui suivront l'adoption de la présente résolution ;
21. Décide de rester activement saisi de la question.
ANNEXE 1
Déclaration publiée par le Président de la réunion des ministres
des affaires étrangères du G-8 tenue au Centre de Petersberg
le 6 mai 1999
Les ministres des affaires étrangères du G-8 ont adopté les principes généraux suivants pour un règlement politique de la crise du Kosovo :
- Cessation immédiate et vérifiable de la violence et de la répression au Kosovo ;
- Retrait du Kosovo des forces militaires, de police et paramilitaires ;
- Déploiement au Kosovo de présences internationales civile et de sécurité effectives, endossées et adoptées par l'Organisation des Nations Unies, capables de garantir la réalisation des objectifs communs ;
- Mise en place d'une administration intérimaire pour le Kosovo, sur décision du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies, pour garantir les conditions permettant à tous les habitants du Kosovo de vivre en paix une existence normale ;
- Retour en toute sécurité et liberté de tous les réfugiés et personnes déplacées et accès sans entrave au Kosovo des organisations d'aide humanitaire ;
- Processus politique menant à la mise en place d'un accord-cadre politique intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonomie substantielle, qui tienne pleinement compte des Accords de Rambouillet et des principes de souveraineté et d'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et des autres pays de la région, et la démilitarisartion de l'ALK ;
- Approche globale de développement économique et de la stabilisation de la région de la crise.
ANNEXE 2
Il convient de conclure un accord sur les principes suivants afin de trouver une solution à la crise du Kosovo :
1. Un arrêt immédiat et vérifiable de la violence et de la répression du Kosovo.
2. Retrait vérifiable du Kosovo de toutes les forces militaires, paramilitaires et de police suivant un calendrier serré ;
3. Déploiement au Kosovo, sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies, de présences internationales efficaces, civile et de sécurité, agissant tel que cela pourra décidé en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies et capables de garantir la réalisation d'objectifs communs.
4. La présence internationale de sécurité, avec une participation substantielle de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, doit être déployée sous commandement et contrôle unifiés et autorisée à établir un environnement sûr pour l'ensemble de la population du Kosovo et à faciliter le retour en toute sécurité de toutes les personnes déplacées et de tous les réfugiés.
5. Mise en place, en vertu d'une décision du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies et dans le cadre de la présence internationale civile, d'une administration intérimaire pour le Kosovo permettant à la population du Kosovo de jouir d'une autonomie substantielle au sein de la République fédérale de Yougoslavie. L'administration intérimaire sera chargée d'assurer l'administration transitoire tout en organisant et en supervisant la mise en place d'institutions d'auto-administration démocratiques provisoires propres à garantir des conditions permettant à tous les habitants du Kosovo de vivre en paix dans des conditions normales.
6. Après le retrait, un effectif convenu de personnel yougoslave et serbe sera autorisé à revenir afin d'accomplir les tâches suivantes :
- Assurer la liaison avec la présence internationale civile et la présence internationale de sécurité ;
- Baliser les champs de mines et déminer ;
- Maintenir une présence dans les lieux du patrimoine serbe ;
- Maintenir une présence aux principaux postes frontière.
7. Retour en toute sécurité et liberté de tous les réfugiés et personnes déplacées sous la supervision du Haut Commissa riat des Nations Unies pour les réfugiés et libre accès des organismes d'aide humanitaire au Kosovo.
8. Un processus politique en vue de l'établissement d'un accord-cadre politique intérimaire prévoyant pour le Kosovo une autonomie substantielle, qui tienne pleinement compte des Accords de Rambouillet et du principe de la souveraineté et de l'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et des autres pays de la région, et la démilitarisation de l'ALK. Les négociations entre les parties en vue d'un règlement ne devraient pas retarder ni perturber la mise en place d'institutions d'auto-administration démocratiques.
9. Une approche globale du développement économique et de la stabilisation de la région en crise. Il s'agira notamment de mettre en _uvre un pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est avec une large participation internationale en vue de favoriser la démocratie, la prospérité économique, la stabilité et la coopération régionale.
10. La suspension des opérations militaires impliquera l'acceptation des principes énoncés ci-dessus ainsi que des autres conditions, déjà recensées, qui sont rappelées dans la note de bas de page ci-dessous30. Un accord militaro-technique sera alors rapidement conclu, en vue notamment de définir des modalités supplémentaires, y compris les rôles et fonctions du personnel yougoslave-serbe au Kosovo.
Retrait
Procédures concernant les retraits, y compris un calendrier détaillé et échelonné et la délimitation d'une zone tampon en Serbie au-delà de laquelle les forces se retireront ;
Retour du personnel
- Équipement du personnel autorisé à revenir ;
- Mandat définissant les responsabilités fonctionnelles de ce personnel ;
- Calendrier concernant le retour de ce personnel ;
- Délimitation des zones géographiques dans lesquelles le personnel est autorisé à opérer ;
- Règles régissant les relations de ce personnel avec la présence internationale de sécurité et la présence internationale civile.
VI. - ORGANISATION DE LA MINUK
VII. - EXTRAITS DES CONCLUSIONS DU CONSEIL EUROPÉEN D'HELSINKI DES 10 ET 11 DÉCEMBRE 1999
politique européenne commune en matière
de sécurité et de défense
Le Conseil européen adopte les deux rapports de la présidence sur le développement des moyens de l'Union pour la gestion militaire et non militaire des crises dans le cadre d'une politique européenne commune renforcée en matière de sécurité et de défense.
L'Union contribuera à la paix et à la sécurité internationales, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies. L'Union reconnaît que le Conseil de sécurité des Nations Unies est l'instance à laquelle il appartient en premier de veiller au maintien de la paix et de la sécurité internationales.
Le Conseil européen souligne sa détermination de développer une capacité autonome de décider et, là ou l'OTAN en tant que telle n'est pas engagée, de lancer et de conduire des opérations militaires sous la direction de l'UE, en réponse à des crises internationales. Ce processus évitera d'inutiles doubles emplois et n'implique pas la création d'une armée européenne.
Se fondant sur les lignes directrices définies par le Conseil européen de Cologne, et sur la base des rapports de la présidence, le Conseil européen a notamment décidé ce qui suit :
- coopérant volontairement dans le cadre d'opérations dirigées par l'UE, les Etats membres devront être en mesure, d'ici 2003, de déployer dans un délai de 60 jours et de soutenir pendant au moins une année des forces militaires pouvant atteindre 50 000 à 60 000 personnes, capables d'effectuer l'ensemble des missions de Petersberg ;
- de nouveaux organes et de nouvelles structures politiques et militaires seront créés au sein du Conseil pour permettre à l'Union d'assurer l'orientation politique et la direction stratégique nécessaires à ces opérations, dans le respect du cadre institutionnel unique ;
- des modalités visant à assurer une consultation, une coopération et une transparence pleines et entières entre l'UE et l'OTAN seront définies, en tenant compte des besoins de tous les Etats membres de l'UE ;
- des dispositions adéquates seront définies pour permettre, sans préjudice de l'autonomie de décision de l'Union, à des Etats européens membres de l'OTAN qui n'appartiennent pas à l'UE, ainsi qu'à d'autres Etats concernés, de contribuer à la gestion militaire d'une crise, sous la direction de l'UE ;
- un mécanisme pour la gestion non militaire des crises sera institué pour coordonner et utiliser plus efficacement les divers moyens et ressources civils, parallèlement aux moyens et ressources militaires, dont disposent l'Union et les Etats membres.
Le Conseil européen invite la prochaine présidence, en association avec le Secrétaire général/Haut Représentant, à accorder la priorité à la poursuite, au sein du Conseil « Affaires générales », des travaux relatifs à tous les volets de ces rapports, y compris la prévention des conflits et la création d'un comité pour la gestion civile des crises. La prochaine présidence est invitée à élaborer un premier rapport sur l'évolution de la situation pour le Conseil européen de Lisbonne et, à l'attention du Conseil européen de Feira, un rapport d'ensemble contenant des recommandations et des propositions appropriées, ainsi que des éléments de réponse à la question de savoir si une modification des traités est jugée nécessaire ou non. Le Conseil « Affaires générales » est invité à entamer la mise en _uvre de ces décisions en instituant au sein du Conseil, à compter de mars 2000, les organes et les structures intérimaires convenus, conformément aux dispositions actuelles du traité.
rapport sur l'état des travaux établi par la présidence
pour le conseil européen d'helsinki concernant le renforcement de la politique européenne commune
en matière de sécurité et de défense
Introduction
Rappelant les principes directeurs arrêtés à Cologne, l'Union européenne devrait être en mesure d'assumer ses responsabilités face à l'ensemble des activités de prévention des conflits et des missions de gestion des crises définies dans le traité sur l'Union européenne, les mission dite de Petersberg. L'Union européenne devrait disposer, à l'appui de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), de la capacité autonome de décider et, là où l'OTAN en tant que telle n'est pas engagée, de lancer puis de conduire des opérations militaires en réponse à des crises internationales. L'action de l'Union sera menée conformément aux principes de la Charte des Nations Unies et aux principes et objectifs de la Charte de l'OSCE pour la sécurité européenne. L'Union reconnaît la responsabilité première du Conseil de sécurité des Nations Unies en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. A cette fin, un accord est intervenu sur ce qui suit : un grand objectif commun européen sera adopté de sorte que des moyens militaires prêts à être déployés et des objectifs collectifs de capacités en matière de commandement et de contrôle, de renseignement et de capacité de projection seront mis au point rapidement, et ce grâce à la coordination volontaire des efforts nationaux et multinationaux, afin de mener à bien l'ensemble des missions dites de Petersberg. De nouveaux organes politiques et militaires seront établis au sein du Conseil pour permettre à l'Union européenne de prendre les décisions sur les opérations de Petersberg qu'elle dirige et pour assurer, sous l'autorité du Conseil, le contrôle politique et la direction stratégique nécessaires de ces opérations. Des principes de coopération seront agréés avec des Etats européens membres de l'OTAN qui n'appartiennent pas à l'UE et avec d'autres partenaires européens, pour la gestion militaire de crise dirigée par l'UE, sans préjudice de l'autonomie de décision de l'Union. La volonté de mener à bien les missions de Petersberg requerra des Etats membres d'améliorer leurs moyens militaires nationaux et multinationaux, ce qui, parallèlement, renforcera, lorsqu'il y a lieu, les capacités de l'OTAN et augmentera l'efficacité de l'action du Partenariat pour la paix (PpP) en faveur de la sécurité européenne. Lors de la présentation du présent rapport, la présidence a pris note de ce que le Danemark renvoyait au protocole n° 5 du traité d'Amsterdam sur la position du Danemark.
Capacités militaires pour accomplir les missions de Petersberg
Les Etats membres rappellent les engagements qu'ils ont pris à Cologne et leur détermination à donner à l'UE les capacités appropriées qui lui permettront, sans duplication inutile, d'entreprendre l'ensemble des missions définies à Petersberg à l'appui de la PESC. Ces capacités leur permettront de conduire efficacement des opérations dirigées par l'UE et, pour ceux qui sont concernés, de jouer pleinement leur rôle dans le cadre d'opérations de l'OTAN et dirigées par l'OTAN. Des capacités européennes plus efficaces seront développées sur la base de capacités nationales, binationales et multinationales existantes, qui seront réunies pour des opérations de gestion de crise menées par l'UE avec ou sans l'appui des moyens et des capacités de l'OTAN. Une attention toute particulière sera accordée aux moyens nécessaires pour assurer une gestion efficace des crises : capacité de projection, viabilité, interopérabilité, flexibilité, mobilité, capacité de survivre et capacité de commandement et de contrôle, en tenant compte des résultats de l'audit de l'UEO sur les capacités et les moyens disponibles et leurs implications pour les opérations dirigées par l'UE. Afin de développer les capacités européennes, les Etats membres se sont fixé comme objectif global d'être en mesure d'ici l'an 2003, en coopérant volontairement, de déployer rapidement puis de soutenir des forces capables de mener à bien l'ensemble des missions de Petersberg définies dans le traité d'Amsterdam, y compris les plus exigeantes d'entre elles, dans des opérations pouvant aller jusqu'au niveau d'un corps d'armée (jusqu'à 15 brigades, soit 50 000 à 60 000 hommes). Ces forces devraient être militairement autosuffisantes et dotées des capacités nécessaires de commandement, de contrôle et de renseignement, de la logistique et d'autres unités d'appui aux combats ainsi que, en cas de besoin, d'éléments aériens et navals. Les Etats membres devraient être en mesure de déployer de telles forces dans leur intégralité dans un délai de 60 jours et, dans ce cadre, de fournir des éléments plus réduits de réaction rapide disposant d'un très haut degré de disponibilité. Ils devront en outre être en mesure de soutenir un tel déploiement de forces pendant au moins une année. Cela nécessitera de disposer d'unités déployables additionnelles (et de moyens de soutien) à un degré de disponibilité moindre pour fournir les relèves des forces initialement déployées. Les Etats membres ont également décidé de déterminer rapidement des objectifs collectifs de capacité en matière de commandement et de contrôle, de renseignement et de transport stratégique, domaines également identifiés par l'audit de l'UEO. Ils se félicitent à cet égard des décisions allant en ce sens déjà annoncées par certains Etats membres :
- développer et coordonner des moyens militaires de surveillance et d'alerte rapide ;
- ouvrir les Etats-majors nationaux interarmées existants à des officiers provenant d'autres Etats membres ;
- renforcer les capacités de réaction rapide des forces multinationales européennes existantes ;
- préparer l'établissement d'un commandement européen du transport aérien ;
- accroître le nombre des troupes prêtes à être déployées ;
- renforcer les capacités de transport maritime stratégiques.
Le Conseil « Affaires générales », avec la participation des ministres de la Défense, élaborera l'objectif global et les objectifs de capacité. Il élaborera une méthode de consultation grâce à laquelle il sera possible d'atteindre et de tenir ces objectifs et par laquelle chaque Etat membre pourra définir sa contribution nationale, reflétant ainsi la volonté politique et la détermination des Etats membres d'atteindre ces objectifs. Cela comportera aussi un examen régulier des progrès réalisés. Les Etats membres utiliseront en outre les procédures de planification existantes en matière de défense, y compris, si cela est approprié, celles de l'OTAN et du processus de planification et de révision (PARP) du Partenariat pour la paix (PpP). Ces objectifs et ceux découlant, pour les pays concernés, de l'initiative de l'OTAN sur les capacités de défense (ICD) se renforceront mutuellement. Les Etats européens membres de l'OTAN qui ne sont pas membres de l'UE, ainsi que d'autres pays qui sont candidats à l'adhésion à l'Union européenne, seront invités à contribuer à cette amélioration des capacités militaires européennes. Cela renforcera l'efficacité des opérations militaires dirigées par l'UE et contribuera directement, pour les pays concernés, à l'efficacité et à la vitalité du pilier européen de l'OTAN. Les Etats membres se félicitent des progrès réalisés récemment en vue de la restructuration des industries européennes de défense, ce qui constitue un pas important en avant. Ces efforts contribuent à renforcer la base technologique et industrielle de la défense européenne. Une telle évolution appelle à un renforcement des efforts pour chercher à améliorer encore l'harmonisation des besoins militaires ainsi que la programmation et la fourniture d'armements, dans la mesure où les Etats membres l'estiment approprié.
Prise de décisions
Le Conseil arrête la politique concernant la participation de l'Union à toutes les phases et dans tous les aspects de la gestion des crises, et prend notamment la décision de mener les missions de Petersberg conformément à l'article 23 du traité UE. Les décisions prises à l'intérieur du cadre institutionnel unique respecteront les compétences de la Communauté européenne et garantiront la cohérence interpiliers, conformément à l'article 3 du traité UE. Tous les Etats membres sont habilités à participer pleinement et sur un pied d'égalité à toutes les décisions et délibérations du Conseil et des organes du Conseil portant sur les opérations dirigées par l'UE. L'engagement par les Etats membres de moyens nationaux dans de telles opérations relèvera de leur décision souveraine. Les Etats membres participeront au comité ad hoc des contributeurs conformément aux dispositions prévues au paragraphe 24. Les Ministres de la Défense seront impliqués dans la politique européenne commune en matière de sécurité et de défense (PECSD) ; ainsi, lorsque le Conseil « Affaires générales » examinera des questions liées à cette dernière, les Ministres de la Défense y participeront, s'il y a lieu, afin de donner des orientations en matière de défense. Au sein du Conseil, seront créés les nouveaux organes politiques et militaires permanents suivants :
a) - Un comité politique et de sécurité (COPS) permanent, siégeant à Bruxelles, sera composé de représentants nationaux au niveau de représentants de haut niveau/ambassadeurs. Il traitera de tous les aspects de la PESC, y compris la PECSD, conformément aux dispositions du TUE et sans préjudice de la compétence communautaire. Dans le cas d'une opération militaire de gestion de crises, le COPS exercera, sous l'autorité du Conseil, le contrôle politique et la direction stratégique de l'opération. A cette fin, des procédures appropriées seront adoptées afin de prendre des décisions efficaces et urgentes. Le COPS adressera également des directives au comité militaire ;
b) - Le Comité militaire (CM) sera composé des chefs d'Etat-major des armées, représentés par leurs délégués militaires. Le CM se réunira au niveau des chefs d'Etats-major des armées en tant que de besoin. Ce comité donnera des avis militaires et formulera des recommandations destinées au COPS et fournira des directives militaires à l'Etat-major. Le Président du CM assistera aux sessions du Conseil lorsque celui-ci aura à prendre des décisions ayant des implications dans le domaine de la défense ;
c) - L'Etat-major (EM), au sein des structures du Conseil, mettra ses compétences militaires au service de la PECSD, notamment de la conduite des opérations militaires de gestion des crises menées par l'UE. L'Etat-major sera chargé de l'alerte rapide, de l'évaluation des situations et de la planification stratégique pour les missions dites de Petersberg, y compris l'identification des forces européennes nationales et multinationales.
A titre provisoire, les instances ci-après seront mises en place au sein du Conseil à compter du 1er mars 2000 :
a) - Dans le strict respect des dispositions du traité, le Conseil créera un Comité politique et de sécurité permanent intérimaire au niveau des hauts fonctionnaires/ambassadeurs. Cet organe sera chargé, d'une part, d'assurer, sous la supervision du Comité politique, le suivi du Conseil européen d'Helsinki, en élaborant des recommandations sur le fonctionnement futur de la PECSD et, d'autre part, de traiter de la gestion courante des questions PESC, en relation étroite avec le SG/HR ;
b) - Un organe intérimaire composé de représentants militaires des chefs d'Etat-major des armées des Etats membres est institué afin de donner au Comité politique et de sécurité intérimaire, en tant que de besoin, des avis militaires ;
c) - Le Secrétariat du Conseil sera renforcé par des experts militaires détachés par les Etats membres afin de contribuer aux travaux relatifs à la PECSD et de constituer le noyau du futur Etat-major. Le Secrétaire général/Haut représentant (SG/HR), en assistant le Conseil, a une contribution essentielle à apporter à l'efficacité et à la cohérence de la PESC et à la mise au point de la politique commune en matière de sécurité et de défense. Conformément au TUE, le SG/HR contribuera à la formulation, à l'élaboration et à la mise en _uvre des décisions de politique. Au cours de la période intérimaire, le SG/HR, Secrétaire général de l'UEO, devra exploiter pleinement les capacités de l'UEO afin de conseiller le Conseil conformément à l'article 17 du TUE.
Consultation et coopération avec des pays non membres de l'UE et avec l'OTAN
L'Union assurera le dialogue, la consultation et la coopération nécessaires avec l'OTAN et ses membres ne faisant pas partie de l'UE, avec d'autres pays qui sont candidats à l'adhésion à l'UE, ainsi qu'avec d'autres éventuels partenaires dans la gestion des crises dirigée par l'UE, en respectant pleinement l'autonomie de décision de l'UE et le cadre institutionnel unique de l'Union. Des structures appropriées seront mises en place afin de permettre dialogue et échanges d'informations avec les membres européens de l'OTAN non membres de l'UE et d'autres pays qui sont candidats à l'adhésion à l'UE sur des questions liées à la politique de sécurité et de défense et à la gestion des crises. En cas de crise, ces structures permettront la tenue de consultations pendant la période précédant une décision du Conseil. En cas de décision prise par le Conseil de lancer une opération, les membres européens de l'OTAN non membres de l'UE participeront à celle-ci, s'ils le souhaitent, s'il s'agit d'une opération nécessitant un recours aux moyens et capacités de l'OTAN. Ils seront invités, sur décision du Conseil, à participer à des opérations pour lesquelles l'UE n'a pas recours aux moyens de l'OTAN. D'autres pays qui sont candidats à l'adhésion à l'UE pourront aussi être invités par le Conseil à participer à des opérations dirigées par l'UE, une fois que le Conseil aura décidé de lancer de telles opérations. La Russie, l'Ukraine et d'autres Etats européens participant à un dialogue politique avec l'Union et d'autres Etats intéressés pourront être invités à participer aux opérations dirigées par l'UE. Tous les Etats ayant confirmé leur participation à une opération dirigée par l'UE par le déploiement de forces militaires significatives auront les mêmes droits et obligations que les Etats membres participants de l'UE, quant à la conduite au jour le jour de cette opération. Dans le cas d'une opération dirigée par l'UE, un comité ad hoc de contributeurs sera créé afin d'assurer la conduite au jour le jour de l'opération. Tous les Etats membres de l'UE ont le droit de participer à ce comité ad hoc, qu'ils prennent ou non part à l'opération, mais seuls les Etats contributeurs participeront à la conduite au jour le jour de cette opération. Le Conseil, après la tenue de consultations entre les Etats participants au sein du Comité des contributeurs, prend la décision de mettre fin à une opération. Des modalités visant à assurer une consultation, une coopération et une transparence pleines entre l'UE et l'OTAN seront mises en _uvre. Dans un premier temps, les relations seront informelles et se concrétiseront par des contacts entre le SG/HR pour la PESC et le Secrétaire général de l'OTAN.
Mesures de suivi confiées à la présidence portugaise.
La présidence portugaise est invitée, avec le Secrétaire général/Haut représentant, à poursuivre les travaux, au sein du Conseil « Affaires générales », sur le renforcement de la politique européenne commune en matière de sécurité et de défense. La présidence portugaise est invitée, en outre, à faire rapport au Conseil européen de Feira sur les progrès accomplis, notamment par :
a) - Des recommandations sur le développement institutionnel au sein de l'UE des nouveaux organes politiques et militaires permanents liés à la PECSD, qui tiennent compte du document concernant les « organes militaires dans l'Union européenne, la planification et la conduite des opérations menées par l'UE » ainsi que d'autres contributions ;
b) - Des propositions relatives aux arrangements appropriés devant être conclu par le Conseil en ce qui concerne des modalités de consultation et/ou de participation permettant aux Etats tiers concernés de contribuer aux opérations militaires de gestion des crises dirigées par l'UE ;
c) - Des propositions sur des principes de consultation avec l'OTAN sur les questions militaires et des recommandations sur le développement de modalités applicables aux relations entre l'UE et l'OTAN, afin de permettre une coopération sur la réponse militaire appropriée à apporter en cas de crise, conformément à ce qui a été arrêté à Washington et à Cologne ;
d) - Une indication si une modification du traité est ou non jugée nécessaire.
VIII. - AUDITIONS DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES ET AUDITIONS COMMUNES DE CETTE COMMISSION AVEC LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE CONFLIT DU KOSOVO
La Commission a entendu, le 26 mars 1999, M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur la participation de la France aux opérations de l'OTAN en République fédérale de Yougoslavie.
Après avoir remercié M. Alain Richard d'être venu dans un délai aussi bref, après la déclaration du Premier Ministre à l'Assemblée nationale, le Président Paul Quilès a expliqué que son audition offrait aux députés l'occasion d'approfondir par leurs observations, leurs propositions ou leurs interrogations le nécessaire débat démocratique sur l'événement majeur que représentait la participation de la France aux opérations de l'OTAN en République Fédérale de Yougoslavie (RFY). Rappelant que la Commission de la Défense avait entrepris de réfléchir aux moyens d'améliorer le contrôle parlementaire des opérations extérieures, il a souligné que la situation actuelle qui permettait à l'exécutif d'engager ces opérations sans avoir besoin de consulter le Parlement ne contribuait pas au renforcement des institutions.
Comprenant que la situation pouvait justifier que certaines réponses du Ministre soient allusives, il a néanmoins estimé utile que toutes les questions pertinentes, même concernant des domaines susceptibles de revêtir un caractère confidentiel, soient posées. Il a ensuite exprimé la solidarité de l'ensemble de la Commission et des députés présents, avec les pilotes et tous les militaires participant aux opérations ainsi qu'avec leurs familles.
Le Président Paul Quilès a alors souhaité articuler ses questions autour de deux aspects :
- selon un premier angle d'approche qu'il a qualifié de factuel, il a demandé au Ministre quelle pourrait être l'évolution, dans les prochains jours, des opérations et de leurs objectifs militaires, et si un éventuel renforcement des forces de l'OTAN et de la France en Macédoine était planifié. Il a souhaité également que des indications relatives au coût et à la durée probable des opérations soient données. Il a en outre demandé comment la France s'insérait dans la chaîne de commandement, quelles étaient les modalités de sa participation, et comment était assuré le contrôle politique et stratégique des opérations ;
- abordant ensuite l'aspect stratégique de l'intervention, le Président Paul Quilès a rappelé les trois objectifs qu'elle devait permettre d'atteindre, aux termes de la déclaration du Premier Ministre : l'affaiblissement des capacités militaires de la RFY, la limitation de ses capacités offensives au Kosovo et le retour de M. Milosevic à la table des négociations. Il a alors demandé comment les alliés pouvaient mesurer le degré de réalisation des deux premiers objectifs et quels pouvaient être les délais nécessaires pour les atteindre, étant donné que des succès rencontrés en ce domaine dépendait la reprise des négociations par la partie serbe dans les conditions souhaitées par l'Alliance. Evoquant l'hypothèse où les autorités serbes se livreraient à une " épuration ethnique " au Kosovo et où M. Milosevic persisterait dans son refus de revenir négocier une solution politique, il a demandé quelles mesures seraient alors envisagées.
Soulignant que les frappes aériennes effectuées par la France et ses alliés à l'encontre du dispositif militaire et répressif de la République fédérale de Yougoslavie depuis le 24 mars étaient la conséquence de l'attitude des autorités de Belgrade, M. Alain Richard a rappelé que l'abolition du statut d'autonomie du Kosovo par M. Milosevic en 1989 avait entraîné un enchaînement d'actes de violence et de mesures de répression, qui avaient fait plus de deux mille morts et déplacé plusieurs centaines de milliers de réfugiés depuis dix ans. Indiquant que les partenaires du groupe de contact avaient d'un commun accord tout tenté pour aboutir à une solution politique, d'abord par le dialogue seul, puis par la conjugaison du dialogue et des menaces d'action armée, en s'appuyant sur le Conseil de sécurité de l'ONU, sur l'Union européenne et sur l'Alliance atlantique, seul outil militaire disponible, il a fait valoir que le recours à la force était rendu nécessaire par l'insuffisance des résultats obtenus. Il a ajouté que l'objectif des opérations en cours était conforme à la résolution 1199 du Conseil de sécurité des Nations Unies en date du 23 septembre 1998 qui exigeait des autorités de Belgrade un cessez-le-feu, la fin des opérations répressives à l'encontre des populations civiles et l'ouverture d'un dialogue institutionnel avec les Kosovars. Evoquant les pressions crédibles des membres du Groupe de contact et de l'OTAN sur les Serbes, le Ministre a rappelé qu'elles s'étaient concrétisées par l'accord Holbrooke-Milosevic du 16 octobre 1998 et la résolution 1203 du Conseil de sécurité prise le 24 octobre 1998 dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Il a insisté sur le fait que la Communauté internationale avait poussé à son terme l'initiative diplomatique dont le processus de Rambouillet constituait la dernière chance, bien qu'elle ait à plusieurs reprises constaté que ses efforts étaient vains, notamment au lendemain du massacre de Raçak. A la suite du refus serbe d'accepter l'ensemble des éléments permettant d'apporter une solution politique au conflit, les alliés ont décidé d'intervenir. Le Président de la République a alors décidé que la France participerait à cette intervention.
M. Alain Richard a indiqué que les Mirage 2000 D français engagés dans les opérations ont participé dès mercredi soir aux raids alliés et qu'ils ont atteint leurs objectifs. D'autres aéronefs ont assuré jour et nuit des missions de couverture et de sécurisation de l'espace aérien de la zone. Certains appareils restent également en alerte pour d'éventuelles missions de sauvetage d'équipages alliés d'avions abattus.
