Ministère de la Défense

Rapport Novembre 1999

LES ENSEIGNEMENTS DU KOSOVO

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PLAN

Avant-propos
Introduction
I. Organisation et conduite
II. Capacités des forces
III. Technologie et réactivité industrielle
IV. Cadre juridique
V. Politique d'information et de communication
Annexes
Glossaire

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AVANT-PROPOS

 Le 10 juin dernier, prenait fin la phase aérienne et maritime des opérations qui avaient conduit le 24 mars, les pays de l’Alliance à recourir à la force pour faire appliquer le droit. J’avais souhaité, dès la fin du mois de juin, porter à votre connaissance les premiers enseignements qu’il était possible de tirer de cet engagement.

Réactivité et transparence avaient animé cette première démarche.

Aujourd’hui, au terme d’une réflexion approfondie, j’ai voulu vous informer des premières conclusions de ce dossier. Les premières analyses de juin sont, en grande partie, confirmées. Ce nouveau travail, réalisé avec plus de recul sur l’événement, ouvre des pistes de réflexion et d’action sur l’avenir ; il permettra, en outre, d’apporter un éclairage complémentaire à l’élaboration de la future loi de programmation dont le Premier ministre vient de lancer officiellement le chantier.

La crise du Kosovo a été déterminante pour la prise de conscience européenne. Les enseignements qui en sont tirés sont appelés à nourrir le dossier de la défense européenne qui sera l’un des axes prioritaires de la présidence française de l’Union européenne au deuxième semestre de l’an 2000.

Cette démarche complémentaire est donc marquée par l’approfondissement, l’ouverture vers une construction européenne de plus en plus élaborée et par la volonté d’informer, condition indispensable de la réussite d’une telle entreprise.

C’est une démarche responsable et pragmatique que j’ai souhaité vous faire partager.

Alain Richard
Ministre de la Défense

 

INTRODUCTION

L’intervention au Kosovo a marqué la volonté d’agir de la communauté internationale, dans une crise dont on ne peut occulter le caractère dramatique. Ainsi, pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, les pays européens sont intervenus dans la gestion d'une crise majeure. Ils ont choisi d'agir au Kosovo pour défendre des valeurs communes. Ils l'ont fait avec des moyens déterminants.

Pour ces raisons, la gestion de la crise du Kosovo présente plusieurs motifs de satisfaction pour l’Europe.

La France et le Royaume-Uni ont apporté des contributions majeures tout au long de la campagne aérienne. L'Allemagne fédérale a engagé son aviation de combat pour la première fois. Les autres nations, en particulier celles qui étaient géographiquement les plus impliquées comme l'Italie dont le territoire a été fortement sollicité, ont également joué un rôle important.

Les forces terrestres déployées aujourd'hui au Kosovo sont, comme en Bosnie-Herzégovine, à forte majorité européenne. La France et le Royaume-Uni y occupent une place importante. Le fait que deux autres secteurs aient été placés, l'un sous responsabilité allemande, l'autre sous responsabilité italienne, est un autre élément nouveau dans la gestion des crises en Europe. La KFOR, initialement commandée par un Britannique, est à présent sous les ordres d'un officier allemand. Il est en outre envisagé de proposer la relève ultérieure de l'état-major OTAN actuellement déployé au Kosovo par celui du Corps européen.

La crise du Kosovo a confirmé le bien fondé de nos grands choix de politique de défense. Elle en a validé les options stratégiques, traduites notamment dans la loi de programmation militaire 1997-2002 : la professionnalisation de nos forces ; l'effort porté sur le renseignement ; l'accent mis sur les capacités et les moyens de projection, notamment en termes de commandement. Elle a mis en évidence les progrès réalisés depuis la guerre du Golfe, tant en termes d'aptitude à déployer rapidement un volume de forces suffisant, qu'en termes de capacités particulières dans certains domaines clés : l'appréciation autonome des situations ; la frappe de précision, de jour comme de nuit ; la capacité technique et humaine à s'insérer dans un dispositif interallié dans de bonnes conditions d'interopérabilité. D'une manière générale, il y a lieu d'être satisfait du comportement de nos forces armées, qui, alors qu'elles doivent mener à bien un processus exigeant d'adaptation de leur format et de leur organisation, ont été en mesure de participer pleinement et efficacement au règlement d'une crise majeure.

Les orientations prises depuis 1995 ont ainsi permis à la France de participer de manière significative aux opérations alliées, et ce dans tous les domaines de l'action militaire :

- Dans le domaine aérien, la contribution française s'est située au premier rang des contributions européennes. La participation de notre pays a représenté près de 100 avions (dont 10 ravitailleurs en vol), soit environ 10% du volume global de la coalition. Tout aussi démonstratif est le fait que la France ait été en mesure de participer à la plupart des missions aériennes. Sa contribution a représenté 12% des missions offensives, 21% des missions de reconnaissance, 12% des missions de transport et de soutien.

- Dans le domaine terrestre, la France a participé à toutes les opérations menées par l'OTAN depuis dix-huit mois : la Force d'extraction de la KVM, stationnée en Macédoine, pour laquelle notre pays a joué le rôle de " nation-cadre ", inaugurant ainsi une nouvelle procédure de l'OTAN ; l'opération Abri allié, conçue dans l'urgence par l'Alliance pour secourir les réfugiés en Albanie ; et bien sûr la KFOR, installée au Kosovo et en Macédoine. Au plus fort de la crise, la France a déployé au total sur le théâtre près de 7 000 soldats, auxquels il convient d'ajouter les 3 000 hommes stationnés en Bosnie.

- Dans le domaine naval, la contribution française a été multiple, avec la participation du groupe aéronaval constitué autour du porte-avions Foch, dont les appareils ont conduit de nombreuses missions aériennes, mais aussi de transports de chalands de débarquement, d'un sous-marin nucléaire d'attaque et de frégates antiaériennes. Seul, parmi les Européens, le Royaume-Uni a été en mesure de déployer un dispositif naval aussi complet, articulé autour de capacités sous-marines et aéronavales permettant la maîtrise de l’espace aéromaritime.

- Dans le domaine de la reconnaissance et du renseignement, la France a été le seul Etat européen à mettre en œuvre l'ensemble de la gamme des moyens : satellite d'observation Hélios, avions Mirage-IV et Mirage FICR, radars héliportés, drones, moyens d'écoute électronique. Cette contribution s'est révélée capitale pour assurer notre autonomie de décision et nous permettre de peser sur les choix de l'Alliance.

- La France fut en outre la seule nation européenne à participer avec des moyens aéroportés spécifiques aux opérations de recherche et de sauvetage.

Par ailleurs, la réactivité de notre appareil industriel et de nos centres techniques et d'essai, soumis à une forte demande tout au long de la campagne aérienne, s'est révélée satisfaisante.

Les événements du Kosovo ont conforté notre positionnement au regard de l'Alliance atlantique. Nos partenaires ont reconnu l'importance de notre rôle : ainsi, et pour la première fois, un officier français a été, en septembre 1998, désigné à la tête d'une force de l'OTAN, la Force d'extraction stationnée en Macédoine. Plus généralement, notre positionnement particulier conjugué à l'ampleur de notre contribution militaire nous a permis de peser sur le déroulement des opérations. Ceci a été possible en ce qui concerne tant les orientations stratégiques comme le phasage de l'opération Force alliée - que les choix opérationnels - par exemple, la question des frappes sur le Monténégro.

La France a en outre maintenu, à tout moment, un contrôle politique total sur l’emploi de ses forces.

Deux domaines particuliers, qui ont fait l'objet en 1998 de réformes de structure au sein du ministère de la Défense, méritent également d'être mis en évidence :

- la dimension juridique, d'abord. Celle-ci tient désormais une place essentielle dans notre outil de défense pour la gestion des crises, y compris par la lisibilité qu'elle offre à l'opinion publique. Il s'agit de notre capacité à évaluer rapidement et précisément les aspects juridiques des décisions d'ordre militaire. Le choix des cibles des frappes aériennes au regard de leurs effets sur l'environnement et le respect du droit des personnes dans les opérations de sécurisation et de pacification au Kosovo constituent des exemples parmi d’autres problématiques juridiques complexes que nous avons pu contribuer à éclairer et à résoudre.

- la communication, ensuite. Beaucoup de critiques ont été émises à l'égard de la communication de l'Alliance, et il est vrai que les gouvernements n'avaient peut-être pas suffisamment mesuré, lors du déclenchement des opérations militaires, l'importance de ce domaine. Mais, nous pouvons en revanche être satisfaits, pour l'essentiel, des efforts que nous avons consentis au niveau national et qui nous ont permis de compléter et d’ajuster la communication de l’Alliance.

Des insuffisances ont toutefois été constatées, et des efforts restent à faire. Un exercice d'évaluation et de proposition, conduit depuis le mois de juin dernier par le ministère de la Défense en liaison avec les autres départements intéressés, a permis de mettre en évidence diverses lacunes ou insuffisances et de définir un certain nombre d'orientations en vue d'y porter remède.

Celles-ci concernent des capacités particulières : l’acquisition, l'intégration et l'exploitation du renseignement en temps réel ; le transport tactique ; l'identification des aéronefs ; les systèmes de guidages par satellite ; la frappe de précision ; la capacité de pénétration des défenses antiaériennes et les capacités d'évaluation des dommages.

Pour surmonter ces insuffisances, l'effort doit être porté sur un nombre limité de systèmes et de technologies clairement identifiées : les capteurs tout temps ; l'amélioration des moyens de transmission et de traitement de l'information, notamment dans le domaine spatial ; les moyens de cartographie numérique ; la diversification, la précision et la sécurisation des munitions ; les missiles de croisière, pour lesquels des programmes sont en cours - il s'agit des missiles Scalp et Apache ; la furtivité des aéronefs ; et les drones.

Les travaux d'élaboration de la prochaine loi de programmation militaire qui seront prochainement entrepris au sein du ministère de la Défense tiendront naturellement compte de ces orientations.

Mais notre perspective ne doit pas être seulement nationale. Les leçons du conflit doivent être tirées avec nos partenaires européens, tant au niveau politique que militaire.

Nos partenaires ont pu constater la complexité du processus de décision et d'information de l'Alliance atlantique. Les 19 alliés ont certes solidairement décidé et conduit, au niveau politique, l'engagement de l'OTAN dans la crise. Pour autant, et en dépit de l'impératif, reconnu par tous, d'unicité du commandement, force est de constater qu'une partie des opérations militaires a été conduite par les Etats-Unis en dehors du strict cadre de l'OTAN et de ses procédures. Le commandant en chef de l'opération - le SACEUR- est responsable non seulement devant le Conseil atlantique, mais aussi devant sa hiérarchie nationale au plus haut niveau.

Il est vrai que l'évolution de l'Alliance atlantique n'est pas achevée. Sur cette question aussi, les leçons du conflit devront être tirées. L'adaptation de l'Alliance doit se poursuivre, et déboucher sur une organisation et une répartition des responsabilités qui soient de nature à maintenir le contrat transatlantique tout en prenant acte de la montée en puissance de l'acteur européen. L'OTAN doit être en mesure de gérer des crises sous étroit contrôle politique tout en maintenant sa réactivité et son efficacité militaire.

Les Européens ont aussi pris conscience, de manière peut-être plus nette que par le passé, de leurs déficiences en termes de capacités militaires.

