N° 181
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998
Annexe au procès-verbal de la séance du 17 décembre 1997.
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense
et des forces armées (1) à la suite d'une mission effectuée en Albanie
du
13 au 16 novembre 1997,
Par MM. André BOYER et André ROUVIÈRE,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de
Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François
Abadie, Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Jacques Genton, vice-présidents
; Michel Alloncle, Jean-Luc Mélenchon, Serge Vinçon, Bertrand Delanoë, secrétaires
; Nicolas About, Jean Arthuis, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jacques
Bellanger, Daniel Bernardet, Pierre Biarnès, Didier Borotra, André Boyer,
Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Mme Monique
Cerisier-ben Guiga, MM. Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze,
Marcel Debarge, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert
Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Philippe de Gaulle,
Daniel Goulet, Jacques Habert, Marcel Henry, Roger Husson, Christian de La Malène,
Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Mme
Lucette Michaux-Chevry, MM. Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte,
Bernard Plasait, Régis Ploton, André Rouvière, André Vallet.
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Mesdames, Messieurs,
Du 13 au 16 novembre dernier, une délégation de votre commission des Affaires
étrangères, de la Défense et des Forces armées s'est rendue en Albanie, afin
de s'informer sur la situation politique de ce pays quelques mois après les
graves événements qui l'ont secoué, entraînant l'envoi d'une force
internationale, et le changement d'équipe gouvernementale intervenu à la suite
des élections législatives anticipées.
Composée de MM. André BOYER et André ROUVIERE, cette délégation a pu
rencontrer les principales autorités politiques du pays, et notamment M. Fatos
Nano, Premier Ministre, M. Skander Gjinushi, Président de l'Assemblée
populaire, M. Neritan Ceka, ministre de l'Intérieur, M. Sabit Brokaj, ministre
de la Défense et M. Maqo Lakrori, secrétaire d'Etat à l'intégration
euro-atlantique, ainsi que plusieurs membres du Parlement et notamment des
commissions des affaires étrangères et de la défense.
La délégation a également participé à plusieurs manifestations culturelles,
et particulièrement aux cérémonies du 5e anniversaire de l'Alliance française
à Tirana.
Le séjour de la délégation a débuté dans une atmosphère lourde, car il coïncidait
avec le rapatriement des dépouilles des 52 victimes du naufrage d'un navire
albanais qui avait tenté de rejoindre les côtes italiennes le 28 mars dernier.
A cette occasion, la délégation a pu mesurer le caractère dramatique de la
crise survenue en Albanie aux mois de février et de mars 1997, ainsi que les
tensions politiques et sociales qui s'étaient alors exacerbées et qui n'ont
pas aujourd'hui totalement disparu.
Petit pays de 3 300 000 habitants à l'histoire tourmentée, longtemps isolé du
reste de l'Europe, l'Albanie demeure assez méconnue en dépit de sa relative
proximité géographique.
L'objet de la mission d'information décidée par votre commission était de
mieux comprendre l'évolution de ce pays depuis son accession à la démocratie
en 1991, d'évaluer la portée des événements de l'hiver 1997, qui
constituaient par leur ampleur l'une des plus graves crises qu'il ait traversée
depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et d'étudier les implications de
la situation albanaise sur la région des Balkans qui demeure, en Europe, un
inquiétant foyer de tensions et de risques. Il s'agissait également de mesurer
le rôle que la France put jouer dans ce pays.
Vos rapporteurs, après avoir effectué une brève présentation générale de
l'Albanie, évoqueront ces différents points en soulignant les difficultés
rencontrées par l'Albanie dans sa transition démocratique et économique, en
abordant l'évolution du contexte régional, qui reste dominé par la question
des albanais du Kosovo et de Macédoine, et en insistant sur l'importance du
fait francophone en Albanie, qui devrait inciter notre pays à renforcer sa présence
et les moyens de sa coopération.
Enfin, vos rapporteurs tiennent à exprimer leur plus vive reconnaissance à Son
Excellence M. Patrick Chrismant, Ambassadeur de France à Tirana, ainsi qu'à
l'ensemble de ses collaborateurs, dont la compétence et la grande disponibilité
ont favorisé l'excellent déroulement des travaux de la délégation.
*
* *
Constituée en tant qu'Etat à l'issue des guerres
balkaniques, en 1913, l'Albanie demeure un pays mal connu, en raison de son
isolement tout au long de la seconde moitié du XXe siècle.
Petit pays par sa superficie et sa population, son territoire ne recouvre pas,
loin s'en faut, les zones de peuplement albanophone. Le nombre très important
des Albanais vivant hors des frontières, surtout en ex-Yougoslavie, a pu faire
parler de "peuple partagé" et constitue une question politique
majeure pour l'ensemble des Balkans.
Malgré des ressources naturelles certaines, l'Albanie est restée le pays le
moins développé d'Europe et a été profondément marquée par les quarante
cinq années du régime dictatorial et autarcique mis en place par Enver Hoxha
et maintenu jusqu'en 1991.
· La naissance difficile de l'Etat albanais
Sans entrer dans le détail de l'histoire mouvementée des Balkans, on peut dire
que les Albanais, héritiers des Illyriens, ont tour à tour subi la domination
byzantine puis ottomane, avant de se trouver au coeur des tensions qui ont
accompagné la désagrégation de l'Empire turc, à la fin du XIXe et au début
du XXe siècle.
Pour accéder à l'indépendance, l'Albanie dut non seulement se libérer du
joug ottoman, mais encore résister aux fortes prétentions de ses voisins
serbes, grecs, monténégrins et bulgares. Privée de l'appui des grandes
puissances, elle n'y parvint que très imparfaitement. En effet, la conférence
de Londres, qui mit fin en 1913 aux guerres balkaniques, reconnut
l'indépendance de l'Albanie, mais dans un territoire inférieur de moitié
environ aux implantations effectives des populations albanaises. Le Monténégro
et la Serbie conservaient les gains territoriaux acquis par le traité de San
Stefano de 1878 à la suite de la victoire russe contre les Turcs. La Grèce
obtenait le partage de la Çameria, région de peuplement mixte gréco-albanais.
Les frontières de l'Albanie actuelle recouvrent pratiquement celles de 1913.
A aucun moment, au cours du siècle, l'Albanie n'a réellement été en
mesure de s'adjoindre les territoires albanophones situés chez ses voisins,
vis-à-vis desquels elle a dû au contraire défendre sa souveraineté.
En effet, occupée par les troupes italiennes, austro-hongroises et françaises,
l'Albanie faillit sortir dépecée du premier conflit mondial, mais finalement,
son indépendance, dans les frontières de 1913, était confirmée par son
accession, le 17 décembre 1920, comme Etat souverain à la Société des
Nations.
L'entre-deux guerres fut marqué par les visées hégémoniques de plus en plus
précises de l'Italie, qui finit par envahir l'Albanie en avril 1939 pour en
faire une véritable colonie.
L'idée de constituer une "Grande Albanie" rassemblant tous ses
territoires ethniques fut utilisée, à des fins politiques, par les puissances
occupantes au cours de la seconde guerre mondiale, c'est-à-dire l'Italie
d'abord, puis l'Allemagne ensuite, mais elle ne put s'imposer une fois le pays
libéré.
De nouveau posée en 1945, la question albanaise fut encore tranchée
dans le sens du maintien des frontières de 1913. Malgré l'étroitesse
des liens établis entre les deux partis communistes durant la résistance, la
Yougoslavie de Tito exclut d'emblée l'éventualité d'un rattachement à
l'Albanie des zones albanophones, et notamment du Kosovo. Bien au contraire, des
pressions de plus en plus fortes furent exercées sur l'Albanie pour qu'elle se
range, en matière économique et militaire en particulier, sous la houlette de
la Yougoslavie. Le refus de l'Albanie de concéder une part de sa souveraineté
entraîna la rupture avec Belgrade en 1948.
Ainsi, chèrement conquise en 1913 au prix du maintien de larges fractions de la
population albanophone dans des pays étrangers, l'indépendance de l'Albanie a
dû depuis lors être constamment défendue face à des voisins plus puissants.
Avec une superficie de 28 700 km2, le territoire albanais est à peu près
équivalent à celui d'une région française comme la Bretagne. Etiré du nord
au sud sur un peu plus de 300 km de longueur, sa largeur d'est en ouest se
situant en moyenne entre 80 et 120 km, le territoire est essentiellement
montagneux, au nord, à l'est et au sud, alors qu'une étroite plaine alluviale
s'ouvre vers la Mer Adriatique à l'ouest.
· Un peuple "partagé"
Par rapport aux autres pays balkaniques, l'Albanie présente une double caractéristique
:
- l'homogénéité de son peuplement,
- la présence d'autant d'Albanais, sinon plus, hors du territoire national
qu'en Albanie même.
La population de l'Albanie, 3 340 000 habitants en 1995, se caractérise
tout d'abord par son homogénéité, puisqu'elle se compose à 98 % d'Albanais,
la seule minorité ethnique conséquente étant la minorité grecque résidant
dans le sud du pays, que les autorités de Tirana évaluent à 55 000
personnes. Il faut toutefois préciser que, selon Athènes, le nombre d'hellénophones
serait beaucoup plus important, de l'ordre de 300 000 personnes.
Convertie pour une large part à l'Islam par les Turcs, l'Albanie compte 70 % de
Musulmans, répartis sur l'ensemble du pays. Les Orthodoxes, essentiellement
regroupés dans le sud, à proximité de la Grèce, représentent 18 % de la
population alors que les catholiques, qui représentent les 12 % restants, résident
surtout dans le nord. Les clivages religieux sont peu perceptibles et
jouent un faible rôle dans l'Albanie d'aujourd'hui, à la fois en raison de la
tradition très ancienne de coexistence pacifique entre les diverses religions,
mais aussi parce que la politique anti-religieuse du régime d'Enver Hoxha a atténué
les références et les sentiments religieux dans les générations de l'après-guerre.