Rappelant le décalage de transparence entre les pays démocratiques de l'Alliance et la RFY, dont M. Milosevic maîtrise les médias pour pouvoir pratiquer une désinformation totale, d'autant plus aisée que les journalistes étrangers ont été expulsés et la presse indépendante interdite, M. Alain Richard n'a pas voulu spéculer sur les évolutions futures et indiquer les réponses qui leur seraient apportées. Il a toutefois rappelé que les objectifs retenus visaient à réduire de façon progressive les capacités d'organisation et de développement des actions offensives serbes. Si l'ensemble des moyens militaires de la RFY sont donc visés, les alliés se sont donné pour contrainte d'exposer le moins possible sa population civile. Insistant sur cet aspect, M. Alain Richard a jugé que le contrôle des médias yougoslaves visait pour partie à dissimuler les effets réels des frappes et à pratiquer une désinformation manifeste à propos des victimes civiles afin de déstabiliser les opinions publiques des Etats membres de l'Alliance.
Après avoir mis l'accent sur la lenteur inévitable du processus d'évaluation des résultats des opérations, il a estimé que l'action menée constituait une épreuve de vérité pour nos sociétés démocratiques qui devaient montrer qu'elles étaient capables de maintenir une attitude constante devant les développements de la situation. Les opérations ne doivent être jugées qu'à l'aune de la réalisation des objectifs globaux dans la durée.
Le Ministre a ensuite replacé les opérations menées en RFY dans le contexte de l'affirmation politique de l'Europe comme acteur mondial. Estimant que le déroulement actuel des opérations militaires dans le cadre atlantique constituait une situation de transition, il a souligné que les Européens convergeaient sur les objectifs politiques à atteindre et manifestaient dans l'action la volonté politique de définir une démarche commune face aux crises pouvant survenir sur le continent.
M. Alain Richard a toutefois estimé qu'une des tentations de notre partenaire américain pouvait être d'émettre des doutes sur la détermination collective des Européens dans la mesure où l'Europe est un concert de nations indépendantes dont le maillon le plus faible peut fragiliser la chaîne tout entière.
Reconnaissant qu'il serait peut-être nécessaire de réagir à des événements qui ne peuvent tous entrer dans le cadre d'une planification militaire, le Ministre a souligné qu'il n'était pas possible d'indiquer publiquement les réponses de circonstances envisagées dans l'hypothèse où la situation ne correspondrait plus aux prévisions initiales. Il a alors rappelé que le choix des alliés européens comme des Américains était d'agir par voie aérienne. Il a convenu qu'il s'agissait d'un choix difficile, étant donné notamment l'importance et la diversification du dispositif antiaérien yougoslave qui faisait courir des risques réels aux pilotes alliés. Estimant que l'équilibre entre les forces américaines et européennes ne pouvait pas être considéré comme satisfaisant, il a fait valoir que les pays européens devaient s'interroger sur la pertinence et la cohérence de leur politique militaire au regard de leurs ambitions politiques.
En l'absence d'accord entre les membres de l'Alliance pour la réorganiser, c'est la chaîne de commandement de l'OTAN qui est utilisée dans de bonnes conditions de fonctionnement. La France ne faisant pas partie du commandement intégré, le commandement opérationnel de nos forces appartient au Chef de l'Etat par l'intermédiaire du Chef d'Etat-major des Armées.
Soulignant les dangers que recèle la situation politique des Balkans, M. Jérôme Lambert, usant de la faculté que l'article 38 du Règlement confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, s'est inquiété des risques d'extension du conflit et notamment de l'attitude de la Russie qui pourrait être tentée de violer l'embargo frappant la Serbie, voire d'intervenir aux côtés des forces yougoslaves.
M. René Galy-Dejean a considéré que c'était en toute légitimité que le Président de la République avait engagé nos forces militaires à l'extérieur de nos frontières. Il a rappelé à ce propos la conception du Général de Gaulle selon laquelle le Président de la République représente en sa personne, en raison de son élection au suffrage universel direct, le peuple entier alors que l'Assemblée nationale en est le miroir brisé. Soulignant le caractère novateur de la démarche diplomatique européenne au sein du Groupe de contact, puis dans le cadre de la Conférence de Rambouillet, il s'est demandé si l'Union européenne avait la capacité militaire et logistique de conduire seule des opérations telles que celle qui venait d'être engagée. Estimant que les frappes aériennes ne pourraient avoir d'effet durable que si elles étaient suivies d'une présence terrestre, il s'est interrogé sur la capacité de la France, dont l'armée est cours de professionnalisation, à rassembler et à engager au Kosovo la force de 15 000 hommes, équivalente à celle déployée lors de la guerre du Golfe, qu'il était envisagé de mettre en _uvre.
Le Président Paul Quilès a précisé qu'il n'avait pas laissé entendre que l'intervention de l'armée française était illégitime, mais qu'elle aurait été plus facile à légitimer si le Parlement s'était prononcé avant qu'elle ait été décidée.
Pour donner plus de force aux décisions d'engagement militaire, il a jugé nécessaire de modifier l'article 35 de la Constitution dont il a fait ressortir le caractère obsolète et s'est prononcé pour une rédaction de cet article disposant que les interventions des forces armées en dehors du territoire de la République sont autorisées par le Parlement dans les conditions prévues par une loi organique.
M. Jacques Myard, usant de la faculté que l'article 38 du Règlement confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, a demandé si les frappes alliées avaient fait l'objet d'une évaluation préalable, si elles étaient susceptibles de faire plier l'adversaire et à quel moment il pourrait être nécessaire de franchir un pas supplémentaire.
Soulignant la détermination des pays de l'Union européenne, M. Guy-Michel Chauveau s'est interrogé sur la mission des forces de l'OTAN en Macédoine, étant donné que les observateurs de l'ONU ont été retirés, ainsi que sur les risques de déstabilisation de ce pays qui abrite à la fois des sympathisants serbes et une minorité albanaise.
M. Bernard Cazeneuve s'est interrogé sur la détermination réelle des Etats-Unis à s'impliquer totalement dans le conflit dans la mesure où certains sénateurs américains pressentent un danger d'enlisement et expriment des réserves.
M. Alain Barrau, usant de la faculté que l'article 38 du Règlement confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, s'est félicité que l'Europe ait pris pour la première fois une décision claire d'intervention dans le cadre d'une stratégie diplomatique. Il s'est interrogé sur la situation de la Macédoine et de l'Albanie, deux pays limitrophes directement concernés par le conflit, et sur les mesures à prendre si ces deux pays étaient l'objet d'attaques de l'armée yougoslave.
Regrettant que le Parlement n'ait pas été mieux associé à la préparation de l'intervention militaire au Kosovo, M. Pierre-André Wiltzer a estimé que l'action en cours comportait des dangers réels, notamment au cas où l'engagement de forces terrestres deviendrait inéluctable. Il a alors demandé si une formule associant la représentation nationale à la gestion de la crise par l'intermédiaire de représentants de ses groupes parlementaires et dans le respect des exigences de confidentialité ne pourrait pas être retenue, en articulation avec les activités de la Commission de la Défense, sur le modèle de celle qui avait été utilisée pendant la guerre du Golfe.
M. Pierre Lellouche a tout d'abord souhaité connaître l'avis du Ministre de la Défense sur la proposition du Président Paul Quilès de modifier l'article 35 de la Constitution et a demandé si le fait que deux composantes de la majorité s'étaient prononcées contre l'intervention en RFY était compatible avec l'unité politique nécessaire pour en garantir le succès. Après avoir rappelé que l'ensemble des pays européens ne consacraient à leur équipement de défense que 50 % de l'effort financier des Etats-Unis, il s'est interrogé sur les implications budgétaires de la construction de l'identité européenne de défense. Il a, par ailleurs, demandé quelle était l'attitude des pays neutres membres de l'Union européenne à l'égard des opérations de l'OTAN. Enfin, abordant les aspects militaires de cette intervention, il a regretté que le Ministre de la Défense ait annoncé que la présence de la France dans une force terrestre était exclue " d'entrée de jeu ", estimant que cette déclaration revenait à prévenir l'adversaire que l'action menée contre lui resterait limitée à la dimension aérienne. Il a également demandé quelle serait la réponse de l'OTAN à des actions de l'armée yougoslave au Kosovo.
Après s'être félicité de la décision du Premier Ministre d'engager de nouvelles discussions entre l'exécutif et le Parlement, pour mieux associer ce dernier aux décisions du Président de la République et du Gouvernement, M. François Lamy a rappelé que la Commission de la Défense nationale ferait prochainement des propositions en ce domaine, considérant qu'il convenait d'instituer sur la base du consensus un dispositif réunissant les conditions d'une intervention parlementaire responsable, à propos de questions qui touchent à la vie des militaires en opération. Il a alors souhaité savoir si la montée en puissance du dispositif en Macédoine allait être poursuivie et quelles étaient les conséquences de l'intervention de l'OTAN en RFY sur la situation militaire en Bosnie-Herzégovine.
M. Robert Gaïa a exprimé son approbation avec l'idée selon laquelle la crise du Kosovo pouvait être considérée comme un test pour la construction de l'Europe de la défense. Faisant état des déclarations d'un responsable américain selon lesquelles il n'était pas envisageable de réunir le Groupe de contact tant que les frappes aériennes auraient lieu, il s'est félicité des propos du Premier Ministre sur la disponibilité de la France à l'égard de la poursuite des négociations.
Le Ministre de la Défense a alors apporté les éléments de réponse suivants :
- lorsque l'Europe fait le choix redoutable de la puissance en décidant d'agir dans une crise, elle connaît les hésitations et les contraintes d'une puissance politique et se trouve à cet égard dans une situation comparable à celle des Etats-Unis, que certains ont tendance à critiquer trop facilement ;
- les pays européens ne sont pas " à la remorque " des Etats-Unis, puisque le cadre politique de l'autonomie du Kosovo a été défini sur leur initiative et que l'intervention américaine n'aurait pas eu lieu sans leur participation. Les événements actuels marquent donc le début d'une coresponsabilité de l'Europe et des Etats-Unis à l'égard de la sécurité européenne ;
- l'OTAN est le seul outil militaire qui existe, même si ses méthodes de coopération militaire ne sont pas les seules possibles et ne correspondent pas entièrement aux préférences de tel ou tel pays européen. Un long délai est en tout état de cause requis pour créer un outil militaire alternatif et assurer un véritable équilibre entre les deux piliers de l'Alliance atlantique ;
- la réticence de certains hommes politiques américains devant l'intervention des Etats-Unis en RFY n'est pas forcément négative pour l'Europe de la défense, dans la mesure où elle met en relief la disponibilité des pays européens. Si ceux-ci ne faisaient pas la preuve de leur détermination, la construction européenne connaîtrait un recul grave ;
- le Conseil des affaires générales, qui réunit les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne est le lieu où les Européens peuvent progresser de manière informelle vers une politique de défense commune. Il est peut-être plus urgent de poursuivre cette démarche informelle que de rechercher de nouveaux arrangements institutionnels ;
- le choix a été fait, dans l'état actuel de la situation, de recourir aux frappes aériennes. Il convient de ne pas spéculer sur leurs résultats pendant l'action. C'est un moyen adapté pour affaiblir l'outil militaire dont les autorités yougoslaves ont fait un instrument essentiel de leur pouvoir. Les sanctions économiques entraînent, quant à elles, une intensification des privations pour les populations ;
- le Président yougoslave sait qu'il porterait une responsabilité majeure en cas d'escalade de la violence au Kosovo ;
- les risques d'une inaction de l'OTAN auraient été supérieurs à ceux de l'intervention actuelle, notamment en raison du développement de l'instabilité en Macédoine, pays sans réelles potentialités militaires, dont les communautés sont très contrastées, et qui compte sur la solidarité des alliés ;
- les forces militaires de l'OTAN présentes en Macédoine représentent un effectif, essentiellement européen, de 10 000 hommes dans des zones proches de la frontière avec la RFY. Elles n'ont pas de mission spécifique pour préparer une intervention terrestre au Kosovo, même si le déploiement d'une force multinationale dans la province fait partie des objectifs d'une paix négociée ;
- l'Albanie constitue le maillon faible de la région malgré les mesures d'aide et d'appui militaires prises dans le cadre du partenariat pour la paix. Néanmoins, une agression serbe contre l'Albanie impliquerait une réponse des alliés ;
- les Russes ont toujours été des partenaires créatifs et constructifs au sein du Groupe de contact et lors du processus de Rambouillet Des voix s'élèvent en Russie pour demander si ce pays trouve un avantage à s'isoler de ses partenaires européens et américains en soutenant M. Milosevic. L'amitié historique entre la Russie et la Serbie pèse d'un grand poids dans la réaction aux opérations de l'OTAN d'une partie de l'opinion et des dirigeants russes. Pour autant, elle ne rend pas ces dirigeants aveugles aux responsabilités incombant aux Serbes. Toutes les initiatives sont prises pour maintenir avec les autorités russes un dialogue qui pourrait être utile à une sortie de crise, lorsque la position de M. Milosevic aura évolué ;
- les membres du Groupe de contact conservent des liens étroits entre eux et peuvent se réunir en formation officielle à tout moment utile, dès lors que des éléments nouveaux apparaîtraient ;
- le Gouvernement s'estime en mesure d'assumer pleinement ses responsabilités dans la gestion de la crise du Kosovo, en liaison avec le Chef de l'Etat, Chef des armées, qui a décidé de l'engagement des troupes françaises ;
- enfin, s'agissant de l'association du Parlement, le Ministre de la Défense a indiqué que le Premier Ministre en discuterait avec le Président de la République, tout en faisant remarquer que les opérations en cours n'obéissaient pas à la même logique de durée que de la guerre du Golfe
La Commission de la Défense nationale et des Forces armées et la Commission des Affaires étrangères ont procédé, le 6 avril 1999, à l'audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères et de M. Alain Richard, ministre de la Défense, sur la situation au Kosovo.
M. Edouard Balladur a demandé quels étaient les buts poursuivis par l'Alliance atlantique dans les opérations militaires menées en République fédérale de Yougoslavie. Il s'agit de protéger les droits de l'Homme et une population menacée mais comment ? En abattant le pouvoir yougoslave ou en le forçant à négocier ? Peut-on encore négocier avec les autorités de Belgrade et, sinon, quelle est l'alternative ?
M. Xavier Deniau a souhaité savoir s'il était exact que le 501ème régiment de chars avait été déployé en Macédoine et pour quelle mission.
Il a estimé qu'aucune disposition du Traité de l'Atlantique Nord ne permettait à l'OTAN d'intervenir dans un pays tiers.
M. Robert Hue, évoquant des informations récentes selon lesquelles Belgrade avait annoncé un cessez-le-feu unilatéral, a regretté que les Etats-Unis aient rejeté immédiatement cette proposition sans consulter leurs alliés. Son contenu aurait dû être vérifié et examiné sérieusement.
Il a approuvé la déclaration du Premier ministre selon laquelle il convenait de fournir un effort de solidarité en faveur des réfugiés tout en se gardant d'adresser un signal d'encouragement à Slobodan Milosevic. C'est une bonne chose que la France soit disponible pour accueillir des réfugiés sur la base du volontariat.
Il a estimé heureux que le Premier ministre prenne en considération la proposition qu'il avait formulée la semaine précédente, ainsi que celle présentée par le Président Paul Quilès pour permettre l'instauration au Kosovo d'une zone humanitaire protégée sous l'égide de l'ONU.
Il a proposé que l'on saisisse l'occasion d'une réunion imminente du Groupe de contact pour charger M. Primakov d'une deuxième mission de médiation avec l'appui du Secrétaire général de l'ONU.
M. François Loncle a constaté que les informations à propos d'une éventuelle intervention terrestre et des délais de sa préparation étaient contradictoires. Qu'en est-il exactement ?
Il a demandé quelle aide la communauté internationale entendait apporter à la Macédoine et au Monténégro, deux entités qui forçaient l'admiration en raison des progrès qu'elles avaient accomplis dans l'édification de systèmes démocratiques jusqu'à l'aggravation récente des risques de déstabilisation auxquels elles étaient exposées.
M. René André a rappelé que les accords de Rambouillet prévoyaient le déploiement d'une force d'interposition. Or, cette condition n'a pas été clairement évoquée par le Premier ministre lors de sa dernière intervention. Y a-t-il là une évolution de la position de la France ?
M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, a exposé que le but des alliés était de mettre en échec la politique que Belgrade conduisait depuis des années et qui déstabilisait les pays voisins. Cette politique se traduisait par un afflux de réfugiés et menaçait la Macédoine bien avant l'intervention de l'OTAN. L'objectif demeure l'organisation de la coexistence des Serbes et des Kosovars au Kosovo dans le respect de la souveraineté yougoslave. Il s'agit de préserver les intérêts de la Serbie malgré ses dirigeants. A ce but s'ajoute aujourd'hui le retour des réfugiés dans des conditions de sécurité.
Il est pertinent de se demander si l'on peut toujours négocier avec M. Milosevic. On ne peut s'interdire cette voie si elle est utile à l'amélioration de la situation humanitaire. Mais il existe une alternative : celle d'imposer une solution politique. Tel pourrait être le rôle du Conseil de sécurité : définir le cadre d'une solution politique, dans l'esprit des accords de Rambouillet et en prenant en compte les derniers événements. Cette question n'est pas tranchée. Confier cette tâche au Conseil de sécurité suppose un travail en commun avec la Russie.
L'action de l'OTAN se fonde sur trois résolutions du Conseil de sécurité dont les exigences nombreuses et précises n'ont jamais été satisfaites par Belgrade. L'OTAN n'est pas une entité autonome mais l'alliance de dix-neuf pays démocratiques qui se sont résolus au recours à la force après l'épuisement de tous les efforts diplomatiques.
L'annonce d'un cessez-le-feu unilatéral par Belgrade fait, en ce moment même, l'objet d'une concertation entre les alliés. Cette concertation engagée au sein de l'Alliance débouchera rapidement sur une prise de position conjointe. L'initiative de Belgrade est un signe que les alliés approchent de leur objectif mais elle est insuffisante. Un cessez-le-feu des forces yougoslaves est indispensable mais il déboucherait sur le retour à la situation antérieure, aggravée par l'exode, s'il n'était pas assorti d'un retrait de ces forces, de la mise en _uvre du droit au retour des réfugiés, d'un accord politique et de garanties internationales de sécurité.
Les Russes ne souhaitant pas mettre en avant le Groupe de contact, une réunion devrait se tenir au niveau ministériel dans le cadre du G8. Par ailleurs, le Secrétaire général des Nations Unies devrait très prochainement nommer un représentant spécial.
Les Américains ont indiqué que leur position à l'égard d'une intervention au sol restait inchangée. Il ne faut pas confondre les prises de positions officielles et celles de diverses personnalités. D'anciens secrétaires d'Etat, des représentants du parti républicain débattent ainsi d'une telle intervention, mais sans entrer dans les détails. Il ne faut pas confondre la sécurisation des frontières de la Macédoine et de l'Albanie par le déploiement de moyens militaires dont le volume peut être important avec une intervention plus longue et plus risquée.
Le principe de base de notre action reste la recherche d'une autonomie substantielle du Kosovo dans une Yougoslavie maintenue dans ses frontières. La question du rôle de la force multinationale de sécurité se pose aujourd'hui en des termes différents, notamment en raison de la nécessité d'assurer le retour des réfugiés, mais l'esprit des accords de Rambouillet demeure pertinent.
La bonne démarche est la suivante : parvenir à des accords politiques, qu'ils soient négociés ou imposés par le Conseil de sécurité des Nations Unies ; leur mise en _uvre devra s'accompagner d'une sécurisation du territoire kosovar, condition préalable indispensable au retour des réfugiés. On ne peut pas plonger ceux-ci de l'exode dans la guerre. Aucun changement de position, concernant notamment l'indépendance du Kosovo, n'est envisagé. L'attitude de défi des Yougoslaves à l'égard du reste du monde ne doit pas nous empêcher d'avoir le souci de préserver la souveraineté de la Yougoslavie.
M. Alain Richard, ministre de la Défense, a tout d'abord rappelé le caractère essentiel de la force d'interposition, réaffirmé aujourd'hui encore par le Premier ministre : elle est au c_ur de tout règlement politique. Sa structure et son statut seront-ils identiques à ceux prévus pour la force précédemment envisagée ? Ce point fera l'objet de discussions lorsque les conditions de sa mise en place seront réunies.
Afin de constituer la force de cessez-le-feu initialement prévue, une partie du 501ème régiment de chars de combat avait effectivement été mise en alerte mais n'avait pas été déployée en Macédoine. S'il doit y avoir une force d'interposition chargée de mettre en _uvre des garanties de sécurité au Kosovo, il faut qu'elle soit importante et robuste. Elle devra en effet se déployer dans des conditions de sécurité initialement difficiles. C'est l'un des sujets délicats de la discussion politique. On ne saurait se contenter du déploiement de quelques vérificateurs ou observateurs dans une province ayant connu un tel niveau de violence.
S'agissant de la décision de recourir à une intervention aérienne, les autorités des Etats-membres de l'OTAN ont pris leurs responsabilités en autorisant depuis octobre l'activation des forces de l'Alliance. Ensuite seulement, le pouvoir de déclencher les frappes a été délégué, sous conditions, au Secrétaire général de l'OTAN. Cette démarche n'a d'ailleurs pas été contestée et a indéniablement permis aux discussions politiques de progresser.
L'action aérienne a été privilégiée en raison de la brièveté de ses délais de mise en _uvre. Une intervention de nature terrestre aurait nécessité une préparation de cinq à six semaines au minimum et n'aurait pu se faire dans les mêmes conditions de discrétion. Si on avait voulu la préparer, il aurait fallu le faire pendant les négociations de Rambouillet, ce qui aurait constitué un signal fortement préjudiciable au bon déroulement de ces dernières.
Par ailleurs, la préparation d'une intervention terrestre aurait créé un risque majeur de recrudescence des exactions perpétrées à l'encontre des Kosovars. C'est aussi à ce risque que répond le choix des frappes aériennes. Les frappes donnent en effet des résultats : elles entravent le déplacement des forces serbes au Kosovo et réduisent leurs possibilités de recevoir des renforts ou un appui aérien. Les conditions de réalisation d'une intervention au sol changent d'ailleurs à mesure que l'action aérienne fait sentir ses effets.
L'offre de cessez-le-feu formulée par la République fédérale yougoslave fait l'objet de discussions. Elle constitue avant tout un sujet de travail. Il faut prendre garde à des réactions trop vives. Le sang-froid, nécessaire à l'égard de ce qui pouvait ralentir le règlement du conflit, est tout autant de circonstance face à ce qui pourrait accélérer une éventuelle solution.
Le Président Paul Quilès s'est déclaré satisfait de la position prise par le Premier ministre et confirmée par le Ministre des Affaires étrangères, selon laquelle il appartenait au Conseil de sécurité de fixer un cadre politique de négociation. Il a néanmoins souhaité que soit précisée la démarche conduisant à ce cadre de référence, la définition de chacun de ses éléments constitutifs pouvant faire l'objet de discussions prolongées. Or, dans l'état actuel de la situation, le Kosovo risque d'être vidé de sa population albanophone d'ici quinze jours. Suggérant que le cadre de référence défini par le Conseil de sécurité fixe des orientations générales, sans entrer dans les détails de leur mise en _uvre, il s'est enquis du temps nécessaire pour l'établir.
Il a ensuite demandé au Ministre des Affaires étrangères de faire le point sur les contacts diplomatiques directs de la France avec ses alliés et avec la Russie, dont la contribution serait essentielle pour aboutir à une décision du Conseil de sécurité. Il a, à cet égard, évoqué la tonalité très positive des propos récemment tenus par l'Ambassadeur de Russie en France.
Faisant ensuite référence à la dépêche de l'AFP dans laquelle l'OTAN et les Etats-Unis qualifient d'« inacceptable » et la Grande-Bretagne d'« insuffisante » la proposition de cessez-le-feu faite par M. Milosevic, le Président Paul Quilès a demandé s'il serait possible, en termes diplomatiques, de la considérer comme un « premier pas ». Il a estimé qu'une telle expression permettrait aux alliés de montrer qu'ils étaient prêts à saisir cette occasion pour formuler d'autres exigences auprès du gouvernement serbe et, en tout premier lieu, le retrait de ses forces militaires et paramilitaires du Kosovo.
Notant enfin qu'on avait jusqu'ici peu évoqué le rôle que pouvait jouer le Secrétaire général des Nations Unies alors qu'au moment d'un épisode récent de la crise irakienne la France avait mis à sa disposition un de ses avions pour lui permettre de se rendre à Bagdad, il a demandé s'il était encore possible de le voir contribuer à la résolution du conflit.
Mme Marie-Hélène Aubert s'est inquiétée de la situation des membres de la LDK et s'est dite perplexe devant l'attitude prêtée à M. Ibrahim Rugova, qui se serait associé à la demande de cessez-le-feu présentée par M. Milosevic. Elle a demandé au Ministre des Affaires étrangères des précisions à ce sujet et l'a interrogé sur l'état des négociations visant à autoriser M. Rugova à quitter la Yougoslavie. S'agissant de l'accueil des réfugiés kosovars par certains pays de l'Alliance et de la possibilité de leur retour ultérieur, elle a rappelé que Mme Emma Bonnino avait souligné la nécessité de leur fournir les papiers indispensables à leur rapatriement. Elle s'est demandé comment les pays de l'Alliance allaient s'organiser pour permettre l'établissement de ces documents.
M. Jacques Baumel a déclaré que, plus insupportable encore que bien des tragédies humanitaires auxquelles on assiste actuellement dans les Balkans, était la situation du camp de Blace, en Macédoine, qui n'est ni plus ni moins que la reconstitution d'un camp de concentration, cinquante après la seconde guerre mondiale, avec ses fils barbelés, ses policiers en faction et des conditions de vie désastreuses. Il s'est demandé s'il n'était pas possible d'obtenir des autorités macédoniennes une conduite plus humaine et si les trois mille soldats français qui stationnent à quelque deux cents kilomètres de ce camp allaient devenir les témoins d'une shoah des temps modernes. Il a interrogé les ministres sur la possibilité de parachuter dans ce camp des produits de première nécessité. S'agissant enfin du débat sur l'accueil des réfugiés, il a demandé s'il ne serait pas possible de rapatrier dans les pays de l'Alliance les grands malades par les avions destinés à l'aide humanitaire.
Après s'être associé aux remarques de M. Jacques Baumel et fait observer que les questions qu'il allait formuler étaient dans une certaine mesure des critiques, malgré le soutien qu'il apportait à la politique menée par le Président de la République et le Gouvernement face à la crise du Kosovo, M. Pierre Lellouche s'est déclaré perplexe sur quatre points.
Il s'est tout d'abord demandé comment il était possible de négocier avec un homme qu'on veut par ailleurs déférer devant le Tribunal pénal international et dont on sait qu'il a commis des crimes contre l'humanité. Evoquant ensuite les propos du Ministre des Affaires étrangères, selon lesquels le Kosovo avait une vocation multiethnique, il a estimé qu'il s'agissait là d'une position peu réaliste et s'est demandé si on n'allait pas, en se fixant un tel objectif de sortie de crise, recommencer de manière caricaturale ce qui avait été fait en Bosnie, où seule la présence de trente-six mille soldats permet de préserver le dispositif prévu par les accords de Dayton. Faisant ensuite allusion aux propos du Premier ministre, selon lesquels l'objectif poursuivi par les forces de l'Alliance était de faire revenir M. Milosevic à la table des négociations, il s'est étonné que n'ait pas été mentionnée l'autonomie du Kosovo. Il a enfin déclaré que, quelle que soit l'appellation sous laquelle on la désignerait, les Français savaient qu'on se dirigeait inéluctablement vers une opération terrestre, l'envoi par les Etats-Unis d'hélicoptères Apache et de 2 000 soldats en Albanie représentant des signes très clairs à cet égard. Etant donné que tout se joue dans l'adhésion des opinions publiques, n'est-ce pas se compliquer encore la tâche que de retarder sans cesse leur préparation à cette issue qui s'imposera quoiqu'il arrive ?
M. Guy-Michel Chauveau a demandé quels contacts avaient été établis, en particulier pour des fins humanitaires, entre les autorités macédoniennes et les forces alliées, déployées notamment par la France et d'autres pays de l'Union européenne. Il a également fait observer que le mandat de la FORDEPRONU déployée en Macédoine n'avait pas été renouvelé après le 1er mars.
Rappelant que, lors des négociations qui s'étaient tenues à Rambouillet, il n'avait pas été question d'indépendance mais d'autonomie du Kosovo, M. François Guillaume s'est étonné des propos tenus par M. Mitsotakis, ancien Premier ministre grec, selon lesquels, après que l'UCK eut refusé le projet d'accord établi par le Groupe de contact, le principe de l'indépendance de la province dans les trois années à venir y avait été ajouté, à la demande de cette organisation. Il a demandé au Ministre des Affaires étrangères des précisions sur ce sujet.