La crise du Kosovo renforce notre détermination à conférer à l'Union européenne l'aptitude à décider, à concevoir et à conduire une opération militaire d'envergure, dans le cadre des missions inscrites, dans le traité d'Amsterdam. L'accord à Quinze sur ces principes, obtenu lors du Sommet de Cologne, constitue à cet égard une étape importante.

L'Europe devra se doter progressivement de capacités stratégiques autonomes notamment en matière de renseignement, de transport, et de commandement. Les conditions d'une mutualisation des efforts européens dans les domaines qui s'y prêtent tout particulièrement, comme le ravitaillement en vol, le transport tactique aérien, voire le transport maritime, doivent être examinées à brefs délais.

Les forces multinationales européennes devront par ailleurs être adaptées. La transformation du Corps européen en force de réaction rapide projetable permettra, le cas échéant, à son état-major de commander une force multinationale de type KFOR.

Les Européens devront également définir en commun des capacités militaires projetables selon un processus de convergence qui doit tenir compte des besoins des différentes nations. Les domaines technologiques prioritaires, les synergies possibles et les partages envisageables devront être identifiés, parallèlement aux travaux engagés au sein de l'OTAN dans le cadre de l'initiative sur les capacités de défense.

C'est à ce prix que l'entreprise militaire européenne sera en mesure, tout en contribuant au renforcement de l'Alliance atlantique, de hisser l'Union européenne au rang de partenaire de premier plan en matière de défense.

 

I. L'ORGANISATION ET LA CONDUITE

Dans ce chapitre est examiné le processus décisionnel, politique et militaire de l'Alliance Atlantique durant la crise du Kosovo, et la place que la France y a tenue.

Sont analysés ensuite les actions militaires liées aux opérations (hors l’engagement terrestre), le soutien des forces françaises engagées et les conditions de l’entraînement des structures françaises de commandement à la gestion de crise.

 

I.1 LES PROCESSUS DECISIONNELS MIS EN ŒUVRE DANS LA CONDUITE POLITICO-MILITAIRE DU CONFLIT

1.1. Le processus décisionnel politico-militaire de l’Alliance a été marqué par une forte prédominance américaine, fondée sur la double chaîne de commandement aboutissant au SACEUR, et sur une véritable supériorité en termes de capacités militaires.

Les procédures de l’OTAN, essentiellement conçues pour un scénario de mise en œuvre de l'article 5 du traité de Washington (défense collective des Etats membres), se sont avérées encore insuffisamment adaptées à la gestion d’une crise lourde de type "non article 5".

En effet, une forte réactivité du processus de décision est nécessaire et, dans le même temps, le consensus des membres de l’Alliance doit être assuré.

Des procédures " ad hoc " ont donc été mises en place.

Le Conseil Atlantique, organe politique suprême, a conservé la gestion directe de la crise, dès le début de la campagne aérienne. Cependant, il s'est heurté à des difficultés liées à son mode de fonctionnement fondé sur le consensus.

La volonté de l'échelon politique de maîtriser en temps réel les opérations, notamment dans le but d’empêcher tout risque d'escalade a conduit à un fonctionnement particulier recentré autour des Ambassadeurs.

Le groupe de coordination des orientations (1) a rempli le rôle de préparation et d'orientation au profit du Conseil. Il a en effet contribué à élaborer des directives politico-militaires pour orienter les travaux de planification ; il a été chargé de donner son avis sur les travaux de planification des autorités militaires.

L’état-major international (EMI) a joué son rôle d’interface politico-militaire entre SHAPE et le Comité militaire, et entre SHAPE et le Conseil. Les chefs d’états-majors des 19 nations concernées étaient ainsi, par la voix de leur représentant militaire, tenus informés en temps réel, des aspects politico-militaires essentiels des différents dossiers.

Pour sa part, SACEUR a constitué un circuit décisionnel, permettant de saisir alternativement :

- le Conseil atlantique pour placer au niveau politique les problèmes opérationnels les plus déterminants ;

- les CEMA par l’intermédiaire des représentants militaires nationaux au comité militaire ou au SHAPE lorsqu’une réponse urgente ou un avis d’expertise précis étaient requis ;

- les autorités américaines.

La complexité des circuits de décision a été augmentée par la dualité des chaînes de commandement ; les officiers généraux responsables de l’engagement pour le compte de l’OTAN, étant également responsables de celles des forces américaines non placées sous commandement de l’OTAN.

 

1.2. L’influence de la France a été favorisée par l’importance et la détermination de notre engagement.

Compte tenu de ces mécanismes de décision, la relation directe entre SACEUR et le CEMA, crédibilisée par cet engagement a, de fait, facilité la coopération et la coordination militaires. Le CEMA a pu partager le contrôle de la conduite des opérations au travers du choix des cibles approuvé au plus haut niveau de l’Etat. La responsabilité des initiatives de SACEUR a été ainsi partagée avec les Etats européens et notamment avec le premier contributeur qui occupait une place originale au sein de l'Alliance. Cette action a été prolongée par la MMF (2) au niveau des trois subordonnés principaux de SACEUR (l’adjoint du Commandant en chef, le chef d'état-major et le directeur des opérations) et par le REPFRANCE (3) au niveau du CAOC.

Par ailleurs, la France s’est attachée à favoriser des consultations à tous les niveaux qui ont permis de faire valoir nos analyses et nos choix politiques, sans jamais remettre en cause la cohésion de l’Alliance. Ainsi, la France a-t-elle pu exercer un véritable contrôle au cours de l’opération.

Cette crise a également démontré que la spécificité de notre position au sein de l’organisation, caractérisée par une participation pleine et entière aux instances décisionnelles de l’Alliance (Conseil atlantique et Comité militaire) et, par le maintien de notre statut hors du système militaire intégré, n’entravait en rien la conduite efficace d’une opération de l’Alliance.

 

1.3. Le processus décisionnel français a été optimisé et a bien fonctionné. Au plus haut niveau de l’Etat, les structures mises en place, - comités (4) et conseils restreints (5) -, caractérisées par la rapidité de leur convocation, ont été confirmées dans leur fonction d'instance de préparation et de prise de décision. Leur institution et leur organisation les apparentent désormais à des comités et conseils de défense, sans pour autant être aussi formalisées dans leurs procédures.

La préparation et la mise en œuvre des décisions intervenues dans ces instances ont fait l'objet de concertations directes entre autorités politiques et militaires, notamment à l'occasion de réunions quotidiennes à l'Hôtel de Matignon et au Ministère de la Défense, ou de réunions périodiques plus larges au Ministère des Affaires étrangères.

Notre capacité de réponse aux "procédures de silence (6)" de l’OTAN s’est révélée essentielle pour participer pleinement au processus de décision de l’Alliance.

Depuis février 1998, l’Alliance a, en effet, engagé de nombreuses planifications sous des formes parfois très élaborées entraînant une multiplication de ce type de procédure sur des sujets très variés (concept opérationnel, règles d’engagement, plans d’opérations, etc.). Ces procédures, souvent très lourdes, sont déclenchées avec des préavis très courts. Elles nécessitent une capacité de réaction permanente en temps réel, sur la base de la coordination des positions de la Défense (cabinet, EMA, DAS, EMIA, DRM, armées, etc.) et du Quai d’Orsay et, lorsque la nature du sujet le nécessite, des services du Premier ministre et de la Présidence de la République.

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1 - "policy coordination group" (PCG).

2 - MMF : Mission Militaire Française.

3 - En fonction des délégations accordées et de l’enjeu des opérations, les décisions étaient prises soit par le REPFRANCE, soit par le S/C Opérations, soit par le CEMA personnellement en liaison avec les autorités politiques.

4 - Les comités restreints, placés sous l’autorité du Premier ministre, réunissent les collaborateurs du Président de la République et du Premier ministre, le Secrétaire général de la Défense nationale, les représentants des ministères des Affaires étrangères et de la Défense.

5 - Les conseils restreints présidés par le Président de la République réunissent le Premier ministre, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense et le chef d’état-major des armées ; ces autorités peuvent être entourées de leurs collaborateurs directs.

6 - La "procédure" de silence consiste à décider qu'un texte soumis aux Etats, membres de l'Alliance, est réputé approuvé si aucun d'entre eux n'a mis d'opposition avant le terme d'un délai fixé par l'organisation.

 

I.2 LE COMMANDEMENT ET LE CONTROLE DES OPERATIONS (HORS ENGAGEMENT TERRESTRE)

Les structures et l’organisation adoptées ont permis de mener une opération multinationale de grande envergure, sans pertes alliées. Un certain nombre de limitations doivent cependant être relevées.

 

2.1. Les opérations aériennes et navales

2.1.1. La coordination de l’ensemble des moyens aériens et spatiaux (provenant d’horizons très divers et géographiquement éloignés) a contribué à la maîtrise de l’information et à la conduite réactive des opérations. Cependant :

- l’objectif politique a été essentiellement exprimé en termes de modes d’action;

- l’analyse méthodique qui permet de définir les buts militaires (qui se déclinent ensuite en termes de cibles) à partir des objectifs politiques, a été lente lors de la phase initiale de la campagne aérienne ;

Au plan national, le suivi et la coordination interarmées, ont été assurés par le centre opérationnel interarmées de l’EMA, pendant toute la durée de la campagne.

 

2.1.2. Les opérations strictement navales ont été conduites sous commandement national. Une bonne coordination des forces a permis de maîtriser l’espace aéro-maritime. L’intégration des aéronefs embarqués français à la campagne aérienne de l’OTAN a été réalisée sans difficulté notable.

 

2.2. Le soutien

Le bilan des opérations de soutien interarmées est positif. Toutefois une réflexion complémentaire mérite d’être engagée sur trois points :

- le soutien et son caractère interarmées seront à l’avenir pris en compte dès la conception d’ensemble de l’opération et dans son exécution ;

- l’expérience montre que nous devons progresser au niveau du soutien multinational d’une opération multinationale : en la matière, l’inter-opérabilité est encore faible et les nations sont réticentes à fournir des unités logistiques dont la visibilité est jugée insuffisante.

- l’organisation logistique du soutien, doit être améliorée et adaptée pour des opérations multinationales de ce type.

 

2.3. Le nécessaire entraînement des structures de commandement :

En matière de préparation à l’engagement, les exercices actuels sont en nombre suffisant et l’effort entrepris sur la qualité, le niveau et le suivi des officiers à entraîner devra être poursuivi en augmentant la participation française aux exercices multinationaux.

 

I.3 PRIORITES - EFFORTS A FOURNIR

Les remarques qui suivent identifient les domaines d’action dans lesquels la France doit encore améliorer ses capacités.

 

3.1. Au niveau de l’administration centrale

Compte tenu de la complexité des opérations, le partage des informations en temps quasi réel est un axe d’effort à privilégier.

