Spécial Serbie

 

Elections présidentielles du 20/01/2008 et du 03/02/2007

 

http://balkans.courriers.info/article9590.html

Le Courrier de la Serbie
Élections présidentielles en Serbie : Tomislav Nikolić en tête
Mise en ligne : dimanche 20 janvier 2008

Alors que le scrutin a été marqué une participation exceptionnelle pour la Serbie, de l’ordre de 61 à 62% des inscrits, le candidat du Parti radical, Tomislav Nikolić devance nettement le Président sortant, Boris Tadić, avec 39,4% contre 35,4% des voix. Ce soir, la Serbie paraît plus divisée que jamais, et les deux candidats auront peu de réserves de voix pour un second tour qui s’annonce très ouvert.

6.708.697 électeurs étaient convoqués aux urnes. 8.481 bureaux de vote étaient ouverts dans tout le pays. Ils ont fermé leurs portes dimanche à 20 heures.

37.053 électeurs étaient également inscrits à l’étranger, ils ont pu voter dans 65 bureaux de vote, ouverts dans 36 pays. Au Monténégro, sept bureaux étaient ouverts, ainsi que six en Allemagne, quatre aux USA et en Italie. Les opérations de vote ont eu lieu samedi en Grande-Bretagne, aux USA, au Canada et au Portugal.

Au Kosovo, 112.861 sont inscrits, ils ont pu voter dans 277 bureaux de vote.

Les résultats

À 21 heures, donnés par les partis et par le CeSID étaient les suivants :

Tomislav Nikolić (Parti radical serbe, SRS) : 39,4%

Boris Tadić (Parti démocratique, DS) : 35,4%

Velimir Ilić (Nouvelle Serbie, NS) : 7,6%

Milutin Mrkonjić (SPS) : 6,0%

Čedomir Jovanović (Parti libéral-démocratique, LDP) : 5,6%

Ištvan Pastor (Coalition hongroise) : 2,2%

Milanka Karić (Mouvement des forces de la Serbie, PSS) : 1,0%

Marijan Rističević (Parti national paysan / Parti paysan unifié) : 0,4%

Jugoslav Dobričanin (Parti réformiste) : 0,3%

Participation à 20h

Selon le CeSID, la participation totale s’est élevée à 61% des inscrits : 62% en Serbie centrale, 57,6% à Belgrade, 63% en Voïvodine et 49,9% au Kosovo.

 

(Image GIF)

Les déclarations des deux candidats du second tour

Tomislav Nikolić : « Nous avons posé les bases d’une victoire au second tour. Beaucoup de travail nous attend pour ce second tour. Nous n’avons jamais été si proches des changements et de la victoire. Je veux unifier la Serbie, que je veux emmener sur une voie meilleure. »

Boris Tadić : « Je m’attendais à ce que nous ayons ce second tour. Je regarde avec optimisme ce second tour. Tout est encore à faire, ceux qui hésitent doivent s’engager. La Serbie ne renonce pas à sa route européenne. Nous voulons faire l’Europe avec nos talents, nos scientifiques et nos sportifs. Je ne permettrai pas que le Premier ministre de Serbie soit Šešelj ni que dominent le pessimisme et la terreur, mais je vais permettre à l’optimisme de revenir. Je brandirai tous les drapeaux du 5 octobre. »

Les 9 candidats

Tomislav Nikolić (Parti radical serbe, SRS). Le président par interim du SRS (le président en titre du parti est toujours Vojislav Šešelj) est un « habitué » des candidatures présidentielles, où il se classe toujours en seconde position. Cette année, il tente un nouveau slogan « Avec le coeur ». Il a 55 ans, il est marié et a deux fils.

Jugoslav Dobričanin (Parti réformiste). Cet ancien officier de l’Armée yougoslave est né en 1958.

Boris Tadić (Parti démocratique, DS). Le Président actuel de la République a choisi de remettre son mandat en jeu un peu avant le terme prévu par la loi. Il s’oppose catégoriquement à l’indépendance du Kosovo, mais ne veut pas compromettre pour autant les relations de la Serbie avec les pays occidentaux. Son slogan de campagne : « Pour une Serbie stable et forte ». Egalement président du DS, Boris Tadić a 50 ans. Il est marié et a deux enfants.

Velimir Ilić (Nouvelle Serbie, NS). Âgé de 57 ans, l’ancien maire de Čačak, actuellement ministre des Infrastructures, fut l’homme fort de la « révolution » du 5 octobre 2000, prenant d’assaut le Parlement à la tête d’un commando. Son parti est un scission du SPO de Vuk Drašković. Ce populiste, connu pour son caractère sanguin et ses provocations, est soutenu par le DSS de Vojislav Koštunica, par le SPO et d’importants secteurs de l’Église orthodoxe. Il a cinq enfants, issus de quatre mariages successifs.