M. Valéry Giscard d'Estaing a fait remarquer que l'OTAN, organisation défensive et militaire, ne semblait guère adaptée à la situation, puisqu'elle s'était lancée dans des opérations semi-offensives et qu'elle se trouvait confrontée à des défis de nature civile, concernant des réfugiés. Il a estimé que le désordre actuel dans les pays limitrophes de la Yougoslavie venait du fait qu'il n'y avait pas d'institution capable d'assumer le volet civil de la mission de l'OTAN, le HCR et la Communauté européenne présents sur le terrain ne pouvant pleinement jouer ce rôle. Il s'est donc prononcé pour la mise en place d'une agence civile chargée d'évaluer et de prendre en charge la situation en complément des actions militaires.
Observant ensuite qu'il n'y aurait de règlement que mutuellement supportable par les populations, il a jugé que les propositions communiquées aux Serbes n'étaient pas recevables par ceux-ci, qui étaient fondamentalement hostiles à tout ce qui pouvait conduire à l'indépendance du Kosovo. Ajoutant que M. Milosevic avait pris politiquement appui sur cette opposition, il s'est demandé si, au lieu de créer une nouvelle situation juridique, il ne serait pas plus judicieux de remettre en vigueur le statut d'autonomie de 1974, qui avait été instauré par la Yougoslavie d'alors et dont les Kosovars ne s'étaient pas mal trouvés.
Enfin, rappelant que la plupart des conflits récents du type de celui du Kosovo s'étaient achevés par des partitions territoriales, il a demandé si, face à la détermination du Président Milosevic, les Alliés avaient en tête des propositions de cet ordre et s'il n'était pas temps pour eux d'annoncer qu'ils récusaient d'emblée toute partition.
M. Jean-Yves Besselat s'est interrogé sur la situation militaire et l'efficacité des frappes ainsi que sur la durée prévisible du conflit au cas où l'engagement de l'OTAN resterait limité à des frappes aériennes.
M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères, a apporté les éléments de réponse suivants :
- l'élaboration par le Conseil de sécurité d'un cadre de référence pour le règlement du conflit suppose qu'aient été reconstituées des conditions de travail en commun avec la Russie. Devront en faire partie le droit au retour des réfugiés, les éléments essentiels de la situation institutionnelle future du Kosovo, sachant qu'aucun des Etats du Groupe de contact n'a changé d'avis sur le point de l'indépendance, et enfin la configuration de la force de sécurité internationale. Le retrait des forces serbes est également une condition évidente et sa nécessité sera rappelée. Il faut être conscient que cette démarche peut requérir de longues discussions ;
- le Secrétaire général des Nations Unies n'a pas souhaité prendre d'initiative, au contraire de la situation qui avait prévalu lors de la guerre du Golfe et où il y avait aussi une demande en ce sens de certains membres du Conseil de sécurité ; les choses peuvent cependant changer en ce domaine ;
- aussi longtemps qu'aucun responsable occidental ne peut avoir de contacts avec M. Rugova, il est impossible d'authentifier ni ses déclarations, ni les images où il est apparu. Le Gouvernement pense que, sauf s'il avait pris un virage incompris de la population du Kosovo, M. Rugova reste l'un des éléments d'une solution future ;
- l'Ambassadeur de France en Macédoine a été chargé aujourd'hui d'une démarche auprès des autorités macédoniennes pour exposer l'incompréhension de la France devant l'attitude d'un Etat par ailleurs demandeur de relations plus étroites avec l'Union européenne. Même s'il faut prendre en compte la vulnérabilité de ce pays, l'affaire du camp de Blace est intolérable ;
- aucun pays occidental n'a tout à fait franchi le pas au-delà duquel le Président Milosevic ne serait plus un partenaire possible ; à ce stade de la crise, des accords peuvent encore être négociés et conclus avec lui ;
- aucun des gouvernements de l'Alliance n'a changé de position sur l'indépendance du Kosovo. Refuser le fait accompli signifie que les personnes déplacées doivent pouvoir retourner au Kosovo, pas que les Serbes du Kosovo doivent partir. Dans le cadre d'une souveraineté yougoslave maintenue, le Kosovo comportera donc plusieurs communautés, dont des Serbes. Cette situation devra être organisée ; les accords de Rambouillet incluaient par exemple une disposition selon laquelle les Serbes du Kosovo pourraient être déférés devant des tribunaux serbes. Par ailleurs, les Serbes du Kosovo gardent du statut en vigueur entre 1974 et 1989 le souvenir d'avoir été écartés des lieux de décision par les Albanais, qui imposaient notamment l'usage exclusif de leur langue dans l'administration. Il ne s'agit pas cependant d'envisager on ne sait quelle partition géographique mais seulement d'organiser la coexistence ; un statut particulier de la région des monastères au sein d'un Kosovo très autonome, solution un temps envisagée, peut relever de cette démarche ;
- aujourd'hui, l'envoi d'hélicoptères Apache doit être sans doute plutôt analysé comme le substitut à un engagement terrestre que comme sa concrétisation ;
- l'objectif prioritaire reste une force terrestre de sécurisation dans le cadre d'un accord politique que la France souhaite de préférence voir légitimé par le Conseil de sécurité ;
- à Rambouillet, la délégation kosovare avait demandé une clause de rendez-vous avec référendum au bout de trois ans. Cette demande a été refusée par l'unanimité des membres du Groupe de contact et c'est un accord non modifié que les négociateurs kosovars ont finalement signé après l'avoir initialement rejeté ;
- l'OTAN n'est en effet pas adapté à certaines tâches civiles ; ses responsables militaires en conviennent volontiers et ne cherchent pas à étendre indûment leurs responsabilités à ce domaine.
Le Ministre des Affaires étrangères a conclu que les remarques exprimées par les députés membres des deux commissions rejoignaient son souci de concilier la souveraineté yougoslave et l'octroi au Kosovo d'un statut de très large autonomie, indépendamment des modalités utilisées pour y parvenir, négociations ou imposition par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
M. Alain Richard, ministre de la Défense, a estimé que la situation dans les camps de réfugiés en Albanie et Macédoine était en voie d'amélioration, du fait notamment d'une meilleure coopération entre les agences humanitaires et les autorités nationales. Des forces ont été mises à la disposition des agences humanitaires pour les aider dans leur fonction logistique. En revanche, leur emploi en vue d'assurer la sécurité des camps de réfugiés reste soumis à l'accord préalable de la Macédoine. Le parachutage des secours dans les camps a été écarté car de telles actions seraient de nature à provoquer des désordres.
M. Alain Richard a précisé que l'utilisation d'hélicoptères de combat, décidée par le Conseil de l'Alliance, ne devait pas être interprétée comme le prélude d'une intervention terrestre mais comme la volonté de faire intervenir des moyens supplémentaires dans le cadre de la phase 2 des opérations aériennes.
Le délai nécessaire au déploiement de forces d'interposition pour assurer le respect et la mise en _uvre d'un éventuel accord de cessez-le-feu et de retrait des troupes yougoslaves serait très inférieur à celui d'une intervention terrestre, dès lors que la planification des moyens prévue lors de la conférence de Rambouillet serait appliquée. En revanche, si pour des raisons diverses, des modifications devaient intervenir quant aux participants, les délais seraient allongés d'autant.
Le Ministre de la Défense a déclaré que la capacité des forces aériennes yougoslaves avait été fortement amputée et que celles-ci n'étaient plus en état d'apporter leur aide aux forces terrestres. Les systèmes de défense aérienne yougoslaves ont été également détruits dans une forte proportion, ainsi que les moyens de communication et de contrôle.
Deux sujets de préoccupation demeurent. Le premier concerne la difficulté à opérer des frappes directes sur les forces yougoslaves en mouvement au Kosovo, en raison des risques encourus par la population civile. Ces frappes sont toutefois désormais prévues. Le second point d'inquiétude a trait aux capacités d'attaque sol-air de la Yougoslavie qui pourraient menacer sérieusement les avions alliés volant à basse altitude pour frapper les troupes yougoslaves en action au Kosovo. Les risques pris par nos aviateurs vont devenir de plus en plus grands.
M. Alain Richard a conclu son intervention en estimant que la proposition de cessez-le-feu unilatéral qui venait d'être annoncée par les autorités yougoslaves pouvait être considérée comme un indicateur indirect de l'évaluation faite par Belgrade de la situation militaire.
La Commission a entendu, le 13 avril 1999, M. Alain Richard, ministre de la Défense, sur les opérations militaires en République fédérale de Yougoslavie.
M. Pierre Lellouche a tout d'abord estimé que, depuis quelques jours, notamment depuis la dernière intervention télévisée du Président de la République, on assistait à une relance de l'action diplomatique en vue d'associer notamment la Russie et le Conseil de sécurité de l'ONU au règlement de la crise du Kosovo. Mais il a également observé que les frappes aériennes s'intensifiaient et que le nombre d'aéronefs mis en _uvre par les Alliés augmentait, même si le déploiement des hélicoptères américains Apache semblait devoir être différé. Il a demandé, dans le cas où l'OTAN déciderait de se limiter aux raids aériens, s'il était possible d'estimer le temps nécessaire pour obtenir une inflexion de la position yougoslave. Si l'inflexion ne devait pas se produire, devrait-on envisager une intervention terrestre ? Des plans sont-ils préparés ? Où en est la réflexion de la France à cet égard ?
Faisant remarquer qu'on semblait s'orienter à nouveau vers la recherche d'une solution politique incluant l'ONU et la Russie, M. Robert Gaïa a demandé si l'OTAN pouvait constituer une force d'interposition et dans quels délais cette force pourrait être mise en place.
M. René Galy-Dejean a demandé au ministre de la Défense quel était le jugement du gouvernement français sur l'efficacité des frappes aériennes. Remarquant que la plupart des pays européens de l'Alliance atlantique envoyaient de nouvelles unités terrestres d'un volume relativement élevé pour renforcer les troupes participant à l'aide humanitaire, il a interrogé le ministre sur les projets de la France, qui lui semblait un peu en retrait en ce domaine. Enfin, il s'est demandé, dans l'hypothèse où les Etats-Unis resteraient réticents à envoyer des troupes au sol, si on pouvait envisager un engagement terrestre des seules forces européennes.
M. Guy-Michel Chauveau a souligné le risque de confusion entre les différents types d'engagement terrestre dans le cadre de la crise du Kosovo, qu'il a répertoriés en trois catégories : la force d'interposition, les forces ayant pour mission d'encadrer l'aide humanitaire et celles destinées à une éventuelle entrée sur le territoire de la province dans une situation de combat. Puis, il s'est interrogé sur les solutions institutionnelles qui pouvaient être apportées au problème de la direction politique de l'engagement des forces aux frontières du Kosovo ou dans la province elle-même et en particulier sur le rôle politique que pouvait jouer l'Union européenne.
M. Hervé de Charette, usant de la faculté que l'article 38 du Règlement confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, a interrogé le ministre de la Défense sur les critères à l'aune desquels le Gouvernement pouvait juger de l'efficacité des frappes aériennes. Estimant qu'il ne fallait pas tenir compte seulement du nombre de cibles atteintes et de l'étendue des destructions matérielles infligées, il a exprimé des doutes sur l'adéquation entre les frappes et les buts politiques recherchés. Enfin, il a demandé si les Européens préparaient une intervention militaire au sol et si des plans en ce sens avaient été élaborés au sein de l'OTAN.
M. Bernard Grasset a demandé quel était l'état des défenses antiaériennes de l'armée yougoslave et quels étaient les objectifs privilégiés des frappes (casernes, usines, moyens de communication, blindés...). Il a également demandé s'il était possible d'envisager, éventuellement, des opérations terrestres ciblées de forces aéroportées sur les arrières des troupes yougoslaves, pour une durée limitée.
M. Bernard Charles, usant de la faculté que l'article 38 du Règlement confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, est intervenu sur le volet humanitaire des actions menées dans le cadre de la crise du Kosovo. Après avoir remarqué que l'armée française était la première à être intervenue pour suppléer les ONG et demandé quelles étaient les modalités de cette intervention, il s'est interrogé sur la situation des 300 000 à 500 000 Kosovars réfugiés dans les montagnes du Kosovo et dépourvus de toute aide humanitaire. Il s'est à ce propos enquis de la possibilité de leur porter assistance au moyen de parachutages.
Constatant le faible effet que les frappes aériennes produisaient, pour l'instant, sur la politique, qu'il a qualifiée de cynique, de Slobodan Milosevic, M. Jean Briane a souligné que le devoir des pays européens était de faire converger tous leurs efforts, diplomatiques, militaires et humanitaires pour permettre aux différents peuples de la région de réapprendre à vivre ensemble.
M. Jean Pontier, usant de la faculté que l'article 38 du Règlement confère aux députés d'assister aux réunions des commissions dont ils ne sont pas membres, a demandé quelle était la réalité des pertes en matériel et en hommes des forces alliées.
Le Président Paul Quilès a demandé des précisions sur les modalités du passage d'une phase de frappes aériennes à une autre et sur les critères sur lesquels le Gouvernement se fondait pour donner son accord à ce passage. Il s'est également interrogé sur la nature de la chaîne de commandement acceptable par les Etats-Unis dans le cadre d'une éventuelle force internationale d'interposition. Evoquant enfin le prochain sommet de l'OTAN à Washington, il s'est demandé si ce sommet, qui avait pour objet de célébrer le cinquantième anniversaire de l'organisation et d'adopter un nouveau concept stratégique définissant ses orientations pour l'avenir, ne devrait pas être reporté à la fois par décence, eu égard au conflit en cours, mais aussi pour pouvoir tirer utilement les enseignements de son déroulement.
Le ministre de la Défense a alors apporté les éléments de réponse suivants :
- la relance des contacts diplomatiques depuis la fin de la semaine dernière est une réalité, les principaux partenaires de l'Alliance ayant le souci de rechercher une solution politique. L'intensification des contacts avec les dirigeants russes s'inscrit dans ce contexte, la France considérant notamment que le rôle de la Russie devait correspondre à sa place dans l'équilibre européen et qu'il revenait aux Européens de faire plus nettement apparaître la contribution positive que peut apporter ce pays pour le règlement de la crise. En outre, cette démarche répond au souci de donner tout son rôle au Conseil de sécurité de l'ONU, où la Russie détient un droit de veto ;
- il convient toutefois de prendre conscience de la limite des efforts politiques, dont le succès suppose avant tout un changement d'attitude de la part des autorités yougoslaves, sur lesquelles les Russes, malgré leur bonne volonté, ne disposent que de peu de leviers. Les conditions fixées par les Alliés pour l'interruption des frappes (arrêt des exactions, retrait des forces militaires et policières yougoslaves du Kosovo, droit au retour des réfugiés, mise en place d'une force de sécurité internationale) forment un ensemble cohérent destiné à mettre fin à l'opération planifiée d'éviction de la population kosovare, acte contraire au droit des gens, et à rétablir les conditions d'une vie sûre et pacifique de toutes les communautés au Kosovo ;
- pour apprécier l'efficacité des frappes aériennes, il convient d'adopter une approche comparative en examinant les autres moyens utilisables et de se référer à la réalité de la situation actuelle au Kosovo, observable depuis l'été 1998. Face à des forces armées régulières déployées en appui de troupes policières et paramilitaires chargées de menacer et d'expulser la population civile, les frappes aériennes représentent le moyen le plus efficace et le moins porteur de danger pour cette population. Tel est d'ailleurs le choix de stratégie qu'auraient également fait les Européens s'ils étaient intervenus seuls. Au total, l'efficacité des frappes aériennes doit être évaluée en termes fonctionnels, l'objectif étant de casser l'appareil militaire qui rend possibles les exactions sur le territoire du Kosovo.
S'agissant du bilan de ces frappes, l'essentiel de la couverture aérienne des forces yougoslaves est atteint et la constitution d'une zone d'interdiction aérienne devrait intervenir dans les jours à venir. Les forces yougoslaves sont progressivement privées de possibilités de renfort et de soutien logistique, notamment en carburant. Cette situation devrait conduire à leur isolement au Kosovo et à l'accroissement du risque de frappes aériennes qu'elles encourent lors de leurs mouvements, même si des défenses sol-air qui présentent un réel danger subsistent. Le moment où les forces blindées yougoslaves présentes au Kosovo ne pourront plus agir est proche, bien qu'il soit difficile de prévoir quand ce changement radical de situation agira sur le comportement des forces policières ;
- il n'est pas possible de répondre à la question du temps nécessaire pour infléchir l'attitude des autorités serbes, d'autant plus qu'aux facteurs militaires s'ajoutent les aléas politiques ;
- s'agissant de la question de l'intervention terrestre, il est préférable d'employer l'expression d'« entrée en force en Yougoslavie ». Des plans ont été élaborés entre les alliés pour en définir les modalités éventuelles. La différence majeure entre cette stratégie et celle des frappes aériennes tient à la durée de préparation de sa mise en _uvre : il aurait en effet fallu un mois et demi pour réunir les forces blindées nécessaires et leur soutien logistique, ce qui n'aurait pas été cohérent avec la poursuite des discussions politiques. En outre, cette stratégie aurait provoqué beaucoup plus de pertes dans la population civile, sans pour autant ralentir son exode forcé ;
- il est logique qu'on assiste à une intensification des frappes aériennes, les étapes préalables déjà franchies (destruction des moyens de communication et de contrôle ainsi que des capacités de renforcement des troupes présentes au Kosovo, surveillance aérienne constante du territoire yougoslave) permettant de procéder à des frappes de circonstance contre des forces en mouvement. Les moyens à mettre en _uvre dans cette nouvelle phase sont d'autant plus importants que les frappes de circonstance imposent la surveillance permanente du territoire yougoslave, étant donné la brièveté du délai entre le moment où les chars ou les concentrations de troupes sont repérés et celui où ces objectifs peuvent être frappés. L'intensification du risque associé aux frappes pour les populations civiles égarées ou utilisées comme bouclier humain tend également à réduire les résultats des missions aériennes et rend l'augmentation de leur nombre nécessaire.
Matériellement, l'accroissement de la capacité aérienne se traduira par la présence sur le théâtre des opérations de 73 aéronefs français (contre 58 auparavant). Au total, et compte tenu des efforts supplémentaires européens, la suprématie américaine sera maintenue, sans qu'il y ait pour autant de changement de proportions. Quant au déploiement des hélicoptères de type Apache, il se fait conformément aux décisions prises initialement.
- une force terrestre de sécurisation du Kosovo dans le cadre d'une solution politique est absolument nécessaire pour permettre la coexistence entre les Serbes et la population d'origine albanaise au lendemain du conflit. Il s'agit là d'un objectif clair, légitime, compris par tous les Européens et qui constitue la base de l'acceptation par les citoyens des opérations menées par l'OTAN. Sa remise en cause ruinerait la cohérence politique de l'action entreprise ;
- au-delà des différences d'intérêts et de perspectives politiques entre les Etats-Unis et l'Europe, les impératifs d'efficacité et de cohérence impliquent des choix communs. S'agissant de la chaîne de commandement de la future force internationale, le ministre de la Défense a souligné que le seul outil actuellement capable de permettre une action coordonnée et efficace sur le terrain était l'OTAN, quelle que soit l'organisation internationale (ONU ou OSCE) sous l'autorité de laquelle le déploiement serait placé. Constatant que beaucoup le déplorent et que l'initiative de Saint-Malo n'avait pas suffisamment pris corps pour donner naissance à une alternative européenne, il a indiqué que la ligne de plus forte pente que suivaient tous nos partenaires européens lorsqu'ils cherchaient à favoriser l'émergence d'une identité européenne de défense était la constitution d'un pilier européen au sein de l'Alliance. Il a estimé que le travail politique à entreprendre pour tracer une voie alternative était difficile en raison d'habitudes et de conceptions solidement établies ;
- concernant l'attitude de la France à l'égard de l'échéance fixée pour le sommet de Washington, le Président de la République qui conduira la délégation française réfléchit à la position qu'il convient d'adopter. Toute décision de report nécessiterait cependant une concertation entre Alliés ;
- le cadre d'intervention des forces au titre de l'appui humanitaire est différent pour chacune d'elles. La force de l'OTAN présente en Macédoine, qui est constituée de 12 000 militaires, soit à peu près la moitié des effectifs de la KFOR prévue par le volet militaire des accords de Rambouillet, assume une mission logistique tout en jouant un rôle de sécurisation de la frontière par la dissuasion qu'elle exerce du seul fait de sa présence. Après quelques jours difficiles de négociation avec les autorités macédoniennes, le cadre de son intervention humanitaire a été précisé. Mais aujourd'hui, cette intervention est largement relayée par les ONG spécialisées, sous l'autorité du HCR. La force en cours de déploiement en Albanie s'inscrit dans un contexte différent puisque le nombre des personnes déplacées, qui s'élève à 300 000 personnes, est autrement plus élevé. Par ailleurs, sa zone d'intervention est caractérisée par une grave instabilité puisque cette région montagneuse, située à 120-150 km des zones côtières et urbaines de l'Albanie, était déjà très instable avant la crise actuelle. Une sécurisation de cette zone s'imposait. Militairement, l'UEO en était capable mais l'OTAN en ayant pris l'initiative, la France a accepté son intervention et sa prééminence dans le domaine humanitaire étant donné que la sécurisation des populations déplacées était prioritaire. La participation française à ces deux dispositifs s'élève à 700 hommes en Albanie et 2 400 en Macédoine. Fournissant le plus gros contingent présent en Macédoine, les Britanniques n'envisagent pas de déploiement supplémentaire en Albanie. En revanche, les Italiens ont annoncé l'envoi de 1 800 hommes ;
- la situation humanitaire des personnes restées au Kosovo, soit environ 200 à 250 000 personnes chassées de leur ville ou village natal, constitue la plus grande préoccupation des Alliées car ces populations sont sous la menace directe des forces yougoslaves. Toute aide humanitaire alliée étant pour l'heure impossible, leur condition est des plus alarmantes. Différentes possibilités de leur venir en aide en dehors d'un règlement politique ont été envisagées. Mais en raison de la difficulté des repérages, les moyens à mettre en _uvre sont complexes.
- même s'il s'agit de l'intervention ponctuelle de troupes aéroportées, la mise en _uvre éventuelle d'une force d'intervention terrestre dans un environnement hostile, sans accord politique préalable, suppose de prendre en compte la présence sur le terrain de plus de 35 000 soldats yougoslaves et d'une population civile encore nombreuse ;
- le cadre politique de la future force internationale de sécurisation fait partie des discussions sur l'Europe de la défense. Mais il semble difficile, compte tenu du niveau de violence au Kosovo, de confier des responsabilités militaires à des institutions différentes sous peine d'incohérence ou de discontinuité entre leurs actions ;
- les critères de passage d'une phase de frappes aériennes à une autre reposent sur une appréciation des résultats obtenus mais sont également liés à l'évolution des événements, notamment à l'accélération des mouvements de réfugiés. L'achèvement de la phase 1 nécessite encore des frappes complémentaires et la mise en _uvre de la phase 2 s'étalera dans le temps afin de limiter dans toute la mesure du possible les dommages infligés à la population civile. L'erreur ayant provoqué la mort de voyageurs dans un convoi ferroviaire a été reconnue par l'OTAN mais cet accident démontre a contrario que la quasi-totalité des missions accomplies a permis d'éviter les atteintes à la population civile ;
- les forces de l'OTAN n'ont aucune perte humaine à déplorer et ont seulement subi quelques pertes matérielles.
M. Yves Fromion a alors souhaité savoir s'il avait été dressé un bilan psychologique de l'action de l'OTAN auprès des populations serbes et si apparaissaient des divergences entre Slobodan Milosevic et l'armée yougoslave.
M. François Lamy a demandé quel était l'état d'esprit des dirigeants de l'UCK et si ceux-ci acceptaient encore les conditions des accords de Rambouillet, notamment celles visant le désarmement de leurs unités.
M. Michel Voisin a souhaité avoir des précisions sur le devenir des réfugiés qui se trouvaient dans le site de Blace et a regretté que les autorités macédoniennes ne permettent pas aux forces britanniques ou françaises de se rendre dans les camps qu'elles n'organisent pas, en particulier celui de Radusa.
Le ministre de la Défense a alors apporté les éléments d'information suivants :
- dissocier l'autorité politique yougoslave de son armée ne fait pas partie des objectifs de l'intervention de l'OTAN. Il est impossible d'apprécier les réactions de l'opinion publique serbe tant que la population reste soumise à un régime de dictature et privée de tout média national indépendant. Mais les frappes aériennes sur le sol yougoslave, sans que les populations civiles ne soient touchées, constituent un changement de situation radical pour la population serbe qui n'avait pas eu jusqu'à présent d'expérience directe des conflits consécutifs à l'éclatement de l'ex-Yougoslavie. Les habitants de la Serbie, dont il ne faut pas douter qu'ils aient une bonne connaissance de leur environnement européen, même s'ils ont peu d'informations sur les événements réels du Kosovo, ne peuvent que s'interroger sur la responsabilité de leurs dirigeants dans la crise actuelle et sur ses suites politiques et judiciaires ;
- l'UCK est un mouvement composite aux origines variées et aux influences contradictoires, comme l'a montré la difficulté à obtenir l'accord de sa délégation pendant les négociations de Rambouillet. La répression serbe porte certains de ses membres vers des positions extrêmes. Mais cette évolution n'a pas d'incidence sur l'objectif final de l'OTAN qui est de permettre aux populations du Kosovo de vivre ensemble dans la sécurité ;
- la situation des déplacés kosovars dans le camp de Blace n'est pas représentative de celle qu'ils peuvent rencontrer ailleurs en Macédoine, les conditions d'accueil sur d'autres sites étant acceptables. S'il est vrai qu'une partie des réfugiés qui se sont trouvés à Blace a été transférée contre son gré en Albanie, ceux qui ne souhaitaient pas se rendre dans ce pays ont pu majoritairement être accueillis dans d'autres camps de Macédoine ;
- les observations aériennes de colonnes de réfugiés n'ont pas montré de signe de refoulements de masse à la frontière macédonienne. Les exactions de la police et des milices yougoslaves à l'encontre des habitants du Kosovo n'en continuent pas moins et poussent nombre d'entre eux à tenter de fuir la province.
La Commission de la Défense nationale et des Forces armées, la Commission des Affaires étrangères et la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne ont procédé, le 20 avril 1999, à l'audition de M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, de M. Alain Richard, ministre de la Défense, et de M. Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie sur la situation au Kosovo.
Le Président Jack Lang a souligné que la ligne arrêtée par les Alliés était claire et légitime. Le doute s'est installé dans certains esprits car l'OTAN conduit une guerre d'usure, qui se traduit par des frappes aériennes exécutées avec le souci d'épargner les populations civiles et de ne pas étrangler l'économie yougoslave. La Yougoslavie, en revanche, mène une guerre à outrance avec des méthodes barbares contre un peuple désarmé. Les Alliés doivent faire preuve de patience, d'obstination et de résolution.
Le Président Jack Lang a ensuite évoqué la situation humanitaire. Beaucoup a été fait pour secourir les réfugiés, mais, en Albanie, 70 000 personnes sont sans abri et la situation sanitaire se dégrade. On manque de tentes. Des actions spécifiques devraient être engagées pour les enfants, qui représenteraient 65 % des réfugiés : rapprochement des familles, soins des traumatismes psychiques, scolarisation ... Une aide efficace devrait être apportée aux familles -qui accueillent la moitié des réfugiés-. Le Président Jack Lang a alors demandé si les rotations d'hélicoptères dans le nord de l'Albanie avaient atteint un niveau suffisant et si la coordination des actions humanitaires s'était améliorée.
En ce qui concerne l'accueil en France de réfugiés, un premier effort a été consenti. La France se refuse à établir un quota, mais ne peut-on envisager qu'elle puisse accueillir quatre à cinq mille réfugiés ?
Enfin, le Président Jack Lang a demandé quelles suites étaient données aux engagements de nature financière pris à l'égard de la Macédoine et de l'Albanie. Une aide budgétaire a été promise par la France à la Macédoine et l'Union européenne s'est engagée à réexaminer la question d'un accord d'association avec ce pays. La proposition d'un moratoire sur les dettes bilatérales de la Macédoine et de l'Albanie a été avancée : où en sont ces projets qui devraient être mis en _uvre au plus vite ?
Le Président Paul Quilès a tout d'abord souligné la nécessité d'affirmer la solidarité de l'Assemblée nationale à l'égard des forces françaises engagées dans une opération difficile. Des délégations de la Commission de la Défense se sont rendues récemment auprès de ces unités en Macédoine, sur le Foch et à Istrana ainsi que sur leurs lieux d'implantation en France. Elles ont pu constater que le moral des personnels était bon, mais qu'ils attendaient avec impatience de mieux connaître leurs missions. En Macédoine, la force française a changé de mission à trois reprises en trois mois en raison de l'évolution des événements.
Cette solidarité nécessaire avec les forces engagées ne doit pas conduire à ce que le Parlement soit le seul lieu où l'on n'aborde pas les questions essentielles soulevées par le conflit, qui mobilisent l'attention de la presse et de l'opinion. Le Président Paul Quilès a alors indiqué que pour cette raison, il évoquerait dans un instant certaines de ces questions.