Plus que le clivage religieux, un clivage géographique opposant le Nord,
peuplé de Guègues, et le Sud, peuplé de Tosques, est souvent évoqué. De
fait, les vallées des montagnes du Nord, difficiles d'accès, ont maintenu bien
plus que dans le sud l'organisation en clans et le droit coutumier ou kanun,
code d'honneur parfois comparé à la vendetta. Le sud du pays s'est
montré quant à lui plus perméable aux influences étrangères. La plupart des
dirigeants communistes de l'après-guerre étaient issus du centre et du sud du
pays, et c'est encore aujourd'hui dans le sud que s'exerce le plus fortement
l'influence de l'ex-parti communiste, alors que le Président Berisha, élu en
1992 et originaire de l'extrême nord du pays, a disposé dans ces régions de
nombreux soutiens.
Le second trait dominant de la population de l'Albanie tient à sa faible
importance relative par rapport au nombre des Albanais de l'extérieur. En
effet, pour 3 340 000 habitants en Albanie, on compte 1 800 000
Albanais en Serbie, dans la province du Kosovo, 200 000 au Monténégro
et 480 000 en Macédoine.
Les Albanais représentent 90 % de la population du Kosovo et 23 % de la
population de la Macédoine.
A cela s'ajoutent plusieurs centaines de milliers d'Albanais émigrés
principalement en Grèce et en Italie, mais aussi aux Etats-Unis.
Enfin, il est important d'ajouter que la population albanaise se caractérise
par un fort dynamisme démographique, puisque le taux d'accroissement
naturel avoisinait 20 pour 1000 en 1994. Un tel dynamisme se retrouve dans les
communautés albanaises du Kosovo et de Macédoine.
· Une longue période d'isolement
L'Albanie s'est singularisée, durant plus de quarante ans, par son isolement
international et par la recherche d'une autonomie politique et économique
proche de l'autarcie.
Alliée à la Yougoslavie au sortir de la seconde guerre mondiale, l'Albanie,
s'estimant victime de visées hégémoniques, rompit les relations en 1948 et
procéda à l'épuration, voire à l'élimination, de tous les dirigeants
politiques soupçonnés d'attitude pro-yougoslave. Les relations avec l'URSS,
intenses au début des années 1950, se dégradèrent elles aussi jusqu'à la
rupture en 1961. Enfin, le partenariat avec la Chine ne résista pas à des désaccords
de plus en plus nets jusqu'à la suspension par Pékin de toute aide économique
en 1978.
Repliée sur elle-même et se sentant menacée de toutes part au point de
construire plusieurs centaines de milliers de bunkers sur l'ensemble du
territoire, l'Albanie a conjugué l'isolement diplomatique et un régime
dictatorial très dur marqué par la suppression des libertés publiques et la
fréquence des purges au sein même du parti du travail qui a dirigé le pays
jusqu'en 1992.
Sur le plan économique, malgré les potentialités de l'agriculture et le développement
industriel qui s'est appuyé sur de nombreuses ressources en minerais, l'Albanie
est resté le pays le plus pauvre d'Europe.
Après le décès d'Enver Hoxha en avril 1985, son successeur Ramiz Alia a été
confronté à la détérioration de la situation économique et aux conséquences
de l'effondrement des régime communistes en Europe centrale et orientale. Dès
1990, des exodes massifs se sont produits notamment en direction de l'Italie.
Face à la pression intérieure et internationale, le régime a procédé à une
ouverture progressive en reconnaissant le multipartisme à la fin de 1990 et en
organisant les premières élections libres en 1991 qui donnaient la majorité
au parti du travail face à une opposition encore balbutiante et inorganisée.
La poursuite de la dégradation économique et sociale allait entraîner de
nouvelles élections en mars 1992 donnant cette fois ci la victoire au parti démocratique
de M. Sali Berisha et faisant entrer l'Albanie dans une nouvelle phase de son
histoire : l'apprentissage de la démocratie.
La violente crise de l'hiver 1997, qui avait été précédée
d'une détérioration sensible du climat politique et d'une dangereuse dérive
financière, a montré les limites de la transition amorcée par l'Albanie en
1992.
En dépit de l'alternance politique provoquée par les élections anticipées de
juin 1997, les priorités des dirigeants albanais n'ont guère varié et vont à
la stabilisation politique, au développement économique et au rapprochement
avec l'Europe occidentale, mais elles s'inscrivent désormais dans un contexte
très difficile.
Les événements survenus en Albanie au cours des mois de février
et de mars 1997 ont été d'une gravité à bien des égards sans précédent,
en raison de leur caractère généralisé et de l'effondrement total de
l'autorité de l'Etat.
De ces événements, on peut retenir quatre éléments principaux :
· la dégradation de la situation politique au cours de l'année 1996,
· l'effondrement des sociétés dites "pyramidales",
· le développement d'une situation insurrectionnelle justifiant une
intervention internationale,
· la défaite électorale du parti démocratique et l'alternance politique.
Il est clair qu'après plus de quarante années de dictature,
l'apprentissage de la démocratie en Albanie n'était pas des plus faciles. La
mise en place du multipartisme, d'élections libres et de mécanismes
parlementaires n'a guère apaisé les tensions qui caractérisent la vie
politique albanaise. L'échec du référendum constitutionnel de 1994 et les élections
législatives de mai 1996 en ont offert l'illustration.
L'échec du référendum constitutionnel de novembre 1994 est
significatif en ce qu'il montre la contestation dont faisait déjà l'objet le
président Berisha et la difficulté des forces politiques albanaises de
s'accorder sur un schéma institutionnel.
On rappellera tout d'abord que l'Albanie vit toujours sous l'empire de huit lois
constitutionnelles adoptées d'avril 1991 à avril 1993, qui constituent en fait
des amendements à la constitution de 1976. Ces lois ont reconnu les garanties
fondamentales en matière de libertés et de droits de l'homme. Elles ont
organisé un régime parlementaire dans lequel l'Assemblée du peuple investit
le Gouvernement et élit le Président de la République.
C'est sur la base de ces règles constitutionnelles que se sont déroulées les élections
législatives de mars 1992 qui ont donné une large majorité au parti démocratique
(92 sièges sur 140) et que l'Assemblée du peuple a élu M. Sali Berisha Président
de la République, le gouvernement étant dirigé par M. Meksi.
Diverses recommandations internationales, notamment des Etats-Unis et de pays
membres du Conseil de l'Europe, auquel l'Albanie posait sa candidature, avaient
conduit le Président Berisha à élaborer un projet de nouvelle constitution.
Le rejet de ce projet constitutionnel par 54 % des électeurs lors du référendum
de novembre 1994 apportait plusieurs enseignements :
· la relative fragilité de l'assise électorale du parti démocratique, malgré
le succès de 1992, et l'audience encore importante du parti socialiste,
ex-communiste,
· le passage à l'opposition de deux petites formations de centre et de
centre-gauche, l'Alliance démocratique et le Parti social démocrate,
jusqu'alors associées à la coalition gouvernementale,
· au travers de thèmes de campagne axés sur le déséquilibre du projet en
faveur de l'exécutif et de l'absence de garanties pour l'indépendance du système
judiciaire, une contestation des méthodes de gouvernement de M. Berisha
qui recueillait un certain écho dans l'opinion publique.
La perspective des élections législatives du printemps 1996 a accentué
la radicalisation du débat entre majorité et opposition, notamment
autour de trois questions :
- la loi sur le génocide et les crimes contre l'humanité dont le principal
effet fut de rendre inéligibles un grand nombre d'hommes politiques de
l'opposition, en raison des fonctions qu'ils avaient exercées pendant la période
communiste,
- le redécoupage des circonscriptions électorales, accusé de rompre la
continuité géographique et l'équilibre démographique pour avantager le parti
démocratique,
- l'éventuel retour au pouvoir des ex-communistes, facteur de dramatisation de
la vie politique.
C'est donc dans une atmosphère très tendue que se sont déroulées les élections
du 26 mai et du 2 juin 1996.
La très large victoire, dès le 1er tour, du Parti démocratique fut vivement
contestée par l'opposition qui, évoquant des fraudes, réclamait l'annulation
du scrutin et décidait de boycotter le second tour, tout en organisant de
multiples manifestations de rues.
Les accusations de fraudes et d'irrégularités furent en partie relayées par
les observateurs du Conseil de l'Europe et de l'Organisation sur la sécurité
et la coopération en Europe (OSCE), ce qui conduisit le gouvernement à faire
revoter dans 17 circonscriptions deux semaines plus tard.
Au total, le Parti démocratique emportait 122 des 140 sièges, contre 10 sièges
au Parti socialiste, 3 sièges au Parti républicain (centre-droit), 2 sièges
au Front national (droite) et 3 sièges au Parti de l'union pour les droits de
l'homme, représentant la minorité hellénophone du sud du pays.
Le très large succès du parti démocratique aux élections locales d'octobre
1996, dans des conditions cette fois-ci moins discutées, n'a pas suffi à
disperser les séquelles de la fracture provoquée par le scrutin législatif
contesté du printemps.