 

3.2. Au niveau de la conduite militaire des opérations

Le déroulement de la crise a confirmé un certain nombre de choix déjà effectués :

- acquisition de moyens garantissant en permanence une capacité d'appréciation autonome de situation. Cette aptitude repose à la fois sur la qualité, la diversité et la quantité de capteurs disponibles tout autant que sur l'adéquation des moyens SIC, en prenant en compte deux aspects apparus pendant cette campagne :

• la mise en œuvre de moyens de plus en plus variés ;

• la nécessité de traiter des cibles très mobiles et bien camouflées, ce qui implique une très grande réactivité ;

- capacité à mettre en œuvre un PC de conduite intégrant toutes les composantes nécessaires. Le CEMA doit être doté des outils nécessaires pour assumer ses responsabilités en matière de décision des objectifs à attaquer. Pour ce faire, il convient de créer un véritable "centre de targeting", qui aura un rôle à jouer dans la planification stratégique, puis opérationnelle. Une réflexion est lancée pour en déterminer les structures et les modalités de fonctionnement.

 

3.3. Au niveau de la préparation des structures de commandement

Des améliorations doivent être apportées dans les domaines suivants :

- formation linguistique ;

- instruction et entraînement des officiers devant s'associer aux structures OTAN. a ce titre, la France devrait contribuer au Centre ACSTP (ACE Command and Staff Training Program) en y affectant des personnels d'encadrement et en y envoyant des stagiaires ;

- recours à des outils de simulation nationaux qui doivent à l'avenir constituer la base de tout entraînement de niveau stratégique et opératif.

 

II. LES CAPACITES DES FORCES

Ce chapitre analyse les leçons tirées de la crise du Kosovo du point de vue des capacités des forces, pour ce qui est de la phase aérienne. Certains éléments recueillis depuis l’entrée au Kosovo et qui devront être enrichis jusqu'à la fin de l’opération, complètent d’ores et déjà cette analyse.

Les grandes leçons ont été regroupées par domaine opérationnel : six domaines majeurs ont été identifiés.

 

II.1 INTEROPERABILITE

Le nombre des pays rassemblés dans la coalition a confirmé toute l'importance qu'il convient d’apporter à ce multiplicateur de forces, garantie d’efficacité. Le bon fonctionnement de la coalition a été un signe encourageant pour poursuivre les efforts entrepris.

Son aspect essentiel a été particulièrement relevé dans les domaines des moyens de commandement, d’identification, d’observation et de contrôle de l’espace aérien, comme dans ceux relatifs à la capacité de ravitaillement en vol, ou encore par la capacité d'intégration d'un bâtiment allié dans un dispositif aéronaval français.

Par ailleurs l’importance de l’entraînement interallié, gage de connaissance et de reconnaissance mutuelle aux plans humain, linguistique et opérationnel, a été à nouveau mise en évidence. La bonne maîtrise du fonctionnement des structures multinationales de planification, de coordination et de conduite a fait apparaître le caractère fondamental de l’interopérabilité.

L’interopérabilité dans les domaines de l’organisation, de la doctrine, des équipements et de l’entraînement doit continuer de s'améliorer.

Il est impératif que les systèmes et équipements soient interopérables pour garantir l’efficacité militaire d’une coalition.

 

II.2 CONTROLE, COMMANDEMENT, COMMUNICATION ET RENSEIGNEMENT (C3R)

 

2.1. Maîtrise de l’information

La maîtrise de l’information a été une des clés du succès des opérations. La bonne connaissance du champ de bataille constitue la préoccupation majeure du commandement ; l’accès à l’espace, la multiplication de capteurs tout temps, la permanence de certains vecteurs comme les drones (UAV) au-dessus du théâtre, permettent d’adapter la manœuvre et rendre délicat le développement de la stratégie ennemie.

Pour exercer la responsabilité de nation-cadre, disposer de la maîtrise de l'information en la protégeant de l’adversaire, suppose l'acquisition de capacités de recueil, d'analyse, de partage, de circulation du renseignement, de communication à haut débit, de chiffrement par des modes adoptés par tous.

 

2.2. Moyens d’observation

Même très éloignée de la capacité américaine, la capacité française d’acquisition de données et d’informations, développée depuis la guerre du Golfe, confère autonomie de renseignement, gage du maintien de notre souveraineté et de notre crédibilité au sein d'une coalition.

Les événements du Kosovo ont souligné en ce domaine le bien fondé des besoins opérationnels exprimés pour le modèle 2015 :

- complémentarité des capteurs et des porteurs, pour s’affranchir des contraintes liées aux conditions climatiques et réduire l’efficacité des actions adverses de leurrage,

- réduction des délais entre capteurs et centres de décision ou forces, par l’acquisition de moyens de diffusion et d’exploitation de l’information plus performants.

La pertinence des options retenues pour la construction du modèle d'armée, en matière de complémentarité et de performance des moyens d'observation, se trouve ainsi confortée.

 

2.3. Systèmes d’information, de communication et de commandement (SIC)

L'établissement de liaisons sur le théâtre et vers la métropole a requis l'engagement de moyens satellitaires dont disposent les armées. Ceux-ci ont été utilisés en limite de capacité, compte tenu des débits d'information à traiter (volumes importants sous des délais réduits). Ce point démontre l’importance du programme succèsseur de Syracuse II.

Une certaine interopérabilité a pu être assurée grâce à l'emploi de systèmes identiques à ceux développés au sein de l’OTAN et à des détachements de liaisons entre PC terrestres sur un certain nombre de sites.

La dispersion des unités et des PC, ainsi que l'implication de la France sur plusieurs théâtres d'opérations, ont cependant montré la limite quantitative des moyens nationaux pour gérer des situations aussi complexes.

Le Kosovo a illustré l’importance du système Syracuse et des systèmes de communication tactiques, l’indispensable "interconnectivité" entre les systèmes d’information nationaux et alliés, et la nécessité de bâtir un véritable réseau interarmées de visioconférence.

D'autre part, le besoin de liaison en temps réel entre tous les acteurs implique de préserver et de gérer finement le spectre de fréquences. Ce défi est à relever rapidement.

Les opérations du Kosovo ont mis en évidence les débits actuels limités de nos systèmes de communications ainsi que les difficultés de partage de l'information en temps réel.

Les SIC sont essentiels à la conduite d’une telle opération.

 

2.4. Moyens de renseignement

Dans ce domaine, la permanence et la complémentarité des capacités américaines relativisent nos moyens nationaux. Cependant, la France a pu aligner une panoplie qu’elle est la seule à posséder en Europe. Ainsi, ses moyens satellitaires, aériens (pilotés ou non), ou sa composante d'observation héliportée ont fourni des données de qualité en dépit des limitations dues aux conditions météorologiques défavorables.

En outre, en matière de renseignement stratégique, le Mirage IV P par sa souplesse d'emploi et d’autres vecteurs aériens, ont permis de recueillir des informations précieuses.

En matière d’écoute et d’observation, les moyens techniques ont permis de vérifier les renseignements fournis par d’autres sources.

 

Une capacité tout temps et permanente reposant sur un ensemble de moyens variés, complémentaires, voire redondants ainsi que des outils de diffusion rapide, apparaissent ainsi comme les conditions nécessaires d’une autonomie nationale d’appréciation de situation.

 

II.3 CAPACITE DE DEPLOIEMENT ET MOBILITE

La proximité du théâtre et le fait de disposer de moyens de transport maritime adaptés ont permis à la force aérienne de projection de répondre aux besoins de déploiement, de liaison humanitaire et de soutien des unités de combat.

La flotte aérienne tactique s'est cependant trouvée confrontée à la saturation des aéroports. Cette situation a confirmé le besoin d'un appareil tactique de 25 à 30 tonnes de charge utile qui aurait permis de réduire les rotations, tout en diminuant les délais et en optimisant les charges.

Les hélicoptères se sont révélés bien adaptés à la faiblesse des infrastructures du théâtre et ont pu contribuer au transfert de fret et aux évacuations sanitaires; il a toutefois fallu compléter certains de leurs équipements pour réduire leur vulnérabilité. Le besoin d’hélicoptères de manœuvre modernes est confirmé.

Les capacités nationales de transport maritime se sont montrées précieuses, qu'il s'agisse des TCD, des BATRAL ou des navires " Ro - Ro " affrétés. Ceci confirme le bien fondé du programme NTCD et l'étude sur l'acquisition éventuelle de navires de type Ro-Ro.

Compte tenu de la relative proximité du théâtre, les moyens de transport maritime militaires ou affrétés se sont montrés convenablement dimensionnés et ont permis d'alléger la charge de la flotte aérienne. L'acquisition d'avions "moyens porteurs" de type ATF permettra une économie significative de potentiels et de délais.

 

II.4 CAPACITE A DURER ET LOGISTIQUE

 

4.1. Stocks de munitions

Les règles et les conditions d'engagement ont conduit à l’utilisation de munitions de précision guidées laser ou tout temps. La consommation importante de ce type de munitions a posé la question de l'adéquation et du recomplètement de leurs stocks, alors même que l'on peut envisager des conflits d'intensité ou de durées supérieures.

La forte consommation de munitions de précision ou tout temps enregistrée au cours de cette crise, nécessite de reconsidérer notre politique d'approvisionnement dans ce domaine (constitution, gestion et renouvellement des stocks). Il est nécessaire de réexaminer les liens entre le besoin opérationnel et les capacités industrielles, pour être en mesure de recompléter nos stocks dans des délais convenables.

 

4.2. Dimensionnement du groupe aéronaval

Le groupe aéronaval (GAN), constitué par un ensemble cohérent de bâtiments et d'aéronefs de combat, articulés autour des deux capacités clés que sont le porte-avions et le sous-marin d'attaque (SNA), a été engagé dès les prémices de la crise (fin janvier).

La présence continue d'un SNA en Adriatique a été très importante pour la protection des bâtiment engagés.

Le groupe aéronaval s'est montré bien dimensionné et adapté à la gestion de ce type de crise. La présence d’une frégate antiaérienne britannique au sein du GAN est un signe fort pour la construction européenne.

 

4.3. Moyens humains

Le contexte particulier de cette crise, met en lumière la nécessité de disposer d’un volant de personnel suffisant pour assurer les missions dans la durée. En effet, la simultanéité des engagements et la permanence de l’action militaire imposent des rythmes contraignants.

De plus, la nature complexe des équipements et des procédures mis en œuvre impliquent une formation spécifique de haut niveau.

Autant que la quantité et la qualité des moyens engagés, la compétence du personnel est indispensable pour être reconnu comme partenaire. A cet égard, la maîtrise à haut niveau de l’autre langue officielle de l’OTAN et la connaissance du milieu interallié sont indispensables pour les équipages comme pour les officiers appelés à armer des postes d’état-major. En la matière, la satisfaction du besoin a exigé de faire appel à une proportion significative de la ressource répondant à ces critères.

Le rythme et la durée des opérations ainsi que les conditions dans lesquelles elles se sont déroulées nécessitent de disposer d'une ressource suffisante en personnel hautement qualifié. Outre la qualification technique, la familiarisation du personnel avec l'environnement interallié est essentielle.

 

II.5 CAPACITE DE RECUPERATION DES EQUIPAGES (CSAR)

Les opérations du Kosovo ont souligné l'efficacité des moyens CSAR, opérant à proximité du théâtre, à partir de bases terrestres ou du porte-avions. Elles ont également mis en évidence le volume important de moyens nécessaires à cette mission, les hélicoptères ne représentant qu'un élément de la chaîne. Les hélicoptères français ont constitué le maillon européen unique de cette mission aux côtés de la capacité CSAR américaine.

La récupération d'équipages en terrain hostile nécessite de disposer d'hélicoptères adaptés et équipés pour ce type de mission, d'experts pour sa planification et sa conduite, et d'équipages polyvalents.