Faisant état des impressions recueillies au cours du récent déplacement en Macédoine de la mission de la Commission de la Défense qu'il a conduite, il a indiqué que les autorités macédoniennes étaient extrêmement inquiètes de l'évolution de la situation. Le nombre de réfugiés que la Macédoine accueille représente d'ores et déjà 8 à 9 % de sa population. Ce pays, faible et fragile, ne peut endurer une telle situation très longtemps, alors que les Alliés envisagent un conflit qui se prolongerait des semaines, voire des mois. Les promesses de financement n'ont pas eu de suites concrètes à ce jour. Les responsables macédoniens, très hostiles à l'UCK, lui reprochent d'entreposer des armes et d'avoir installé des camps d'entraînement dans le pays. Compte tenu des tensions traditionnelles entre les communautés, de la nervosité de la minorité serbe et de l'activisme des agitateurs albanais, il y a là un risque sérieux d'embrasement. Que fait l'OTAN pour y remédier ?
Tous les discours officiels affirment qu'il n'y aura pas d'opération terrestre offensive. S'agit-il de prises de position tactiques ou bien les Alliés sont-ils persuadés que les frappes aériennes suffiront à la longue à faire plier Slobodan Milosevic ?
D'après les indications données par la presse, le coût de l'engagement de la France aurait été estimé à 300 millions de francs par mois, auxquels il faudrait notamment ajouter les opérations lourdes d'entretien, les munitions et la quote-part de la France aux dépenses de l'OTAN. Il serait utile que le Parlement dispose d'une évaluation précise des dépenses supportées.
La tenue du sommet de Washington est inopportune dans les circonstances actuelles. La France devrait en demander le report. Au-delà de la célébration du cinquantenaire de l'OTAN, ce sommet doit réviser le concept stratégique de l'Alliance, exercice qui est sujet à des frictions entre les Alliés sur plusieurs sujets. C'est ainsi que la France et d'autres pays européens entendent réaffirmer, contrairement à la thèse défendue par les Etats-Unis, que l'OTAN ne peut, en règle générale, mener des opérations militaires de maintien de la paix sans un mandat explicite du Conseil de sécurité. Des divergences concernent également la zone géographique d'intervention de l'OTAN et l'implication de l'Alliance dans la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive. Comment aborder sérieusement ces questions alors que, dans la situation de conflit que connaît l'Alliance, pas un seul Etat ne pourra faire part librement de ses doutes ? Le sommet de Washington sera inefficace, faute notamment de pouvoir tirer toutes les conséquences du conflit en cours. En outre, alors que l'Alliance soutient, à juste titre, que la Russie doit jouer un rôle essentiel pour la stabilité du continent européen, les Russes seront absents du sommet.
Le Président Laurent Fabius a estimé souhaitable que l'Assemblée nationale soit en permanence informée de l'évolution de la situation et puisse pleinement exercer sa fonction de contrôle. Un débat sur le Kosovo sera donc organisé mardi prochain en séance publique. Exprimant la solidarité de l'Assemblée nationale à l'égard des soldats français engagés dans les opérations en cours, le Président Laurent Fabius a observé que cette solidarité n'excluait pas le questionnement.
M. Hubert Védrine est tout d'abord revenu sur les analyses des pays de l'Alliance concernant l'avenir du Kosovo. Ces analyses n'ont pas évolué, et l'hypothèse d'une indépendance de la province, le cas échéant accompagnée de sa partition, est toujours récusée par l'ensemble des membres de l'Alliance. L'indépendance du Kosovo provoquerait des déstabilisations en chaîne et constituerait pour la région un précédent désastreux porteur de nouvelles tragédies. Un consensus existe sur une solution d'autonomie substantielle du Kosovo dans le cadre de la souveraineté yougoslave.
Il est bien évident qu'une fois les conditions de la sécurité rétablies, la cohabitation entre Kosovars et Serbes ne sera pas simple. C'est la raison pour laquelle l'idée d'une tutelle internationale sans qu'aucun sens juridique précis soit donné à ce mot a gagné du terrain. Cette tutelle ne pourrait être organisée que dans le cadre du Conseil de sécurité.
Par rapport aux accords de Rambouillet, la question du droit au retour des réfugiés et des conditions de sécurité dans lesquelles il pourra s'effectuer, a pris une importance nouvelle. Les accords de Rambouillet avaient prévu une force d'interposition de 28 000 hommes ; la nécessité de cette force est encore plus évidente aujourd'hui. Une solution consisterait à combiner des forces des pays de l'OTAN, de pays neutres et de la Russie. Les pays de la région seraient également associés.
Le mode de fonctionnement d'une telle force pourrait poser quelques problèmes. L'exemple du conflit en Bosnie-Herzégovine a montré que les systèmes de « double clef » de commandement partagée entre l'OTAN et l'ONU conduisaient à la paralysie. Par contraste, un système comme celui de la SFOR où le Conseil de sécurité charge une force constituée sous l'égide de l'OTAN de remplir un mandat de sécurisation fonctionne bien.
En ce qui concerne la position de la Russie, il existe entre cette dernière et les membres de l'OTAN de larges convergences de vues sur les objectifs politiques, mais en revanche un désaccord subsiste quant au déploiement, sous l'égide du Conseil de sécurité, agissant en application du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, d'une force de sécurité au sol. Les Russes ont averti qu'ils s'opposeraient à l'envoi d'une telle force à moins que Belgrade n'y soit favorable. Les discussions continuent toutefois avec la Russie pour dégager une solution politico-diplomatique, qui devrait également être ensuite acceptée par la Chine.
Un infléchissement de la position russe vers les positions occidentales est perceptible depuis trois ou quatre jours, mais il ne faut pas attendre d'évolution majeure avant le prochain sommet de l'OTAN qui se tiendra à la fin de la semaine. L'élaboration d'une solution en commun avec les Russes pourrait être tentée dans le cadre du G8.
Le prochain sommet de l'Alliance abordera la question de la solution politique à la crise du Kosovo, mais traitera également des sujets de fond inscrits depuis longtemps à son ordre du jour, comme la prise en compte des perspectives d'une défense européenne et les rapports entre l'OTAN et l'ONU. La France souhaite sur le premier point que l'accord qui trouvera sa traduction dans le communiqué final n'hypothèque pas les perspectives de construction de l'Europe de la défense qui se dessinent actuellement et sur le second point que les solutions retenues soient conformes à la fois à la Charte des Nations Unies et au Traité de Washington.
M. Alain Richard, ministre de la Défense, a souligné le souci des autorités françaises de maintenir la cohérence entre l'action politico-diplomatique et l'emploi de la force.
Les frappes de l'OTAN ont réduit considérablement les capacités de commandement et de communication des forces serbes ainsi que leurs possibilités d'action grâce notamment au démantèlement de leur soutien technique et à la marginalisation de leurs moyens aériens. En revanche, les Serbes disposent encore d'une défense anti-aérienne suffisante pour menacer les avions de l'Alliance. Les forces serbes présentes au Kosovo sont de plus en plus figées dans une position défensive car elles ont constaté leur vulnérabilité croissante aux frappes aériennes.
Les exactions contre les Kosovars, qui ont commencé avant les frappes et n'en sont pas les conséquences, se multiplient afin de faire le vide par la terreur. Les déplacés kosovars à l'intérieur du territoire de la province sont très nombreux, même s'il est difficile de donner à ce sujet des évaluations précises. M. Alain Richard a estimé que se poursuivaient de très nombreuses agressions de forces paramilitaires et de milices serbes contre les populations déplacées mais qu'il n'avait pas été observé de regroupements importants de réfugiés à l'intérieur du Kosovo.
Il a également souligné que les nouveaux moyens aériens récemment affectés au théâtre d'opérations permettraient aux forces de l'Alliance d'agir de façon permanente pour continuer de réduire le potentiel des forces serbes. Les malheureux accidents qui, au cours des derniers jours ont provoqué la mort de civils, étaient extrêmement regrettables. Ils confirmaient donc sa détermination à poursuivre ses efforts pour épargner les populations.
Rappelant la convergence des buts poursuivis par les Alliés et le contrôle politique qu'ils maintenaient sur le choix des objectifs militaires, il a souligné le caractère asymétrique du conflit. Les parties au conflit se distinguaient radicalement, tant par leurs buts que par leurs méthodes. Deux stratégies militaires alternatives auraient été envisageables, soit entrer en force au Kosovo dès le début de la crise, soit envisager un compromis avec les Serbes dans un rapport de forces défavorable. Mais il est douteux qu'elles auraient donné de meilleurs résultats que les frappes aériennes.
Enfin, le ministre de la Défense a confirmé que le surcoût estimatif de l'intervention comprenant toutes les dépenses du titre III était évalué entre 250 et 300 millions de francs par mois. En conclusion, il a estimé que l'Alliance devait persévérer avec ténacité dans la stratégie qu'elle avait définie et qui constituait le plus court chemin vers une solution politique.
M. Charles Josselin, ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, a estimé que près d'un Kosovar albanophone sur deux avait quitté la province, compte tenu des 200 000 personnes déjà parties avant le début de la crise : l'Albanie compte 365 000 réfugiés ; la Macédoine a accueilli 135 000 personnes ; 75 000 réfugiés se trouvent au Monténégro.
Les autorités de ces trois pays ont été débordées par les flots de réfugiés. De plus, la situation politique y est très différente. L'Albanie a fait preuve d'une grande capacité d'accueil. La Macédoine, dont les autorités craignent un renversement de la majorité ethnique, souhaite réorienter les réfugiés vers d'autres pays et seul, dans la coalition, le parti albanais au pouvoir reste favorable à leur maintien en territoire macédonien. Ce sont les familles qui, surtout en Albanie, ont fait les plus grands efforts pour l'accueil des réfugiés mais elles pourraient se décourager devant l'absence de soutien financier, seules des aides en nourriture étant organisées. Le Parlement albanais a voté l'octroi d'un « salaire » aux familles d'accueil mais celui-ci ne pourra être versé qu'à partir du mois prochain.
Le pont aérien mis en place par la France a permis d'acheminer près de 1 500 tonnes d'aides mais certains équipements, comme les tentes, font encore défaut.
Le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) a été débordé et n'a pas pu mener normalement à bien sa mission d'identifier juridiquement les réfugiés et de les protéger. C'est pourquoi, il a demandé à l'OTAN l'appui de ses moyens logistiques, de transport et de sécurité. L'OTAN a décidé de déployer près de 8 000 hommes en Albanie pour sécuriser les camps et les soustraire à l'influence de l'UCK ou des réseaux de filières clandestines.
Le ministre délégué a rappelé que la France avait fait le choix d'aider les réfugiés sur place et de n'accueillir que les personnes volontaires en raison de besoins spécifiques d'ordre familial ou sanitaire. La difficulté d'identifier les réfugiés explique le retard mis à leur départ. Les Kosovars souhaitent par ailleurs se diriger vers les pays européens où existent d'importantes communautés albanaises, c'est pourquoi, sur les 16 000 réfugiés accueillis en Europe, 9 000 se sont rendus en Allemagne. La France a déjà reçu 346 personnes, et près de 900 autres arriveront dans les huit jours qui viennent.
Le ministre délégué a alors estimé que l'essentiel des efforts d'aide financière devrait porter sur les pays d'accueil des réfugiés, à savoir la Macédoine et l'Albanie.
Le Président Laurent Fabius a demandé quand les aides seraient effectivement versées.
M. Charles Josselin a précisé qu'une aide macro-économique de 45 millions de francs était programmée pour la Macédoine. Au titre de l'aide humanitaire pour l'ensemble des pays de la région, la France dispose d'un budget de 225 millions de francs. Sa participation totale s'élève à 500 millions de francs, si on prend en compte sa quote-part dans le cadre de l'Union européenne.
M. Louis Mermaz s'est déclaré solidaire des troupes françaises, de la politique d'aide aux réfugiés et de la lutte contre les exactions commises par le régime de Milosevic, mais il s'est montré surpris par la longueur des opérations. Il a observé que le Parlement avait été informé sans avoir été aucunement consulté, et que le Conseil de sécurité n'avait pas été saisi. Les Etats-Unis tout puissants au sein de l'OTAN ont décidé de frappes aériennes dont l'efficacité n'est pas prouvée. La catastrophe humanitaire est la conséquence de la politique de Milosevic ; elle est aggravée par les frappes. Les Balkans sont actuellement déstabilisés. M. Louis Mermaz a souligné que les affaires européennes devaient être traitées par les Européens et regretté que l'OTAN tende à se substituer aux Nations Unies. On assiste ainsi à une escalade à laquelle les Européens et la France participent.
Il a alors demandé quelle était la marge de man_uvre de la diplomatie française dans le règlement du conflit, et s'est interrogé sur la possibilité de réintroduire l'Europe dans la gestion des affaires européennes.
Il s'est à ce propos inquiété des conséquences de l'intervention de l'OTAN sur le devenir de la construction européenne.
M. Jean-Bernard Raimond a insisté sur les aspects politiques et diplomatiques de la crise et sur la nécessité de la négociation. Il a souhaité que soit écartée l'idée que l'on ne peut plus négocier avec Slobodan Milosevic ou que ce dernier sortirait vainqueur de tout compromis. Il n'y a aucun signe qu'il le soit à moyen terme, car il est récusé par ses pairs ; il est le déshonneur du post-communisme. M. Jean-Bernard Raimond a estimé qu'il convenait de ne négliger aucune initiative diplomatique ni aucun signe, même provenant de la périphérie des pays principalement impliqués dans le conflit. Il a souligné la nécessité de réintroduire les Nations Unies dans la résolution de la crise, tout en se prononçant contre un dispositif qui leur confierait une responsabilité militaire dans le commandement de la force internationale de sécurité. Il a estimé qu'une telle solution serait désastreuse, au vu de l'expérience du conflit de Bosnie-Herzégovine ; mieux vaudrait que la responsabilité du commandement de la force revienne à un Russe. M. Jean-Bernard Raimond a estimé qu'il fallait également être attentif à la situation au Monténégro dont les dirigeants, opposés à Milosevic, doivent faire face à des tensions ethniques. Il s'est enfin interrogé sur la nature exacte des points d'accord entre Mme Albright et M. Ivanov.
M. Hubert Védrine a rappelé que, dès le début de la crise, l'accord entre les membres du Groupe de contact était profond sur la gravité de la crise, sur la recherche d'une solution politique comme sur le caractère inéluctable de la coercition. Il est donc inexact d'affirmer que les Etats-Unis ont imposé leur stratégie ; ils sont en fait arrivés aux mêmes conclusions que les Européens. Il est également faux de considérer que les Européens ont demandé l'aide des Américains. Les analyses des Etats-Unis, des Européens et même celles des Russes, jusqu'au moment de la décision de recours à la force, étaient concordantes.
La cohésion de l'Union européenne existe, même si elle ne s'exprime pas en tant que telle. La France et la Grande-Bretagne y prennent leur part. Les membres de l'Union n'imaginent pas agir sans les Etats-Unis et en dehors de l'Alliance.
Trois résolutions du Conseil de sécurité adressaient des exigences très fortes à Belgrade, qui les a bafouées ; le Conseil de sécurité a en outre rejeté une proposition de résolution demandant l'arrêt des frappes. Il n'a donc pas été écarté de la gestion de la crise. Exprimant son accord avec M. Jean-Bernard Raimond, le ministre des Affaires étrangères a reconnu qu'il convenait de ne pas répéter l'erreur de la double clef de commandement partagée entre l'ONU et une autre instance.
La marge de man_uvre de la France découle de ses efforts de concertation avec les Etats-Unis et les pays européens, notamment ceux de la zone du conflit. Elle réside également dans son action au sein du Conseil de sécurité qui devra fixer le cadre général du règlement du conflit. Pour éviter qu'une possibilité de règlement ne lui échappe, la France est en relation avec les Etats de la région, notamment la Bulgarie et la Roumanie, avec la Russie, l'Ukraine et le Saint-Siège, ainsi qu'avec l'ensemble des organisations, médiateurs ou experts qui formulent des propositions d'action diplomatique.
La rencontre entre Mme Albright et M. Ivanov a permis de constater un accord de principe de la Russie sur la nécessité d'élaborer une solution au sein du Conseil de sécurité, d'instituer un statut d'autonomie sous tutelle du Kosovo et d'adapter les accords de Rambouillet à la nouvelle situation. Mais les deux ministres n'ont pas pu s'entendre sur la force de sécurité qui doit, selon la Russie, être acceptée par Belgrade.
M. Alain Richard a apporté les éléments de réponse suivants :
- les gouvernements alliés ont pris en considération l'éventualité d'une intervention militaire relativement longue dès leur menace d'emploi de la force en octobre 1998 puis lors de leur décision d'agir en mars 1999 ;
- l'Europe a besoin d'outils de coopération militaire et seule l'OTAN répond à cette nécessité aujourd'hui ; d'ailleurs chaque phase et chaque modalité de l'action militaire ont fait l'objet d'un contrôle politique conjoint de la part des Alliés, invalidant par là les supputations de suivisme des Européens à l'égard des Américains ;
- les gouvernements alliés ont toujours associé diplomatie et action militaire dans la gestion de la crise du Kosovo. Mais il arrive un moment où la négociation est affaire de rapport de forces et nécessite une intervention armée ;
- l'encadrement institutionnel d'une force internationale de sécurité présente au Kosovo devra conjuguer la légitimité de l'ONU et l'efficacité de l'OTAN, même si la définition de la chaîne de commandement devra donner lieu à une certaine flexibilité de la part des Alliés.
Après avoir souligné qu'il lui semblait impensable qu'un engagement français au sol soit décidé sans un vote préalable du Parlement, M. François Léotard, s'interrogeant sur la capacité de la France à avaliser ou à refuser certaines cibles, a demandé au ministre de la Défense de lui décrire la chaîne de commandement conduisant à une frappe aérienne sur un objectif défini. Evoquant l'argumentation du ministre des Affaires étrangères relative à l'absence de base juridique d'un éventuel embargo maritime visant à priver la République fédérale de Yougoslavie de ses sources d'approvisionnement pétrolier, il a relevé que les frappes contre les raffineries yougoslaves étaient tout aussi infondées en droit. Après avoir souligné le caractère limité des moyens humains susceptibles d'être engagés dans le conflit, il a souhaité savoir si le Gouvernement envisageait de recourir à des réservistes pour les fonctions civiles, humanitaires et logistiques, ce qui présenterait le double avantage de libérer des personnels pour les opérations militaires et d'affirmer un peu plus la présence française dans la gestion de la crise. Enfin, il a demandé si la France allait envoyer des hélicoptères de combat de l'Armée de Terre en renforcement des Apache américains, soulignant que le souci de l'OTAN de mener des opérations plus collées au terrain se traduisait par une implication de plus en plus importante des forces terrestres, qui pouvait annoncer un changement de nature du conflit.
Le Président Laurent Fabius a alors rappelé qu'il avait eu précédemment l'occasion de déclarer qu'il serait nécessaire de saisir le Parlement avant toute décision d'engagement terrestre des troupes françaises.
M. Jean-Claude Sandrier a souhaité, au nom du Groupe communiste et apparentés, que la représentation nationale prenne date pour tirer tous les enseignements de la guerre actuellement menée. Il a considéré que l'Europe et la France devraient envisager une stratégie de sécurité et de défense totalement nouvelle et souligné combien cette remise à plat s'avérait nécessaire, même si elle pouvait paraître inconfortable. Relevant sa grande convergence de vues avec M. Louis Mermaz dans l'appréciation du déroulement du conflit, il s'est prononcé à titre individuel pour un report du sommet de Washington, considérant que l'OTAN ne démontrait pas actuellement le bien-fondé des orientations qui devraient être examinées lors de ce sommet et qu'il serait difficile dans ce cadre de réfléchir à son avenir. Il s'est alors inquiété des mesures nouvelles qu'il serait nécessaire de prendre en faveur des réfugiés kosovars pour faire face à l'urgence de la situation. Il s'est ensuite interrogé sur la stratégie mise en _uvre par l'OTAN et sur les résultats qu'elle visait à atteindre. Il a alors opposé un scénario dans lequel il faut gagner la guerre parce que personne ne veut perdre la face, quel que soit le prix humain à payer, et une perspective de relance diplomatique dans laquelle l'ONU et l'OSCE seraient maîtres d'_uvre sur la base de trois principes : autonomie substantielle du Kosovo ; démilitarisation des belligérants pour une période donnée avec administration provisoire par l'ONU ou l'OSCE ; force d'interposition internationale sous mandat de l'ONU comprenant la Russie et la Grèce, la question clef étant constituée par sa composition et non son commandement. Il a conclu en estimant que la France et l'Europe avaient, dans l'affaire du Kosovo, la responsabilité de prendre une initiative de premier plan afin de rendre pleinement son rôle à l'ONU et de permettre le retour des réfugiés.
M. Georges Sarre a jugé que les propos du ministre de la Défense lors des discussions relatives au recours à la force n'avaient jamais soulevé l'hypothèse de délais longs pour faire plier M. Milosevic. Reprenant les principaux objectifs avancés alors par l'Alliance, il a noté qu'au lieu de protéger les Kosovars, les bombardements s'étaient traduits par un accroissement des exactions à leur encontre, que M. Milosevic n'avait pas fléchi et que son isolement n'était pas total. Craignant qu'un véritable engrenage ne conduise à une intervention terrestre, il a souligné que le principe de tout règlement était de faire vivre ensemble des peuples différents en assurant le retour des réfugiés. Il a estimé que, pour y parvenir, il existait une solution diplomatique et politique comportant les principaux éléments suivants : autonomie substantielle du Kosovo, cantonalisation pour permettre le retour des réfugiés et la coexistence des Albanais et des Serbes, mise en place d'une force internationale de l'ONU avec des Casques bleus russes en évitant de puiser dans les forces des pays de l'OTAN. Rappelant que l'Europe avait fait l'amère et terrible expérience des conséquences concrètes de la guerre, il a invité à une négociation rapide dans la mesure où l'autre terme de l'alternative, à savoir l'intervention terrestre, conduirait à une crise profonde en Grèce, à une déstabilisation du Monténégro, à un réveil des minorités magyares en Roumanie et en Voïvodine, sans compter les risques de crise politique à Rome et à Paris. Redoutant des conséquences en chaîne en Europe et en Russie, il s'est réclamé de l'héritage de Jaurès en affirmant que, quand c'est possible, il est toujours préférable d'atteindre ses objectifs sans recourir à la guerre. Il s'est alors interrogé sur le sort des 850 000 personnes déplacées que l'OTAN considère en danger à l'intérieur du Kosovo, sachant qu'elles n'ont accès à aucune aide humanitaire et qu'elles sont exposées à des risques de pénurie en eau et en nourriture. Il a notamment demandé si le parachutage de vivres était envisagé. Il a ensuite souhaité qu'un premier bilan des destructions d'infrastructures civiles en République fédérale de Yougoslavie soit dressé, tout en demandant quelle crédibilité il convenait de donner aux déclarations du ministère des Affaires étrangères yougoslaves faisant état de 100 milliards de dollars de pertes matérielles, de 1 000 victimes civiles et de plusieurs milliers de blessés. Evoquant par ailleurs la proposition américaine d'un blocus total de la République fédérale de Yougoslavie, il a voulu connaître les suites que la France entendait lui donner.
Enfin, il s'est inquiété des objectifs assignés aux actions aériennes de l'OTAN qui ne visaient plus désormais seulement des cibles militaires mais également des infrastructures civiles.
M. Alain Richard a précisé que la chaîne de commandement permettait à la France, de manière satisfaisante, de donner son appréciation et de concourir à la décision sur chaque catégorie d'objectifs. Il a considéré que l'appel à des réservistes n'était pas nécessaire à l'heure actuelle mais que leur utilisation n'était pas à exclure, ultérieurement, lors de la phase de reconstruction, une fois la paix revenue. L'entrée en action des hélicoptères américains Apache est cohérente avec la poursuite des frappes aériennes. Pour des raisons d'homogénéité, il n'y aura pas d'hélicoptères français associés à ces appareils.
M. Alain Richard s'est déclaré en accord avec M. Jean-Claude Sandrier sur la réflexion stratégique qui devra être menée ultérieurement à propos des défis qui se posent à l'Europe. Il y aura bien une contribution de la France à la future force de sécurité internationale qui devra comporter une importante participation européenne. La moitié de notre contribution à cette force est déjà positionnée en Macédoine, le reste se tenant prêt à quitter le territoire national dans des délais très brefs.
Le ministre de la Défense a souligné une nouvelle fois le caractère asymétrique du conflit et l'impossibilité de comparer l'action de l'armée yougoslave et celle des Alliés. A court terme, il était impossible d'empêcher les forces serbes d'agir ainsi qu'elles l'ont fait au Kosovo. En ce qui concerne les évaluations de pertes et de destructions publiées par la Yougoslavie, le ministre de la Défense a assuré qu'il s'agissait d'une pure désinformation et que le nombre de victimes civiles était réellement limité. Il a précisé par ailleurs, que seules les infrastructures civiles utilisées pour soutenir l'effort de guerre de l'armée yougoslave étaient visées.
Evoquant un éventuel contrôle maritime des importations yougoslaves, M. Hubert Védrine a expliqué que la mer Adriatique était parcourue de navires de nationalités diverses, ce qui rendait juridiquement difficile une mesure de blocus. Par ailleurs, il a indiqué qu'aucun pays membre de l'OTAN n'avait demandé le report du prochain sommet de l'Organisation mais a assuré que la France défendrait ses positions, concernant notamment l'identité européenne de défense et les rapports entre l'ONU et l'OTAN, avec autant de vigilance que dans des circonstances politiques plus normales. Tout en se déclarant entièrement favorable à ce que les Nations Unies et l'OSCE soient davantage impliquées dans le conflit du Kosovo, il a rappelé que ces organisations et, en particulier, le Conseil de sécurité de l'ONU, ne sont jamais que l'émanation des pays qui les composent.
Il a récusé le terme d'engrenage, assurant que tous les efforts avaient été faits pour parvenir à une solution par la voie de la négociation. Il a également observé que les cinq demandes formulées par l'OTAN étaient évidentes et incontestables. Enfin, il a réaffirmé son attachement à une solution politique dont la France s'attache toujours à préparer les conditions.
M. Charles Josselin a insisté sur la difficulté de connaître le nombre de Kosovars restés au Kosovo et sur la précarité croissante de leur situation, les vivres et médicaments commençant à manquer. Beaucoup de Kosovars semblent s'être réfugiés dans les montagnes, ce qui complique l'organisation d'une aide éventuelle. Le ministre délégué s'est montré prudent à l'égard de la solution, parfois évoquée, du parachutage de vivres, précisant qu'il fallait éviter de mettre en danger la vie des équipages d'avions de transport évoluant à faible vitesse et à basse altitude et qu'il n'était pas certain que le matériel ainsi largué soit récupéré par les réfugiés plutôt que par les soldats yougoslaves. En outre, l'éventualité de tels largages pose le problème de leur guidage au sol.
M. Robert Pandraud a demandé si, dans le cadre d'un éventuel règlement politique du conflit, le désarmement de l'UCK avait été prévu. Jugeant que ce mouvement avait montré, dès l'origine, une nature terroriste, il a estimé que son désarmement constituait une condition indispensable au retour à la paix. Il s'est ensuite demandé si une importante aide humanitaire apportée de l'extérieur à un pays comme l'Albanie ne risquait pas de concurrencer une industrie locale déjà faible.
M. Maxime Gremetz a d'abord demandé combien de familles françaises avaient proposé d'héberger des réfugiés albanais. Il a ensuite estimé que la stratégie suivie par l'OTAN avait totalement échoué faisant valoir que, selon les sondages, une majorité de Français était favorable à des négociations. Tout en se réjouissant de la réintégration du Conseil de sécurité de l'ONU et de la Russie dans le processus de règlement du conflit, il a insisté sur le risque d'embrasement des Balkans en cas d'intervention terrestre. Evoquant une éventuelle force d'interposition purement européenne, il a demandé quelles initiatives diplomatiques la France comptait prendre en ce sens. Enfin, il s'est prononcé en faveur de l'annulation du prochain sommet de l'OTAN et réaffirmé son opposition à toute remise en cause du rôle du Conseil de sécurité de l'ONU dans le nouveau concept stratégique de l'Alliance atlantique.