A titre de témoignage sur le climat politique qui a précédé les événements
de l'hiver 1997, on peut citer l'opinion de l'écrivain albanais Ismaïl
Kadaré publiée dans Le Monde du 13 mars dernier : "Dans tout pays
balkanique, mais plus spécialement chez les Albanais pour qui l'offense humaine
revêt toujours des dimensions tragiques, la violence verbale risque fort de dégénérer
en violence physique. La classe politique albanaise s'est laissée tout entière
emporter par ce déchaînement passionnel. Se sont trouvés effacés les
principes et les doctrines qui sous-tendent les positions politiques, pour
laisser la première place aux mobiles subjectifs, privés ou claniques.
Dans cet embrasement des esprits, le gouvernement albanais rêvait de venir à
bout de l'opposition, et l'opposition faisait le rêve inverse : annihiler le
gouvernement. Chacun des deux camps restait sourd à la voix de la raison, comme
aux remarques d'esprits éclairés soulignant qu'une Albanie responsable ne
pouvait être à cette image, mais devait associer un gouvernement responsable
et une opposition responsable. La mise en cause de cet équilibre ne pouvait que
déstabiliser le pays.
L'effondrement, au début de l'année 1997, des sociétés
financières "pyramidales" qui drainaient une large part de l'épargne
des albanais a incontestablement été l'élément déclencheur de
l'amplification et de la généralisation de la contestation politique du
pouvoir en place.
Par "pyramides", on entend des sociétés proposant aux épargnants
des taux d'intérêt beaucoup plus élevés que les organismes bancaires
traditionnels, et qui, de fait, ne peuvent satisfaire au service des intérêts
et aux demandes de remboursement qu'en attirant de nouveaux dépôts.
A l'exemple de ce que l'on a constaté en Russie, en Roumanie, en Bulgarie ou en
Macédoine, de telle sociétés d'investissement douteuses sont apparues en
Albanie, à la faveur de la libéralisation de l'économie et de l'amorce de
prospérité qui s'en suivit.
La spécificité albanaise tient au nombre très important de ces sociétés dont
beaucoup avaient pignon sur rue, notamment Vefa, Kamberi, les fondations
Xhaferri et Populli ou encore Gjallica et Sude, et à leur succès auprès
des albanais, puisque l'on considère que 70 % à 80 % des foyers, de toutes
conditions sociales, y avaient placé des économies.
En l'absence de cadre légal et a fortiori de tout contrôle, la prolifération
des pyramides est allée de pair avec une escalade vertigineuse des taux d'intérêt
proposés allant de 8 % mensuels à 60 % par mois dans les derniers temps, et
ceci afin d'attirer de nouveaux dépôts, dans une "fuite en avant"
censée repousser l'inévitable faillite du système.
L'impact des pyramides était considérable car elles sont parvenues non
seulement à mobiliser une part très importante de l'épargne proprement dite,
notamment des rentrées provenant des fonds envoyés par les travailleurs
albanais émigrés, mais aussi à inciter nombre d'albanais à liquider leur
patrimoine personnel ou professionnel (appartement, terres, commerce, bétail)
et à se détourner des activités productives pour vivre exclusivement des
produits financiers de ces investissements.
Il est bien vite apparu aux observateurs, et notamment aux institutions financières
internationales, que ces sociétés fonctionnaient par des pratiques de
cavalerie et ne pouvaient garantir leur solvabilité. A plusieurs reprises, la
Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont mis en garde les
autorités albanaises contre le développement de ces sociétés et leur ont
demandé de prendre des mesures pour mettre fin à leurs activités.
La réaction du gouvernement albanais a été très tardive. En effet, en mars
1996, alors que le phénomène des pyramides prenait déjà une ampleur inquiétante,
celles-ci étaient dispensées de la nouvelle loi bancaire. Ce n'est qu'à la
fin de l'année 1996 que les premières mesures de contrôle ont été prises,
mais le gouvernement devait également tenir compte des réactions de l'opinion
publique, attachée à la poursuite de l'activité des pyramides et continuait
d'espérer les rendements promis.
En décembre 1996 sont apparues les premières suspensions de remboursement et
le 15 janvier 1997, la pyramide "Sude" était officiellement déclarée
en faillite, donnant le signal de l'effondrement général du système.
Face à cette situation, le gouvernement albanais, rappelant le caractère
purement privé de ces activités qui ne bénéficiaient d'aucune garantie de l'Etat,
prenait des dispositions d'urgence : gel des avoirs bancaires des sociétés
pyramidales, vote d'une loi instaurant des modalités de remboursement des épargnants,
augmentation de la rémunération des dépôts effectués dans les établissements
publics.
Ces mesures n'ont en rien apaisé les épargnants spoliés et n'ont pas enrayé
la montée du mécontentement, qui s'est généralisé puis a pris la forme d'émeutes
violentes dans l'ensemble du pays.
La crise financière a directement débouché sur une virulente mise en cause du
pouvoir politique accusé tour à tour d'avoir encouragé le développement des
pyramides, d'avoir bénéficié, pour la campagne électorale du parti démocratique,
de leur soutien financier, puis d'avoir voulu spolier les épargnants en
limitant ou en suspendant les activités de ces sociétés.
L'opposition, qui n'avait guère dénoncé par le passé les sociétés
pyramidales, et qui n'était pas dépourvue de lien, elle aussi, avec ces sociétés,
a su habilement jouer de ces ambiguïtés pour attiser le ressentiment de la
population à l'égard des pouvoirs publics.
Amorcés à partir du 15 janvier 1997 par des manifestations
d'épargnants spoliés, des troubles de plus en plus graves vont gagner
l'ensemble de l'Albanie jusqu'à la fin du mois de mars et plonger le pays dans
un chaos sans précédent.
On relèvera tout d'abord que limités dans un premier temps à certaines villes
du sud, et notamment au port de Vlora, les troubles ont gagné dans le courant
du mois de février tout le sud du pays, réputé peu favorable au président
Berisha, avant de gagner, à la mi-mars, Tirana ainsi que certaines villes du
nord.
Il faut souligner ensuite qu'après avoir concentré leurs revendications sur
des aspects financiers -la récupération de l'épargne placée dans les
pyramides-, les manifestants, à partir du mois de février, ont de plus en plus
ouvertement mis en cause le pouvoir politique. Dès le 30 janvier,
un "forum pour la démocratie" regroupant autour du parti socialiste
sept autres partis politiques d'opposition, y compris des formations de centre
et du centre droit, a relayé les doléances des manifestants en réclamant la démission
du gouvernement et l'organisation d'élections anticipées. La réélection par
le Parlement de M. Berisha au poste de Président de la République le 3 mars,
alors que l'état d'urgence venait d'être instauré, est apparu dans ce
contexte comme une provocation aux yeux des principales forces d'opposition.
Ces événements se caractérisent surtout par leur caractère violent,
à la suite du pillage de nombreux dépôts d'armes, de casernes et de bases
militaires, et de l'effondrement de toute autorité de l'Etat, l'armée
comme la police ayant été impuissantes à enrayer le développement de
l'insurrection malgré l'état d'urgence décrété le 2 mars. A partir du mois
de mars, la dissémination des armes a entraîné une multiplication des
incidents graves, avec morts ou blessés par balles. Il est difficile, dans ces
émeutes, de faire la part entre l'insurrection spontanée, l'action d'agents
provocateurs de toute sorte et le rôle de groupes criminels et mafieux dont la
présence s'est développée dans le pays à partir de 1992.
Enfin, ces tensions ont provoqué une nouvelle vague d'émigration vers
la Grèce et l'Italie qui ont accueilli plusieurs milliers de réfugiés, dans
des circonstances parfois tragique. Ainsi, à la suite d'une collision avec une
corvette italienne dans le détroit d'Otrante, 52 personnes ont péri dans le
naufrage d'un bateau albanais.
Dans l'immédiat, les émeutes insurrectionnelles ont eu deux conséquences :
· l'une politique : la démission, le ler mars, du gouvernement de M. Meksi
et la formation quelques jours plus tard autour d'un nouveau premier ministre,
le socialiste Bashkim Fino, d'un gouvernement de réconciliation nationale
associant 10 partis politiques, ainsi que la dissolution du Parlement
afin de procéder, à la fin du mois de juin, à de nouvelles élections générales,
· l'autre internationale : l'appel à une intervention multinationale
qui sera finalement décidée fin mars, après accord de l'OSCE et des Nations
unies.
Après avoir confié une mission de médiation à l'ancien Chancelier autrichien
Frank Vranitzky, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
(OSCE) décidait, le 27 mars 1997, de l'envoi d'une mission civile d'assistance
en matière de démocratisation et de préparation des élections et approuvait
l'envoi d'une force multinationale en Albanie, sous réserve qu'elle soit en
conformité avec une action appropriée du Conseil de sécurité des Nations
unies. Ce dernier autorisait l'envoi de la force multinationale afin de
" faciliter l'acheminement rapide et sûr de l'assistance
humanitaire et d'aider à créer un climat de sécurité nécessaire aux
missions des organisations internationales en Albanie, y compris celles qui
apportent une assistance humanitaire ". Le mandat initial de trois
mois sera prolongé, l'opération se déroulant jusqu'au 12 août.
Commandé par un général italien, l'opération Alba a été déclenchée le 8
avril 1997. Onze pays (Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grèce,
Italie, Portugal, Roumanie, Slovénie et Turquie) ont participé à cette force
qui a compté jusqu'à 7 200 hommes (dont plus de 3 000 Italiens, 950 Français,
800 Grecs et 770 Turcs).
Cette opération a permis de faciliter la fourniture rapide et dans des
conditions de sécurité de l'aide alimentaire dont l'Albanie avait absolument
besoin. Elle a contribué à créer un environnement sûr pour les missions des
organisations internationales et, en particulier, celles de l'OSCE et de l'Union
européenne. Elle a favorisé le retour progressif au calme et a permis que se déroulent
dans une atmosphère plus pacifique les élections générales des 29 juin
et 6 juillet.