Ištvan Pastor (Coalition hongroise). Le candidat de la coalition des partis hongrois de Voïvodine, âgé de 52 ans, entendait représenter toutes les minorités nationales de Serbie, mais beaucoup de partis « minoritaires » se sont ralliés à d’autres candidats : le SDA de Sulejman Ugljanin soutient Velimir Ilić, le SDP de Rasim Ljajić soutient Boris Tadić, comme le dirigeant rrom Rajko Djurić. Les Albanais de Preševo sont divisés, certains partis appelant au boycot du scrutin.

Marijan Rističević (Parti national paysan / Parti paysan unifié). Né en 1956, président du Parti paysan depuis 1999, il fut député de la « Coalition Voïvodine » en 2000. Il est devenu maire d’Indjija en 2004, mais a été démis de cette fonction en 2007, après avoir blessé un conseiller municipal. Candidat aux présidentielles de 2003 et de 2004, il avait obtenu 2,9% pui 0,3% des voix.

Čedomir Jovanović (Parti libéral-démocratique, LDP). Vice-Premier ministre de Zoran Djindjić (2001-2003), vice-président du DS avant d’être mis sur la touche par Boris Tadić, Čedomir Jovanović dirige le LDP. Son slogan : « La loi de la vie ». Il a 37 ans, est marié et a deux enfants.

Milutin Mrkonjić (Parti socialiste de Serbie, SPS). 66 ans, cadre du SPS, le parti de feu Milosevic. Son passé est celui d’un technocrate communiste, qui s’est adapté à toutes les vicissitudes du parti.

Milanka Karić (Mouvement des forces de la Serbie, PSS). L’épouse de Bogoljub Karić dirige le parti familial depuis la fuite de son époux à l’étranger. Née en 1957 à Peć, elle a quatre enfants.

 

 
http://balkans.courriers.info:80/article9603.html
 
BIRN
Kosovo-Serbie : les Albanais préfèrent une victoire de Nikolić
Traduit par Stéphane Surprenant
Publié dans la presse : 21 janvier 2008
Mise en ligne : mardi 22 janvier 2008
Sur la Toile
logo MOT 658

Officiellement, les dirigeants albanais du Kosovo ne veulent pas commenter le résultat du premier tour des élections présidentielles en Serbie. Le Président Sejdiu estime que le Kosovo devra développer de bonnes relations avec le « voisin », quel que soit le futur Président. D’autres estiment que le Kosovo a tout à gagner d’une victoire de Tomislav Nikolić, qui affaiblira la position internationale de la Serbie.

 

(Image JPEG)
Tomislav Nikolić

 

Le porte-parole de Fatmir Sejdiu, le Président du Kosovo, a déclaré que son territoire, actuellement administré par l’ONU mais qui se prépare à proclamer son indépendance, souhaitait développer d’excellentes relations avec Belgrade, quel que soit le futur Président de la Serbie.

Xhavit Beqiri s’exprimait ainsi au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle de dimanche en Serbie. Rappelons que l’ultra-nationaliste Tomislav Nikolić, de même que le Président sortant et pro-européen Boris Tadić, sont les deux candidats qui seront en lice pour le second tour, le 3 février prochain.

Xhavit Beqiri, porte-parole du Président Fatmir Sejdiu, explique que « le peuple du Kosovo a décidé de son chemin vers l’indépendance, et peu importe l’identité du prochain Président de la Serbie, le Kosovo ne changera pas de route ».

On s’attend à ce que le Parlement du Kosovo, largement dominé par les Albanais, proclame son indépendance de la Serbie peu de temps après le second tour du scrutin présidentiel, que Xhavit Beqiri a décrit comme « un processus politique se déroulant dans un autre pays ».

L’avenir de cette entité sécessionniste administrée par les Nations Unies - la Serbie insiste pour qu’elle demeure à tout prix partie intégrante de son territoire - a d’ailleurs été l’un des principaux enjeux abordés au cours de la première phase de la campagne présidentielle serbe.

Les résultats préliminaires du premier tour donnent à Tomislav Nikolić, leader du Parti radical serbe (SRS), quatre points d’avance sur son adversaire Boris Tadić, qui dirige le Parti démocratique (DS), le principal groupe parlementaire au sein de la coalition gouvernementale en exercice.

Interrogé à propos de la différence qu’il y aurait dans les relations Kosovo-Serbie si la Présidence serbe était remportée par l’ultra-nationaliste Tomislav Nikolić plutôt que par le pragmatique Boris Tadić, Xhavit Bequiri a simplement répondu : « Nous souhaitons construire d’excellentes relations avec une Serbie démocratique ». Il a ajouté : « Ce n’est pas aux Kosovars de choisir qui doit être à la tête de la Serbie. Cette décision appartient aux citoyens serbes ».