Relevant le caractère contradictoire de certaines déclarations faites à propos de l'éventualité d'une opération militaire terrestre, cette dernière étant « exclue » par le porte-parole de l'OTAN mais envisagée à terme par son Secrétaire général, M. Javier Solana, M. Roger-Gérard Schwartzenberg a souhaité savoir qui avait qualité pour s'exprimer au nom de l'Alliance sur cette question. Il a également noté que le statut de Slobodan Milosevic comme possible interlocuteur d'un règlement négocié faisait l'objet de prises de position divergentes, le porte-parole de l'OTAN estimant que son départ et le renversement de son régime n'étaient pas un objectif de l'Alliance, alors que Washington considère que sa présence au pouvoir est un obstacle à un règlement de paix. Après avoir regretté la défaillance du HCR dans l'octroi de l'aide humanitaire et le retard dans la mise en _uvre de l'opération « Abri allié » par l'OTAN, il a rappelé les trois objectifs que se sont fixés les deux organisations : la création de 100 000 places de réfugiés supplémentaires, la mise à disposition de moyens de transport pour l'acheminement des secours et un soutien logistique en vue notamment de l'amélioration des communications routières. Où en sommes-nous dans la réalisation de ces trois objectifs ?
S'inquiétant des risques accentués de déstabilisation pour les pays limitrophes, M. François Loncle a demandé quels étaient les moyens mis en _uvre pour prévenir ces risques. Il a également rappelé les déclarations faites par le Secrétaire général de l'OTAN le 26 mars dernier, qui laissaient supposer que les opérations seraient brèves.
M. François Guillaume a demandé des précisions sur le coût budgétaire des opérations alliées et sur la répartition de la charge entre Etats membres de l'Alliance atlantique. S'étant inquiété de certaines informations selon lesquelles l'OTAN distribuerait des armes à l'UCK, il a souligné qu'il serait sans doute bien difficile de désarmer, par la suite, une organisation qui prône l'indépendance du Kosovo. Il a par ailleurs relevé que l'accord de Rambouillet, dont le texte n'est malheureusement disponible qu'en anglais, prévoyait que le statut de la province serait définitivement établi trois ans après la fin des hostilités, en liaison avec les dirigeants politiques et après consultation de la population. Ne s'agissait-il pas là d'un référendum, auquel les Serbes s'opposent, puisqu'ils en devinent le résultat ?
M. Pierre Brana a souhaité savoir ce qui était fait pour mettre fin aux exactions des forces paramilitaires serbes. Après s'être inquiété du sort de MM. Ibrahim Rugova et Adem Demaci, il a demandé quelles étaient les conséquences du conflit au Kosovo sur la situation en Bosnie-Herzégovine, certaines informations faisant état de tensions entre Serbes et Bosniaques à Sarajevo.
M. Hubert Védrine a rappelé que le processus de Rambouillet était un processus continu qui s'inscrivait dans une logique cohérente. Les clauses de démilitarisation de l'UCK prévues par l'accord de Rambouillet constituaient une première étape dans la voie d'un désarmement complet des forces en présence. Cet accord n'étant pas appliqué, les clauses de démilitarisation suivent le même sort. Dès lors qu'il aurait été possible de parvenir à un accord, l'objectif était à terme de favoriser la transformation de l'UCK en un parti politique. En tout état de cause, l'OTAN ne distribue pas d'armes à l'UCK.
Il va de soi que l'on continue à rechercher une solution diplomatique, qui se heurte, depuis bientôt treize mois, à un blocage total ; toutefois, à tout moment, les Alliés restent ouverts à une éventuelle réponse de Belgrade aux cinq questions qui lui sont posées. La France ne cesse de prendre des initiatives en vue d'une solution diplomatique. Ces initiatives ont notamment eu pour effet de réintroduire le Conseil de sécurité dans les discussions relatives au règlement global du conflit. Le règlement général de la question du Kosovo devra s'inscrire dans le cadre du Conseil de sécurité, en étroite liaison avec les organisations européennes de sécurité.
Si les déclarations sur l'éventualité d'une opération militaire terrestre donnent parfois l'impression d'être contradictoires, c'est soit parce que certaines d'entre elles émanent de personnes non autorisées, soit en raison d'une confusion entre une opération d'interposition au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies mais dans le cadre d'un accord de paix et une intervention militaire unilatérale de coercition.
Il revient aux gouvernements, sous la responsabilité du Tribunal pénal international, et non aux instances de l'OTAN, de déterminer les responsabilités pénales de Slobodan Milosevic.
Les dispositions de l'accord de Rambouillet relatives au statut du Kosovo ont été, dans un premier temps, rejetées par l'UCK précisément parce qu'elles ne comprenaient pas le mot « référendum ».
Quant aux objectifs et aux intentions de M. Ibrahim Rugova, il est souhaitable que celui-ci puisse s'exprimer librement sur ces questions. La France est prête à l'accueillir à cet effet.
M. Alain Richard a estimé que la livraison d'armes à l'UCK serait contraire à l'embargo sur les armes décidé par le Conseil de sécurité et compliquerait la solution politique du conflit.
Les alternatives à la stratégie actuelle sont limitées. L'entrée en force des Alliés au Kosovo n'a pas été retenue. Les frappes aériennes constituent un instrument immédiatement disponible et efficace pour porter atteinte à l'efficacité des forces serbes en action contre les populations civiles. Il est vrai qu'il est difficile de se battre contre les forces paramilitaires mais il est possible d'immobiliser les forces militaires qui les protègent.
Les défaillances des organisations humanitaires doivent être relativisées. L'intervention de l'OTAN dans ce domaine se justifie par l'insécurité qui régnait dans les zones où étaient présents les réfugiés et le défaut d'infrastructures. L'opération « Abri allié » a pris du retard mais sa mise en _uvre est imminente. Elle mobilisera un nombre d'hommes plus près de 6 000 que des 8 000 annoncés.
La présence des forces de l'OTAN a pour but de prévenir la déstabilisation de l'Albanie et de la Macédoine. Il est plus difficile de soutenir le Monténégro. Dans le choix des cibles, les Alliés tiennent compte de la nécessité de préserver les équilibres politiques du Monténégro mais l'armée yougoslave se sert du territoire monténégrin pour monter des opérations.
La participation de la France aux dépenses engagées par l'OTAN pour l'opération « Force alliée » prendra essentiellement la forme d'une contribution volontaire financée sur le budget national.
M. Charles Josselin a exposé que les collectes alimentaires françaises pour le Kosovo avaient atteint 15 000 tonnes. Les responsables de l'action humanitaire s'efforcent d'utiliser au mieux les ressources locales.
Les familles françaises qui se sont déclarées prêtes à accueillir des réfugiés sont au nombre de 5 à 8 000. Leurs capacités d'accueil sont en cours d'examen.
La France a obtenu du HCR de pouvoir participer à la gestion des camps. Ainsi, la sécurité civile française assure la gestion d'un camp en Macédoine.
La Commission a procédé, le 5 mai 1999, à un échange de vues sur les missions effectuées par certains de ses membres auprès des forces engagées dans le cadre de la crise du Kosovo.
Le Président Paul Quilès a tout d'abord rappelé que trois délégations se sont rendues le jeudi 15 avril auprès de régiments dont des éléments sont engagés en Albanie ou en Macédoine (17ème Régiment du Génie Parachutiste cantonné à Montauban, 1er Régiment de Hussards Parachutistes à Tarbes et 1er Régiment Etranger de Cavalerie, à Orange) et que deux délégations se sont rendues, le lundi 19 avril, l'une en Macédoine, l'autre à Istrana puis sur le Foch.
Les autorités macédoniennes ont fait valoir que la Macédoine acceptait le déploiement actuel des forces de l'OTAN dans une perspective d'intervention humanitaire ou de maintien de la paix mais qu'elle excluait l'utilisation de son territoire ou de son espace aérien pour une offensive terrestre. Elles ont également souligné que l'intervention de l'OTAN avait des conséquences graves, notamment économiques, l'essentiel du commerce extérieur de la Macédoine se faisant avec la Yougoslavie ou transitant par ce pays. C'est pourquoi la Macédoine a un besoin urgent d'une aide financière et budgétaire substantielle. Le problème est de faire arriver rapidement ces moyens financiers. Enfin, les activités de l'UCK et l'afflux de réfugiés sont une source de grave préoccupation, compte tenu des équilibres ethniques délicats de ce pays.
Le Président Paul Quilès a ensuite présenté les enseignements recueillis au cours des déplacements auprès des forces.
Les déploiements permettent d'expérimenter des situations d'emploi correspondant aux nouvelles missions de gestion des crises. Les forces françaises relèvent d'une chaîne de commandement de l'OTAN, celle de l'ARRC en Macédoine, et doivent suivre des procédures qu'elles ne maîtrisent pas toujours, dans une ambiance multinationale. Les missions aériennes à partir d'Istrana ou du Foch sont également intégrées dans le dispositif de l'OTAN mais restent sous contrôle national. L'intégration dans un dispositif multinational, fatalement complexe, suppose un entraînement adéquat des hommes et des matériels, une bonne connaissance du terrain et le maintien des capacités au meilleur niveau. Les objectifs sont déterminés par le commandement allié mais le commandement de la force a la possibilité de les refuser.
Le Président Paul Quilès a souligné que plusieurs types de facteurs limitaient les missions opérationnelles des avions. D'une part, la menace antiaérienne serbe reste efficace. Elle oblige les appareils à voler à une altitude supérieure à 5 ou 6 000 mètres et à s'éloigner de leur objectif, et conduit l'OTAN à déployer autant d'avions d'appui et de protection que d'avions d'attaque au sol. D'autre part, les capacités techniques des appareils ne sont pas toujours adaptées. Les Jaguar comme les Super Etendard ne peuvent être mis en _uvre que par paire. L'éloignement de la base d'Istrana oblige les appareils à se ravitailler deux fois au-dessus de l'Adriatique. Seuls les Mirage 2000-5 ont la capacité requise d'identification des objectifs qui leur sont assignés grâce à leurs systèmes informatiques et à des capteurs spécifiques. Les méthodes de guidage laser supposent d'excellentes conditions météorologiques. De manière générale, il apparaît un certain décalage entre l'ampleur des moyens aériens utilisés et la nature des objectifs, ce qui peut laisser supposer un engagement dans la durée si l'objectif consiste toujours à amoindrir fortement les capacités serbes.
D'autres contraintes sont plus spécifiques à la Marine. Les deux catapultes du Foch devront être révisées fin juin début juillet, ce qui interrompra, pour au moins cinq à six semaines, la présence du groupe aéronaval en Adriatique. Enfin, à plusieurs reprises, les appareils qui n'avaient pas pu délivrer leur armement sur les objectifs l'ont largué à la mer.
Les membres de la Commission qui ont participé aux déplacements auprès des forces ont retenu que l'état d'esprit des hommes était serein en ce qui concerne la définition de leurs missions ou les conditions dans lesquelles ils ont à les remplir. Ils ont pu constater également l'attention apportée par l'encadrement aux contacts avec les familles. La disponibilité des forces pour des opérations sur préavis court paraît bonne et bien organisée. Compte tenu des rotations et des engagements des forces sur d'autres théâtres, le volume des forces déployables n'en reste pas moins limité. Le modèle d'organisation adopté est fonctionnel. La durée de quatre mois des missions semble adaptée dans la mesure où des missions d'une durée plus longue (six mois) seraient à la fois plus difficiles à organiser et risqueraient d'être préjudiciables à l'efficacité des forces même si la motivation des personnels pour les départs en opération extérieure est bonne.
En conclusion, le Président Paul Quilès a souligné que les missions effectuées sont apparues fructueuses, tant pour les forces, sensibles à la venue de la Commission, que pour la Commission elle-même, agissant ainsi dans sa fonction institutionnelle d'information et de contrôle, mais aussi de liaison entre la Nation et son armée.
M. Pierre Lellouche a regretté que la Commission de la Défense ne dispose pas d'informations précises sur le coût financier des opérations militaires en République fédérale de Yougoslavie et que seule la presse publie des données chiffrées, en ce qui concerne les actions humanitaires ou militaires. Il a souhaité connaître la situation des stocks de munitions et de rechanges, des informations portées à sa connaissance faisant état d'achats de bombes aux Etats-Unis et d'absence de pièces détachées pour réparer les avions français. Il s'est demandé quelles mesures le Gouvernement devrait prendre au cas où la guerre d'usure aérienne se prolongerait et où le volant des appareils français mis à la disposition de l'OTAN serait augmenté. Enfin, il s'est interrogé sur les capacités françaises de déploiement supplémentaire de forces terrestres.
Partageant cette analyse, le Président Paul Quilès a considéré comme anormal que le Parlement dispose d'informations chiffrées sur le coût des opérations extérieures essentiellement par l'intermédiaire des médias.
M. François Lamy a indiqué que les chiffres parus dans la presse sur le coût des opérations extérieures avaient un caractère officiel, puisqu'ils lui avaient été confirmés par le ministère de la Défense. Il a toutefois remarqué que les évaluations de coût publiées avaient singulièrement varié au cours des dernières semaines. Il a, à ce propos, souhaité que l'avis de la Commission sur le prochain projet de loi de finances rectificative soit centré sur l'analyse de la participation des forces françaises aux opérations menées dans le cadre de la crise du Kosovo.
Il a rappelé que, selon les déclarations du Chef d'état-major des armées, le Général Jean-Pierre Kelche, la France ne pourrait pas mettre à la disposition d'une opération terrestre au Kosovo beaucoup plus d'effectifs que ceux qu'elle déployait actuellement en Macédoine. Il s'est alors interrogé sur les objectifs de la professionnalisation et sur les capacités réelles des armées, compte tenu du niveau des dépenses militaires.
Enfin, il a souhaité que le ministère de la Défense communique une évaluation précise du résultat des frappes aériennes réalisées depuis six semaines par l'OTAN, par rapport aux objectifs fixés.
Le Président Paul Quilès a rappelé que des évaluations des résultats des frappes étaient rendues publiques par l'OTAN et certains états-majors alliés. Il a par ailleurs souligné que le conflit du Kosovo servait de révélateur d'une situation des forces qui sera à analyser dans le cadre du prochain budget.
M. Guy-Michel Chauveau a soulevé une question relative à la rotation des unités : alors que dans d'autres armées alliées, le personnel et les matériels sont remplacés ensemble, l'armée de l'Air française ne remplace que les équipages, préférant conserver sur place les mêmes équipements ce qui pouvait poser des problèmes d'entretien. Il a par ailleurs attiré l'attention de la Commission sur l'utilisation du téléphone portable par les personnels des unités déployées, soulignant son intérêt pour le moral mais aussi les difficultés qui pourraient en résulter en opération.
M. Yann Galut a informé la Commission de son déplacement, en tant que rapporteur pour avis du budget de l'armée de l'Air, à Istrana et à Avord, d'où partent les avions AWACS et où il a rencontré pilotes et mécaniciens. Il a confirmé que le ministère français de la Défense validait quotidiennement les missions de nos aviateurs et que des différences d'approche avec le commandement allié pouvaient conduire à refuser certaines missions qui nous sont proposées. Il a insisté sur l'importance que revêtait, pour la Commission, une connaissance exacte du coût des opérations et s'est inquiété d'éventuels arbitrages budgétaires qui financeraient ce coût par des annulations de crédits d'équipement militaire.
Après avoir souligné que dans les trois derniers budgets les munitions et l'entretien du matériel figuraient parmi les postes les plus touchés par les restrictions, M. René Galy-Dejean a estimé que la situation actuelle était la conséquence de ces décisions. Il s'est inquiété d'estimations selon lesquelles une trentaine d'appareils de combat ne seraient pas en état de voler par manque de pièces de rechange. Soulignant la nécessité de porter remède aux insuffisances manifestées par le conflit, il s'est prononcé en faveur d'un réexamen des équilibres budgétaires, non seulement au sein de l'enveloppe des dépenses militaires mais aussi dans l'ensemble du budget de l'Etat. Concernant le résultat des frappes aériennes, il s'est demandé si les objectifs fixés au début de la campagne n'étaient pas exagérément limités et s'est félicité de la hausse de leur nombre ainsi que de l'augmentation de la participation des forces aériennes françaises. Il a par ailleurs exprimé sa préoccupation sur l'état réel de la défense antiaérienne serbe qui n'est sans doute pas aussi affectée que ce qui a été annoncé.
M. Charles Cova a indiqué que, selon les informations qu'il avait recueillies, les industriels français consentaient des efforts importants pour produire suffisamment de bombes pour le détachement de l'armée de l'Air opérant dans le conflit du Kosovo. L'outil de production, qui est actuellement relancé, devrait permettre de couvrir les besoins.
M. Loïc Bouvard a estimé que l'erreur fondamentale des Alliés avait été de croire qu'ils pouvaient répéter la stratégie appliquée auparavant dans le cadre de la crise bosniaque et d'estimer que des frappes limitées contre la République fédérale de Yougoslavie amèneraient les autorités de Belgrade à signer à brève échéance un accord politique réglant la situation du Kosovo. Ils ne s'attendaient donc pas à un conflit aérien long, de sorte que les Européens se sont laissé entraîner dans une guerre à laquelle ils étaient mal préparés.
Se félicitant de la qualité des débats, le Président Paul Quilès a alors proposé la constitution d'un groupe de travail de dix membres chargé de recueillir des informations sur les opérations en cours en République fédérale de Yougoslavie et d'en étudier le déroulement. Ce groupe de travail sur la guerre du Kosovo analyserait notamment les conditions du déclenchement du conflit, les buts de guerre poursuivis, l'articulation des démarches diplomatiques avec la conduite des opérations militaires et les modalités de participation de la France aux actions menées. Le groupe de travail devrait également examiner la relation de la France avec l'OTAN, le coût réel des opérations et le rôle du Parlement.
Mme Martine Lignières-Cassou a attiré l'attention des membres de la Commission sur le fait que les enseignements des opérations en cours devraient être pris en considération lors de l'élaboration de la prochaine loi de programmation militaire.
Le Président Paul Quilès, soulignant que la durée des activités du groupe de travail dont il proposait la constitution serait par nature incertaine, a estimé que la situation exigeait que des réflexions soient immédiatement engagées sur le conflit. Il a ajouté qu'un bilan des opérations pourrait ainsi être fait dans de brefs délais une fois le conflit terminé.
M. Guy-Michel Chauveau a souhaité que le rôle des ONG dans le secours aux populations et l'articulation de leurs activités avec les missions humanitaires des forces soient étudiés par le groupe de travail proposé.
La Commission a alors décidé de créer en son sein un groupe de travail de 10 membres sur la guerre du Kosovo.
M. Georges Lemoine a ensuite souhaité que la Commission de la Défense manifeste sa confiance et son soutien à la Gendarmerie nationale, compte tenu du malaise observé dans les unités.
M. Pierre Lellouche s'est montré perplexe sur les conditions de création du GPS. Il a émis le v_u qu'une mission d'information, voire une commission d'enquête, permette à l'Assemblée nationale d'être informée sur cette unité d'exception.
Le Président Paul Quilès a fait valoir qu'une enquête judiciaire étant en cours, le Parlement ne devrait pas interférer dans son déroulement.
M. Pierre Lellouche a précisé qu'il ne proposait pas que le contrôle du Parlement porte sur les faits donnant lieu à une procédure pénale mais sur les mécanismes de décision administrative qui avaient conduit à la constitution du GPS.
La Commission de la Défense a entendu, le 18 mai 1999, M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur la crise au Kosovo et la réunion ministérielle du conseil de l'UEO à Brême.
M. Alain Richard a tout d'abord présenté les trois conclusions majeures qui ressortent de la réunion ministérielle de Brême. Celle-ci a, en premier lieu, fait apparaître une expression relativement convergente des points de vue des membres de l'UEO concernant les principaux axes de la déclaration de Saint-Malo, notamment la nécessité pour l'Europe de se doter de meilleures capacités communes. En second lieu, le Ministre de la Défense a souligné que le principe du rattachement de ces capacités communes à l'Union européenne n'avait pas soulevé d'objection ou de controverse particulière, mais représentait au contraire une idée globalement partagée. Enfin, la réunion de Brême a fait apparaître un consensus sur la nécessité pour l'UEO de se fondre dans l'Union européenne. A cet égard, M. Alain Richard a estimé qu'il était toutefois gênant que certains pays membres considèrent d'ores et déjà l'UEO comme un vestige du passé, alors que son intégration dans l'Union européenne prendra nécessairement du temps. Au total, le Ministre de la Défense a estimé qu'existait néanmoins une dynamique en faveur de cette intégration, à laquelle l'échéance prochaine de la fin de la présidence allemande n'a pas manqué de contribuer.
Faisant allusion aux informations parues dans la presse, selon lesquelles le volume de la force terrestre de sécurité destinée à être déployée au Kosovo dans un contexte permissif serait de 50 000 hommes, soit le double de ce qui avait été initialement prévu, le Président Paul Quilès a souhaité avoir confirmation de ce chiffre et s'est demandé si, dans une telle configuration, la France serait en état de maintenir sa part relative au sein du dispositif.
M. Alain Richard a indiqué qu'effectivement un document préparatoire, relatif à la révision à la hausse du volume des forces nécessaires à la mise en _uvre d'un futur accord, était actuellement soumis à l'appréciation des gouvernements alliés. Il a expliqué que l'augmentation des effectifs de cette force était principalement due au poids des missions annexes, notamment de reconstruction des infrastructures, de réinstallation des déplacés ou de déminage.
Il a estimé que la participation de la France à cette force pourrait être maintenue, en cas de nécessité, à son niveau actuel (10 à 12 % des forces engagées). Il a toutefois fait remarquer que, dans l'hypothèse vraisemblable où la force comprendrait des contingents issus de pays non-membres de l'Alliance, la part supplémentaire demandée aux Alliés serait moindre.
M. Guy-Michel Chauveau a interrogé le Ministre de la Défense sur l'importance des destructions infligées aux forces militaires serbes stationnées au Kosovo.
Le Ministre de la Défense, tout en soulignant la difficulté d'une telle évaluation, a néanmoins fait état de progrès encourageants, quoique lents. Il a précisé que les opérations prolongées de bombardement menées par les Alliés avaient permis de cloisonner fortement le théâtre et d'y paralyser les flux logistiques, ce qui rendait, notamment, impossible l'approvisionnement à l'extérieur des forces serbes basées au Kosovo. Il a indiqué, à cet égard, que la police spéciale et l'armée serbes stationnées au Kosovo vivaient sur leurs réserves et, malheureusement, aussi sur celles de la population. Quant à la destruction de ces forces, il a souligné qu'elle restait lente, même si des résultats réels avaient été enregistrés. Les critiques légitimes suscitées par les erreurs d'appréciation des pilotes et les mauvais choix de cibles ne sont naturellement pas sans effet sur le ralentissement du processus d'attrition des forces serbes.
Le Président Paul Quilès a alors demandé des précisions sur le rôle envisagé pour les hélicoptères Apache ainsi que sur les éventuels obstacles politiques qui pourraient être mis à leur utilisation. Il s'est à ce propos étonné du décalage entre l'accompagnement médiatique qui avait suivi l'arrivée de ces appareils sur le théâtre des opérations et la réalité de leur contribution militaire, alors que deux d'entre eux se sont écrasés à l'entraînement, avant même d'avoir été engagés.
M. Alain Richard a souligné que les retards liés à l'engagement des hélicoptères Apache étaient sans doute liés à des considérations militaires et à des débats internes aux états-majors américains.
M. René Galy-Dejean a demandé un bilan actualisé des frappes aériennes, précisant notamment le niveau de réalisation des objectifs fixés. Il s'est également interrogé sur les divergences de point de vue au sein de l'Alliance à propos de la nécessité d'une offensive terrestre, à la suite notamment des récentes déclarations de membres du gouvernement britannique.
M. Alain Richard a indiqué que le bilan des frappes aériennes était actualisé en permanence et que certains objectifs initiaux étaient largement atteints, notamment pour ce qui concerne les forces aériennes yougoslaves en grande partie détruites et désormais réduites à une très faible activité. Mais il a reconnu que, si de nombreuses batteries antiaériennes avaient été anéanties, il restait encore un nombre non négligeable de postes de missiles SAM-6, qui représenteraient une menace sérieuse pour les appareils alliés à basse altitude.
Le Ministre de la Défense a par ailleurs souligné la contradiction entre la volonté d'atteindre des objectifs militaires ambitieux et les limites strictes que se sont fixées les démocraties dans l'emploi de la force. Cette contradiction ne trouvera de solution que dans le temps. Faisant remarquer que le choix effectué entre Européens seuls aurait probablement été le même que celui fait par l'OTAN, il a fait valoir qu'une offensive terrestre aurait présenté les mêmes inconvénients et exposé les populations civiles à des risques au moins aussi grands que la stratégie actuellement suivie. Il a par ailleurs estimé que les récentes prises de position britanniques participaient du souci d'affirmer la présence du Royaume-Uni dans les débats relatifs au conflit.
Évoquant les perspectives de sortie de la crise, le Ministre de la Défense a décrit les différents scénarios envisageables : d'abord les deux extrêmes, c'est-à-dire soit la négociation sur une base de coopération avec le pouvoir serbe, quel qu'il soit, soit l'imposition unilatérale par la force d'un règlement politique au Kosovo. Il a souligné que ces deux scénarios extrêmes étaient difficilement acceptables, notamment par la France. Il a alors présenté un scénario intermédiaire passant par le règlement politique du conflit sur un plan multilatéral, en coopération avec la Russie sur la base d'une décision du Conseil de sécurité des Nations Unies. Dans ce cas, même en l'absence d'accord formel de la Yougoslavie, la solution pourrait s'imposer à ce pays sans qu'il soit en mesure de s'y opposer sérieusement. Mais il a également évoqué un quatrième scénario selon lequel un affaiblissement suffisant de la capacité de résistance des forces yougoslaves permettrait une entrée des troupes de l'OTAN au Kosovo. Il a estimé qu'il convenait d'être prudent à l'égard de ce dernier scénario. Rien aujourd'hui ne permet en effet de penser que les forces serbes seront suffisamment affaiblies au Kosovo dans deux à trois mois pour que les forces alliées puissent y entrer sans rencontrer de résistance significative.
Le Président Paul Quilès a ensuite fait allusion à une déclaration du général Short, commandant les raids aériens au-dessus de la République fédérale de Yougoslavie, qui regrettait de ne pas avoir obtenu l'autorisation de procéder à des frappes sur des objectifs plus larges, y compris sur la population de Belgrade dans le but d'amener les dirigeants yougoslaves à accepter les conditions posées par l'Alliance. M. Paul Quilès a demandé au Ministre si la stratégie préconisée par le Général Short avait fait l'objet d'un débat entre militaires et politiques au sein de l'OTAN.
Le Ministre de la Défense a fait valoir que l'éventail du choix des cibles faisait l'objet de discussions constantes depuis le début des opérations. Il a ajouté qu'on ne pouvait pas écarter par principe tout bombardement ayant un impact sur la situation des populations civiles. Même si l'objet des tirs était d'abord militaire, la destruction d'objectifs comme des axes de communication ou des centres de production énergétique avait forcément des répercussions sur les conditions de vie de la population.
Après avoir rappelé que la stratégie suivie par le Président Milosevic depuis dix ans avait bénéficié d'un certain soutien de l'opinion serbe, il a fait valoir que la conduite d'opérations militaires sur le territoire de la Serbie pouvait faire évoluer cette situation. Il a souligné que l'opinion serbe avait à présent conscience qu'il n'était pas identique de porter le conflit chez les autres et de le subir chez soi, et que c'était là aussi une dimension de l'offensive aérienne alliée.
Il a enfin rappelé qu'il n'était pas question de décider d'abattre les hommes situés au centre du système de pouvoir serbe, et que les discussions au sein des gouvernements alliés n'avaient en aucun cas abouti à de telles conclusions. A ce propos, il a estimé qu'il était impossible de prétendre combattre le terrorisme tout en utilisant de telles méthodes.
M. François Lamy a demandé si des discussions avaient eu lieu au niveau militaire ou politique au sein de l'Alliance sur le point de savoir si les forces aériennes devaient descendre en dessous de l'altitude de 5 000 mètres. S'agissant de la résurgence de l'idée d'une offensive terrestre dans un environnement « semi-permissif », il s'est inquiété des conditions climatiques qui rendraient difficiles une telle opération au-delà d'un délai de deux ou trois mois et a demandé s'il en résultait une date limite pour une éventuelle modification de la stratégie de l'Alliance.
M. Alain Richard a répondu qu'il arrivait déjà à l'occasion que des appareils prennent le risque, pour des raisons d'efficacité, de descendre en dessous de l'altitude de 5 000 mètres. Il a dénié l'intérêt d'en faire une règle dans la mesure où, du fait notamment de la vitesse d'approche des appareils, une altitude plus basse n'éliminerait pas le risque de méprise tout en les rendant beaucoup plus vulnérables aux tirs antiaériens, notamment des SAM-6 serbes. Il a par ailleurs souligné la longueur des délais nécessaires pour la mise en _uvre des renforts aériens, indiquant qu'un manque d'avions ravitailleurs empêchait encore d'atteindre l'objectif d'une présence aérienne offensive vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Il a ensuite exposé que l'éventualité d'une absence d'évolution de la situation d'ici la fin de l'été ne devait pas conduire au déclenchement d'une opération terrestre hâtive qui ne résoudrait rien. Il a précisé que les délais de mise en place d'une force terrestre de sécurité dans le cadre d'un accord étaient inférieurs à un mois pour les Etats membres de l'Alliance et que la participation de pays non-membres ne portait pas ce délai au-delà de deux mois. Il en a conclu que l'échéance de la fin de l'été n'était pas un motif de remise en cause de la stratégie retenue.