Les élections des 29 juin et 6 juillet 1997 se sont effectuées
sous l'empire d'une nouvelle loi électorale. Aux 125 sièges pourvus comme
auparavant au scrutin majoritaire, s'ajoutent 40 sièges, et non plus 25,
pourvus au scrutin proportionnel, ce qui porte le nombre de députés de 140 à
155.
La campagne électorale s'est déroulée dans des conditions difficiles, en
raison notamment de menaces ou d'attentats qui ont entravé la campagne du parti
démocratique dans le sud du pays. Toutefois, l'OSCE a estimé que les
conditions de préparation et de déroulement du scrutin étaient " satisfaisantes
et acceptables ".
La coalition de gauche a emporté 120 des 155 sièges. Le parti
socialiste dispose à lui seul de 105 sièges, ce qui lui assure une large
majorité absolue. Quatre autres partis participent à la coalition : le parti
social-démocrate (9 sièges), affilié à l'Internationale socialiste,
l'Alliance démocratique (2 sièges), formation de centre gauche, le parti
agraire (1 siège) et le parti de l'Union pour les droits de l'homme (3 sièges),
qui émane de la communauté hellénophone du sud de l'Albanie.
L'opposition ne réunit que 32 députés, dont 27 pour le parti démocratique,
2 pour le parti du mouvement pour la légalité, d'inspiration royaliste, 1 pour
le parti de l'unité nationale, 1 pour le parti républicain et 1 pour le parti
du Front national. Trois députés étaient en outre non inscrits.
On peut signaler que s'est déroulé, le jour même des élections législatives,
un référendum réclamé par le prétendant au trône, Leka 1er, fils de
l'ancien roi Zog, au cours duquel les Albanais ont écarté le retour à la
monarchie.
Le gouvernement qui succède à celui de M. Fino est dirigé par M. Fatos
Nano, ancien Premier ministre de Ramiz Alia dans le gouvernement de
transition de 1991, emprisonné depuis 1993 à la suite d'accusations de
corruption. Il associe le parti socialiste, dont M. Nano est membre, le parti
social démocrate et l'Alliance démocratique.
A la suite de la démission de M. Berisha le 23 juillet, le Parlement, après
avoir levé l'état d'urgence et le couvre-feu, élit M. Meidani,
membre du parti socialiste, Président de la République le 29 juillet
1997.
Votre délégation s'est rendue en Albanie quelque trois mois après la mise en place de nouveau gouvernement et le départ de la force multinationale. Elle en a retenu l'impression d'une vie politique encore très tendue, d'un retour progressif mais fragile à l'ordre public et d'une économie sinistrée dont le rétablissement passe obligatoirement par l'aide internationale.
L'apprentissage du pluralisme et de la démocratie demeure
incontestablement imparfait en Albanie. Vos rapporteurs ont relevé quatre
caractéristiques qui contribuent à alourdir le climat politique.
Tout d'abord, le débat politique est extrêmement radicalisé. Comme vos
rapporteurs l'ont constaté à la lecture de la presse, il est souvent marqué
par l'outrance verbale et l'invective, voire la violence physique : le président
de la commission de la défense de l'Assemblée populaire a été atteint en
plein Parlement par un coup de pistolet tiré par un député qui souhaitait
"venger" un affront public. De même, les relations entre autorités
politiques relèvent plus souvent du rapport de force que de la négociation et
de la conciliation. Dans ce contexte, il faut souligner le rôle modérateur
qu'entend jouer le Président de la République, M. Meidani, qui a démissionné
du parti socialiste dès sa prise de fonction pour marquer son attachement à
l'unité nationale.
Deuxièmement, la régularité des consultations électorales, et donc la
légitimité du Parlement, sont contestées de manière récurrente. Pas plus
que le parti socialiste en 1996, le parti démocratique n'a admis sa défaite électorale
du printemps 1997 et il a décidé en conséquence de boycotter les travaux
du Parlement. Le parti démocratique, principale force d'opposition, a laissé
vacants les différents postes, notamment les présidences de commissions, qui
lui étaient attribués au sein de l'Assemblée populaire en vertu de la répartition
proportionnelle. Il s'exprime par voie de presse ou de manifestations de rues et
réclame de nouvelles élections anticipées. Seuls les petits partis
d'opposition, dont l'audience électorale est beaucoup plus faible, (parti républicain,
Front national, royalistes) participent au fonctionnement du Parlement.
Troisièmement, les règles du pluralisme et de l'impartialité de l'Etat
ont du mal à s'imposer, quel que soit le pouvoir en place. Deux exemples sont
particulièrement significatifs. Le traitement de l'information par la télévision
nationale est un thème de contestation permanent et l'ancien président du
Parlement, M. Arbnori, a conduit l'été dernier une grève de la faim pour
protester contre la censure dont l'opposition faisait selon lui l'objet. Le Président
du Sénat, M. Monory, avait au demeurant intercédé en sa faveur auprès des
autorités albanaises. D'autre part, l'alternance politique du mois de juin 1997
s'est traduite par d'importants changements de titulaires dans l'armée, la
magistrature, les administration centrale et territoriale qui soulèvent, eux
aussi, de vives contestations, moins quant à leur principe qu'en raison de leur
ampleur et du sort réservé à ceux qui quittent leurs fonctions.
Enfin, la mise au point d'un projet de Constitution piétine. La
commission parlementaire chargée de proposer un texte est présidée par un député
de l'opposition, membre du parti républicain, mais elle est boycottée par le
parti démocratique. Certes, l'Albanie ne se trouve pas dans un vide
institutionnel puisque les lois constitutionnelles provisoires permettent
d'assurer le fonctionnement des pouvoirs publics. Mais il est révélateur que
l'élaboration d'un nouveau texte achoppe sur des questions telles que l'équilibre
des pouvoirs entre le Président de la République, le Premier ministre et le
Parlement, ou encore l'indépendance de la justice.
Le trait dominant des émeutes de février et mars 1997 a
sans doute été l'effondrement de l'armée et de la police, qui sont
restées passives devant le développement des violences quant elles n'ont pas
purement et simplement vu leurs effectifs disparaître dans la nature.
Les destructions infligées aux casernes et aux matériels ont été considérables,
mais c'est surtout le pillage des dépôts d'armements disséminés dans
toute l'Albanie qui entraîne les conséquences les plus graves. Le ministre de
la défense albanais a évoqué la disparition de plusieurs dizaines de
milliards de cartouches, d'un million d'armes légères, de dizaines de milliers
d'armes lourdes, de plusieurs milliers de mines, d'obus et de tonnes
d'explosifs.
Seule une part infime de ces armements a pu être récupérée, notamment 70 000
fusils-mitrailleurs, soit environ 7% de la quantité disparue. Pour une part,
les armes volées ont été vendues hors d'Albanie, avec les risques que cela
implique au Kosovo et en Macédoine. Une quantité importante est conservée par
la population, en particulier dans un souci d'autodéfense. Enfin, une large
part reste aux mains de groupes criminels.
Le bilan humain des événements de l'hiver 1997 est extrêmement lourd. De février
à novembre, on compterait plus de 2 000 tués et de 10 000 blessés
par armes à feu dans l'ensemble de l'Albanie. Comme l'ont confirmé à vos
rapporteurs le Premier ministre et le ministre de l'intérieur, le gouvernement
considère avoir démantelé les plus importantes bandes criminelles, qui étaient
parvenues à faire régner leur loi face à un Etat impuissant dans certaines régions
du pays. Pourtant, le banditisme et la criminalité demeurent une réalité
quotidienne, y compris à Tirana. Chaque journée apporte son lot de blessés
ou de tués par armes à feu, à la suite de règlements de compte ou d'attaques
à main armée, que ce soit dans le centre des villes, où les banques et les
entreprises sont particulièrement visées, ou le long des routes, où l'on rançonne
les conducteurs.
Le relatif retour au calme depuis le mois de septembre ne permet en rien d'écarter
le risque de nouveaux incidents graves, compte tenu du nombre d'armes en
circulation et du temps nécessaire à la réorganisation des forces de l'ordre.
De plus, les organisations criminelles et mafieuses restent puissantes et
pourvues de moyens d'action importants.
La reconstruction de l'armée et de la police est donc une des toutes
premières priorités du gouvernement albanais.
Sur le plan militaire, l'Albanie a conclu des accords de coopération avec la
Turquie, la Grèce et l'Italie. Sur la base de ces accords, et à la suite du
retrait de la force multinationale ALBA, les grecs ont maintenu un petit
contingent dans le sud-ouest du pays et les italiens en ont fait de même à
Tirana et à Durrës. Par ailleurs, l'Albanie attend beaucoup du Partenariat
pour la paix de l'OTAN, auquel elle participe depuis février 1994 et qui a été
redéfini pour faire face aux besoins les plus urgents. Pour le moment,
plusieurs missions d'experts de l'OTAN se succèdent à Tirana en vue d'évaluer
les actions à mener.
L'UEO pour sa part s'est vue confier la restructuration et la formation des
forces de police. Un Elément multinational de conseil en matière de police
a été mis en place à Tirana et placé sous le commandement d'un colonel de
gendarmerie français. Ses effectifs se limitaient au mois de novembre à 24
hommes, dont 5 gendarmes français, mais il était envisagé de les renforcer.
Bien que considéré comme le pays le plus pauvre d'Europe,
avec un PNB par habitant de 800 dollars en 1996, l'Albanie se trouvait à la
veille des événements de l'hiver 1997 dans une phase de forte croissance.