Toutefois, l’ancien dirigeant albanais du Kosovo Azem Vllasi estime que « Boris Tadić ne propose pas une vision plus modérée, parce que son discours durant la campagne électorale a été plus dur que celui de Tomislav Nikolić sur le Kosovo ».

Azem Vllasi, qui a dirigé l’ancienne province autonome du Kosovo pendant la phase finale de l’administration fédérale de la Yougoslavie communiste, à la fin des années 1980, explique que « la seule différence entre Tadić et Nikolić, c’est que le premier parvient à donner l’impression aux dirigeants de l’UE qu’il est un candidat plus approprié à la présidence ».

« Du point de vue des intérêts du Kosovo, il est préférable que Tomislav Nikolić l’emporte », poursuit Azem Vllasi. En effet, le chef radical ne jouit d’aucun appui dans les pays occidentaux.

Un fois le Kosovo devenu indépendant, Azem Vllasi prévoit que les menaces serbes ne dureront pas longtemps. « Peu importe qui sera le prochain Président de la Serbie, il ne va entretenir des relations tendues avec le Kosovo que pendant une courte période, car il va rapidement comprendre qu’une telle politique est contre-productive ».

Les deux candidats engagés dans la course présidentielle ont ainsi promis « de conserver le Kosovo à l’intérieur de la Serbie ».

Le contrôle de Belgrade sur le territoire disputé a pris fin en juin 1999, après la campagne de bombardements de l’OTAN qui a obligé l’administration et les troupes serbes à se retirer.

Depuis ce moment, le Kosovo a été placé sous administration de l’ONU, mais après l’échec de deux années de pourparlers destinés à trouver un statut à long terme au territoire, les dirigeants albanais ont décidé de proclamer l’indépendance dans un proche avenir.

 

 

http://balkans.courriers.info/article9592.html

Le Courrier de la Serbie
Čedomir Jovanović : accepter l’indépendance du Kosovo
Mise en ligne : dimanche 20 janvier 2008

« Je suis Belgradois, mais aussi Pristinois, Albanais... », s’exclame Čedomir Jovanović, candidat « dissident » aux élections présidentielles de ce dimanche. Pour le dirigeant du LDP, la Serbie doit accepter le plan Ahtisaari et l’indépendance du Kosovo, pour se concentrer sur l’intégration européenne. Au second tour, il hésite à se rallier à Boris Tadić.

Propos recueillis par Gaëlle Pério et Marina Rakić

(Image JPEG) Le leader du Parti libéral démocratique (LDP), Čedomir Jovanović, 36 ans, entame une deuxième vie politique. L’an dernier, lors des élections législatives, son parti a fait son entrée au Parlement avec 5% des votes. C’est le come-back d’un politicien jeune avec pourtant déjà une grande expérience politique. Vice-Premier ministre serbe (2001-2003), leader du mouvement des étudiants, proche collaborateur de Zoran Đinđić, le Premier ministre assassiné. Expulsé du Parti démocrate en 2004, il crée son propre parti, le Parti libéral-démocrate (LDP) avec le projet de « rassembler tous ceux qui sont pro-européens en Serbie ». Le scrutin de dimanche se présente comme un deuxième pas décisif pour l’avenir de son parti qui a apporté la seule voix dissonnante sur les grands thèmes de campagne, et notamment sur la question du Kosovo.

Le Courrier de la Serbie (CdS) : Comment voyez-vous les relations entre la Serbie et Priština si le Kosovo est indépendant ?

Čedomir Jovanovic (CJ) : Envers le Kosovo, Belgrade doit avoir une approche complètement différente et c’est clair aujourd’hui. La vie politique en Serbie est dominée par le système de valeurs de Milošević. Ce système n’est pas prêt aux changements nécessaires, c’est-à-dire à prendre la responsabilité pour tout le mal qui a été fait. Pour ça, la première condition est de créer un système de valeurs clair, à travers des gestes concrets. Je pense vraiment que la Serbie a besoin d’un Président qui osera dire « je suis de Priština », « je suis Albanais », parce que sans ce courage-là, il ne peut pas être un homme qui considère les autres comme des égaux, comme des partenaires. Les Kosovars ont rejeté la Serbie dès 1999 à cause de ce que l’État serbe avait fait au Kosovo. Mais la même Serbie aujourd’hui s’expose à travers la force, ici, en Serbie. C’est la vérité désastreuse : 90% des jeunes gens ne voient pas leur avenir ici. Je dois penser à eux aussi et je crois que l’accord avec les Albanais est possible. Sur quelle base ? D’abord en respectant la réalité. Le Kosovo est indépendant de Belgrade et il faut donner un nouveau sens aux relations entre les deux : il faut qu’ensemble, ils résolvent les problèmes hérités du passé et s’attellent à une nouvelle vision qui fera en sorte que la vie dans cette région soit européenne. Il faut rappeler que la même Europe a sa part de responsabilité dans les désaccords du passé. Dès le début, le plan Ahtisaari a été acceptable pour nous [LDP] comme une bonne base pour la définition des relations mutuelles. Lorsque le Parlement serbe a rejeté le plan Ahtisaari, le groupe parlementaire de la LDP a voté contre. En cas de proclamation d’indépendance unilatérale du Kosovo, puis de sa reconnaissance, rien ne sera résolu, les problèmes resteront. Je vois là une chance unique pour la Serbie, et elle doit l’utiliser : travailler à une solution à ces problèmes en partenariat avec la communauté internationale et les citoyens du Kosovo. Ainsi, on s’ouvre à la possibilité d’une vie commune entre Serbes et Albanais au Kosovo, mais aussi à des arrangements mutuels typiques pour les autres sociétés européennes.