 

II.6 EFFICACITE DE l’ENGAGEMENT

 

6.1. Cycle décisionnel

Le processus qui permet une prise de décision intervient aux trois niveaux de responsabilité : stratégique, opératif et tactique. Le cycle de ce processus Observation - Orientation - Décision - Action (OODA) (7) varie de quelques heures - voire quelques minutes – à plusieurs jours selon la situation, le niveau de décision et les délégations consenties.

 

La crise du Kosovo a montré l'accélération de la cadence des opérations et du rythme de la manœuvre, ainsi que la volonté de contrôle en "temps réel" des niveaux supérieurs, politico-militaire notamment. Le concept "sensor to shooter" a réduit à moins d'une heure le délai entre l'acquisition des informations et le traitement de l’objectif, tout en permettant l'information du décideur à haut niveau. Il convient de tirer les conséquences de l'accélération de ce cycle, notamment en matière d'équipements.

Une réflexion est engagée sur les capacités techniques permettant de faciliter et d'accélérer le dialogue entre les autorités politiques et militaires, responsables du contrôle et de la conduite des opérations.

 

6.2. Liaisons en temps réel

Dans le domaine du commandement et de la conduite des opérations, le conflit du Kosovo a démontré l'efficacité des outils de gestion en "temps réel", s'appuyant sur les liaisons de données tactiques, la diffusion d'informations élaborées rassemblées au sein d'une cellule unique du CAOC (8), le système de désignation rapide et la visiotéléconférence (VTC).

Notre insuffisance en équipements "temps réel" a parfois limité notre réactivité. Ce point devrait s’améliorer avec l’arrivée à mâturité de certains programmes en cours de lancement.

Associée à la fonction désignation laser, la transmission en temps réel de l'imagerie peut offrir de nouvelles capacités pour l'attaque de cibles déplaçables ou mobiles. Elle a été expérimentée avec succès à partir de drones en coopération avec des avions de combat.

La capacité de liaison en temps réel, et en particulier de transmission de l'imagerie (optique ou radar), doit être étudiée sur tous les porteurs. Déjà, des progrès ont été accomplis avec l’utilisation d’images Helios par les équipages.

 

6.3. Préparation des missions et missiles de croisière

Ce conflit a souligné la nécessité de disposer d'un système de préparation de missions interopérables avec les alliés.

Il a aussi, dans la continuité de la guerre du Golfe, mis en évidence l'intérêt des missiles de croisière pour le traitement de certaine cibles, en même temps qu'il a banalisé leur emploi.

L'examen de l'emploi de ce type d'armes par les Américains et les Britanniques a mis en relief le caractère inéluctablement centralisé de sa planification.

Il apparaît ainsi que la nation détentrice de missiles de croisière conserve le contrôle de son emploi mais qu'a contrario, celle qui n'en dispose pas peut se trouver exclue d'une partie du cycle décisionnel des frappes.

 

6.4. Ciblage (Targeting) et Evaluation des dommages (BDA)

La détermination des cibles, et "l'évaluation des dommages" infligés par les frappes, sont deux fonctions fondamentales qui conditionnent l’efficacité opérationnelle du cycle des frappes aériennes. Cette campagne en a confirmé l'importance.

Ces fonctions nécessitent des moyens particuliers dans les domaines de l’observation et des SIC. Il convient notamment de souligner le besoin d’images de très haute définition, couvrant toutes les gammes du spectre et pouvant être réactualisées fréquemment.

La création d’un centre national de targeting est lancée.

 

6.5. Suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD)(9) et brouillage offensif

La lutte contre les défenses sol-air adverses constitue un objectif majeur de toute campagne aérienne et nécessite des moyens très importants, adaptés à la menace présente sur le théâtre.

Au Kosovo, les moyens de suppression des défenses sol-air ont été très utilisés. Leur efficacité peut se mesurer au regard de la sauvegarde du potentiel aérien et de la liberté d'action qu'ils ont procurées. Ils ont représenté environ 30 % de la composition de chaque raid.

L'efficacité des moyens de brouillage offensif américains est difficile à mesurer, mais leur absence justifiait l'annulation du raid.

En contraignant les défenses serbes au silence radar, l'effet dissuasif des missiles anti-radars tirés par les alliés a été important.

Une réflexion est lancée sur cette capacité qui conditionne l’efficacité des raids. La problèmatique doit être étendue à la montée en puissance de l’Europe de la défense.

 

6.6. Identification air-air, air-sol, air-mer, mer-air, sol-air

La classification, liée au caractère hostile de l’unité détectée, et son identification qui permet de donner son type, voire son nom, sont essentielles au combat pour éviter notamment les risques de frappes fratricides.

Dans le domaine de l'identification air-air, le conflit a montré la nécessité de disposer d'une certaine redondance de moyens et mis en avant l’intérêt d’un système particulier de reconnaissance des unités détectées (10), employé par certains de nos alliés.

Pour les missions air-sol, l’absence de capacités de pointage automatique des capteurs de certains aéronefs français a rendu plus difficile l’identification des objectifs fixes. Une réflexion est engagée sur sur ce point.

La participation française aux raids aériens a été réduite par l’absence de certains équipements dont l’arrivée dans les forces était prévue à très court terme. Ce point montre la difficulté du maintien constant au plus haut niveau technologique.

 

6.7.Adéquation des munitions et systèmes d’armes associés

La nature des opérations du Kosovo a limité l'emploi des munitions aux seuls armements pouvant être tirés avec suffisamment de précision. Elle a confirmé le caractère primordial de la capacité tout temps et l'intérêt d'une bonne diversité d'armements.

Les avions qui ne possédaient pas ces capacités n'ont pu être intégrés dans les missions de nuit ou dans les opérations contre les forces serbes. De ce point de vue, la France a tenu son rang au sein de la coalition grâce à la qualité de ses Mirage 2000D d’attaque au sol. Ce constat confirme le bien fondé de l'évolution du système d'armes des aéronefs, du programme MICA et des programmes en cours de munitions de précision tirées à grande distance et mieux adaptées aux mauvaises conditions météorologiques : AASM, Apache et SCALP EG.

D’autre part, le domaine d’emploi d’un certain nombre de munitions conçues pour une mise en œuvre à basse altitude, missiles et bombes guidées notamment, n’avait pas été pleinement ouvert pour les altitudes de largage autorisées pendant les opérations du Kosovo. La réactivité de nos industriels a permis de pallier avec efficacité ce problème.

L’emploi par les Etats-Unis d’armes spécifiques (bombes au graphite par exemple) a montré leur efficacité tout en limitant les pertes. Une réflexion sera menée sur les conditions d’emploi de telles armes.

Certaines difficultés rencontrées dans le transport des munitions et les contraintes de mise en œuvre, confirment la nécessité de désensibiliser les munitions et confortent la pertinence des exigences de "muratisation (11)", qui doivent être imposées pour tous les programmes d’armement futurs.

Les opérations du Kosovo confirment donc l'intérêt de la diversification, de la précision et de la sécurisation des armements.

 

6.8. Mise en œuvre des drones (UAV) (12)

De nombreux drones ont été engagés au Kosovo, y compris par la France. Leurs missions étaient de rechercher et d’identifier les objectifs et les mouvements de population. Ces vecteurs opérant de jour comme de nuit, dans un environnement très hostile, se sont révélés très efficaces et complémentaires des autres moyens. Ils ont subi quelques pertes dont les causes doivent être encore totalement élucidées.

Le potentiel de ces appareils, utilisables dans des conditions où l’homme n’est pas engagé, est apparu dans plusieurs domaines : la surveillance du théâtre, la désignation d’objectifs, le relais de transmission, l’évaluation des dommages.

L’importance du rôle joué par les drones dans les opérations du Kosovo et leurs perspectives d’emploi en complément des satellites et des moyens pilotés, confortent l’intérêt porté à de tels engins dans un cadre national ou européen.

 

6.9. Dimensionnement de la flotte de ravitailleurs

La France a déployé la plus grande contribution européenne en moyens de ravitaillement en vol. Celle-ci s'est toutefois révélée sous-dimensionnée par rapport au besoin.

L'insuffisance de la capacité européenne de ravitaillement en vol est prise en compte pour une éventuelle opération dans un cadre non OTAN, au niveau des réflexions sur la montée en puissance de l’Europe de la Défense.

 

6.10. Pôles de compétences européens

1. Les Etats-Unis disposent de la quasi-totalité des capacités mises en œuvre dans ce genre d'opération.

2. Le conflit du Kosovo ne représente qu'un cas de figure duquel on ne saurait tirer des enseignements complets et éclairants dans tous les domaines. Par ailleurs, la nature même de la constitution des forces de l'Alliance, où chaque nation participe à hauteur de sa volonté politique, de ses possibilités et de ses disponibilités, n’autorise pas un diagnostic exhaustif des pôles de compétences européens. Néanmoins, la possession de certaines capacités par les membres de l'Alliance a pu être observée et autorise un bilan sommaire.

Nos principaux alliés européens possèdent :

- certaines compétences technologiques particulières : UAV pour les Allemands, SEAD pour les Britanniques ;

- des aptitudes opérationnelles dans certains domaines du combat comme les missiles de croisière pour les Britanniques, le domaine de l’observation et du renseignement avec Hélios pour les Italiens et les Espagnols, le ravitaillement en vol pour toutes ces nations et les Pays-Bas, la SEAD pour les Italiens et les Allemands.

3. Les points particuliers sur lesquels devra porter la nécessaire réflexion européenne sont :

- commandement et conduite des forces,

- acquisition du renseignement tout temps,

- système de navigation autonome,

- liaison en temps réel,

- ciblage et évaluation des dommages,

- missiles de croisière,

- frappes tout temps,

- brouillage offensif et suppression

des systèmes de défense,

- système d’identification autonome,

- soutien des moyens opérationnels,

- permanence d’un groupe aéronaval.

Un effort particulier pourrait être mené prioritairement dans les domaines du commandement et de la conduite des forces ainsi que dans celui de l’acquisition du renseignement tout temps. A cet égard le rapprochement des capteurs existant chez les alliés européens, pourrait être l’amorce de constitution d’une capacité d’action autonome dont l’Union européenne doit se doter pour atteindre les objectifs définis au Sommet de Cologne.

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7 - Observation - Orientation - Décision - Action

8 - CAOC : Combined Air Operations Center

9 - SEAD : Supression of Ennemy Air Defence

10 - C’est à dire ne répondant pas aux interrogations des système d’identification à distance

11 - Munitions à risques atténués

12 - Unmanned Air Vehicle

 

III. LA TECHNOLOGIE ET LA REACTIVITE INDUSTRIELLE

Le niveau technologique des systèmes d’armes et la faculté d’adapter rapidement les armements aux conditions réelles d’emploi sont des facteurs déterminants du succès des opérations militaires. Lors du conflit du Kosovo, la France a su démontrer de réelles capacités dans ces deux domaines.

Néanmoins, pour certains systèmes, des retards technologiques ont limité l’efficacité de nos actions.

La France doit désormais coordonner ses efforts avec ses partenaires européens. Des critères de convergence pourraient être définis dans les budgets alloués par chaque pays aux études amont de défense, afin de fortifier la base technologique européenne et mieux préparer en commun les nouveaux programmes d’armement. Il devrait être également possible d’optimiser la réactivité de notre processus étatique et industriel lorsque des besoins opérationnels urgents sont exprimés. L’instauration d’une phase de montée en puissance préalable à l’action militaire, ainsi que la mise en œuvre de procédures contractuelles pleinement adaptées à l’urgence du moment constituent des axes d’amélioration.