La politique de libéralisation et de privatisation menée par le parti démocratique
à partir de 1992 avait entraîné un début de développement économique,
surtout dans le secteur agricole et le commerce, le secteur industriel hérité
du régime communiste étant pour sa part en déclin. La croissance du PIB s'est
située, de 1993 à 1996, entre 8% et 10% par an, ce qui en faisait l'un des
plus forts taux d'Europe centrale et orientale. Au cours de cette période, le
revenu par habitant s'est accru, conforté par l'apport considérable constitué
par les fonds transférés par les émigrés de Grèce, d'Italie ou des
Etats-Unis.
Ces résultats encourageants reposaient toutefois sur des bases fragiles, le déficit
budgétaire et surtout le déficit commercial restant élevé, et les
investissements trop faibles pour assurer la modernisation de l'économie. En
outre, la faiblesse du système bancaire et l'absence de réglementation des
activités financières allait permettre le développement incontrôlé puis
l'effondrement des sociétés " pyramidales ".
La crise financière et sociale de 1997 a donné un brutal coup d'arrêt à
l'expansion de l'économie albanaise.
Tout d'abord, la plupart des Albanais ressortent appauvris de la chute des
" pyramides ". Selon les estimations les plus couramment
citées, 70% à 80% des foyers albanais auraient placé leur épargne dans ces
sociétés, qui auraient absorbé plus de 1 milliard de dollars, soit le tiers
du produit intérieur brut. Certains, qui avaient vendu leurs biens pour vivre
de rentes financières, ont tout perdu. Les situations de précarité et de
pauvreté se sont multipliées.
Ensuite les émeutes de février et mars dernier ont entraîné des dégâts
considérables à l'ensemble des infrastructures du pays, dégâts qu'il
faudra bien réparer. Nous avons déjà évoqué les destructions infligées aux
bâtiments et aux matériels de l'armée, mais il en a été de même de
beaucoup d'édifices publics, y compris les écoles, les universités et des hôpitaux.
Les infrastructures routières et portuaires, ainsi que des installations
industrielles, ont également été touchées. Cette reconstruction représentera
pour l'Albanie un coût très élevé.
Par ailleurs, la situation insurrectionnelle qui s'est maintenue pendant
plusieurs semaines a fait chuter les rentrées de recettes fiscales,
en particulier les droits de douane qui constituent une part très importante
des ressources du budget albanais.
Au total, les indications fournies en octobre dernier à Bruxelles lors de la
conférence des donateurs font état de prévisions pessimistes pour l'année
1997 : l'inflation pourrait atteindre 50%, le PIB reculerait de 8% et
le déficit budgétaire grimperait à 17% du PIB.
Dans ces conditions, les nouvelles autorités albanaises se sont rapidement
tournées vers la communauté internationale pour obtenir à la fois une aide
d'urgence permettant de faire face aux besoins immédiats, et une aide à moyen
terme pour aider l'économie albanaise à se relever.
La situation de l'Albanie a été examinée lors d'une conférence des
donateurs qui s'est déroulée à Bruxelles le 22 octobre dernier et
qui réunissait les principaux partenaires de l'Albanie ainsi que l'Union européenne
et plusieurs institutions multilatérales dont le Fonds monétaire international
et la Banque mondiale.
Cette conférence a généralement été considérée comme un succès pour
l'Albanie, qui a obtenu le soutien de principe de la communauté
internationale, l'aide restant toutefois conditionnée au respect de
plusieurs conditions, notamment la normalisation de la situation politique
et la mise en oeuvre d'une politique économique et financière rigoureuse.
Des différentes contributions annoncées lors de cette conférence, il ressort
que l'Albanie devrait bénéficier d'ici le mois d'avril 1998 d'une aide
d'urgence d'un montant de 185,5 millions de dollars, dont 100 millions de
dollars pour réduire le déficit budgétaire et rééquilibrer la balance des
paiements, 79 millions de dollars pour la lutte contre la pauvreté, la
stabilisation économique, les réformes structurelles et le fonctionnement des
institutions, et, enfin, 6,5 millions de dollars pour démanteler les sociétés
financières " pyramidales ".
Au delà de cette aide d'urgence, des engagements à moyen terme ont également
été annoncés pour la réalisation de programmes d'investissement et
d'assistance technique. Ils représentent un total de 520 millions de dollars,
comprenant les 79 millions de dollars d'aide d'urgence, les principaux
contributeurs étant l'Italie (171 millions de dollars), la Banque européenne
d'investissement (66,9 millions de dollars), l'Union européenne (61,2 millions
de dollars) et la Grèce (59,5 millions de dollars).
Le soutien du FMI a été assorti d'un délai de six mois pour permettre
au gouvernement albanais de mettre en oeuvre un programme d'urgence qui comporte
la liquidation de toutes les sociétés " pyramidales ", la
réforme du système bancaire, et diverses mesures fiscales et budgétaires. Le
gouvernement albanais a d'ores et déjà porté la TVA de 12,5% à 20% et il
entreprend une réduction des postes dans la fonction publique. Au delà du délai
de six mois, le FMI pourrait envisager un programme triennal soutenu par une
facilité d'ajustement structurel renforcé.
Les premières mesures de redressement mises en oeuvre par le gouvernement
albanais risquent toutefois d'être durement ressenties par une population déjà
très appauvrie, en l'attente d'une aide plus massive qui n'interviendra au
mieux qu'en milieu d'année 1998.
Ayant accédé difficilement au rang de nation souveraine au
début du siècle, l'Albanie a toujours évolué dans un contexte régional
difficile, marqué par les tensions qui l'opposaient à ses voisins. Après la
longue période d'isolement sous le régime d'Enver Hoxha, on peut considérer
que l'Albanie est parvenue, dans une certaine mesure à desserrer l'étau qui
entravait ses relations avec l'extérieur.
L'Albanie a su développer des relations privilégiées avec les plus proches
pays méditerranéens : l'Italie, la Grèce et la Turquie. Elle fait de
" l'intégration euro-atlantique " sa première priorité.
En revanche, la permanence de la question albanaise au Kosovo et en Macédoine
demeure, malgré la volonté d'apaisement des autorités de Tirana, un facteur
de risque et d'inquiétude pour l'avenir.
L'Italie, ancienne puissance occupante, la Grèce, pays rival jusqu'à une date récente, et la Turquie sont aujourd'hui des partenaires privilégiés de l'Albanie.
L'Italie, qui avait envahi l'Albanie en avril 1939 pour en
faire une véritable colonie et l'occuper jusqu'en 1943, fait figure de premier
et de principal partenaire et son influence domine dans tous les domaines.
L'Italie compte sur son sol plusieurs dizaines de milliers d'albanais, dont une
proportion importante de clandestins. Elle reste, dans les périodes de crise
comme en temps ordinaire , une destination privilégiée pour les albanais désireux
de quitter leur pays.
La situation de la communauté albanaise en Italie et notamment le rôle que
l'on prête parfois à certains de ses membres dans l'organisation d'activités
illicites, constitue un sujet de friction périodique entre les deux pays, mais
globalement, les relations politiques sont bonnes, comme en témoigne la fréquence
des contacts politiques de haut niveau entre les dirigeants italiens et leurs
homologues albanais. Il est significatif que l'opération ALBA ait été dirigée
par un officier italien et que l'armée italienne ait fourni pratiquement la
moitié des effectifs de la force. Un accord militaire permet par ailleurs le
maintien de certaines unités italiennes à Tirana et dans le port de Durrës.
L'Italie constitue le premier partenaire économique et commercial de l'Albanie.
Elle s'est placée au premier rang des donateurs lors de la conférence de
Bruxelles en octobre dernier.
Enfin, l'influence italienne s'exerce par le biais des nombreuses chaînes de télévision
captées en Albanie.
Les relations gréco-albanaises sont historiquement
conflictuelles. Lors du démantèlement de l'Empire ottoman, la Grèce chercha
à s'étendre sur des territoires finalement attribués à l'Albanie. C'est le
cas du sud du pays, longtemps revendiqué par la Grèce qui le considérait
comme l'Epire du Nord. Cette région comporte une importante minorité hellénophone
et orthodoxe qui, selon Athènes, représenterait 300 000 personnes, soit près
du dixième de la population totale de l'Albanie. Les autorités de Tirana
considèrent quant à elles que la minorité grecque ne représente pas plus de
55 000 personnes.
Le sort de cette minorité grecque en Albanie était un sujet de tensions
et d'accusations d'oppression d'une part, et d'ingérence d'autre part. On peut
observer que cette minorité participe activement à la vie politique albanaise
et l'une des formations politiques qui la représente, le parti de l'Union des
droits de l'homme, issu de l'association Omonia, dispose de députés au
Parlement albanais.
Inversement, la Grèce constitue une terre d'accueil pour les émigrés albanais
(plusieurs centaines de milliers), mais une bonne part de cette émigration
s'est effectuée clandestinement.
Après plusieurs décennies de confrontation, les relations entre la Grèce
et l'Albanie se sont très notablement améliorées, du fait de la volonté
commune des deux parties. A l'occasion de la première visite en Albanie d'un
chef de l'Etat grec, en mars 1996, un traité d'amitié et de coopération a
été signé entre les deux pays.
L'Albanie a sensiblement élargi la place du grec dans le système éducatif en
autorisant l'ouverture de classes d'enseignement en grec. Elle a permis
l'installation de consulats grecs dans les villes du sud du pays.
La Grèce s'est engagée à régulariser la situation de 200 000 travailleurs
albanais clandestins. Elle contribue au programme d'aide d'urgence et
d'assistance technique à l'Albanie. Après avoir participé à l'opération
Alba, elle a prévu de développer une coopération militaire avec l'Albanie, et
sur la base d'un accord bilatéral, elle a maintenu un petit contingent dans le
sud du pays.