Citant le ministre allemand de la Défense, M. Rudolf Scharping, M. Georges Lemoine s'est inquiété d'une situation où les armées, arrivant sur le terrain avec des objectifs militaires, avaient dû s'adapter à une situation humanitaire. Évoquant le chiffre fréquemment cité de 100 000 soldats serbes déployés au Kosovo ou à proximité de la province, et soulignant que l'OTAN se fixait pour règle de sécurité d'établir en situation de combat une supériorité numérique de trois pour un, il a demandé si une offensive au Kosovo nécessiterait une force de 300 000 hommes.
Le Ministre de la Défense a répondu que l'effectif militaire serbe présent au Kosovo était de 40 000 hommes. Il a par ailleurs fait valoir que, dans des opérations où il était nécessaire d'user de la force pour protéger une population expulsée, il était inévitable que les militaires procèdent à des opérations relevant du domaine humanitaire. Il a ajouté, que parmi les tâches qui incombaient de fait aux forces terrestres alliées, figurait la préservation de la stabilité et de la sécurité de la Macédoine, pays pauvre et aux capacités militaires faibles, ainsi que de l'Albanie, pays à l'appareil d'Etat fragile et diversement présent sur l'ensemble du territoire. Il a ajouté qu'il n'y avait en Albanie aucun embryon de force de sécurité capable de faire face à la situation créée par la masse des réfugiés actuellement présente et d'éventuels flux supplémentaires à venir. Après avoir souligné que le premier contingent de forces de soutien chargées d'encadrer ces populations avait évité de graves difficultés, il a indiqué qu'il était prévisible que son effectif doive être augmenté au-delà des 6 500 militaires qui y sont actuellement affectés.
Après avoir rappelé qu'au cours d'une récente réunion des inquiétudes avaient été exprimées au sein de la Commission au sujet d'insuffisances constatées dans l'équipement des forces françaises, M. Didier Boulaud a cité des propos rapportés par la presse sur l'approvisionnement en bombes auprès de fournisseurs américains, sur des pratiques de « cannibalisation » de Mirage 2000 sur la base de Nancy et sur la nécessité pour le porte-avions Foch d'interrompre sa mission pour faire réparer ses catapultes. Il a alors souhaité avoir des précisions sur l'état de l'équipement des forces engagées dans le conflit du Kosovo.
M. Alain Richard a fait valoir que les forces françaises ne pouvaient être mises en _uvre avec des moyens identiques à ceux des forces américaines, mais que des décisions avaient été prises récemment, pour améliorer leur équipement, notamment en hélicoptères de combat et en missiles de croisière. Il a estimé que le maintien en condition opérationnelle des matériels, comme le renouvellement des munitions, pourraient faire l'objet d'une présentation globale à la Commission au cours d'une prochaine audition au mois de juin. Il a précisé que les appareils présentaient un niveau élevé de fiabilité malgré une utilisation intensive. Il a confirmé que le porte-avions Foch, présent sur zone depuis le 27 janvier dernier, quitterait le 31 mai prochain le théâtre d'opérations afin que ses catapultes soient remises en état, mais qu'il pourrait ainsi revenir, dès début du mois d'août, après une immobilisation de huit semaines. Les bombes guidées par laser constituent un équipement ancien, dont le seul fabricant actuel est américain, mais dont les stocks peuvent être recomplétés sans contrainte particulière de délai. La consommation des missiles aériens étant faible, le niveau de leur stock ne pose pas de problème préoccupant. Les délais de maintenance et de renouvellement des pièces de rechange se sont nettement améliorés depuis le début du conflit. Quant à la « cannibalisation » des appareils elle permet tout simplement de satisfaire un besoin immédiat en attendant la livraison des pièces de rechange.
M. Antoine Carré s'est demandé si la volonté des Alliés de poursuivre les frappes aériennes était sans faille.
M. Jean Briane s'est inquiété de la durée de la guerre dans les Balkans et a appelé l'attention de la Commission sur le risque que l'adhésion de l'opinion publique s'estompe.
Le Ministre de la Défense a considéré que, dans de nombreux domaines de la vie publique, la démocratie consiste à déléguer la responsabilité des décisions politiques à des représentants élus qui doivent savoir l'assumer. Rappelant qu'il était généralement admis que l'on ne gouverne pas avec les sondages, il s'est inquiété d'une situation où seuls les domaines de la paix ou de la guerre échapperaient à cette règle. Les objectifs du conflit du Kosovo sont partagés par tous les membres de l'Alliance atlantique qui n'entendent pas laisser se développer l'épuration ethnique et qui ne croient pas possible d'obtenir un accord avec le Président Milosevic sans rapport de forces. L'emploi des forces militaires a été limité jusqu'à présent en Yougoslavie, qui est un pays européen, mais vouloir obtenir des résultats rapides reviendrait à prendre ses rêves pour la réalité. Des débats similaires ont lieu dans les principaux pays engagés dans le conflit du Kosovo, mais moins peut-être en Grande-Bretagne où il est de tradition d'éviter un débat critique sur l'engagement du pays dans un conflit armé. Les doutes sur l'engagement de l'Alliance sont exprimés par ceux qui prennent le plus de distance à l'égard de l'objectif politique qu'il vise à atteindre.
Le Président Paul Quilès a enfin souligné que le temps ne semblait pas être un facteur favorable à l'Alliance atlantique, compte tenu, par exemple, de l'impact sur l'opinion publique des risques d'épidémies susceptibles d'apparaître pendant l'été dans les camps des réfugiés ou des difficultés qu'y créerait l'approche de l'hiver.
La Commission de la Défense nationale et des Forces armées et la Commission des Affaires étrangères ont entendu, le 19 mai 1999, M. Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères sur la situation au Kosovo.
M. Hubert Védrine a tout d'abord estimé que le résultat des élections en Israël soulevait une grande espérance mais qu'il fallait rester lucide. Il convient en effet de distinguer entre le vote massif en faveur du nouveau Premier ministre israélien et les élections législatives qui ne se sont pas traduites par un raz-de-marée s'agissant du processus de paix, sur lequel Ehud Barak est resté prudent pendant sa campagne électorale. Un obstacle est levé mais les négociations israélo-palestiniennes resteront complexes. Ehud Barak est de l'école d'Itzhak Rabin mais il apparaît plus intransigeant que son modèle.
Le gouvernement français considère que ce nouveau contexte justifie que le Parlement examine favorablement et à bref délai la question de la ratification de l'accord d'association entre les Communautés européennes et Israël. Par ailleurs, le travail diplomatique s'organise afin que la France joue un rôle dans le processus de paix.
S'agissant du Kosovo, le Ministre a exposé que les négociations se poursuivaient afin de parvenir à l'adoption d'une résolution par le Conseil de sécurité. Elles se heurtent à des points sensibles, d'une difficulté inégale, parmi lesquels la configuration de l'administration internationale transitoire du Kosovo. La proposition française de confier cette administration à l'Union européenne est très contestée par les Etats-Unis et la Russie. La composition de la force internationale de sécurité est discutée entre les Alliés et les Russes. Ces discussions devront aboutir à une combinaison entre les forces de l'OTAN, celles de la Russie et celles d'autres Etats ainsi qu'à une chaîne de commandement efficace. L'aspect le plus sensible consiste à combiner le contenu de la résolution, son vote par le Conseil de sécurité, son acceptation par Belgrade et la suspension des frappes aériennes. Les Russes ont accepté de poursuivre les négociations mais ont déclaré qu'ils ne voteraient pas la résolution si Belgrade n'en acceptait pas le contenu. Les Alliés considèrent que les frappes ne peuvent être suspendues tant que la Yougoslavie ne se sera pas engagée de manière claire et vérifiée.
La controverse à propos d'une éventuelle intervention terrestre offensive doit être relativisée. Les Britanniques ont proposé cette option au sommet de Washington mais n'ont pas été suivis. Depuis, ils ont nuancé leur proposition : il ne s'agirait pas de préparer une offensive massive mais seulement une action intervenant à terme, dans un contexte « permissif » et afin d'anticiper la mise en place de la force internationale de sécurité.
Le Président Paul Quilès a observé que, depuis quelques jours, des points de vue différents s'étaient exprimés au sein de l'Alliance. La Commission des droits de l'Homme et de l'aide humanitaire du Bundestag a demandé une suspension des bombardements. Le Ministre des Affaires étrangères britannique a déclaré que l'accord de Belgrade n'était pas une condition nécessaire au déploiement d'une force internationale de sécurité. Le Président du Conseil italien a proposé une suspension des frappes en cas d'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité, pour permettre au gouvernement yougoslave de retirer ses troupes du Kosovo, et une offensive terrestre si Belgrade refusait de respecter la résolution du Conseil de sécurité. Le Chancelier allemand a exclu toute offensive terrestre sans exclure une suspension des frappes. Les Grecs ont suggéré une trêve de 48 heures. Ces positions n'expriment-elles pas une certaine incertitude sur l'efficacité de l'action diplomatique et militaire menée ? Quelles initiatives la France pourrait-elle prendre pour favoriser une meilleure cohésion européenne ?
Le retrait de leurs forces, auquel les autorités de Belgrade se sont déclarées prêtes, ne pouvant être vérifié, ne serait-il pas envisageable d'envoyer des observateurs de l'ONU au Kosovo et, dans ce but, de suspendre les frappes ? Il conviendrait de poser clairement la question du lien à établir entre cette suspension et l'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité fixant les modalités du règlement du conflit.
A propos de la force internationale de sécurité, la chaîne de commandement est-elle négociable ? Est-il indispensable de transposer le modèle de la SFOR qui aboutirait à placer le contingent russe sous commandement allié, c'est-à-dire sous celui du Général Clark ? Cette dernière solution est-elle acceptable par la Russie ?
M. Alain Juppé a demandé quel était le bilan des frappes : quel impact ont-elles eu sur le potentiel militaire et logistique serbe ? Que signifie le processus d'intensification des frappes que l'on entend régulièrement évoquer ? Il s'est interrogé sur le crédit que l'on doit accorder aux signaux semblant indiquer une évolution du gouvernement serbe. Enfin, il a demandé si une planification de la future force de sécurité au Kosovo avait été entreprise et quelle serait la participation française à cette force.
M. Henri Bertholet a évoqué les élections législatives tenues en Israël le 17 mai. Il a rappelé que la ratification de l'accord entre les Communautés européennes et Israël avait été suspendue pour des raisons tenant au ralentissement du processus de paix et aux différences d'interprétation entre l'Union européenne et Israël à propos de la définition du territoire israélien. Il a demandé si l'on pouvait espérer que les conditions d'une ratification rapide soient réunies. En sa qualité de rapporteur du projet de loi de ratification, il souhaite cet aboutissement mais estime que les parlementaires doivent pouvoir examiner si la reprise du processus de paix est effective.
M. Pierre Brana a abordé à nouveau la question du Kosovo, interrogeant le Ministre sur l'éventualité pour les Alliés de se montrer moins stricts sur les cinq conditions imposées à Belgrade pour l'arrêt des opérations militaires. Il s'est inquiété des rumeurs concernant le recrutement de combattants par l'UCK dans les camps de réfugiés et des incidents susceptibles d'éclater entre les réfugiés et la minorité serbe de Macédoine.
M. Paul Dhaille a demandé dans quels délais les réfugiés pourraient se réinstaller au Kosovo dans l'hypothèse d'une paix prochaine. A-t-on envisagé des mesures pour le cas où les réfugiés seraient contraints de passer l'hiver dans les camps ?
M. Pierre Lellouche a estimé que l'on risquait de voir une « drôle de paix » succéder à une « drôle de guerre ». En effet, les hypothèses de règlement semblent prévoir le maintien au pouvoir de Milosevic, ce qui laisse présager de nouvelles crises, les mêmes causes produisant les mêmes effets. M. Pierre Lellouche a également demandé quelle autorité politique et militaire il était envisagé de mettre en place et quel serait l'effectif des forces serbes qui pourraient demeurer sur le territoire du Kosovo. Il a estimé que le schéma actuel d'une autonomie de la région était théorique et dangereux pour l'avenir. Enfin, dans l'hypothèse où Milosevic n'accepterait pas les conditions des Alliés, quelle serait l'option choisie : devrait-on poursuivre cette guerre d'usure aérienne, qui épargne d'ailleurs surtout des militaires ? Soulignant que la préparation d'une opération terrestre offensive exigeait deux mois, il a demandé quelle décision devrait être prise, si la situation ne connaissait aucun changement d'ici deux semaines.
M. Xavier Deniau a observé que les Etats-Unis étaient parvenus à négocier avec Milosevic à Dayton. Il a rappelé que le Président de la République était revenu de Washington convaincu de la nécessité de recourir aux Nations Unies et de l'utilité de la médiation russe mais hostile à l'engagement des troupes au sol qui est pourtant actuellement en débat. A cet égard, il a demandé s'il était exact que la France avait envoyé une escadrille supplémentaire au Kosovo.
M. Loïc Bouvard s'est interrogé sur la situation intérieure de la Russie et l'incidence de la nomination de M. Stepachine au poste de Premier Ministre sur la diplomatie russe. Il s'est demandé si la Russie accepterait la résolution du Conseil de sécurité en cours de négociation après l'échec de la mission Talbott.
M. Jean Briane a fait part des interrogations de l'opinion publique sur les frappes aériennes ; l'adhésion de la population s'étiole alors que le conflit perdure. Évoquant la possibilité d'une intervention terrestre, il s'est inquiété de ses effets et de la situation des réfugiés dans la perspective de l'hiver.
M. François Loncle a regretté que l'Union européenne soit handicapée par ses divisions alors que Russes et Américains négocient directement. Il s'est étonné de la déclaration de M. Robin Cook sur la nécessité d'une intervention terrestre offensive et de l'absence de réponse du gouvernement français. Il a rappelé que le Parlement devait être consulté si une telle intervention était envisagée.
M. René Galy-Dejean a souhaité des précisions sur la notion « d'environnement permissif » pour l'entrée de troupes au Kosovo.
Constatant que les réfugiés manifestaient la volonté très forte de rentrer chez eux rapidement, Mme Laurence Dumont a souligné que ce retour dépendait des efforts en faveur de la paix et de la reconstruction. Elle a demandé où en étaient les projets des Européens à ce sujet.
M. Jacques Myard s'est interrogé sur les conditions de sortie de crise. Quel est le règlement politique envisagé ? Si on s'apprête à occuper le Kosovo comment va-t-on l'administrer ? Il a souhaité savoir quelle était la marge de man_uvre de la France vis-à-vis de l'OTAN.
Mme Michèle Alliot-Marie a insisté sur l'isolement diplomatique de Milosevic et sur l'importance de la position du gouvernement monténégrin. Elle s'est enquise de l'évolution de la situation du Monténégro.
M. François Léotard s'est étonné que la résolution du Conseil de sécurité actuellement en cours d'élaboration n'ait pas été rédigée deux mois plutôt, avant le début des frappes. Entre temps les forces serbes se sont renforcées au Kosovo et le nombre des réfugiés s'est gravement accru.
Le Ministre des Affaires étrangères a apporté les éléments de réponse suivants :
- l'accord euro-méditerranéen établissant une association entre les communautés européennes et leurs Etats membres, d'une part, et l'Etat d'Israël, d'autre part, est lié aux avancées du processus de paix au Proche-Orient. Par conséquent, il était tout à fait justifié que le Parlement y soit hostile du moment que le Premier Ministre israélien manifestait peu d'empressement à appliquer ses engagements. Les élections récentes ayant modifié la situation, le Parlement pourra manifester sa disponibilité politique nouvelle en abordant sous un angle favorable l'examen du projet de loi autorisant la ratification de l'accord qui est déjà en grande partie appliqué dans son volet commercial ;
- il ne faut pas exagérer les nuances qui se sont exprimées entre les Alliés au sujet du conflit dans les Balkans, ce qui est naturel dans des démocraties. Le débat porte en particulier sur l'opportunité d'une offensive terrestre. L'initiative en revient au Premier Ministre britannique Tony Blair qui, dès avant le Sommet de Washington, avait proposé cette éventualité. La stratégie adoptée par l'OTAN a pourtant été confirmée à l'issue du sommet. Toutefois, le gouvernement britannique fait périodiquement valoir sa position en soulignant qu'une offensive terrestre pourrait être indispensable. Il est à noter à cet égard que les pourcentages de destruction du potentiel militaire de la République fédérale de Yougoslavie mentionnés par les responsables de l'Alliance sont proches de ceux correspondant à une véritable désorganisation des forces yougoslaves ;
- la formule d'une « force de stabilisation », telle qu'elle avait été acceptée par la Russie dans les accords de Dayton, n'est pas transposable à l'identique à la future présence internationale de sécurité au Kosovo, les Russes considérant qu'ils jouent un rôle trop marginal dans la chaîne de commandement de la SFOR. Ce point fait l'objet de discussions au sein du G 8. Le schéma de la SFOR peut supporter des aménagements mais l'efficacité de la future force de sécurité nécessite une formule garantissant l'unité de commandement ;
- s'agissant du bilan des frappes, les résultats atteints, d'après les éléments fournis par l'OTAN, nous rapprochent du seuil de destruction nécessaire à la mise hors de combat de l'armée yougoslave ;
- l'état-major français participe à la planification d'une force de sécurité. Son volume définitif dépendra du résultat des négociations actuellement en cours, du contingent susceptible d'être fourni par les Russes et par les pays n'appartenant pas à l'OTAN et, enfin, de l'ampleur des problèmes humanitaires à traiter. A titre d'exemple cependant, on peut estimer que, pour un contingent de 26 000 à 27 000 hommes fourni par les pays de l'OTAN, la participation française serait de l'ordre de 3 000 hommes ;
- les déclarations du Ministre des Affaires étrangères yougoslave, d'après lesquelles la Yougoslavie serait prête à négocier sur la base des principes fixés par le G 8, sous certaines réserves, sont intéressantes même s'il convient d'être prudent, les Alliés attendant de ce pays non de simples déclarations mais des engagements crédibles et vérifiables. Toutefois, cette formulation nouvelle des positions yougoslaves, reprise par le Président serbe Milan Milutinovic qui en a fait part au Ministre italien des Affaires étrangères, M. Lamberto Dini, représente un signal. On notera également que les pays voisins de la Yougoslavie - Slovénie, Macédoine, Roumanie, Bulgarie, Hongrie - évoquent une baisse du moral de la population serbe, des désertions massives, des difficultés de l'armée à mobiliser et des dissensions croissantes en son sein ;
- il n'y a aucun glissement ni aucun flottement s'agissant des cinq conditions fixées par l'OTAN.
Tout d'abord, le principe de l'arrêt des exactions en préalable à toute négociation n'est pas débattu, pas plus que celui du retrait des forces militaires et paramilitaires serbes du Kosovo.
De même, les Alliés sont intransigeants sur le droit au retour des réfugiés, même s'il est bien évident qu'il est impossible d'exiger de Belgrade leur rapatriement rapide. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'un travail de réflexion est en cours visant à prendre en compte la situation des réfugiés au cours de l'été et de l'hiver à venir.
Concernant l'administration future du Kosovo, ses modalités restent à préciser et sont actuellement en discussion. Il appartiendra notamment au Conseil de sécurité des Nations Unies de définir les institutions qui assumeront cette responsabilité. Les Quinze ont proposé que ce soit l'Union européenne.
Enfin, pour ce qui est de la force d'intervention terrestre qui sera déployée au Kosovo, quelle que soit l'expression utilisée, il s'agira d'une force armée capable d'assumer les missions de sécurité qui lui auront été confiées ;
- la question d'une pause dans les opérations de frappes aériennes et du moment où elle pourrait intervenir n'est pas tranchée. Elle n'est évoquée ni dans les cinq conditions initiales ni dans la déclaration du G 8. La France estime, pour sa part, que seule une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies est susceptible de résoudre cette question ;
- il y a bien eu des incidents en Macédoine entre des Macédoniens d'origine serbe et l'UCK. Ils sont cependant restés limités. Ce sont plutôt les tensions entre les réfugiés kosovars et l'UCK, notamment pour des questions d'enrôlement, qui suscitent des préoccupations ;
- personne n'est en situation d'établir un calendrier pour le retour des réfugiés. A partir du moment où un accord aura été conclu, un certain délai sera nécessaire pour que la force de sécurité s'installe au Kosovo. C'est seulement ensuite que le retour des réfugiés pourra être engagé. En tout état de cause, pour ceux qui voudront rentrer se posent des problèmes de reconstruction, de sécurité et de confiance qui font de l'installation d'une force militaire un préalable indispensable ;
- l'objectif aujourd'hui est l'évolution du statut du Kosovo et non pas la question du pouvoir à Belgrade après les hostilités, même si l'on aspire à une Yougoslavie démocratisée. Cependant, les fondements du système politique dirigé par M. Milosevic sont ébranlés par l'opération actuelle ;
- pour le futur, outre la force militaire, la France envisage la solution d'un administrateur de l'Union européenne, assisté d'un comité de suivi où siégeront des représentants de l'ensemble des organismes intervenant en matière d'assistance humanitaire et pour la reconstruction du Kosovo, notamment le HCR ;
- les responsables politiques de la région ne cessent de déclarer à l'Alliance qu'il faut qu'elle reste sur la ligne de l'autonomie du Kosovo, que l'indépendance de la province ne pourrait être que la source de conflits et de drames supplémentaires. Tous les pays de l'Alliance maintiennent, quant à eux, leur refus de l'indépendance du Kosovo ;
- les relations entre l'Alliance atlantique et la Russie n'ont jamais été rompues. Trois résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU ont été votées en 1998 sous le régime du chapitre VII de la Charte mais aucune de leurs exigences n'a été satisfaite par les autorités yougoslaves. Les Russes et les Chinois se sont alors opposés à ce que le Conseil de sécurité autorise expressément le recours à la force contre la République fédérale de Yougoslavie. Mais on ne peut pas dire que le Conseil de sécurité dans son ensemble y soit hostile. En effet, au début des frappes aériennes, il a rejeté par 12 voix sur 15 la proposition de résolution russe demandant leur arrêt immédiat ;
- alors qu'à l'automne 1998, la Russie refusait tout recours à la force dans les négociations avec la Yougoslavie, ce sont les Etats-Unis qui se sont longtemps montrés réticents à transposer les modalités du règlement politique de la crise dans une résolution du Conseil de sécurité en raison de la préparation du Sommet de l'Alliance atlantique à Washington en avril 1999 ;
- il faut se féliciter de ce que les documents adoptés au Sommet de l'Alliance atlantique à Washington ne contiennent aucune formule autorisant l'OTAN à s'autosaisir mais fassent au contraire référence, à plusieurs reprises, à l'ONU ou à la Charte, voire à l'article 7 du traité de Washington qui reconnaît l'autorité primordiale du Conseil de sécurité. Ils répondent ainsi aux préoccupations des Européens, qui se sont montrés unanimes et insistants sur ce point dans les négociations avec les Etats-Unis.
Le Président Paul Quilès a alors fait remarquer que les propos du Ministre confirmaient que la préparation du Sommet de Washington avait retardé d'un mois les négociations tendant à transposer dans une résolution du Conseil de sécurité les modalités du règlement de la crise du Kosovo, en raison de l'attitude des Etats-Unis qui ont souhaité faire de cette crise un précédent autorisant désormais l'Alliance à s'affranchir de l'autorité de l'ONU, et non un cas particulier. Il a estimé qu'il aurait fallu, dans ces conditions, reporter, comme il l'avait alors demandé, le Sommet de l'Alliance atlantique.
M. Hubert Védrine a rappelé qu'aucun membre de l'Alliance atlantique n'avait envisagé que le Sommet du 50ème anniversaire n'ait pas lieu et a estimé qu'on ne pouvait pas attribuer aux seuls négociateurs américains le retard pris dans l'élaboration d'une résolution du Conseil de sécurité fixant les modalités du règlement de la crise du Kosovo. La voie qui mène à cette résolution est en effet hérissée d'obstacles : une fois que le retour des Russes a été acquis, il a fallu affronter les conséquences du bombardement de l'Ambassade de Chine à Belgrade.
Le Ministre a également apporté les éléments de réponse suivants :
- le Président Eltsine garde d'importantes capacités d'initiatives qui lui ont permis d'arrêter la procédure de destitution engagée par la Douma et la situation intérieure en Russie n'a actuellement pas de conséquences sur l'évolution de la crise du Kosovo ;
- les discussions entre pays européens sur la reconstruction du Kosovo seront engagées dès qu'une décision aura été prise sur la nature de l'autorité civile qui administrera la province. Il est impossible de laisser le Kosovo sous administration serbe en raison des risques de conflit qui en résulteraient. C'est pourquoi il sera nécessaire qu'une autorité civile internationale administre la province de manière transitoire avant qu'elle n'accède à un nouveau statut d'autonomie ;
La marge de man_uvre de la France par rapport à l'OTAN n'est ni plus ni moins grande qu'avant. Le conflit du Kosovo ne s'est traduit ni par un progrès mécanique, ni par un recul en ce domaine.
Le Président Djukanovic a fait une forte impression sur les Ministres des Affaires étrangères des Quinze. Il a tenu à remercier les Européens pour leur soutien, qui a eu un grand impact sur la population du Monténégro. Il est apparu comme un homme fort, courageux et mesuré et a sans doute un avenir dans l'ensemble de la Yougoslavie. Il s'est prononcé clairement contre l'indépendance du Kosovo et en faveur des principes retenus par le G 8. Il comprend qu'il était nécessaire de donner un coup d'arrêt à la politique de Milosevic mais souligne que les frappes ont des effets pervers.
Il n'a pas été possible d'associer le Conseil de sécurité à l'action des Alliés plus tôt. L'adoption de la résolution sur le Kosovo est une course d'obstacles qui obéit à un processus séquentiel obligé. Son contenu devra reprendre les cinq conditions des Alliés. Puis il faudra convaincre la Russie de la voter, si nécessaire, sans l'accord de Belgrade. Un blocage n'est cependant pas exclu.
La Commission a entendu, le 9 juin 1999, M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur la crise du Kosovo.
M. Alain Richard a souligné que la phase actuelle des négociations comportait la discussion au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies d'une base juridique pour la présence de la force internationale au Kosovo, la signature d'un accord technique militaire pour déterminer comment les forces yougoslaves appliqueront l'accord politique et la mise en _uvre de la vérification de leur retrait. De la clarté et de la fermeté des décisions dépendra le retour des réfugiés dans la province du Kosovo.
Il a indiqué que la résolution en cours de discussion au sein du Conseil de sécurité définirait de manière claire les missions de la présence internationale de sécurité consistant à dissuader tout conflit armé, à maintenir le cessez-le-feu, à empêcher le retour au Kosovo de forces paramilitaires et à démilitariser les groupes armés dont l'UCK. Des relations informelles ont permis de ne pas rompre le contact, à présent repris avec les autorités militaires yougoslaves. Sous l'autorité du Général britannique Michael Jackson, le Général Bruno Cuche participera à l'organisation du retrait des forces de la République fédérale de Yougoslavie (RFY).
Le Ministre de la Défense a fait observer que plusieurs difficultés subsistaient : l'articulation des forces nationales de la KFOR et l'insertion de la contribution russe, la nécessité d'éviter toute discontinuité dans le déploiement territorial de la force internationale, le contrôle du retrait effectif des forces de la RFY et la définition de zones tampons aérienne et au sol, au sud de la Serbie. Il a indiqué que, malgré les contre-propositions yougoslaves, de nombreuses divergences techniques demeuraient, rappelant qu'à l'initiative de la France, appuyée notamment par le Royaume-Uni au sein du G8, on envisageait une synchronisation de l'adoption de la résolution du Conseil de sécurité, de la conclusion de l'accord technique militaire et du début de sa mise en _uvre ainsi que de l'arrêt des opérations militaires. En attendant que l'accord militaire soit signé et que l'arrêt des activités militaires yougoslaves soit constaté, les moyens aériens engagés par l'OTAN ne visent que les forces de la RFY engagées dans des actions offensives.
M. Alain Richard a souligné les risques pour les personnels français de la KFOR liés aux mines et aux piégeages comme aux actions non contrôlées de groupes militaires ou paramilitaires encore sur place. Il a également relevé des risques d'interposition dans un conflit entre Serbes et Kosovars et s'est inquiété d'une éventualité aux conséquences humanitaires préoccupantes où les réfugiés souhaiteraient rejoindre immédiatement leurs villages ou leurs villes dans le sillage de la force internationale.