 

III.1 TECHNOLOGIE

Le niveau technologique des systèmes d’armes français utilisés lors du conflit du Kosovo a été particulièrement remarqué dans les domaines suivants : performances du Mirage 2000 D (navigation et tir de nuit, moyens d’autoprotection, disponibilité), désignation de tir laser, surveillance héliportée du champ de bataille (Horizon), observation par le satellite Hélios, recueil des données d’écoute et de reconnaissance. Associé au nombre et à la variété des moyens français mis en œuvre, aux capacités des forces et à la faculté de commandement des opérations, il a permis à la France de prendre toute sa part des actions militaires.

Cette contribution aurait pu être plus importante si nous avions été présents dans des domaines où la suprématie technologique américaine a été notable : tir à longue distance et par tout temps (missile de croisière, bombe guidée GPS, performance radar ), liaisons de données et d’images en temps réel, brouillage offensif, observation par tout temps, drones de surveillance à moyenne altitude.

Il s’agit de capacités ou de systèmes pour lesquels l’écart technologique entre la France et les Etats-Unis est important.

L’écart technologique se traduit alors, à un instant donné, par un écart capacitaire (13). Dans la plupart des cas, les études ont été lancées en France et devraient déboucher sur des programmes d’équipement prévus par le modèle 2015.

Il existe cependant quelques domaines où les Etats-Unis font appel à des technologies que nous ne maîtrisons pas (furtivité des aéronefs, par exemple). Les Américains détiennent par ailleurs seuls, la direction du système de navigation précise par satellite (GPS).

Les Etats-Unis poursuivent leur propre effort technologique dans tous les domaines. Les avions de combat F22 et JSF ou l’hélicoptère Comanche ainsi que le successeur du missile de croisière Tomahawk doivent être mis en service dans les dix ou quinze années qui viennent. Ils accordent la priorité à l’exploitation de toute technologie susceptible d’apporter un avantage militaire, selon un cycle de qualification et d’acquisition le plus court possible.

Enfin, l’écart technologique, même lorsqu’il est momentanément résorbé, se double presque systématiquement d’un écart quantitatif. La surface financière américaine permet non seulement de maintenir un effort très important de recherche, mais aussi d’acquérir des systèmes variés et nombreux. L'étendue de la gamme des moyens américains de bombardement aérien n'a pas d’équivalent, qu’il s’agisse de technologie, de capacité ou de quantité.

Il importe néanmoins de garder à l’esprit que l’action militaire ne repose pas exclusivement sur la supériorité technologique. Les forces serbes ont mis en œuvre des contre-mesures simples, voire rustiques, capables de défier des systèmes pourtant performants : chars ou véhicules factices (contre l’identification), systèmes sol-air portables d’emploi non coordonné (contribuant à imposer le tir à moyenne altitude et perturbant l’établissement de la situation tactique), mines terrestres.

Malgré cette réserve, la supériorité technologique face à un adversaire constitue un atout majeur. Les Etats-Unis ont mis en œuvre des moyens considérables pour détruire des cibles serbes terrestres mobiles : détection et localisation par des drones de surveillance à moyenne altitude, transmission des images vers les centres de commandement, traitement et transmission de ces images vers les avions de combat en attente en vol (pour une durée totale inférieure à une heure). Ces moyens représentent la capacité technologique qu’il était effectivement nécessaire de maîtriser, dans les conditions du conflit et avec des règles d'engagement contraignantes (vol à haute altitude), pour remplir la mission de destruction d’objectifs militaires en mouvement.

La participation équilibrée à un conflit en coalition avec les Etats-Unis implique un niveau technologique minimal. Un écart important peut conduire à nous isoler de certaines actions ; ce fut le cas, lors du conflit du Kosovo, pour nos avions de défense aérienne dont les performances de tir et d’identification étaient incomplètes. Cette difficulté est comblée partiellement avec la mise en service du Mirage 2000-5 et l’équipement de certains avions de module d’identification NTCR. De même, la difficulté à produire rapidement des données géographiques a limité notre efficacité.

La France doit maintenir son effort de recherche technologique de défense. Mais, elle s’épuiserait à vouloir rattraper un niveau inaccessible ou sera obligée d’abandonner des pans entiers de domaines de recherche, si elle ne coordonne pas ses investissements avec ses partenaires européens, confrontés eux-mêmes à des défis similaires. Il pourrait ainsi être défini des critères de convergence dans les budgets alloués par chaque pays aux études amont, afin de fortifier la base technologique européenne et mieux préparer en commun les nouveaux programmes d’armement. C’est l’un des objectifs de l’Agence européenne de l’armement que nous appelons de nos vœux.

Lors du conflit du Kosovo, un certain nombre de technologies ont fait défaut. A l'avenir, dans le domaine des capteurs, un effort particulier pourrait être consacré à la capacité technologique tout temps, qu'il s'agisse de l'observation (spatiale et aérienne) ou de la frappe de précision. Concernant les systèmes d'armes, l'investissement technologique pourrait être poursuivi sur la furtivité de certains aéronefs, accentué sur les drones/UAV, les moyens de brouillage offensif et ceux de destruction des défenses sol-air. Pour les systèmes d'information et de commandement, un effort serait à fournir plus particulièrement sur la maîtrise de l'information en temps réel, ainsi que sur les réseaux cryptés mobiles et les systèmes de création de données géographiques.

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13 - sauf, en cas d’achat auprès des Américains, comme pour les avions de détection aéroportée AWACS et Hawkeye

 

III.2 REACTIVITE INDUSTRIELLE

Le conflit du Kosovo a nécessité de mener des actions appelées d’urgence pour adapter rapidement les systèmes d’armes ou les moyens d’environnement aux exigences spécifiques d’emploi.

Dans le domaine aéronautique, les actions ont notamment consisté à accroître les possibilités de tir (augmentation de l’altitude de largage de la bombe guidée laser de 1000 kg sous Mirage 2000 D), qualifier de nouvelles configurations d’armement (adaptation de plusieurs types de bombes guidées laser sous Mirage 2000 D et Jaguar, qualification à l’appontage du Super-Etendard armé de bombes guidées laser de 250 kg), modifier des matériels (autoprotection et moyens de communication sur hélicoptère, système d’identification du Mirage 2000 de défense aérienne), ou encore commander des équipements (jumelles de vision nocturne, matériels de survie) et assurer des assistances techniques auprès des forces.

Le domaine naval a également été concerné. La préparation et le déroulement de la phase actuelle se sont traduits également par des actions dans le domaine terrestre. Enfin, le réapprovisionnement des bombes et des kits de guidage laser après les opérations aériennes a été traité en action d’urgence.

Au total, plus d’une centaine d’actions ont été lancées sur ce mode.

Les actions d’urgence visaient à satisfaire des besoins qui n’avaient pas été intégralement couvertes ou dont la satisfaction avait été différée. Certains délais très rapides de réalisation (ouverture d’une nouvelle configuration d’armement en seulement quinze jours) traduisaient le simple aboutissement d’actions de développement déjà entreprises, et sans lesquelles les modifications n’auraient pas été possibles. Dans d’autres cas, les matériels ou changements de système, dont la commande a été décidée après le début des opérations, n’ont pu être mis à la disposition des forces qu’après la fin des frappes aériennes. Ces travaux ont été cependant les garants de notre capacité à prolonger le conflit si cela s'était révélé nécessaire. Ce fut notamment le cas des adaptations de certains drones pour la désignation d'objectifs, au profit des avions tireurs d'armes guidées laser.

Les alliés ont été confrontés à des exigences de même nature.

Pour la France, la réactivité des différents intervenants a été remarquable. Des réunions entre les états-majors, la délégation générale pour l’armement et les industriels ont été organisées de façon systématique ou en fonction des besoins.

 

2.1. Montée en puissance au cours de la crise

Pour autant, une meilleure anticipation doit être recherchée pour de futures opérations militaires.

L’exercice est difficile. Les contraintes budgétaires imposent des choix entre les différents besoins des forces et ne permettent pas de prévoir toutes les éventualités. Les conditions réelles d’emploi rejaillissent directement sur l’adaptation des moyens : nature du théâtre, conditions météorologiques, menaces effectivement présentes, niveau de contribution des alliés. Enfin, certaines règles d’engagement ne sont connues qu’au déclenchement des opérations de frappe.

A l’avenir, en fonction de l’évolution d’une crise, une phase de montée en puissance pourrait être instaurée entre les états-majors et les services concernés de la DGA. La cellule qui serait constituée à cette occasion pourrait être reliée aux entités nationales de planification opérationnelle, afin de bénéficier pleinement des travaux qui y sont réalisés.

Cette montée en puissance permettrait de procéder en commun, le plus tôt possible, à un bilan des capacités disponibles et des matériels nécessaires, et de préparer ensemble les actions correctrices les plus pertinentes.

L’analyse devrait pouvoir s’appuyer sur un travail permanent de connaissance des capacités détaillées des différents systèmes de forces. Par ailleurs, en ce qui concerne la gestion des stocks de munitions les plus critiques, les délais nécessaires à un complément d’urgence et les modalités associées constituent des données à mettre à jour de façon régulière.

 

2.2. Procédures d’acquisition en urgence

Les commandes urgentes ont, pour la plupart, été effectuées par la procédure de la lettre de commande.

L’Etat peut ainsi commander dans un délai très bref à prix plafond, l’acte contractuel définitif devant être établi ultérieurement. Un gain d’une journée peut se révéler en effet déterminant pour satisfaire à temps le besoin exprimé. A ce titre, une concertation préalable avec d’autres départements ministériels est un gage de réussite.

La procédure de la lettre de commande n’a pas créé de difficulté majeure avec les industriels français. Il n’en a pas été de même pour les industriels étrangers, dont certains ont exigé un premier paiement, pour rendre la commande exécutoire.

 

IV. LE CADRE JURIDIQUE

La prise en compte du cadre juridique et administratif pour la conduite des opérations menées au Kosovo ne s’inscrit pas en rupture par rapport aux dispositions adoptées lors des conflits précédents, notamment lors de la guerre du Golfe.Elle souligne néanmoins la multiplication des circonstances dans lesquels un avis juridique doit être donné à l’appui d’une analyse opérationnelle ou stratégique.

 

IV.1 LE BILAN DES OPERATIONS AU KOSOVO

Des synergies très constructives ont été progressivement établies à l’occasion des opérations menées au Kosovo entre les états-majors, directions et services du ministère de la défense.

Ces synergies ne doivent pas disparaître avec la fin des opérations militaires ; elles doivent être renforcées afin de faciliter dans le futur l’intégration du facteur juridique à tous les niveaux du processus de préparation et d’emploi des forces armées françaises.

 

1.1. Pendant la phase aérienne et maritime des opérations (du 24 mars au 10 juin 1999)

La confirmation, si ce n’est la nouveauté, des opérations au Kosovo a été la place des questions de droit dans les principales questions opérationnelles. Le droit a été l’un des facteurs clés de choix, positif ou négatif, de nombreuses actions. Le droit a servi à définir ou redéfinir les opérations.