La question des frontières terrestres et du plateau continental doit également
être examinée par une commission bilatérale.
Enfin, au delà de ces nombreux signes politiques, les relations économiques
entre les deux pays se sont intensifiées, la Grèce étant devenu le deuxième
partenaire économique et commercial de l'Albanie.
Bien qu'ancienne puissance occupante au temps de l'Empire
ottoman, la Turquie a noué de bonnes relations avec l'Albanie, peut être en
contrepoint des rapports plus difficiles que celle-ci entretenait avec la Grèce.
La Turquie a envoyé un contingent à peu près équivalent à celui de la Grèce
pour l'opération ALBA et elle développe une coopération militaire avec
l'Albanie, sur la base d'un accord signé le 27 juin dernier.
La Turquie fournit également une assistance économique à l'Albanie et, sur le
plan culturel, un collège turc a été ouvert à Tirana.
Pour Tirana, la Turquie représente un partenaire solide, susceptible de faire
contrepoids en cas de résurgence des tensions avec la Grèce.
Alors qu'un important soutien des Etats-Unis lui était
accordé dès 1992, l'Albanie a fait du rapprochement avec l'ensemble européen
une priorité de sa diplomatie. Toutefois, dans un souci de diversification des
partenariats, le Président Berisha avait décidé de faire adhérer l'Albanie
à l'Organisation de la Conférence islamique. Ainsi que l'a exprimé le nouveau
premier ministre, M. Fatos Nano, à votre délégation, l'actuel gouvernement a
souhaité revenir sur cette décision qu'il juge par ailleurs
inconstitutionnelle, puisqu'elle résultait d'un simple décret sans
ratification parlementaire. Il est en effet apparu aux yeux des nouveaux
dirigeants albanais que la vocation naturelle de l'Albanie était de se
rattacher à l'Europe occidentale et qu'il y avait en quelque sorte
incompatibilité entre cet objectif et l'appartenance à d'autres organisations
politiques non européennes.
Ainsi a été confirmée et renforcée par le nouveau gouvernement la politique
d'intégration de l'Albanie dans les principales instances européennes et
atlantiques.
L'Albanie a été admise à l'Organisation sur la sécurité
et la coopération en Europe en 1991 puis le 29 juin 1995 au Conseil de
l'Europe, à la suite d'un avis favorable assorti d'une série d'engagements et
de considérations relatifs à la démocratisation et au renforcement de l'état
de droit.
Pour l'Albanie, l'admission à ces deux instances constituait tout d'abord l'accès
à une tribune européenne après des décennies d'isolement. Elle permettait également
d'évoquer la nécessité de régler la question albanaise, au Kosovo mais aussi
en Macédoine, et de mettre ainsi l'accent sur les principales préoccupations régionales
du pays.
L'OSCE et le Conseil de l'Europe ont quant à eux joué un rôle important dans
la vie politique albanaise, lors des consultations électorales de 1996 et de
1997, dont ils assuraient la surveillance. C'est d'ailleurs la décision de
l'OSCE d'envoyer une mission d'assistance en matière de démocratisation et de
préparation des élections qui a en partie déclenché l'opération ALBA.
Depuis lors, l'OSCE s'est vu assigner une mission de " coordination "
de l'action de la communauté internationale en Albanie mais ce rôle n'apparaît
pas toujours très clairement au regard de l'action du Conseil de l'Europe et on
éprouve une certaine difficulté à délimiter les missions respectives des
deux institutions.
Dès 1992, l'Albanie concluait avec l'Union européenne un
accord de commerce et de coopération et, de 1991 à 1996, elle a reçu de
l'Union 515 millions d'écus, soit l'aide par habitant la plus forte de tous les
pays en transition.
L'Albanie est éligible au programme communautaire PHARE qui a permis le
versement d'une importante aide humanitaire. Une aide de 210 millions d'écus
pour les années 1996-1999 a été prévue au titre de ce programme avec
notamment pour objectif des actions dans le cadre du crédit agricole, du
soutien aux PME, du tourisme et du développement des collectivités locales.
Cette assistance, partiellement suspendue en avril, à l'exception des
programmes humanitaires, a été réorientée sur trois actions d'urgence :
l'assistance douanière, afin de rétablir la perception des droits de douane,
principale ressource du budget, la reconstruction des écoles et la réfection
des prisons. Des crédits ont également été débloqués pour la réhabilitation
des bâtiments publics. Enfin, pour mieux répondre aux besoins de l'Albanie après
la sévère crise de 1997, les priorités du programme PHARE ont été redéfinies
autour de quatre axes : le soutien aux administrations publiques, aux
infrastructures, à l'agriculture et au développement local.
L'Albanie a également demandé l'ouverture de négociations sur un accord
d'association similaire à ceux conclus avec les autres pays d'Europe centrale
et orientale. La Commission européenne souhaite plutôt réactiver l'actuel
accord de commerce et de coopération avant d'envisager la conclusion d'un
accord transitoire " renforcé ", l'association à l'Union
européenne demeurant cependant l'objectif à moyen terme.
L'isolement qu'a connu l'Albanie durant plusieurs décennies
et l'existence de foyers de tension à ses frontières, l'ont logiquement
conduite, dès 1992, à rechercher les moyens de renforcer sa sécurité en se
rapprochant des organisations de sécurité collective.
D'autre part, l'Albanie est apparue comme un point stratégique dans le suivi du
conflit bosniaque, et les Etats-Unis ont utilisé la base aérienne de Gjader
pour des missions effectuées par des drones de reconnaissance en Bosnie.
Toutefois, cette importance stratégique a décliné après les accords de paix
de Dayton.
L'Albanie figure parmi les premiers signataires du partenariat pour la paix de
l'OTAN et elle souhaite à terme intégrer l'Alliance atlantique.
L'armée albanaise avait participé à plusieurs exercices militaires dans ce
cadre et avait envoyé des stagiaires dans divers pays de l'Alliance. Le
programme individuel arrêté pour l'Albanie en 1996 a du être revu après les
événements de 1997 qui ont considérablement affaibli l'armée albanaise,
qu'il faut désormais entièrement reconstruire. Le nouveau programme est orienté
vers la formation et doit donner lieu à 12 missions d'expertise de l'OTAN d'ici
le début de l'année 1998 afin d'évaluer les besoins les plus pressants.
La question du rapprochement de l'Albanie et de l'Union de l'Europe occidentale,
à laquelle dans un premier temps elle souhaitait être associée, est liée à
l'évolution des relations avec l'Union européenne, et n'est pas à ce stade à
l'ordre du jour.
Au-delà de l'ouverture diplomatique qui lui a permis, depuis 1992 de diversifier et de conforter ses relations extérieures, la question internationale majeure pour l'Albanie demeure celle de ses relations avec la Serbie et la Macédoine, liée à la situation des populations albanaises qui y résident. Le nouveau gouvernement albanais manifeste une réelle volonté d'apaisement mais pour autant, la situation politique au Kosovo et en Macédoine reste très incertaine et constitue toujours un facteur de risque important pour la stabilité de la région.
Relativement limités au Monténégro, qui compte dans sa
population 200 000 Albanais, mais qui se trouve lui aussi confronté à des
relations difficiles avec la Serbie, son partenaire dans la république fédérale
de Yougoslavie, les problèmes liés au statut politique et à la situation des
populations albanaises sont beaucoup plus aigus dans la région du Kosovo, intégrée
à la Serbie.
Situé dans la partie méridionale de la Serbie, le Kosovo compte environ 2
millions d'habitants, dont 1 800 000 Albanais, soit 90% de la
population. En dépit de cette réalité démographique, la Serbie considère
le Kosovo comme l'un de ses territoires historiques, le coeur de la Serbie médiévale
vidé de sa population slave lors de l'invasion ottomane. Les Albanais du Kosovo
aspirent pour leur part à l'indépendance et ont proclamé en 1990 leur République
avec pour Président M. Ibrahim Rugova. Les autorités de Belgrade sont jusqu'à
présent restées intransigeantes sur les revendications autonomistes et, depuis
l'instauration de l'état d'exception en 1989, maintiennent au Kosovo un
dispositif policier important qui mène une forte action répressive.
La question du Kosovo occupe une place centrale dans l'antagonisme historique
qui oppose Albanais et Serbes. Toutefois, vos rapporteurs ont eu le
sentiment que le thème de la " Grande Albanie " ethnique
n'apparaissait guère dans la vie politique albanaise, même s'il est clair que
l'ensemble des formations politiques conteste l'attitude du gouvernement serbe
et soutient les aspirations des Albanais du Kosovo.
Le nouveau gouvernement albanais adopte sur ce dossier un ton beaucoup plus modéré
que son prédécesseur afin de ne pas attiser les tensions et il préconise le
dialogue et la recherche d'une solution négociée. La volonté de nouer des
relations moins passionnelles avec Belgrade s'est illustrée de manière
spectaculaire lors du dernier sommet balkanique qui se déroulait en Crête au début
du mois de novembre 1997 et au cours duquel le premier ministre albanais, M.
Fatos Nano, a rencontré M. Milosevic. Ce geste sans précédent dans
l'histoire récente des relations entre les deux pays n'a pas valu à M. Nano
que des soutiens à Tirana et surtout au Kosovo, mais il témoigne du souhait de
Tirana d'obtenir des avancées concrètes, par exemple sur la question de
l'enseignement par la mise en oeuvre des accords Rugova-Milosevic.