Le Ministre de la Défense a indiqué que les effectifs français qui feront partie de la force internationale s'établiraient globalement à près de 7 000 hommes et a précisé que la brigade déployée dans la zone de responsabilité française, sous l'autorité du Général Cuche, intégrerait des détachements danois, belge et émirati. La France sera présente dans le premier échelon et assurera un rôle de nation pilote dans la partie nord du Kosovo. Des discussions ont lieu pour que la France occupe dans l'état-major de la KFOR, issu de celui du corps de réaction rapide de l'OTAN en Europe (ARRC), une position en cohérence avec sa contribution.
En réponse à une question du Président Paul Quilès sur les modalités d'association de la Russie à la force internationale, M. Alain Richard a fait observer que l'appareil diplomatique et militaire russe reprenait le contrôle des décisions. Il a indiqué que la Russie aurait souhaité obtenir une zone d'intervention à part entière, sans subordination au commandement allié.
L'Alliance atlantique n'a pas été expressément mentionnée dans le projet de résolution accepté par le G8. Mais dans son annexe, il est admis que le commandement de la force internationale sera issu de l'ARRC. Les Etats-Unis ont proposé à la Russie un secteur commun, américano-russe, où des généraux russes disposeraient de postes de commandement. Enfin, une fonction de contrôle politico-stratégique pourrait être confiée, à la demande de la Russie, au Conseil conjoint permanent OTAN/Russie.
Le Président Paul Quilès a demandé si la mission de la KFOR consisterait à démilitariser ou à désarmer l'UCK et quelle autorité déciderait des règles d'engagement de la force et d'ouverture du feu. Évoquant le montant annuel de 3,5 à 4 milliards de francs annoncé par le Ministre de la Défense pour les surcoûts liés à la participation française au conflit du Kosovo, il a souhaité avoir des précisions sur les éléments constitutifs de ces surcoûts. Enfin, il s'est interrogé sur le caractère exceptionnel de l'engagement de nos forces dans le cadre de la crise du Kosovo et sur les conséquences qui pourraient en résulter pour l'abondement des crédits de la défense dans la prochaine loi de finances rectificative.
M. Arthur Paecht s'est inquiété de savoir quel était le contenu de la notion de démilitarisation de l'UCK et si elle équivalait à une simple évacuation de la province par ses éléments armés.
Le Ministre de la Défense a apporté les éléments de réponse suivants :
- le ministère des Affaires étrangères a travaillé en liaison étroite avec la Défense ; le texte de la résolution est de ce fait d'une grande pertinence opérationnelle. Le projet de résolution du Conseil de sécurité élaboré par le G8 prévoit la démilitarisation de l'UCK ;
- la mission de la KFOR consistera donc notamment à démilitariser l'UCK. Pour cela, les méthodes qui seront employées sont éprouvées. Ce sont celles qui ont été utilisées en Bosnie-Herzégovine : les personnes qui se présentent comme membres d'organisations militaires sont enregistrées, leur armement répertorié ; des contrôles inopinés ont ensuite régulièrement lieu, pour empêcher la reconstitution d'une force armée. Comme, en pratique, c'est l'armement lourd qui fait la force militaire, c'est cet armement qui sera mis sous contrôle et non l'armement individuel, dont la possession est habituelle au Kosovo, l'action de la KFOR ne pouvant avoir pour conséquence d'en priver les seuls membres de l'UCK ;
- l'UCK a vocation à devenir une organisation politique, même s'il faudra sans doute nombre de mois avant que les opérations nécessaires à la tenue d'élections puissent être organisées ;
- seule la présence internationale de sécurité et non l'OTAN est mentionnée par le projet de résolution. En revanche, l'annexe fait référence au document Ahtisaari-Tchernomyrdine qui lui-même fait référence à l'OTAN. Pour la France, les règles d'engagement sont celles prévues pour la KFOR, c'est-à-dire les mêmes que celles de la SFOR, qui ont donné toute satisfaction et permettent de réagir à toute situation de danger et non pas seulement en cas de légitime défense ;
- les surcoûts liés aux opérations menées dans le cadre de la crise du Kosovo peuvent déjà être évalués à 400 millions de francs environ en moyenne pour chacun des deux premiers mois, auxquels s'ajoutent entre 100 et 200 millions de francs pour le premier trimestre. D'ici la fin du mois de juin, le dispositif français au sol aura doublé. Il sera composé de 6 000 à 7 000 militaires, et comportera des matériels lourds. Les surcoûts jusqu'à la fin de l'exercice budgétaire représenteront en conséquence un total sur l'année compris entre 3,5 et 4 milliards de francs, sachant que les surcoûts prévus au titre des autres opérations extérieures pour 1999 sont d'un peu moins de 2 milliards de francs, compte tenu de la réforme du système de rémunération des personnels militaires à l'étranger et de l'allégement du dispositif français en Afrique.
M. Pierre Lellouche a demandé si, comme il ressortait des annexes au projet de résolution élaboré par le G8, l'opération de déploiement de la force internationale de sécurité au Kosovo serait bien menée par l'OTAN.
Il s'est ensuite interrogé sur l'effectif de la force militaire yougoslave qui, aux termes de la résolution, pourrait revenir au Kosovo, notamment à ses frontières.
Le Président Paul Quilès s'est interrogé sur le délai qui serait donné aux forces de la RFY pour quitter le Kosovo, et sur la sincérité de la partie yougoslave lorsqu'elle prétendait ne pas pouvoir respecter un délai de sept jours.
Le Ministre de la Défense a apporté les réponses suivantes :
- la situation présentée par M. Pierre Lellouche est conforme à la réalité et correspond à la position de la France, qui était, depuis l'origine, d'accord pour que la force de sécurité soit sous commandement de l'OTAN ;
- les propositions des émissaires européen et russe, Ahtisaari et Tchernomyrdine, annexées aux projet de résolution du G8 prévoient une présence des forces serbes aux frontières et sur les sites du patrimoine serbe. Il précise que ces forces seront peu nombreuses (des centaines et non des milliers) ;
- la demande de délai formulée par les forces de la RFY pour quitter le Kosovo repose sur des éléments de fait : les réelles destructions infligées par l'Alliance rendent difficiles un repli rapide. La demande yougoslave recouvre aussi trois préoccupations plus politiques. D'abord, il est vital pour les autorités de Belgrade de paraître avoir négocié et non capitulé. Ensuite, l'armée de la RFY peut penser qu'il lui sera difficile de maintenir ou de reconstituer son potentiel ; elle souhaite donc garder le plus de matériels possible, y compris des équipements endommagés, dans l'idée de les réparer, ce qui la conduit à demander un allongement du temps dont elle pourra disposer pour évacuer le Kosovo. Enfin, un délai plus long peut aussi être mis à profit pour détruire les preuves de meurtres et d'exactions. Au total, la partie yougoslave a demandé un délai de 14 jours.
M. Pierre Lellouche évoquant les hypothèses qui avaient été formulées quant à la durée pendant laquelle la force internationale de sécurité devrait être maintenue, et faisant remarquer qu'une longue présence pourrait à terme obérer le budget du ministère de la Défense, M. Alain Richard a jugé qu'il était impossible, à l'heure actuelle, de formuler quelque prévision que ce soit en ce domaine.
M. Pierre Lellouche s'est alors interrogé sur la façon dont serait assuré au Kosovo le maintien de l'ordre, après avoir rappelé que cette tâche n'entrait pas dans les missions des forces armées. Il s'est également inquiété de la coordination des processus de déploiement de la force militaire et d'installation de l'administration civile provisoire et a demandé quelle serait la nature de cette administration.
Le Ministre de la Défense a répondu que la KFOR ne participerait au maintien de l'ordre qu'à titre transitoire. Cette tâche sera assurée ensuite par une police locale qui devra être mise en place, et, en période intérimaire, par une force de police internationale, à laquelle la France, qui intervient déjà beaucoup par ailleurs, ne participera pas.
Le Président Paul Quilès a fait remarquer que ce fonctionnement provisoire durerait jusqu'à la mise en place d'une administration locale autonome, à une échéance pour l'instant imprévisible, étant donné la situation de dévastation que connaît le Kosovo.
M. Pierre Lellouche s'est inquiété du rôle de maintien de l'ordre que les forces armées pourraient être contraintes de jouer pendant cette phase provisoire.
Le Ministre de la Défense a indiqué qu'on pourrait s'acheminer vers une solution proche de celle adoptée en Bosnie-Herzégovine : l'assistance internationale contribuerait à former la police, mais sans participation directe au maintien de l'ordre.
M. François Lamy a demandé quelles seraient les règles de collaboration de nos forces avec le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPI) et si les militaires français seraient habilités à rechercher et arrêter les personnes inculpées par ce tribunal. Il s'est aussi interrogé sur les critères qui avaient conduit au découpage des zones de responsabilité nationale et sur les raisons pour lesquelles la zone française se trouvait au nord du Kosovo, à proximité de la Serbie.
Le Ministre de la Défense a indiqué que le découpage s'était fait à l'amiable et qu'il n'y avait pas de secteur facile. Les forces françaises seront déployées dans le nord à proximité de la Serbie et des forces yougoslaves.
Par ailleurs, le Ministre de la Défense a précisé que le projet de résolution élaboré par le G8 prévoyait que la KFOR devrait assister et soutenir le TPI, selon des modalités à définir. Dans ce domaine, le mandat de la KFOR devrait être assez proche de celui de la SFOR en Bosnie-Herzégovine. Il a toutefois fait remarquer qu'il y avait peu de risques pour que ce soit au Kosovo que se cachent les criminels de guerre.
M. Pierre-André Wiltzer a demandé au Ministre de la Défense si les 6 à 7 000 soldats français qui seront envoyés au Kosovo représentaient l'ensemble de nos troupes présentes dans la région ou si d'autres seraient stationnées à l'extérieur du territoire kosovar.
Le Ministre de la Défense lui a répondu qu'à l'exception de quelques personnels qui resteront probablement en Macédoine et en Albanie, les 6 à 7 000 soldats français évoqués correspondaient aux forces qui seront positionnées au Kosovo.
Il a indiqué que la périodicité de la relève resterait fixée à quatre mois, ce qui permettrait de démontrer la capacité de nos armées à maîtriser dans la durée le niveau de présence qui leur était assigné.
Faisant référence aux méthodes britanniques, M. Guy-Michel Chauveau a demandé si, comme le font nos alliés d'outre-Manche, le matériel serait également relevé ou si la relève ne concernerait que les personnels.
M. Jean Briane a interrogé le Ministre de la Défense, d'une part sur les difficultés que les zones minées créeront pour le déploiement de la force internationale et, d'autre part, sur la réalité de l'opposition politique à Milosevic en Yougoslavie.
Le Ministre de la Défense lui a confirmé que des mines étaient présentes en grande quantité, tout particulièrement sur les voies d'accès au Kosovo, et que les principaux axes de circulation devraient être déminés en priorité, ce qui pourrait ralentir le déploiement de la KFOR. Il a aussi indiqué que beaucoup de mines antipersonnel avaient été disséminées sur les sites de combat avec l'UCK et que cette situation créait de graves dangers pour la KFOR, mais surtout pour les réfugiés. Il a rappelé que ce problème restait un sujet de friction avec les autorités militaires de la RFY, sur lesquelles l'OTAN fait pression pour que leurs forces contribuent au déminage.
Concernant la situation politique à Belgrade, s'il est erroné de croire que l'action de l'OTAN a soudé le peuple serbe autour de son chef, il est très difficile de se prononcer sur la réalité de l'opposition politique au régime en place, même si des signes de division apparaissent clairement.
M. François Lamy a demandé si le volet militaire du dispositif élaboré par le G8 prévoyait des mesures destinées à garantir la sécurité du Monténégro qui pouvait être menacé d'un coup de force de la part des autorités de Belgrade.
Indiquant que les ministres des Affaires étrangères du G8 avaient eu l'occasion d'aborder cette question, le Ministre de la Défense a relevé plusieurs éléments permettant d'écarter l'hypothèse d'une déstabilisation du pouvoir monténégrin. Tout d'abord, il est fort probable que d'éventuelles tentatives de M. Milosevic de créer de nouvelles tensions aux frontières de la Serbie se heurteraient au contrepoids politique et militaire d'une armée atteinte par sa défaite contre l'Alliance. Par ailleurs, le pouvoir du Président Djukanovic semble avoir été conforté au cours des sept à huit dernières semaines. En outre, à l'instar de l'Albanie et de la Macédoine, le Monténégro fera l'objet de mesures de solidarité de la part de la Communauté internationale. Enfin, les autorités monténégrines ont fait valoir qu'elles pourraient user de leur droit de sécession si le Président Milosevic ne respectait pas leurs prérogatives.
M. René Galy-Dejean a relevé la confirmation par le Ministre de la Défense de la notion « d'opération extérieure exceptionnelle » justifiant un financement spécifique, en supplément des crédits militaires initiaux. Il s'est ensuite interrogé sur la disposition des Russes à s'insérer dans une opération étroitement pilotée par l'OTAN. Il a enfin demandé quelle était la nature de la « zone tampon » prévue par le plan de paix.
Le Ministre de la Défense a répondu que l'association des Russes à l'opération de maintien de la paix menée sous l'égide des Alliés reproduirait pour l'essentiel les arrangements mis au point dans le cadre de la SFOR, ce que les autorités russes paraissent accepter. S'agissant de la « zone tampon », il a précisé que cette dernière ne concernait qu'une partie du territoire de la Serbie au-delà des limites du Kosovo, et non ses frontières avec l'Albanie et la Macédoine, qui devront, dans un premier temps, être contrôlées par la KFOR. La zone tampon en question devrait s'étendre sur une bande de 5 kilomètres au sol, au sein de laquelle toute présence militaire ou paramilitaire yougoslave serait exclue. Belgrade cherche néanmoins à y négocier une présence policière locale ne comprenant pas les forces spéciales du ministère de l'Intérieur. Outre cette « zone tampon » au sol, un espace aérien de sécurité d'une profondeur de 25 kilomètres au-delà des limites du Kosovo serait également institué, ce qui pose le problème des armes antiaériennes, qui devront être interdites dans la zone terrestre correspondante.
Soulignant l'état fortement dégradé des infrastructures du Kosovo, mais considérant que les axes empruntés par la KFOR seront susceptibles de faire l'objet d'une remise en état dans un délai relativement bref par le génie militaire, M. Robert Poujade s'est inquiété des conditions de circulation et donc de retour des réfugiés. Il a demandé à ce propos quels moyens non militaires étaient prévus pour la réparation des infrastructures et le rétablissement du minimum de communications nécessaire à la renaissance d'une vie économique au Kosovo. Relevant par ailleurs que la création d'une police kosovare était envisagée, il s'est également interrogé sur le cadre et les modalités d'exercice d'une justice dans la province.
M. Alain Richard a indiqué que, dans un premier temps, le génie militaire devrait rétablir et sécuriser les voies de communication et ouvrages d'art permettant à la KFOR de se déployer. Dans un second temps, assez rapproché, une campagne d'aide civile à la reconstruction pourra être engagée. Ces deux plans ne constituent pas pour autant deux phases successives, car il est envisageable que le génie doive continuer ses opérations, alors même que les entreprises mandatées par l'Union européenne pour la reconstruction civile du Kosovo commenceront à réaliser leurs travaux. Abordant l'exercice de la fonction judiciaire au Kosovo, il a précisé que le point 11-i du projet de résolution soumis par le G8 au Conseil de sécurité de l'ONU et relatif au maintien de la loi et de l'ordre civils englobait cet aspect important du règlement de la crise.
M. Robert Poujade a souhaité obtenir des précisions sur la nomination par l'ONU d'une personnalité pour la reconstruction du Kosovo et sur la mission exacte qui pourrait lui être confiée.
Le Ministre de la Défense a indiqué qu'aux termes du projet de résolution adopté par le G8, le Secrétaire général de l'ONU nommera un représentant spécial qui contrôlera la mise en place de la présence civile internationale au Kosovo. Néanmoins, la France a proposé que l'Union européenne prenne à sa charge l'administration provisoire du Kosovo, en coopération étroite avec l'OSCE.
M. Didier Boulaud, Président, observant que la zone de déploiement prévue pour le contingent français de la KFOR au Kosovo comptait à l'heure actuelle deux poches importantes de résistance de l'UCK aux forces armées serbes, a alors souligné que la participation de la
La Commission de la Défense nationale et des Forces armées et la Commission des Affaires étrangères ont procédé, le 22 juin 1999, à l'audition de M. Hubert Védrine, Ministre des Affaires étrangères.
Se félicitant du retour de la paix au Kosovo, dans un cadre de légitimité internationale satisfaisant sous l'égide de l'ONU, le Président Paul Quilès a souhaité recueillir l'analyse du Ministre des Affaires étrangères sur les difficultés rencontrées dans la préservation de cette paix. Il a également demandé quelles sont les conditions susceptibles de la rendre durable.
Le Ministre des Affaires étrangères a indiqué que la construction de la paix au Kosovo, si elle constitue une phase nouvelle, ne doit pas conduire les Alliés à relâcher leur effort. L'unité des Européens, des Alliés et même des membres du G8 est tout autant nécessaire aujourd'hui, dans la mesure où l'hypothèse d'affrontements ne peut être exclue. Dans un tel contexte, la KFOR est seule à même d'assurer une coexistence des populations d'origines différentes dans l'attente de la mise en place des institutions prévues pour le Kosovo, ce qui constitue le c_ur du projet des Alliés et des Russes, même si certaines divergences se sont exprimées au sujet des moyens d'y parvenir. A cet égard, le Ministre a précisé qu'en évitant d'attribuer la responsabilité exclusive d'un secteur aux Russes, les accords relatifs aux modalités de leur participation à la KFOR ont permis de préserver l'unité de la politique de sécurité au Kosovo. Désormais, la principale difficulté reste la démilitarisation de l'UCK, laquelle implique une dissolution des structures militaires et le retrait des armes lourdes.
Au delà du problème sécuritaire, la mise en place d'une administration civile est également cruciale. Par ailleurs, l'Union européenne a proposé trois noms au Secrétaire général de l'ONU : Mme Bonino, MM. Ashdown et Kouchner. M. Vieira de Mello, un homme de très grande valeur, a été nommé à titre intérimaire. Cela était nécessaire puisque le représentant du Secrétaire général de l'ONU doit organiser au plus vite les structures de police de la province sur la base des contributions de la communauté internationale. Parallèlement, le HCR devra superviser le retour des réfugiés, alors que l'OSCE sera responsable du processus politique et électoral et que l'Union européenne pilotera la reconstruction économique.
S'agissant du statut du Kosovo, le Ministre des Affaires étrangères a rappelé que la communauté internationale a pris position sur un statut d'autonomie substantielle. Ni les Accords de Rambouillet, ni aucun autre texte ne prévoient de référendum sur l'indépendance. Par ailleurs, aucun échéancier précis n'a été fixé pour la mise en place des institutions et le déroulement des élections, qui relèveront d'une évaluation pragmatique du Secrétaire général de l'ONU.
Néanmoins, beaucoup dépend désormais de l'évolution intérieure de la Serbie. Aussi, les Alliés s'interrogent-ils sur les moyens de favoriser un changement en Yougoslavie. A cet égard, le rétablissement d'une situation plus favorable au Kosovo, une stabilisation du Monténégro et le pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est, conjugués à la reconstruction de certains équipements, pourraient amener le peuple serbe à s'interroger sur ses errements passés.
La souveraineté yougoslave sur le Kosovo n'est aucunement remise en question par la résolution 1244 du Conseil de Sécurité, même si elle est actuellement mise entre parenthèses à cause de la politique du Président Milosevic. A ce titre, le déplacement ministériel au Kosovo du 23 juin prévu par MM. Cook, Fischer et Dini, et auquel le Ministre des Affaires étrangères doit prendre part, a fait l'objet d'une notification officielle au Secrétaire général de l'ONU, en application de cette résolution. L'indépendance demeure exclue et la convergence de vues entre l'Europe et les Etats-Unis n'a jamais faibli sur ce point, comme sur de nombreux autres d'ailleurs.
A aucun moment les Américains n'ont imposé leurs idées, même si la supériorité de leur engagement militaire et leur influence au sein de l'OTAN étaient évidentes. Cette unité plus large constitue un acquis pour les Européens qui peuvent prolonger et transposer cette expérience à d'autres sujets les concernant. Certes, l'intervention alliée contre la Yougoslavie au Kosovo a coïncidé avec la finalisation du nouveau concept stratégique de l'OTAN au cours de laquelle les Américains, par la voix de Mme Albright, ont cherché à soustraire l'OTAN au cadre des Nations Unies. Pour autant, cette intervention ne constitue pas un précédent validant leur position, le Président de la République et le Premier Ministre français s'étant attachés à démontrer le caractère exceptionnel d'une situation où le recours à la force était devenu nécessaire. Sous leur impulsion, le Conseil de sécurité a retrouvé un rôle important et la résolution 1244 du 10 juin dernier en est la traduction. Mais du succès de l'application de cette dernière dépend pour une large part l'attitude américaine à l'égard de l'ONU pour régler les crises à venir.
Le Président Paul Quilès a souligné que la coordination entre la KFOR et l'administration civile du Kosovo était une question cruciale. Il a fait observer que le point 6 de la résolution 1244 priait le Secrétaire général de donner pour instruction à son représentant spécial chargé de l'administration civile du Kosovo d'agir en étroite coordination avec la KFOR. La question était de savoir comment cette orientation se traduirait concrètement, notamment, si l'administration civile aurait le pouvoir de donner des instructions à la KFOR et comment seraient réglées les éventuelles divergences entre les présences internationales civile et militaire.
M. François Léotard a estimé que la France avait bien joué son rôle et que le Président de la République, tout comme le Gouvernement, avaient pris une position juste et courageuse en décidant que la France participerait à l'action des Alliés. Ceux qui ont critiqué cet engagement ne peuvent que reconnaître, au vu des révélations d'aujourd'hui sur les exactions commises, qu'ils s'étaient trompés. Puis il a demandé au Ministre des Affaires étrangères s'il ne serait pas possible d'élire le plus vite possible au Kosovo des autorités municipales, sans attendre des élections générales. Quels sont les éléments essentiels du projet de pacte de stabilité des Balkans ? A quelle échéance la France envisage-t-elle de rétablir des relations diplomatiques et politiques normales avec la Yougoslavie et ce rétablissement est-il subordonné au départ de Milosevic ?
Les Américains ont-ils reconnu qu'ils avaient pu commettre une erreur à propos du rôle du Conseil de sécurité et sont-ils prêts à en tirer des conclusions s'agissant de l'Irak ?
M. Jean-Bernard Raimond, Président, a demandé à quel accord précis les Russes et les Américains étaient parvenus à propos de l'unification du commandement de la KFOR ? Quel peut être aujourd'hui le rôle des dirigeants du Monténégro qui ont fait preuve d'un grand courage pendant le conflit ? L'analyse faite par M. Brzezinski de l'attitude de la Russie pendant la crise n'est elle pas erronée dans la mesure où les Russes ont largement adhéré aux objectifs des Alliés ?
Après avoir observé que les efforts diplomatiques de la France et de l'Union européenne pour trouver une solution à la crise avaient abouti, M. Alain Juppé a tenu à exprimer, à ce propos, sa satisfaction. Il a ensuite demandé si M. Milosevic était encore en mesure de se maintenir au pouvoir et quel était, à l'heure actuelle, l'état du rapport des forces entre les différentes composantes politiques de la Serbie. Il s'est ensuite interrogé sur le degré réel de détermination de la France, des autres pays européens et des Etats-Unis à se débarrasser de M. Milosevic. Enfin, il a demandé s'il était possible d'établir une ligne de partage claire entre l'aide humanitaire et l'aide à la reconstruction.
M. Didier Boulaud a évoqué la question du retour au Kosovo des Albanais qui se sont réfugiés temporairement en France. Il a pu constater dans sa circonscription que certains réfugiés souhaitaient retourner immédiatement au Kosovo mais que ceux-ci manquaient de moyens pour rentrer au pays. Il a demandé dans quel délai ces personnes pourraient être rapatriées et s'est interrogé sur les moyens que la France entendait consacrer à cette action.
Le Président Paul Quilès a estimé qu'il ne fallait pas s'attendre à ce que les Etats-Unis et l'Union européenne aient le même point de vue à propos de la question de la répartition du coût de la reconstruction du Kosovo. Il ressortait en effet des propos tenus par le Président Clinton que l'Union européenne serait la seule entité à assumer ce coût. Il a souhaité connaître l'opinion du Ministre des Affaires étrangères sur cette question et savoir si le coût de la reconstruction pouvait être évalué.
M. François Léotard, après avoir exposé qu'il avait rencontré récemment Mme Arbour et que celle-ci souhaitait une plus grande implication de la France dans les travaux du Tribunal pénal international, s'est interrogé sur l'importance de la participation française au bon fonctionnement du tribunal de La Haye. La France envisage-t-elle de mettre des policiers à la disposition de ce tribunal ? Il a également souhaité savoir si le prochain président du Tribunal pénal international pouvait être un Français.
Le Ministre des Affaires étrangères a répondu aux commissaires.
A propos de la coordination entre l'administration civile et la KFOR, seule l'expérience permettra de définir exactement comment doivent se régler les articulations mais chacun est bien conscient qu'il s'agit d'un point fondamental.
Il serait certainement utile que les municipalités soient dotées rapidement de représentants politiques. Il est probable que le représentant spécial provisoire s'emploie déjà à trouver des interlocuteurs à ce niveau.
Le déploiement de la KFOR se déroule dans de bonnes conditions.
Le projet de pacte de stabilité pour les Balkans procède d'une approche globale, plus large que le pacte de stabilité mis en _uvre pour l'Europe centrale et orientale. Il comporte une dimension de sécurité mais aussi des dispositions sur la démocratisation, la reconstruction et le développement. La présidence allemande de l'Union européenne a fait un travail de synthèse remarquable à partir des nombreux projets présentés dans le passé.
C'est Belgrade qui a pris l'initiative de rompre ses relations diplomatiques avec certains pays européens. Pour le moment, ces derniers n'ont pas tranché sous quelles conditions ces relations pourraient être rétablies, mais travaillent à la définition d'une position commune.
Les Etats-Unis sont plus que jamais conscients de leur puissance et convaincus de leur rôle providentiel pour de nombreux pays qui les exhortent à l'assumer. Dans leur esprit, le Conseil de sécurité est un relais parmi d'autres dont ils estiment pouvoir se passer si des risques de blocage existent en son sein.
Comme nous le préconisions, les négociations achevées à Helsinki ont abouti à l'association de la Russie à tous les niveaux de commandement de la KFOR, tout en préservant l'unité de celle-ci.
Les dirigeants du Monténégro ont été courageux au cours du conflit et ont d'ailleurs apprécié le soutien que les Alliés leur ont apporté. Cet appui continue aujourd'hui dans le respect de la souveraineté yougoslave et sans inciter cette république à l'indépendance. Il convient de souligner par ailleurs que le Monténégro est hostile à l'indépendance du Kosovo, tout comme à l'octroi à cette province d'un statut de république autonome.
M. Brzezinski estime en effet que la Russie doit faire l'objet d'une vigilance implacable. Il a été de ceux qui ont critiqué Madeleine Albright pour sa mollesse supposée. Dans ses analyses, il regrette que les Etats-Unis n'aient pu imposer leurs vues s'agissant des relations entre l'OTAN et le Conseil de la sécurité. Il ne tient pas compte du fait que la Russie, au-delà de certaines déclarations, a toujours pris de bonnes décisions dans cette crise.
S'agissant de l'aide à la reconstruction et de l'aide humanitaire, les pays du G8 font preuve d'une réelle unité de vues. La position de ces pays est la suivante : tant que M. Milosevic restera au pouvoir, la Serbie pourra bénéficier de l'aide humanitaire mais elle ne pourra prétendre à une aide économique pour assurer son développement. L'aide susceptible d'être versée au titre de la reconstruction fera l'objet de décisions au cas par cas. Il est difficile de différencier l'aide humanitaire de l'aide à la reconstruction car cette dernière, sous certains aspects, a une dimension humanitaire, notamment pour tout ce qui touche au chauffage et à la distribution de l'eau. En ce qui concerne la reconstruction des ponts, le Président des Etats-Unis affiche à ce sujet une hostilité de principe tandis que les pays de la région du Danube, tels que l'Autriche, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie, se montrent plus réceptifs à une action dans ce domaine, pour des raisons économiques évidentes.
S'agissant de l'avenir politique de M. Milosevic, il est très difficile de faire de la prospective dans ce domaine. Une réflexion a été entamée au sein de l'Alliance sur l'impact psychologique de l'aide sur une population dont le sentiment national a été humilié. L'évolution politique de la Serbie est conditionnée par plusieurs facteurs. Quelle sera l'attitude de l'armée ? Est-ce que M. Draskovic va tenter un retour sur la scène politique ? Enfin, il convient de rappeler que les médias restent soumis au contrôle du pouvoir politique. Autant les dirigeants des pays occidentaux souhaitent le départ de M. Milosevic, autant ceux-ci s'interrogent sur les moyens à mettre en _uvre pour parvenir à cet objectif. Les Alliés se demandent comment créer un choc politique qui libérerait les Serbes de leur envoûtement nationaliste.