Cette place du droit a correspondu à une volonté politique marquée de mener les opérations militaires dans le cadre de la légalité internationale. De plus, ce choix a conforté l’adhésion de l’opinion à ces opérations.

Cette place du droit apparaît de façon particulièrement nette pour la mise en œuvre de l’embargo naval, le choix des cibles des frappes aériennes ou l’emploi de telle ou telle arme.

- La prise en compte du droit international s’est d’abord manifestée dans la décision de recourir à la force. Celle-ci impliquait l’adoption d’une résolution ad hoc par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Plusieurs résolutions (1160, 1199, 1203) ont été adoptées par le Conseil de sécurité sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations-Unies et ont imposé des obligations précises à la Yougoslavie. Le recours à la force a répondu à la violation de leurs obligations par les autorités de Belgrade.

S’agissant de cette question du recours à la force, la politique de communication des Etats de l’OTAN a fait très largement appel au vocabulaire juridique : d’abord qualifiées d’actions coercitives, par référence au langage du chapitre VII de la charte des Nations Unies, ces opérations ont ensuite été analysées en termes de conflit armé, notamment à partir du moment où la question du traitement des combattants de l’Alliance tombés au pouvoir de la RFY s’est posée.

Cette question de la licéité du recours à la force est d’autant plus importante que la République fédérale de Yougoslavie n’a pas hésité à engager une procédure devant la Cour internationale de justice contre l’ensemble des Etats ayant participé aux frappes militaires contre son territoire. Les requêtes, à fins de mesures conservatoires de la RFY, ont été rejetées par la Cour.

- La place du droit a été très importante pour toutes les décisions opérationnelles succédant au choix du recours à la force.

Ainsi, lorsque la question de la possible mise en œuvre d’un embargo sur les produits pétroliers destinés à la RFY s’est posée, l’appréciation du fondement d’une telle mesure en l’absence d’une résolution ad hoc du Conseil de sécurité des Nations Unies a été déterminante pour que soit privilégiée l’hypothèse d’une action de contrôle naval sur la base du consentement des Etats qui s’y soumettraient, en conformité avec les règles du droit international de la mer. Dans le même esprit, les dispositions du droit de la mer concernant la liberté de la navigation ont constitué une contrainte importante dans la détermination de la conduite à tenir face à l’arrivée de navires militaires étrangers dans la zone des opérations.

De même, l’appréciation de la conformité des frappes de l’Alliance par rapport aux principes du droit des conflits armés a soulevé des questions nombreuses et complexes, liées au contenu même des principes de proportionnalité et de discrimination ainsi qu’aux notions de dommages collatéraux et de définition de la notion même d’objectif militaire.

Cette appréciation a également conduit à la production d’analyses approfondies en matière de préservation de l’environnement naturel, maritime ou terrestre, de liberté de la navigation maritime et fluviale, ainsi qu’en matière de responsabilité des équipages des aéronefs et des navires de guerre. Dans ce dernier domaine, des analyses ont également été conduites sur les conséquences des décisions prises par ces équipages confrontés à des actes ou des intentions hostiles, notamment en cas de mauvaise interprétation des "rules of engagement" (ROE), de tir fratricide sur un aéronef ou navire étranger au conflit, de dommages collatéraux, ou encore de cadre juridique applicable en cas de largage de détresse ou d’accident.

Ces analyses ont enfin porté sur l’interdiction ou la limitation d’emploi de certains types d’armes mais aussi sur des questions d’ordre humanitaire telles que l’étude des conditions de mise en place de zones et couloirs humanitaires, le statut des réfugiés civils et l’étendue de la liberté d’action des organismes de la Croix-Rouge sur place.

 

1.2. Après la phase aérienne et maritime des opérations

Cette phase a débuté dès l’adoption de la Résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations-Unies le 10 juin 1999 et l’acceptation par Belgrade de l’accord de cessez-le-feu et de désengagement des forces serbes stationnées au Kosovo, qui ont permis le déploiement dans des conditions différentes, de la KFOR, puis de la MINUK. Elle a correspondu à un souci de donner à l’Organisation des Nations Unies et au Conseil de sécurité la place qui doit être la leur dans l’édiction de normes internationales quant au maintien de la paix et de la sécurité internationales.

Cette phase postérieure aux opérations aériennes et maritimes a également fait place au facteur juridique. La résolution 1244 est d’abord le fruit d’une négociation politique. Elle décide le déploiement au Kosovo de présences internationales civile et de sécurité. Son application et l’action sur le terrain de la MINUK mais aussi de la KFOR sont par ailleurs guidées par des nécessités politiques et pratiques. La place du droit n’est plus concrètement la même, depuis trois mois. Il n’est plus là pour interdire ou autoriser, comme pendant les frappes aériennes. Il est d’abord conçu pour aider à réaliser un objectif déterminé politiquement.

Un tel constat a été particulièrement net pendant la préparation de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies et des accords qui en découlent. De nombreuses questions juridiques n’ont pas manqué de surgir pendant cette deuxième phase, ainsi celles du statut juridique de la KFOR et des liens entre cette Force et la MINUK. Ces questions impliquent à chaque fois une évaluation politique. Ainsi la KFOR ne dispose pas d’un statut car l’idée de signer un tel texte avec le gouvernement de la RFY a été écartée. Par ailleurs, des déclarations conjointes entre la KFOR et la MINUK ont été préparées relatives à leur action et aux conditions de celle-ci. De même encore, l’action de la MINUK quant au droit applicable au Kosovo relève d’une problématique de nature politique alors que le droit de la RFY pouvait comporter des clauses discriminatoires à l’égard des albanophones.

Au total, le droit a ainsi été, et continue à être pris en compte pendant cette deuxième phase d’une manière différente de celle de la phase des opérations aériennes. La question juridique demeure néanmoins très importante par exemple pour les règles d’engagement et d’ouverture du feu qui doivent être les plus claires possible, de même que pour la définition de la légitime défense.

Ces questions ont été et sont souvent relativement nouvelles et propres aux opérations menées au Kosovo en matière de maintien de la sécurité publique. De nombreuses questions juridiques ont donc dû être résolues dans l’urgence, comme par exemple celle du délai de garde à vue, des dispositions à adopter pour l’installation des forces françaises dans des implantations publiques au Kosovo, ou du comportement à adopter face à des manifestations de foule. Il importe d’en tirer des enseignements pour l’avenir, notamment en matière de planification.

 

IV.2 QUELS ENSEIGNEMENTS ?

La place avérée du droit pendant les opérations nécessite une réflexion prospective en vue des futures opérations. Il serait souhaitable de réfléchir à un canevas intégrant l’ensemble des circonstances dans lesquelles peuvent se dérouler les opérations (cadre ONU ou OTAN, accords militaires de défense …), l’analyse de la nature des conflits auxquels la France est confrontée et l’éclairage sur l’application des règles du droit des conflits armés. Un tel canevas pourrait être mis à profit par les organismes de planification qui, préalablement au déclenchement des opérations, pourraient ainsi dans des délais courts donner une première approche de la façon dont les questions juridiques doivent être prises en compte en fonction de circonstances données.

Après la phase des opérations, il a été rappelé que la prise en compte du droit s’opère au regard de données politiques et stratégiques spécifiques. Toutefois, il serait là encore utile de mener une réflexion préalable sur les principales questions juridiques alors posées : statut des forces, engagement de la responsabilité des militaires, conditions de leur protection juridique…

 

2.1 S’agissant des structures centrales

La quantité de notes réalisées par la direction des affaires juridiques sur des sujets très variés montre l’étendue du domaine à couvrir pour donner aux états-majors et aux forces, de façon réactive et immédiatement exploitable, un conseil pertinent au regard des nombreuses questions juridiques en cause. Cette mission de conseil juridique nécessite des connaissances particulières que seuls des juristes spécialisés dans ces domaines peuvent entretenir et actualiser. Ceux-ci sont regroupés au sein de la sous-direction du droit international et du droit européen de la DAJ, qui a mobilisé depuis le début de l’année 1999 une équipe d’une quinzaine de juristes chargée de répondre aux questions juridiques suscitées par les opérations menées au Kosovo. Cette équipe comprend à la fois des militaires et des civils. Pour bénéficier d’un effet de retour dans les armées, il continuera à en aller ainsi dans l’avenir.

Cette équipe de juristes internationaux a pu fonctionner grâce à la coopération et la coordination très étroites qui existent avec l’EMA et la DAS. La DAJ a également entretenu des contacts quotidiens avec la direction des affaires juridiques du ministère des affaires étrangères.

La circulation de l’information avec les états-majors d’armées aurait cependant dû être encore plus poussée.

La réunion quotidienne à l’EMA a permis des échanges d’information très fructueux entre les organismes au contact direct des questions opérationnelles et les organismes chargés de l’analyse juridique ou stratégique. En matière juridique, de telles interactions sont fondamentales. Elles fournissent l’occasion aux états-majors d’exprimer leurs préoccupations concrètes et de solliciter rapidement les analyses dont ils ont besoin. La présence et le rôle d’un conseiller juridique militaire au sein de l’EMA sont à ce titre particulièrement utiles et doivent être maintenus. Ces interactions permettent aussi à la DAJ d’obtenir une information fiable et rapide sur les opérations et d’alerter sans délai les états-majors sur les conséquences juridiques de certaines décisions.

Le ministère de la Défense entretient d’étroits rapports avec la représentation permanente de la France auprès de l’Alliance. Les procédures de travail doivent cependant être améliorées, notamment à l’occasion de la mise en œuvre des procédures de silence. Ces améliorations doivent permettre de mieux concilier le respect des chaînes hiérarchiques et l’exigence de rapidité de réponse.

Il serait enfin nécessaire de perpétuer l’expertise et l’expérience acquises à l’occasion de chaque intervention majeure à travers une banque de données regroupant l’ensemble des thématiques juridiques pertinentes, qui pourrait être consultée par l’ensemble des directions, états-majors et services concernés. La DAJ a commencé à mettre en place un tel instrument en rassemblant les notes utiles sur le Kosovo.

 

2.2. S’agissant du conseil juridique de terrain

Le conseil juridique de terrain a vu sa nature évoluer lors des récentes opérations extérieures, notamment au Kosovo. Il comprenait traditionnellement deux aspects :

- d’une part l’activité et la vie courante des forces impliquant la passation d’un certain nombre d’actes juridiques, notamment de contrats. De même, cette activité génère des dommages qu’il convient de réparer. Depuis les opérations en Bosnie-Herzégovine, ces questions ont vu leur importance accrue.

Il importe de continuer dans cette voie, de renforcer la concertation dans l’établissement des textes et la coordination d’action entre le bureau local et la sous-direction du contentieux.

- d’autre part, les questions de droit pénal étaient prises en charge par la gendarmerie nationale qui assurait notamment son rôle de prévôté. Ces questions pénales au sens large ont pris une dimension nouvelle, du fait de l’action de maintien de la sécurité publique. L’action de la gendarmerie a largement dépassé le cadre de la prévôté par la prise en compte de l’ensemble des missions de sécurité. Le format même du détachement a obligé le commandement à fixer des priorités en matière d’action policière. La difficulté d’application d’un droit étranger mériterait une étude plus approfondie pour l’intégrer dans une perspective plus large.