En dépit de la modération des nouveaux dirigeants albanais, on ne constate
malheureusement aucun signe d'apaisement de la situation au Kosovo. Les
autorités de Belgrade, sans doute confortées par l'affaiblissement actuel de
l'Albanie sur la scène régionale, demeurent inflexibles alors que les
populations albanaises, et en premier lieu les étudiants, continuent de
manifester contre la politique de la Serbie. On ne peut écarter le risque
d'une radicalisation de certains mouvements albanais du Kosovo, tout en
soulignant qu'un nombre important d'armes volées dans les dépôts militaires
d'Albanie l'hiver dernier ayant vraisemblablement franchi la frontière, les
conséquences d'une telle évolution seraient très graves pour la stabilité régionale.
La population albanaise représente en Macédoine une forte
minorité de 480 000 personnes, soit 23% de la population, regroupée dans
l'ouest du pays.
La question des albanais de Macédoine n'a jamais revêtu la même acuité que
celle du Kosovo. D'une part, les revendications de la minorité albanaise
portent davantage sur la reconnaissance de l'identité culturelle que sur une réelle
autonomie politique. D'autre part, les autorités de Skopje ont toujours montré
une attitude plus ouverte que celles de Belgrade et n'ont pas employé les mêmes
moyens de coercition.
Ici encore, le nouveau gouvernement albanais a choisi la voie de la modération
et de l'apaisement, rejoignant en cela l'une des deux formations politiques
albanaises de Macédoine.
Dans l'immédiat, deux questions essentielles opposent la minorité albanaise et
le gouvernement de Skopje : le développement de l'enseignement en
albanais, notamment dans le supérieur, et l'accroissement des pouvoirs des
collectivités locales. Ces sujets ne constituent pas des obstacles
insurmontables et devraient pouvoir faire l'objet d'avancées concrètes de
nature à satisfaire les aspirations albanaises.
Toutefois, l'essor démographique rapide de la communauté albanaise de Macédoine,
renforcé par l'arrivée d'albanais du Kosovo pourrait, si aucun progrès n'est
réalisé, aggraver les tensions avec la communauté slave.
D'autre part, l'existence de mouvements radicaux albanais en Macédoine et les
liens qu'ils entretiendraient avec des organisations du Kosovo, accentuent
encore le climat d'incertitude et les facteur de risques pour la sécurité régionale.
Vos rapporteurs ont été frappés, lors de leur séjour en
Albanie, de la vivacité de la francophonie, que ce soit dans les milieux
universitaires et intellectuels ou dans le monde politique. Incontestablement,
la France dispose dans ce pays d'une influence culturelle résultant de
relations anciennes et d'une politique jamais interrompue de formation des élites
albanaises dans les universités françaises.
Dans un contexte d'ouverture de l'Albanie à l'Europe, la préservation de
cette influence française nécessite un renforcement de nos moyens de coopération
culturelle.
Quant aux relations politiques et économiques, elles semblent encore modestes
alors que la tradition francophone crée pourtant un terrain très favorable à
leur développement.
D'après les informations fournies à vos rapporteurs, on évalue à 30 % de la population la proportion d'Albanais comprenant ou parlant le français, ce qui ne manque pas de surprendre dans un pays si longtemps coupé de l'extérieur. Pour autant, ce "capital" francophone ne saurait être immuable, compte tenu de l'ouverture de l'Albanie à d'autres pays, et sa préservation exige une attention prioritaire.
Il convient de souligner que les relations culturelles
avec l'Albanie n'ont jamais été interrompues, même au plus fort de
l'isolement du pays, notamment en raison du maintien de bourses de longue durée
qui permettaient à des étudiants albanais de se former en France.
Favorisé par le lycée français de Korça, entre 1917 et 1939, l'enseignement
du français s'est poursuivi sous la dictature d'Enver Hoxha, lui-même
enseignant dans ce lycée. On estime qu'aujourd'hui, plus de 30 % de la
population parle le français, la langue française occupant une place de
tout premier ordre chez les principaux dirigeants politiques du pays. Même s'il
a perdu sa première place au profit de l'anglais, le français est étudié par
le tiers des collégiens et des lycées, ainsi que par plus de 1 300 jeunes
enfants bénéficiant de l'opération "français précoce". L'Albanie
compte 700 enseignants de français regroupés dans l'Association des
professeurs de français d'Albanie. L'Albanie vient d'être admise comme
observateur dans les structures des Etats ayant le français en partage.
Une Alliance française est installée à Tirana depuis mars 1992. Elle
dispose de deux antennes dans le nord (Shkodra) et le centre (Elbasan) du pays,
une troisième devant être ouverte dans le sud-est (Korça). L'Alliance française
accueille plus de 1 600 étudiants, dont 1 085 à Tirana.
A l'occasion des cérémonies de célébration de son 5e anniversaire, votre délégation
a pu juger du dynamisme et de l'impact de cette jeune Alliance française en dépit
de la modestie de ses moyens. Elle dispose en effet de locaux qui lui sont prêtés
par le lycée des langues étrangères de Tirana qu'elle a dû rénover et équiper.
Elle souhaite développer ses activités en diversifiant le type des cours
prodigués, notamment en direction de spécialités telles que le secrétariat
commercial et l'hôtellerie, et surtout en disposant d'un espace multimédia
plus accessible.
Il n'existe malheureusement pas de centre culturel français en
Albanie. Toutefois, il est envisagé de créer à Tirana un espace culturel
réunissant le bureau de coopération linguistique et éducative, un centre de
ressource et l'Alliance française, dans de nouveaux locaux. On doit souligner
que compte tenu de la possibilité de recruter du personnel local francophone,
le coût de fonctionnement d'un centre culturel ne serait pas considérable, et
paraît même tout à fait à la portée de notre pays. Il répond à un besoin
évident lié à la fois à la place remarquable du français en Albanie et à
l'absence d'infrastructures culturelles de qualité. Il y aurait donc tout intérêt
à ce que la création d'un centre culturel français soit désormais une
priorité pour notre coopération.
La création d'un établissement d'enseignement franco-albanais, sous la
forme d'une réouverture du lycée français de Korça, est régulièrement évoqué
par les autorités albanaises, ainsi que vos rapporteurs l'ont vérifié au
cours de plusieurs entretiens. Compte tenu du coût de réalisation et de
fonctionnement d'un tel établissement, et de l'absence d'une communauté française
expatriée en Albanie, à l'exception du personnel de l'ambassade et de quelques
coopérants, cette création ne semble pas envisageable à court terme. Il paraît
en revanche tout à fait réaliste de développer des filières
d'enseignement en français, avec des enseignants albanais ayant bénéficié
de stages de formation en France. Ces filières pourraient voir le jour dans un
lycée de Tirana et également à Korça. Aux yeux de vos rapporteurs, la mise
en oeuvre effective, et dans les meilleurs délais, de cette solution
pragmatique permettrait d'obtenir des résultats rapides répondant aux
aspirations des autorités albanaises, très attachées à la présence d'un
enseignement en français en Albanie.
Dans le domaine audiovisuel, un programme d'installation de réémetteurs
est en cours afin de favoriser la retransmission de TV5 par voie hertzienne.
Parallèlement, un accord avec la télévision albanaise permet la diffusion d'émissions
de CFI.
Il faut enfin signaler qu'un nombre important de projets de coopération
scientifique et universitaire ont vu le jour entre des universités françaises
et l'université albanaise dans le domaine des sciences exactes, de la géologie,
de la philosophie et des sciences économiques, la France offrant par ailleurs
des bourses pour chercheurs albanais post-doctoraux dans le cadre de projets de
recherche d'intérêt commun.
En regard de cette permanence remarquable du fait
francophone, les moyens dévolus à notre coopération culturelle,
scientifique et technique paraissent très modestes pour ne pas dire très
insuffisants, l'ouverture de l'Albanie à l'extérieur risquant
paradoxalement de réduire la place du français, préservée durant les années
d'isolement.
Les crédits d'intervention au titre de la coopération culturelle,
scientifique et technique n'ont cessé de se réduire, passant de 8,1 millions
de F en 1994 à 5,8 millions de F en 1995, 5,6 millions de F en 1996 puis
4,1 millions de F en 1997.
Cette évolution très défavorable résulte à la fois du contexte budgétaire
général mais aussi de mesures de régulation qui ont affecté de manière plus
sévère les actions de coopération avec l'Albanie. Il est vrai que dans les
années qui ont suivi l'accession de l'Albanie à la démocratie, celle-ci était
relativement privilégiée, avec une aide par habitant des plus élevée pour la
région. En effet, au financement de bourses de longue durée qui constituait la
totalité de l'enveloppe de coopération sous le régime communiste et qui a été
maintenu après 1991, s'ajoutait la prise en charge d'actions nouvelles.
L'évolution des crédits depuis 1994 a ramené l'Albanie à un niveau
comparable à celui d'autres pays de la région dans lesquels, cependant, on ne
retrouve pas une aussi forte position du français Cette orientation ne paraît
donc pas opportune dans un pays où le fait francophone constitue une réalité
trop ignorée.
L'enveloppe spécifiquement consacrée à la coopération linguistique en 1996
est de l'ordre de 1,4 million de F. Elle est consacrée à l'octroi de bourses
pour des professeurs-formateurs, à l'opération "français précoce"
dans l'enseignement primaire, à la diffusion de livres dans les lycées, à la
mise en place de cours de français de spécialité et au soutien aux établissements
enseignant le français
La permanence du fait francophone en Albanie a créé des attentes qui ne se trouvent pas satisfaites par la modestie des relations politiques et économiques.
Les contacts de haut niveau entre responsables
politiques français et albanais ont jusqu'à présent été limités.