S'agissant du retour au Kosovo des Albanais réfugiés en France, le rapatriement ne peut avoir lieu que si la situation au Kosovo est définitivement stabilisée. Il est donc nécessaire d'attendre la mise en place de l'administration civile internationale. Si M. Vieira de Mello, le représentant spécial de M. Kofi Annan au Kosovo, est déjà sur place, le représentant du HCR n'est pas encore arrivé. Les responsables de cette administration seront à même de fournir les éléments d'information qui permettront d'organiser de la meilleure façon possible le rapatriement des Kosovars.
S'agissant de la prise en charge de la reconstruction, il existe des divergences entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Le Président des Etats-Unis a déclaré que l'Europe devait assumer la majeure partie du coût de la reconstruction car les Etats-Unis ont été les principaux contributeurs de l'effort de guerre. Le Ministre des Affaires étrangères a rappelé qu'il avait répondu que l'Europe n'était pas "une machine à sous". L'Union européenne a joué un rôle considérable sur tous les plans et c'est pour cette raison qu'il est normal que l'Union européenne soit active dans l'administration civile internationale. Quant au coût effectif de la reconstruction, il n'est pas encore possible de le chiffrer.
L'aide apportée par la France au Tribunal pénal international est considérable ; elle concerne l'équipement des salles, l'archivage, les moyens de traduction, mais aussi le concours actif aux enquêtes et au recueil des témoignages. Tous les pays sont appelés à contribuer dans ce domaine.
La Commission de la Défense nationale et des Forces armées a procédé, le 29 juin 1999, à l'audition de M. Alain Richard, Ministre de la Défense, sur la crise du Kosovo.
En préalable à son exposé sur la mise en place de la force internationale de sécurité au Kosovo, le Ministre de la Défense a fait état de l'initiative qu'il avait prise d'engager un débat sur l'évaluation de l'action militaire menée par la France. Il a estimé tout à fait légitime que ce débat soit enrichi par l'apport d'autres enceintes, et notamment du Parlement, dont les initiatives, concertées si possible avec le Gouvernement, pourraient, le cas échéant déboucher sur des critiques, mais aussi conduire utilement à des propositions.
Il a, par ailleurs, rappelé que, si toute opération menée au sein d'une coalition vise à atteindre l'objectif militaire qu'elle s'est fixé, elle traduit également le souci de chacun des pays qui y participent de faire la démonstration auprès de ses alliés, de sa capacité à assurer sa mission. Il s'agit là d'un comportement légitime à condition de ne pas tomber dans la surenchère. A cet égard, il a jugé que la France, qui occupe dans l'OTAN une position originale et stimulante, a montré qu'elle était en mesure de tenir toute sa place.
Abordant ensuite la question de la structure de la force internationale de sécurité au Kosovo, il a rappelé que, même s'il existe une volonté de construire une identité de défense proprement européenne, l'Alliance atlantique est de fait actuellement le seul outil militaire multinational disposant en Europe d'une ligne de commandement unifiée et homogène. Il a ajouté que la mission, la composition et l'organisation de la KFOR s'inscrivaient dans une des possibilités proposées par le texte de base élaboré sous la présidence de la Grande-Bretagne et de la France à Rambouillet, au mois de janvier 1999, et actualisé depuis. L'influence européenne dans la constitution de la force a donc été déterminante, quel qu'ait pu être le droit de regard exercé par les Etats-Unis. Il a indiqué que si, au terme du déploiement de la force internationale de sécurité, les cinq pays initiateurs de la KFOR - Grande-Bretagne, Etats-Unis, France, Allemagne, Italie - en représenteraient 60 % des effectifs, ils en formaient, pour l'heure, la quasi-totalité, les autres pays alliés n'étant pas en mesure de déployer leurs contingents à brefs délais. A cet égard, faisant état de l'incapacité de certains alliés européens à déployer un contingent limité avant un mois, malgré un préavis relativement long, M. Alain Richard a souligné l'ampleur des tâches qu'il reste à accomplir pour construire une défense européenne, d'autant plus que, dans le cas présent, les capacités logistiques de la force sont pourtant déjà en place au Kosovo.
Le Ministre de la Défense a ensuite présenté les difficultés rencontrées par la KFOR dans l'accomplissement de sa mission, soulignant d'emblée qu'elles ne représentaient qu'une partie de l'éventail des situations envisagées initialement. A ce titre, il s'est réjoui que le retrait des forces de la République fédérale de Yougoslavie se soit globalement déroulé conformément au calendrier fixé, en raison de la volonté des autorités serbes de s'afficher comme des partenaires militaires appliquant un accord négocié et non comme les signataires d'un acte de capitulation, et de leur souci de préserver le moral de leurs troupes en sauvant tous les matériels qui pouvaient l'être.
Le Ministre de la Défense a alors abordé la question des réfugiés. Il a exposé que les brigades étaient entrées au Kosovo en se préparant à affronter des milliers de situations individuelles d'une extrême détresse; mais que leur intervention avait eu lieu dans des circonstances moins dramatiques. Beaucoup de gens étaient restés cachés chez eux, comme à Gnjilane. En zone rurale, les paysans qui avaient fui dans les montagnes lors du passage des forces serbes s'étaient ensuite organisés pour assurer un fonctionnement minimal de leurs exploitations. De ce fait, les opérations de distribution de rations et les déploiements d'infirmeries de campagne ont été moins nombreux que prévus.
Il a ajouté que la KFOR avait aussi été confrontée à un certain nombre d'actions désespérées menées par des Serbes, soldats de l'armée régulière, membres de forces paramilitaires ou encore simples résidents, qui accompagnaient leur départ de destructions ou d'actes d'agression. Face à ces exactions, auxquelles elle s'attendait, la KFOR avait eu pour premier objectif de protéger et sauver des vies humaines. La force de 23 000 militaires déployés assure d'ores et déjà une présence militaire suffisante dans les zones les plus peuplées : à Kosovska Mitrovica, la brigade française assure la présence d'un groupe, c'est-à-dire d'un tiers de section, par pâté de maisons, soit un quadrillage assez dense. Dans les villages, en revanche, où la KFOR prend possession du terrain pied à pied, des événements comme le déclenchement d'incendies peuvent plus facilement survenir, le système de sécurité civile étant par ailleurs d'une efficacité médiocre. L'achèvement du contrôle de l'espace par la KFOR devrait permettre de mettre fin à ce type d'exactions.
Le Ministre de la Défense a expliqué aussi que la KFOR devait par ailleurs faire face aux tentations de l'UCK de prendre le contrôle de la situation, la victoire grossissant instantanément ses rangs de renforts nombreux.
Il a ajouté que l'attitude de la brigade française à l'égard de l'UCK ne se comparait pas défavorablement avec celle des forces déployées dans les zones relevant de la responsabilité d'autres pays. Lorsqu'elles se trouvaient à Gnjilane et dans ses environs, les forces françaises ont empêché l'UCK de pénétrer en armes dans les localités. Dans la zone qui leur a été impartie, elles agissent à l'identique, même si ensuite elles entretiennent une coopération institutionnelle avec l'UCK pour l'application des accords passés avec cette organisation.
M. Alain Richard a alors évoqué la situation des populations serbes. Faisant état des regroupements dans certains quartiers ou dans certains villages des Serbes qui ne quittaient pas le Kosovo, il a fait valoir qu'il fallait être conscient des tensions auxquelles pouvaient être confrontées, par exemple, une cinquantaine de familles serbes dans une localité comptant à l'origine quelques milliers d'habitants albanophones et où rentraient des réfugiés qui découvraient l'ampleur des destructions et des agressions commises.
Le Ministre de la Défense a ensuite évoqué la question de la transition entre le déploiement des forces militaires et l'installation de l'administration civile. Il a exposé que la KFOR devait assurer des fonctions civiles comme la logistique du soutien humanitaire ou l'aide à la reprise du fonctionnement des services publics, d'autant que les albanophones avaient été évincés par les Serbes de la gestion des secteurs jugés sensibles, comme le système de distribution d'eau potable.
S'agissant du maintien de l'ordre, il a expliqué que, sur les 3 000 membres de la force de police internationale prévue par l'ONU, 10 % environ étaient désignés. Il a ajouté qu'une difficulté tenait aussi à l'édiction de normes, notamment pénales. À l'heure actuelle, du fait de l'absence de normes préexistantes applicables, chaque brigade applique sa loi nationale. Mais le travail est en cours pour l'établissement de normes transitoires jusqu'au passage à l'autorité de la présence internationale civile de l'ONU.
En conclusion, le Ministre de la Défense a estimé que les conditions dans lesquelles la KFOR accomplissait son rôle paraissaient satisfaisantes eu égard à l'ampleur des difficultés à régler.
Il a aussi précisé que la bonne maîtrise de la situation par la KFOR amenait les réfugiés à revenir de façon massive, et qu'en conséquence on pouvait estimer que les quatre cinquièmes de ceux d'entre eux qui avaient quitté le Kosovo en mars seraient rentrés avant la fin du mois d'août. L'effet de masse produit par ce retour allait cependant maintenir un certain climat de tension entre les communautés quels que soient les efforts déployés pour créer progressivement les conditions de leur vie commune.
Le Président Paul Quilès s'est alors interrogé sur les modalités de la coopération entre la KFOR et l'administration civile provisoire, et notamment sur une éventuelle subordination de la première à la seconde dans certains domaines. Il a également demandé au Ministre quelle était la marge d'autonomie de chacune des composantes de la KFOR relevant des différentes Nations-cadres et si elles faisaient preuve d'une unité satisfaisante dans la conduite des opérations. Il a demandé à ce propos si la brigade française envisageait d'instaurer, si nécessaire, un couvre-feu à l'instar d'autres grands sous-commandements. Il a également exprimé sa préoccupation à l'égard du projet, attribué aux Etats-Unis, d'accepter la transformation de l'UCK en une sorte de garde nationale ou d'en faire le noyau de la future police du territoire. Enfin, il s'est interrogé sur les modalités d'intégration du contingent russe dans la KFOR, en particulier dans la zone de responsabilité française.
Le Ministre de la Défense a apporté les éléments de réponse suivants :
- la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l'ONU distingue clairement les missions de la KFOR de celles de l'administration civile intérimaire, de sorte que le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU ne dispose d'aucune autorité hiérarchique sur le commandant de la KFOR, même s'il est tenu d'entretenir d'étroits rapports de concertation et de coopération avec lui ;
- l'unité de commandement de la KFOR est réelle, elle est assurée par les instructions quotidiennes que le Général Jackson donne aux commandants de brigades qui doivent cependant tenir compte de situations différenciées. S'agissant de la France, elle a exprimé sa préférence pour un secteur qui ne soit pas contigu à l'Albanie. Etant donné la situation de sa zone de responsabilité, le commandement français n'a pas jugé nécessaire d'établir de couvre-feu ;
- dans la philosophie des accords de Rambouillet, l'UCK n'est qu'une composante de la représentation des Kosovars d'origine albanaise. Sa vocation à se transformer en garde nationale, possibilité mentionnée par l'accord qu'elle a passé avec le commandant de la KFOR, ne constitue qu'une perspective politique de long terme, au-delà de la mise en place de la présence civile internationale. En revanche l'accord l'engage de façon immédiate et concrète à accepter sa démilitarisation selon un échéancier précis. L'alternative d'une démilitarisation de force aurait placé la KFOR dans une situation beaucoup plus difficile ;
- le niveau de l'engagement de la Russie dans la KFOR n'est pas encore définitivement connu, l'hypothèse d'un contingent de 3 600 hommes retenue par l'accord passé entre les Ministres russes et américains devant être, selon toute vraisemblance, revue à la baisse. Néanmoins, l'insertion des troupes russes dans la chaîne de commandement de la KFOR est désormais fixée selon un schéma proche du modèle de la SFOR. Les bataillons russes présents au sein des brigades française, allemande et américaine, recevront leurs ordres opérationnels d'un officier russe placé auprès du commandant de ces brigades dont il sera en pratique l'adjoint et dont il appliquera les instructions. Toutefois, par souci de cohérence, une compagnie de la Nation-cadre sera présente au sein des bataillons russes. Le commandant de la brigade disposera ainsi d'un point d'appui lui permettant d'assurer la continuité de la chaîne de commandement de la KFOR en toutes circonstances.
Préalablement à ses observations relatives à la crise du Kosovo, M. René Galy-Dejean a souhaité déclarer que les conditions d'examen en séance publique du projet de loi relatif à l'organisation des réserves et du service de défense ne lui paraissaient pas convenables. Ce texte, qui constitue le troisième pilier de la professionnalisation des armées, méritait à ce titre plus qu'une « séance balai » de fin de session.
Le Ministre de la Défense a observé que le calendrier de la session parlementaire pouvait rendre difficile l'examen d'un certain nombre de projets de loi présentés par le Gouvernement.
Le Président Paul Quilès et M. Didier Boulaud ont relevé que le groupe RPR n'avait pas pris position contre l'inscription de l'examen du projet de loi sur les réserves à l'ordre du jour de la séance du 30 juin.
M. René Galy-Dejean s'est alors félicité de l'émergence, au cours de la crise du Kosovo, d'une démarche européenne autonome, aussi bien vis-à-vis des Etats-Unis que de la Russie. Il a demandé quelles mesures le Gouvernement avait l'intention de prendre pour mieux manifester la réalité de cette démarche autonome.
M. Pierre-André Wiltzer, s'inquiétant des difficultés dues notamment à la contiguïté avec le territoire de la Serbie proprement dite du secteur placé sous la responsabilité de la France, s'est demandé s'il ne serait pas souhaitable d'augmenter les effectifs de la brigade française et si ce renforcement était matériellement possible.
M. Guy-Michel Chauveau a questionné le Ministre sur la réflexion stratégique qu'il convenait d'engager sur la base des enseignements du conflit. Il a estimé nécessaire de tirer les conséquences, pour la programmation militaire, de cette réflexion, dont la dimension européenne lui est apparue essentielle. Il a demandé s'il n'était pas opportun, dans ce contexte, de tenir compte des travaux de la commission qui, en Allemagne, est chargée de proposer un modèle de défense répondant à la nouvelle situation stratégique.
M. Charles Cova s'est interrogé sur la gravité de la menace constituée par les mines au Kosovo, malgré la mort des deux militaires britanniques qui en ont été victimes. Il s'est enquis, dans ces conditions, du rôle du 17è RGP de Montauban. Il s'est également demandé si l'effectif de trois mille hommes prévu pour la force de police internationale serait suffisant.
M. François Lamy a interrogé le Ministre sur la découverte, par les troupes de la KFOR, de documents planifiant les massacres et l'épuration ethnique au Kosovo. Il a demandé s'il était concevable que le contingent russe soit déployé dans des zones majoritairement peuplées de Serbes. Enfin, il s'est interrogé sur la nature des forces de police envoyées au Kosovo, se demandant si une priorité ne devait pas être accordée aux éléments spécialisés dans le maintien de l'ordre, comme la gendarmerie mobile.
M. Jean-Noël Kerdraon a questionné le Ministre sur les raisons pour lesquelles le contingent britannique était de loin le plus important au Kosovo, largement devant les autres pays, dont la France. Il s'est également enquis du coût total des opérations militaires menées dans le cadre de la crise du Kosovo pour l'année 1999.
M. Bernard Grasset a demandé quelle serait la provenance géographique des trois mille policiers qu'il est prévu d'envoyer au Kosovo et quelles seraient leurs missions, notamment en ce qui concerne les enquêtes relatives aux charniers dont il a estimé qu'il ne faudrait pas les laisser entièrement au FBI américain.
Mme Martine Lignières-Cassou a interrogé le Ministre sur les raisons des difficultés rencontrées par certains pays européens pour déployer des forces terrestres au Kosovo. Elle a également demandé si les accords de Rambouillet avaient une chance d'être appliqués et si on pourrait éviter une partition de la région.
M. Loïc Bouvard a demandé si le coût des opérations au Kosovo serait imputé sur le budget de la Défense ou sur l'ensemble du budget de la Nation.
Le Ministre de la Défense a apporté les éléments de réponse suivants :
- les "cinq conditions" du règlement du conflit ont été d'abord fixées par les membres du groupe de contact avant d'être reprises par le secrétariat général de l'ONU et d'être adoptées par le Conseil de l'Alliance atlantique mais cette séquence n'a pas été clairement perçue par l'opinion ;
- la brigade française sera complétée par des unités belge, danoise, bulgare et émiratie ainsi que par environ 600 soldats russes. L'effectif d'environ 4 000 soldats français actuellement au Kosovo est inférieur à l'objectif de 7 000 initialement retenu, un contingent important restant en Macédoine mais il faut rappeler que les distances sont au maximum de l'ordre de 100 km d'une extrémité à l'autre de la province ;
- le niveau d'effectif de 53 000 hommes fixé pour la KFOR correspond d'ailleurs aux besoins de la période de crise et de réinstallation des réfugiés. Un niveau moins élevé pourrait être envisagé dans le courant de l'année prochaine, quand les tensions nées du retour des réfugiés se seront réduites ;
- l'Europe de la défense progressera dans la pratique, avec des projets communs comme celui de l'avion de transport futur pour lequel une décision pourrait être prise avant la fin de l'année. Les exercices conjoints dans un cadre européen permettront également de resserrer les liens entre les différentes forces nationales et de renforcer la confiance dans leur capacité d'action commune. Mais il sera nécessaire de concrétiser les décisions du sommet de Cologne et la France présentera des propositions en ce sens ;
- le problème des mines ne doit pas être sous estimé. La plupart d'entre elles ont été signalées car utilisées autour des zones militaires yougoslaves. Ces mines seront traitées méthodiquement car toutes les brigades disposent d'unités de déminage. Le 17ème RGP de la brigade française sera appuyé par une centaine de sapeurs bulgares ;
- il sera nécessaire de répartir les missions de sécurité publique entre la force civile de police sous l'autorité du représentant des Nations Unies et les forces militaires qui conserveront des missions de maintien de l'ordre, qu'elles assureront notamment par des escortes et des patrouilles. Le Secrétaire général de l'ONU a fait une demande portant sur 3 000 policiers mais les réponses des Etats prêts à une contribution ne dépassent pas 400 policiers. La France ne souhaite pas, en règle générale, participer aux forces civiles de police même si, dans le cas présent, elle approuve leur constitution. L'administration provisoire du Kosovo permettra de mettre en place une police locale mais il est encore prématuré de déterminer ses conditions de recrutement ;
- de nombreux éléments montrent qu'il y a eu planification de massacres au Kosovo. Dans leur zone d'intervention, les soldats allemands ont ainsi pu identifier des documents attestant cette planification ;
- il est prévu que les soldats russes affectés à la brigade française soient placés dans une zone albanophone dans laquelle résident peu de Serbes. Dans la négociation menée par les ministres russes et américains, ces derniers se sont efforcés d'éviter que les zones confiées aux forces russes soient contiguës afin d'éviter de créer l'impression que la Russie disposait également d'un secteur de responsabilité, ce qui aurait pu dissuader le retour des réfugiés ;
- l'effectif de soldats britanniques est élevé car le Royaume-Uni souhaite faire la démonstration de sa capacité à piloter une intervention terrestre à dominante européenne ;
- les surcoûts liés aux opérations aériennes et au prédéploiement de 3 000 soldats pour la KFOR représentent près de 1,5 milliard de francs pour le premier semestre de l'année. Le coût d'intervention de la KFOR est estimé à moins de 400 millions de francs par mois, soit un peu plus de 2 milliards pour le second semestre. Au total, la crise risque de représenter pour la France un surcoût de l'ordre de 3,5 milliards de francs pour l'exercice 1999. Ces montants feront l'objet d'arbitrages financiers et seront financés par le collectif budgétaire de fin d'année. Mais ils ne pourront pas être supportés en totalité par le budget de la défense ;
- certains pays européens éprouvent des difficultés à projeter des troupes terrestres rapidement car leurs systèmes de défense ne sont pas adaptés à ce type d'opérations. Contrairement à la France qui, après avoir défini de nouvelles orientations stratégiques dans le Livre Blanc de la Défense de 1994, les a traduites dans la loi de programmation militaire, très peu de pays européens se sont engagés dans une réforme comparable de leurs structures militaires, ce qui explique leurs difficultés à projeter un effectif, pourtant limité, de l'ordre du millier d'hommes ;
- les chances de stabilité au Kosovo sont en tout état de cause plus élevées maintenant qu'il y a six mois même si le retour des réfugiés albanophones crée des tensions et inquiète les populations serbes. Il est difficile d'évaluer si ces populations vont ou non partir. Trois facteurs pourraient favoriser le maintien des populations serbes au Kosovo. La force européenne présente sur le terrain renforce leur sentiment de sécurité ; l'aide financière à la reconstruction du Kosovo est susceptible de créer un environnement économique attractif ; au contraire, la manière dont les réfugiés serbes ont été accueillis en Serbie depuis dix ans est dissuasive. L'objectif politique est bien d'éviter une partition du Kosovo.
IX. - DOCUMENTS CONSULTÉS PAR LE RAPPORTEUR, M. FRANÇOIS LAMY
Les documents cités ci-dessous ont été mis à la disposition du rapporteur de la mission d'information, M. François Lamy, par les ministères des Affaires étrangères et de la Défense. Ils ont été, pour la plupart, consultés sur place, conformément à la demande des ministères concernés, et n'ont donc pas été communiqués aux autres membres de la mission d'information.
Dans le rapport de la mission, il n'a pas été fait état des informations déclassifiées que contenaient ces documents.
Belgrade : année 1998, janvier et février 1999.
Skopje (année 1998), Washington (janvier à mars 99), Bonn (janvier à mars 99), Londres (janvier à mars 99), Moscou (janvier à mars 99), Rome (janvier à mars 99), New York (octobre 98 à février 99).
Diplomatie (avril-juin 1999) ; Londres (mars-juin 1999) ; Bonn (avril-juin 1999) ; Skopje (avril-juin 1999) ; Moscou (avril-juin 1999) ; DFRA New York (avril-juin 1999) ; Washington (avril-juin 1999).
B. SYNTHÈSES ET NOTES DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE
Synthèses quotidiennes du COIA (du 29 mars au 15 août 1999).
Synthèses de la Direction du Renseignement militaire (DRM) (du 12 mars au 15 juin 1999).
Notes de la DAS (du 25 mars au 15 juin 1999).
Notes de la Délégation aux Affaires stratégiques (DAS) (d'octobre 1998 à mi-juin 1999).
Comptes rendus de mission du Général Jean-Patrick GAVIARD et du Contre-amiral Alain COLDEFY.
1 Jean-Michel Boucheron : Kosovo, le prix de la paix ; 1er juillet 1999.
2 Xavier de Villepin : Les premiers enseignements de l'opération « Force alliée » en Yougoslavie ; 30 juin 1999.
3 Ministère de la Défense : Les enseignements du Kosovo, 10 novembre 1999.
4 L'article 1 § 3 du chapitre VIII du projet discuté à Rambouillet renvoyait, dans les trois ans après l'entrée en vigueur de l'accord, à « une conférence internationale chargée de définir un mécanisme pour le règlement définitif du problème du Kosovo, sur la base de la volonté des peuples, l'opinion des autorités concernées et les efforts de chaque partie ».
5 Quelques heures à peine avant l'ouverture officielle des pourparlers, les autorités yougoslaves refusaient toujours d'autoriser les trois membres de l'UCK appartenant à la délégation kosovare albanophone, à quitter Pristina pour la France. Seule la pression diplomatique continue et déterminée du Groupe de contact réussit à infléchir cette attitude.
6 Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe : Kosovo, choses vues et témoignages, 6 décembre 1999.
7 Selon cette procédure, tout État membre de l'OTAN est supposé avoir tacitement donné son accord à une décision dès lors qu'il n'a pas manifesté son objection à cette dernière dans un délai variant selon l'importance de la question.
8 La proportion est ensuite descendue à 70 % à la fin du second mois de bombardements sous le double impact de l'inflexion stratégique donnée par l'OTAN à ses opérations et du relatif épuisement des stocks d'armements de précision (source : Rapport de la Chambre des Représentants du 30 juin 1999).
9 Selon les décomptes des pilotes de l'OTAN, les appareils alliés auraient enregistré 810 tirs de missiles à leur encontre au cours des 78 jours de frappes du conflit.
10 Conférences de presse du Général Jertz, le 1er juin 1999, et du Général Clark, le 4 juin 1999
11 Ce thème avait déjà été développé dans les années trente à travers un plan d'expulsions de masse par des méthodes violentes qui a ensuite revêtu la forme du « plan fer à cheval » (et dont le ministère allemand des Affaires étrangères a révélé le contenu lors du conflit sans pour autant en montrer une quelconque preuve écrite).
13 La moitié étaient des cibles fixes. Le reste était constitué de cibles tactiques.
14 Cet élément ne posait alors pas de problème particulier, la France ayant obtenu, lors du sommet de Washington des 26 et 27 avril, la reconnaissance par les Etats-Unis de la nécessité d'obtenir une résolution du Conseil de sécurité sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies pour permettre à l'OTAN de se déployer au Kosovo.
15 « Cessation immédiate et vérifiable de la violence et de la répression au Kosovo ; retrait du Kosovo des forces militaires, de police et paramilitaires ; déploiement au Kosovo de présences internationales effectives, civiles et de sécurité, endossées et adoptées par les Nations Unies, capables de garantir la réalisation d'objectifs communs ; liberté et sécurité du retour des réfugiés et personnes déplacées ; processus politique menant à la mise en place d'un accord-cadre politique intérimaire comportant une autonomie substantielle pour le Kosovo, qui devra prendre pleinement en compte les accords de Rambouillet et les principes de souveraineté et d'intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie et des autres pays de la région, et de la démilitarisation de l'UCK »
16 Ce Kosovar d'origine albanaise, général de l'armée croate, avait fait preuve d'un talent militaire certain en Krajina lors de l'offensive croato-musulmane de 1995.
17 Son livre intitulé « Il dominio dell'aria » est publié en 1921.
18 D'après les déclarations officielles faites par les autorités yougoslaves durant le conflit, environ 3 300 personnes auraient été tuées, dont 1 500 civils, tandis que plus de 15 000 personnes auraient été blessées. D'après l'OTAN, environ 5 000 membres des forces de sécurité yougoslaves auraient été tués, ce qui donnerait un total de 6 500 morts pendant la guerre.
19 Source : rapport de la Chambre des Représentants du Congrès des Etats-Unis, 30 juin 1999.
20 Par 14 voix pour et une abstention, celle de la Chine.
21 Le paragraphe 5 décidant un tel déploiement, alors que le paragraphe 7 fixe respectivement l'architecture de la force (dont le noyau OTAN n'est pas directement mentionné) et que le paragraphe 9 détermine avec précision l'ensemble de ses missions.
22 Il s'agit d'un document qui se décompose en six articles et deux annexes illustrées par des cartes topographiques et militaires.
23 Quelque 18 500 hommes au premier jour du déploiement, selon l'Alliance Atlantique.
24 Reporters sans frontières, Dossiers et rapports de missions : « Les bavures médiatiques de l'OTAN », p. 7
25 Reporters sans frontières, Dossiers et rapports de missions : « Les bavures médiatiques de l'OTAN », p. 4
26 Les Enseignements du Kosovo, novembre 1999, ministère de la Défense.
27 La réforme des capacités de défense, présentée la première fois en 1998 par le ministre américain de la défense, M. William Cohen, porte sur trois volets : la définition d'une vision opérationnelle commune entre Alliés ; la réforme de la planification de défense et son adaptation aux missions « hors article 5 » ; le renforcement du caractère interopérable des forces armées.
28 Le traité FCE impose de fait une limite à ne pas dépasser dans la mesure où il dispose que la présence d'un contingent de troupes étrangères supérieur à 18 000 hommes sur un théâtre quelconque à des fins de man_uvres militaires permet à toute nation signataire d'effectuer une inspection. Les Russes ont excipé de cette clause par la suite, mais l'OTAN a refusé d'ouvrir l'accès à ses installations militaires.
29 M. François Huwart, député d'Eure-et-Loir (RCV) était membre suppléant jusqu'à la fin de son mandat parlementaire.
- Un calendrier serré et précis de retrait, c'est-à-dire par exemple sept jours pour un retrait total et 48 heures pour un retrait des armements de défense antiaérienne au-delà d'une zone de sécurité mutuelle de 25 kilomètres ;
- Le retour du personnel chargé d'accomplir les quatre tâches susmentionnées s'effectuera sous la supervision de la présence internationale de sécurité et sera limité à un petit nombre de personnes convenu d'avance (des centaines, pas des milliers) ;
- La suspension de l'activité militaire interviendra après le début de retrait vérifiables ;
- La négociation et la conclusion d'un accord militaro-technique n'entraîneront aucune prorogation des délais préalablement fixés pour l'achèvement des retraits.
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