La prise en compte des missions de police par la force oblige à concevoir un appareil judiciaire cohérent (forces de polices adaptées à la situation mais également juges et administration pénitentiaire), qui doit s’intégrer dans un embryon de services publics à même de traiter les situations d’urgence.

A ces deux formes classiques mais renouvelées de conseil juridique de terrain s’en est ajoutée une troisième, celle du conseil juridique du commandant de la brigade française. Ce besoin s’est révélé multiforme et juridiquement complexe. Il est surtout, même si les niveaux d’approche ne sont pas toujours les mêmes, d’une nature très similaire et complémentaire des besoins exprimés à Paris par l’EMA et la DAS.

L’expérience souligne que les personnes capables d’assurer ce conseil auprès du commandant sur le terrain sont celles qui s’y consacrent auprès de ces organismes centraux. Compte tenu de la complexité de ces questions, il est en effet nécessaire que les intéressés en aient une parfaite connaissance, notamment quant à leur évolution au fil des semaines et des mois. Compte tenu du niveau de compétence juridique nécessaire, il convient donc de placer auprès du commandement de théâtre un juriste qui possède une connaissance globale de ces questions et qui ait préalablement travaillé à leur traitement au bénéfice de l’EMA et de la DAS. Ce constat implique que ces juristes de la DAJ, notamment les militaires, puissent, pour des périodes plus ou moins longues, venir sur le terrain à la demande de l’EMA. C’est ce qui se passe à Mitrovica. C’est également ce qui a été mis en place depuis deux ans à Mostar auprès de la DMNSE.

En ce qui concerne les opérations maritimes, il est à noter que, en raison de la complexité des règles applicables, l’évolution de la situation aurait pu rendre nécessaire un conseil juridique spécifique dans le domaine du droit de la mer. Ce besoin pourrait être avéré lors d’opérations futures.

Par ailleurs, le recours ponctuel à des officiers d’active ou réservistes spécialisés dans un domaine juridique particulier peut permettre de résoudre des difficultés circonstancielles : il est important que ces officiers puissent inscrire cette action ponctuelle de conseil juridique sur le terrain dans la perspective plus large et permanente qui est celle des échelons centraux.

 

2.3. S’agissant de la doctrine, de l’enseignement et de l’entraînement

Afin de sensibiliser le plus en amont possible les forces armées françaises au fait juridique qui interagit de manière croissante dans le déroulement des opérations militaires, la DAJ sera consultée en tant que de besoin lors de la phase de définition de la doctrine d’emploi des forces ; tel pourrait être par exemple le cas pour la doctrine interarmées d’emploi des forces en opération qui contient des développements à forte connotation juridique.

De façon parallèle, les états-majors d’armée seront informés de l’évolution des questions juridiques qui les concernent, de façon que cette information puisse être prise en compte en temps réel pour l’amélioration de la préparation et de l’entraînement des forces, ainsi que pour l’intégration du retour d’expérience .

Concernant l’enseignement, il s’agit d’œuvrer dans le sens d’une meilleure diffusion du droit en général et du droit des conflits armés en particulier au sein des forces armées. Les différentes écoles militaires renforcent la part de leurs programmes d’enseignement consacrée aux questions juridiques susceptibles de se poser à tout militaire en opération.

En matière d’entraînement, il serait très utile d’inclure, désormais systématiquement, un volet détaillé tenant compte des principales questions juridiques susceptibles d’être abordées dans les exercices de planification opérationnelle.

 

V. LA POLITIQUE D'INFORMATION ET DE COMMUNICATION

La politique d’information et de communication a été principalement menée en direction des opinions française et européenne. Coordonnée sous l’égide des porte-parole du Président de la République et du Premier ministre, elle a reposé sur la concertation étroite, entre nations concernées, assurée par les porte-parole des ministères des affaires étrangères et, au plan des administrations centrales, sur l’action conjointe des porte-parole et des structures d’information des deux ministères compétents. Au plan de la Défense, la politique d’information a été conduite par la chaîne de communication (DICOD, EMA/Com, services d’information des armées) sous la direction de la DICOD.

La politique française d’information s’est développée, conformément à notre position au sein de l’Alliance, sans cesser d’être harmonisée avec la communication de l’OTAN. Par contre, l’action de communication en direction de l’opinion serbe n’a été que très partiellement prise en compte.

La politique d’information a été pleinement intégrée à l’évaluation politico-militaire. Même si elle a globalement atteint ses objectifs, l’analyse ex-post a révélé l’insuffisance de la planification initiale et certains dysfonctionnements de la chaîne interne à la Défense.

 

V.1 UNE POLITIQUE D’INFORMATION INTEGREE A L’EVALUATION POLITICO-MILITAIRE NATIONALE

La politique d’information a reposé sur un dispositif de pilotage central à caractère politico-militaire au sein duquel la communication était prise en compte, et sur une politique d’information dont la mise en œuvre pouvait être adaptée aux différentes séquences des opérations. La centralisation et la flexibilité caractérisent cette politique d’information, fondée sur l’ouverture et la transparence, compatible avec la conduite des opérations.

Le dispositif de pilotage a reposé sur un double mécanisme :

- un pilotage central prenant en compte l’ensemble des aspects politico-militaires des opérations conduites, au sein duquel la politique d’information pouvait être orientée en étroite coordination avec toutes les autorités concernées (Présidence de la République, Premier ministre, ministère des affaires étrangères, ministère de la défense) : l’existence de ce dispositif réuni quotidiennement et animé par le ministère de la défense a permis de placer la politique d’information parmi les préoccupations constantes de la conduite des opérations : ce dispositif dont le porte-parole du ministère de la Défense a été participant dès le début des opérations, n’avait pas eu d’équivalent lors de la guerre du Golfe ou de la crise bosniaque.

- des liaisons continues entre l’ensemble des acteurs de la crise au plan national : *la DICOD a assuré les liaisons avec la présidence de la République (porte-parole du Président), les collaborateurs du Premier ministre, le porte-parole du ministère des affaires étrangères (liaison permanente et points de presse communs des porte-parole) ;

*au sein de la Défense, la clé de voûte de la communication a été la liaison permanente entre la DICOD et l’EMA : celle-ci a permis d’assurer à la fois une réactivité satisfaisante aux opérations et une anticipation d’ensemble sur les demandes des médias.

Ce dispositif, issu de la réforme de la communication de défense intervenue en 1998 a permis de dimensionner l’effort d’information en fonction de l’intensité et de l’importance des informations à diffuser (des communiqués quotidiens aux points de presse, eux-mêmes dimensionnés selon les besoins d’information des médias (14)). En d’autres termes, le dispositif d’information n’a jamais été prisonnier d’un format préétabli, tant en ce qui concerne le statut des émetteurs des messages qu’en ce qui concerne la fréquence des interventions. On notera enfin que la liaison avec la cellule de communication de l’OTAN n’a pris véritablement sa consistance qu’à compter de l’envoi de personnels français (deux diplomates, deux militaires) en son sein.

Une politique d’information fondée sur le "factuel" et la "régularité" :

Privilégier les faits et informer régulièrement ont été les deux axes de la stratégie d’information conduite durant les opérations :

- le "factuel" a caractérisé la stratégie d’information conduite : il s’agissait de restituer aussi précisément que possible l’action réalisée afin de s’abstenir d’hypothèses, facteurs de spéculations ou de rumeurs, mais de permettre aux médias d’évaluer précisément le rôle et la place des forces françaises. Ainsi, la DICOD a diffusé 104 communiqués de presse à l’intention, à chaque diffusion, de 233 rédactions, donné suite à 1600 demandes de reportages provenant des médias et traité 4000 contacts téléphoniques avec des journalistes français et étrangers. Elle a organisé 14 voyages de presse, dont 4 sur le territoire français (2 à Istres, 1 à Toulouse-Francazal et 1 à Mont de Marsan), 6 à Istrana au sein de l’armée de l’air et 4 sur le porte-avions Foch. 273 journalistes ont, en l’absence de vols commerciaux, utilisé des moyens militaires (avions, hélicoptères) pour suivre les actions humanitaires des armées, tant en Macédoine qu’en Albanie.

Les motivations de cette conduite étaient doubles :

*assurer, dès le début des opérations, la fiabilité des informations "officielles" : la presse n’ayant pas été en situation de pouvoir témoigner de la situation au Kosovo, il s’agissait d’éviter que les informations officielles ne soient systématiquement mises en doute en raison de leur origine, et non en raison de leur contenu, comme cela avait été le cas durant la guerre du Golfe ;

*veiller constamment à la cohérence de la politique d’information au sein de l’Alliance, quitte à être " en retrait " sur cette dernière lorsque des incertitudes pouvaient affecter la crédibilité de nos informations.

A contrario, cette posture plaçait l’information publique "à la remorque" de la validation de l’information opérationnelle ; même si cette dépendance était légitime, elle pouvait présenter des inconvénients lorsque les délais de validation étaient particulièrement longs, les opérationnels français pouvant alors donner le sentiment de ne pas totalement "savoir" ce qu’était le résultat des opérations réalisées par l’aviation française. Par ailleurs, en s’en tenant au strict factuel des opérations conduites, l’information publique privait la presse d’éléments d’appréciation sur les autres aspects de la crise (situation en Serbie, rôle de l’UCK...).

- la régularité : "il s’agissait d’alimenter" les médias (et la communication interne) régulièrement afin de ne pas être accusés de "rétention" et de pratiquer l’offre plutôt que de répondre à la demande . Ainsi, durant la phase aérienne (24 mars 1999 au 10 juin 1999), le ministre de la défense a tenu 12 points de presse (dont 1 en vidéoconférence avec le ministre de la défense britannique, 3 avec le CEMA, 1 à destination de la presse étrangère à Paris, 7 à l’occasion de déplacements dans les forces en France et sur le théatre), a accordé 15 interviews télévisées, 11 interviews radios et 12 interviews à la presse écrite française et étrangère. Le CEMA a tenu 7 points de presse (dont 3 avec le ministre et 3 à l’occasion de déplacements dans les forces) et accordé 12 interviews. Le porte-parole du ministère de la défense a tenu 12 points de presse, dont 4 avec le sous-chef opérations de l’état-major des armées et 8 avec le conseiller communication du CEMA ; les porte-parole des ministères des affaires étrangères et de la défense ont tenu 8 points de presse communs. Le porte-parole du ministère de la défense a accordé 22 interviews, le sous-chef opérations de l’EMA a accordé 10 interviews et le conseiller communication du CEMA, 6. Au total, la DICOD a organisé au ministère de la défense 18 points de presse qui ont rassemblé 368 médias et 533 journalistes.

 

Les avantages de cette attitude étaient simples :

*être à l’origine des informations utilisées par les médias nationaux s’agissant des actions des forces françaises ;

*se prémunir d’informations non vérifiées et de "rumeurs" afin de ne pas se trouver en situation de devoir régulièrement les démentir ou les rectifier.

* *

Tant du point de vue du dispositif que du point de vue des principes de la politique d’information conduite, on peut estimer :- qu’ils ont été pertinents dans la mesure où ils sont restés adaptés à la conduite de "Trident" comme à celle de "Trident humanitaire" ;

- qu’ils ont contribué à la crédibilité d’ensemble de l’information apportée, qu’aucun média (y compris la presse internationale) n’a contesté ; de ce point de vue, le résultat atteint a été satisfaisant, et perçu comme de meilleure qualité que lors des crises précédentes.