Après les visites en France du Premier ministre M. Meksi en 1994, du Président
Berisha en 1996 et de plusieurs ministres du précédent gouvernement, le
nouveau Président de la République, M. Meidani, a rencontré le Président
Chirac à Strasbourg, en marge du sommet du Conseil de l'Europe le 11 octobre
1997. Le nouveau Premier ministre, M. Nano, a également rencontré le Premier
ministre français à l'occasion d'une visite privée au mois d'octobre.
Parallèlement, la seule visite d'un ministre français en Albanie est celle du
ministre des affaires européennes, en 1993. Plus récemment, le Président
du Sénat s'était rendu à Tirana et avait remis au président Berisha un
message du Chef de l'Etat évoquant notamment l'appui de la France pour le
rapprochement entre l'Albanie et l'Union européenne, l'octroi d'une aide
alimentaire et l'accord de principe des autorités françaises pour la
restitution à l'Albanie du stock d'or, d'une valeur de 150 millions de F, qui
avait été saisi par l'Allemagne durant la seconde guerre mondiale et dont
notre pays assurait la conservation avec le Royaume-Uni et les Etats-Unis.
En ce qui concerne les contacts techniques, plusieurs commissions mixtes
relatives à la coopération culturelle, scientifique et technique, à la coopération
militaire et à la justice ont commencé à se réunir.
La coopération administrative a essentiellement concerné l'organisation
des pouvoirs locaux, inspirée du modèle français. En matière de santé, la
coopération porte sur la formation médicale et l'équipement sanitaire. La coopération
agricole est elle aussi très active, surtout dans la région de Korça et
comporte des actions en direction du réseau hydraulique, de la formation, de la
recherche agronomique et de l'élevage.
La coopération en matière de police concerne la formation au contrôle
de l'immigration et à la détection des faux documents. Elle est renforcée par
la présence française à la tête de l'Elément multinational du conseil en
matière de police mis en place par l'UEO.
La forte tradition francophone de l'Albanie, notamment au sein des élites, et
l'action particulièrement appréciée du contingent français lors de l'opération
Alba, créent un terrain très favorable au développement de bonnes
relations bilatérales, ce que traduit mal la fréquence, encore très
modeste, des visites et contacts entre autorités politiques des deux pays. Il
importe de ne pas décevoir les attentes fortes de l'Albanie à l'égard
de notre pays.
Pour le moment, les relations économiques et financières
franco-albanaises sont encore très modestes, notamment au regard de celles qui
se développent entre l'Albanie et ses deux partenaires principaux : l'Italie et
la Grèce. La France n'est que le 6e partenaire, derrière ces deux pays, mais
aussi après l'Allemagne, la Turquie et l'Autriche.
Les échanges commerciaux sont caractérisés par un fort excédent en faveur de
la France et une progression rapide des exportations françaises.
Celles-ci étaient de 63 millions de F pour 1995 et de 140 millions de F en
1996. Sur cette même période, les importations en France de produits albanais
sont restées stables (34 millions de francs en 1995, 39 millions de francs en
1996).
Les principaux projets d'investissements suivis par les entreprises françaises
en Albanie concernent l'hôtellerie, les centrales hydroélectriques, la téléphonie,
les aménagements portuaires et les transports.
Il est clair que les événements récents ne sont pas de nature à inciter les
investisseurs à s'intéresser à l'Albanie, pays où le risque politique et économique
paraît élevé.
L'Albanie s'engage toutefois, avec l'aide de la communauté internationale, sur
la voie de sa reconstruction économique et à ce titre, les besoins sont considérables.
On peut espérer que les entreprises françaises pourront profiter des
opportunités offertes par la reprise de l'aide internationale et l'octroi de
financements multilatéraux pour les opérations qui seront réalisées dans les
domaines portuaire, routier, hydroélectrique ou encore téléphonique.
A cet égard, il est très regrettable que le poste d'expansion économique ait
été pratiquement mis en sommeil, en l'absence de nomination d'un conseiller
financier.
A l'issue de son bref séjour en Albanie et des contacts
qu'elle a pu établir à cette occasion, votre délégation retient un double
sentiment d'inquiétude mais aussi d'espoir pour l'avenir de ce pays.
L'inquiétude demeure incontestablement le sentiment dominant, au moment
où l'Albanie se trouve confrontée à de multiples défis :
- maintenir l'ordre public et la paix civile, aujourd'hui apparemment rétablis,
alors que l'armée et la police sont très affaiblies et qu'un nombre considérable
d'armes restent aux mains de la population, mais aussi de bandes criminelles et
d'organisations mafieuses, si bien que le risque de nouvelles violences, après
celles qui ont marqué l'année 1997, ne peut être écarté,
- assurer le bon fonctionnement des institutions dans le cadre des règles
d'une démocratie pluraliste, ce qui implique tout à la fois le bon déroulement
des élections et l'acceptation de leur verdict, le respect de l'équilibre des
pouvoirs dans le cadre d'une nouvelle constitution recueillant l'assentiment de
l'ensemble des forces politiques, l'indépendance de la justice, l'impartialité
de l'administration et l'accès de l 'opposition aux moyens de communication,
l'apaisement d'un débat politique dominé par les passions ; force est de
constater que malgré le relatif détachement dont semble désormais faire
preuve une partie de la population à l'égard des polémiques partisanes, les
conditions d'une normalisation ne sont pas encore réunies,
- redresser une économie qui dispose d'atouts incontestables mais qui
est durement affaiblie par la crise financière et les destructions opérées
lors des émeutes,
- enfin, préserver la stabilité de la région alors qu'en dépit de la
volonté des dirigeants albanais de ne pas attiser les tensions, la situation au
Kosovo et en Macédoine reste porteuse de graves risques de conflits.
Aux côtés de ces motifs d'inquiétudes subsistent des sources d'espoir. Elles
tiennent aux réelles potentialités de l'économie albanaise et à la qualité
et aux capacités de la population, ainsi qu'à la farouche volonté de
s'arrimer à l'ensemble européen, avec l'aide de la communauté internationale
qui a confirmé son assistance financière.
Vos rapporteurs considèrent que dans la période difficile que traverse
l'Albanie, la France ne peut que souhaiter son retour sur la voie de la paix
civile et du développement économique, tant pour la région des Balkans, qui
n'a pas besoin de facteurs supplémentaires d'instabilité, que pour le pays
lui-même, auquel de multiples liens nous rattachent.
La France doit avoir conscience du capital remarquable que représente le fait
francophone en Albanie et doit le préserver. A ce titre, un renforcement
de nos relations culturelles paraît absolument indispensable, étant précisé
que quelques moyens supplémentaires permettraient sans doute d'obtenir des résultats
rapides et importants, compte tenu de l'influence déjà forte de la culture
française dans ce pays.
Pour cet ensemble de raisons, vos rapporteurs, à l'issue de cette mission,
concluent à la nécessité de renforcer la prise en compte de l'Albanie par la
politique française dans les Balkans.
La commission des Affaires étrangères, de la Défense et
des Forces armées a examiné le présent rapport d'information au cours de sa séance
du mercredi 17 décembre 1997.
A l'issue de l'exposé des rapporteurs, M. Philippe de Gaulle s'est interrogé
sur le comportement respectif des populations du nord et du sud de l'Albanie
durant les émeutes de 1997, sur les ressources économiques de l'Albanie, sur
les relations de ce pays avec la Grèce et sur la présence militaire française
en Albanie.
M. Claude Estier a confirmé l'importance du fait francophone en Albanie tout en
craignant que la place du français n'y recule dans les prochaines années,
surtout si les moyens de notre coopération continuaient à diminuer. Il a
souhaité connaître la position de l'Albanie au regard des instances de la
francophonie.
M. Christian de La Malène s'est demandé si les conditions du déroulement des
élections de juin 1997 n'avaient pas, dans une certaine mesure, conduit le
parti démocratique à en contester les résultats et à boycotter les travaux
du Parlement.
En réponse à ces différentes interventions, M. André Rouvière a souligné
que, si l'économie albanaise reposait encore largement sur l'agriculture, le
relatif essor économique des années 1992-1996 avait conduit à une élévation
du niveau de vie, avant que ce dernier ne chute brutalement cette année, la
crise financière ayant ruiné beaucoup d'Albanais réduits désormais à vivre
d'expédients.
Il a par ailleurs jugé souhaitable le maintien d'une assistance à l'Albanie
dans le domaine militaire, l'armée albanaise sortant très affaiblie des événements
de l'hiver 1997. Il a précisé que l'Albanie venait d'être admise, comme
observateur, dans la communauté des pays ayant le français en partage lors du
sommet qui s'était réuni à Hanoi en novembre dernier.
M. André Boyer a précisé que le contingent français avait quitté l'Albanie
au mois d'août 1997 et que, seuls 5 gendarmes français restaient aujourd'hui
sur place pour des missions de conseil en matière de police. Il a précisé que
les relations gréco-albanaises, longtemps difficiles en raison du problème de
la minorité hellénophone dans le sud de l'Albanie, s'étaient récemment améliorées.
Il a souligné que si les émeutes de février et mars derniers avaient gagné
l'ensemble du pays, elles avaient été particulièrement violentes dans le sud.
Enfin, il a indiqué que l'OSCE avait qualifié de "satisfaisantes et
acceptables" les opérations électorales de juin dernier, bien que le
parti démocratique ait considéré qu'il avait été empêché de mener
campagne dans le sud du pays.
M. Xavier de Villepin, président, a souligné l'importance de l'Albanie dans un
contexte régional troublé, la question du Kosovo étant incontestablement, à
ses yeux, la plus porteuse de risques pour l'avenir de la paix dans la région.
La commission a alors autorisé la publication du rapport d'information établi
par MM. André Boyer et André Rouvière.