Cependant, bien adaptés à la phase aérienne, ces principes ont été plus difficiles à mettre en œuvre dans le cadre d’une action exclusivement terrestre.

 

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14 - Les points de presse ont eu des " formats " constamment ajustés à l’intensité des messages à diffuser : points de presse porte-parole du ministère de la Défense / conseiller communication du CEMA, porte-parole du ministère de la Défense / sous-chef opérations de l’EMA, CEMA, ministre / CEMA, ministre.

 

V.2 LES OBJECTIFS DE LA POLITIQUE D’INFORMATION

Trois objectifs principaux ont été assignés à la politique d’information mise en œuvre :

Crédibiliser l’action de la France au sein de la coalition formée par l’OTAN :

La France ayant joué un rôle moteur lors des phases diplomatiques les plus récentes (Rambouillet, Paris), il s’agissait de confirmer que, dans la phase opérationnelle, Paris continuait de peser sur les décisions prises et contribuait très concrètement à leur mise en œuvre. Ainsi, a progressé au sein de l’opinion et au cours de la crise la conviction qu’il est possible de participer totalement et de façon intégrée aux opérations tout en préservant, par des mécanismes de décision ad hoc, une liberté de décision, correspondant à notre statut particulier.

Au plan opérationnel, la volonté de crédibiliser notre action s’est heurtée à deux types de limites :

- celui des données quantitatives : une certaine logique comptable n’étant pas apte à rendre compte de la réalité des opérations, il a été délibérément choisi de ne jamais diffuser le nombre exact de sorties, sinon lors du séminaire public du 21 juin ;

- celui des résultats obtenus : par rapport à une stratégie d’information qui se voulait factuelle et quasi "objective", la difficulté d'évaluer avec précision les résultats des frappes, a limité notre crédibilité.

Au total, plus que l’action spécifique de la France, c’est la dimension européenne de la crise qui a marqué l’opinion française ; celle-ci a, dans ce contexte, estimé que la France assumait ses responsabilités.

Permettre à l’opinion publique de comprendre l’action de la France :

L’opinion publique française a largement soutenu l’action entreprise. Si, comme les autres opinions publiques en Europe, elle a été perturbée par la crise humanitaire et hésitante sur l’hypothèse de l’engagement terrestre de "vive force", elle est restée majoritairement acquise à la conduite de la crise, y compris lorsque le doute était le plus sérieux (mi-avril). Cette crise a confirmé que l’opinion publique joue un rôle déterminant sur la conduite des opérations.

Cependant, la presse française s’est fait largement l’écho du débat né aux Etats Unis sur "l’impasse" de la stratégie aérienne. A cet égard, notre politique d’information ne nous a pas protégés de ce débat.

Le dispositif de suivi de l’opinion mis en place a démontré son efficacité ; il a également confirmé que l’évolution de l’opinion publique obéit à ses règles propres, sur lesquelles ni les décideurs ni les médias n’ont une emprise absolue.

Valoriser le savoir-faire des armées :

Conduite en plein processus de professionnalisation, la crise du Kosovo constituait une opportunité pour démontrer le savoir-faire des armées et de leurs personnels, et crédibiliser les matériels engagés, dont certains n’avaient été que peu (Mirage 2000-D) utilisés en opérations (drones). Les enquêtes conduites en juin ont montré que cet objectif avait été atteint. Il convient cependant de relever qu’il l’a sans doute été autant en raison de l’action humanitaire des armées en Macédoine et en Albanie, qu’en raison des opérations aéromaritimes au Kosovo.

Il reste que les frappes aériennes étaient (à Paris comme à Bruxelles) plus difficiles à crédibiliser en raison du peu de matériaux sur lesquels appuyer la démonstration : la présentation des films de bombardements, utile au départ, a perdu une grande part de son efficacité à compter des premières erreurs de frappe, plaçant ainsi ces images en concurrence avec celles de la télévision serbe.

Une autre contrainte liée à la valorisation des armées consistait à veiller à un juste reflet de l’effort accompli par chacune des armées. Là encore, la crise humanitaire a joué un rôle décisif dans la mesure où elle a permis de valoriser l’action de l’armée de terre en Macédoine et en Albanie, parallèlement à celles menées par l’armée de l’air à partir des bases italiennes et par la marine à partir du Foch. Au total était restituée l’idée selon laquelle les armées françaises étaient présentes " sur tous les fronts " de la crise, confortant ainsi la crédibilité de leurs capacités opérationnelles.

 

V.3 LE DIAGNOSTIC SUR LA CONDUITE DE LA STRATEGIE D’INFORMATION

On peut résumer les aspects positifs de la stratégie d’information de la façon suivante :

- la stratégie d’information de la Défense n’a pas fait l’objet de critiques majeures ou de polémiques particulières ;

- la coopération avec les journalistes a été menée dans un esprit d’ouverture ;

- le suivi de l’opinion publique (sondages réguliers) a permis de piloter notre effort d’information ;

- le dispositif d’information a été très réactif ; il a notamment permis de " couvrir " le volet humanitaire de la crise en temps réel ;

- l’utilisation intensive de la gamme des moyens d’information propres à la Défense a facilité la communication interne (site Internet, presse de Défense...) ;

- l’information sur les aspects économiques des opérations (coûts des opérations) a été rapide ;

- notre dispositif a pu se mettre en place sans contrainte et a pu conserver une réelle liberté d’action, dans tous les domaines ;

- les principes posés par le décret du 27 juillet 1998, (institution d’un porte-parole ; communication opérationnelle) ont été mis en œuvre et validés.

Toutefois, des insuffisances réelles doivent également être relevées, car elles traduisent, en règle générale, les domaines ou les circonstances dans lesquels notre stratégie d’information a subi les événements au lieu de les maîtriser.

La conduite de l’information n’a pas été suffisamment planifiée :

Elle a d’abord fait appel à une forte réactivité. Faute de reposer sur une démarche systématique de planification, le pilotage manquait encore d’anticipation. De même, des pans importants de la stratégie d’information ont été ignorés : la veille sur Internet a été insuffisante ; notre capacité d’action en direction des médias français lorsqu’ils mettaient sur le même plan "nos" informations et celles émanant de Belgrade, a été insuffisante.

Les chaînes organiques de communication ont été insuffisamment associées à la conduite de l’information :

Centralisée efficacement, la conduite de l’information n’a cependant laissé qu’une marge d’initiative trop réduite aux services d’information des armées. Ceux-ci ont eu en conséquence le sentiment de ne pas avoir été mobilisés de façon optimale ou même ont été confrontés à des difficultés résultant de cette situation (commandants de bases aériennes en métropole par exemple ; insuffisance de l’information apportée aux spécialistes de la presse aéronautique).

La stratégie d’information a visé l’opinion et les médias français : Notre action en direction des médias anglo-saxons a été trop limitée et trop souvent ponctuelle. Cette prédilection pour les médias nationaux nous a mis sous le feu de débuts de polémiques récurrentes, qui bien qu’inconsistantes au plan factuel, pouvaient trouver écho dans la presse française.

Belgrade a pu exercer son influence sur les médias français présents sur son territoire :

La stratégie de Belgrade en direction des médias comptait parmi ses cibles, des journalistes, français ou travaillant pour des médias français. Pour autant, ce constat ne doit pas ignorer la prudence avec laquelle dans leur ensemble, les médias français ont " traité " les informations émanant de RFY.

Notre stratégie d’information a traité de façon peu réactive certains aspects connexes des opérations :

Les dispositions prises pour adapter, en urgence, certains des matériels engagés et recompléter les stocks de munitions n’ont pas été intégrées de façon satisfaisante dans notre stratégie d’information.

 

ANNEXES

1 - Le processus décisionnel
2 - Bilan participation française 
3 - Participation française aux opérations aériennes - Bilan des sorties de combat 
4 - Participation française aux opérations aériennes - Sorties aériennes réalisées par type de mission 
5 - Participation française aux opérations aériennes - Sorties aériennes journalières PLANIFIEES / REALISEES
6 - Munitions utilisées 
7 - L'effort des Européens 
8 - Les moyens de l'information
9 - Effectifs français engagés dans les opérations aériennes, maritimes et terrestres 
10 - Efforts des industriels et actions de la DGA pour des programmes d'adaptation d'urgence 
11 - Evolution des capacités 
12 - Effort militaire dédié aux opérations humanitaires

GLOSSAIRE

AASM : Armement Air Sol Modulaire
ATF : Avion de Transport Futur
APACHE/SCALP : Famille de missiles de croisière Air Sol
BATMAL : Batiment de Transport Léger
C3R : Contrôle, Commandement, Communication et Renseignement
CAOC : Combined Air Operation Center Centre de conduite des opérations aériennes de théâtre
CEMA : Chef d’Etat Major des Armées
Centre ACSPT : ACE Command and Staff Training Program
CINCSOUTH : Commander in Chief Allied Forces Southern Europe Commandant en chef des forces alliées du Sud-Europe
COIA : Centre Opérationnel Interarmées
COMAIRSOUTH : Commander Allied Air Forces Southern Europe Commandant des forces aériennes alliées du Sud-Europe
CSAR : Combat Search And Rescue Hélicoptère de Combat de Recherche et de Sauvetage
DAJ : Direction des Affaires Juridiques
DAS : Délégation aux Affaires Stratégiques
DICOD : Délégation à l’Information et à la Communication de la Défense
DMNSE : Division Multinationale Sud Est
DRM : Direction du Renseignement Militaire
EMA : Etat Major des Armées
EMI : Etat Major International
EMIA : Etat Major Interarmées
GAN : Groupe Aéronaval
GPS : Global Positionning System
Guidage par satellite
Helios : Satellite d’observation
KFOR : Force Internationale de paix au Kosovo
KVM : Kosovo Verification Mission
Mission de vérification pour le Kosovo
MINUK : Mission United Nations in Kosovo
Mission des Nations Unies au Kosovo
MMF : Mission Militaire Française
Muratisation : Munitions à risques atténués
NATO : North Atlantic Treaty Organisation, Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
Navires "Ro Ro" : Navire Roll on Roll Off
NTCD : Nouveau Transport de Chalands de Débarquements
NTCR : Equipement Avion Module d’Identification
OODA : Observation Orientation Décision Action
PCG : Policy Coordination Group, Groupe de coordination des Orientations
REPFRANCE : Plus haute autorité militaire française de l’état major du commandement ou du commandant de la force dans une opération multinationale
RFY : République Fédérale de Yousgoslavie
ROE : Rules Of Engagement, Règles d’engagement
SACEUR : Supreme Allied Commander in Europe, Commandement Suprême en Europe
SEAD : Supression of Enemy Air Defense, Suppression des défenses Sol-air
SGA : Secrétaire Général pour l’Administration
SGDN : Secrétaire Général de la Défense Nationale
SHAPE : Supreme Headquater Allied Powers in Europe Commandement allié en Europe
SIC : Système d’Information, de Communication et de Commandement
SNA : Sous-marin Nucléaire d’Attaque
Syracuse II : Satellite de télécommunications militaires
Targeting : Ciblage
TCD : Transport de Chalands de Débarquements
UAV : Unmanned Air Vehicle Drone
UCK : sigle kosovar de l’Armée de Libération du Kosovo
VTC : Visiotéléconférence

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