CdS : Comment préparer les Serbes à l’indépendance du Kosovo qui semble inéluctable ?

CJ : La politique du LDP montre qu’il y a la place pour cette idée. La société serbe est meilleure que son gouvernement. Le problème fondamental, c’est que les citoyens n’ont jamais eu le droit de savoir la vérité. Et c’est pourquoi je condamne cette politique hypocrite de Boris Tadić, fondée sur les préjugés et l’abus du sentiment d’injustice. Cette politique parle de l’avenir comme d’un temps sans importance et privilégie l’immobilisme. La Serbie doit se transformer. Je crois que les citoyens sont prêts à le faire, mais ce sont les autorités irresponsables qui les privent de cette chance. Milošević faisait exactement la même chose.

CdS : Quelle sera la position de la LDP au deuxième tour des présidentielles ?

CJ : Je me suis engagé avec les citoyens à transformer la Serbie. Or, l’obstacle sur cette route est le gouvernement de Koštunica dans lequel Tadić et son parti sont majoritaires. Au deuxième tour, on ne peut pas me demander de changer notre politique. Nous sommes toujours prêts à coopérer avec Tadić et à nous battre à ses côtés. Mais lui n’a pas voulu cette coopération et il a refusé nos suggestions pour ne pas avoir à redéfinir ses relations avec Koštunica. Pour avoir notre soutien au deuxième tour, Boris Tadić doit changer ses relations avec ce gouvernement dont la politique met en danger notre avenir européen.

 

http://balkans.courriers.info/article9379.html

 

Dani
« Cette Serbie qui n’arrive toujours pas à renoncer aux mythes nationalistes »
Traduit par Nihad Hasanović
Publié dans la presse : 9 novembre 2007
Mise en ligne : dimanche 20 janvier 2008
Sur la Toile
logo MOT 32

Latinka Perović, historienne, grande figure des « libéraux » de l’ancienne Ligue des communistes serbes, analyse les maux dont souffre toujours son pays. Obsession du Kosovo, mauvaises relations avec les pays voisins, attente du soutien du « grand frère russe », la Serbie de 2008 n’arrive pas à se débarrasser des idéologies et des mythes funestes qui ont causé sa chute à la fin du XXe siècle. Le regard d’une observatrice engagée.

Propos recueillis par Edina Nurikić

(Image GIF) Comment décrire la Serbie contemporaine ? Personne ne m’avait dit que Senad Pećanin me poserait cette question, mais j’imaginais bien qu’elle arriverait. Je vais vous dire ce que j’ai toujours dit très ouvertement. Je crois que c’est au début de l’automne qu’a été donnée la dernière touche à la politique erronée de notre pays, une politique qui coûte très cher à la Serbie elle-même, à ses voisins, à la région entière, et même à l’Europe qui s’investit dans cette région... Je considère tous les événements qui se sont produits, depuis les années 1980 jusqu’à nos jours, comme un seul et même processus.

Une guerre tous les six ans et demi

Ce processus commence avec la réapparition de l’idéologie grand-serbe, dont l’objectif consiste à créer un État national serbe. Cette idée est revenue sur le devant de la scène après des changements du système politique qui dépassaient, par leur signification, le contexte yougoslave, après la disparition du leader historique [Tito, NdT] et l’effondrement du parti unique.

Pour réaliser ce but national, personne n’a pris en considération ni l’époque, ni l’espace, ni l’air du temps. Nous savons très bien que ce processus a été élaboré de manière systématique. On le trouve décrit dans beaucoup de livres aujourd’hui écrits sur la désintégration de l’État yougoslave. Il s’agit d’un exemple classique de régime nationaliste à prétention territoriale.

En premier lieu, le Mémorandum de l’Académie des Sciences serbe a établi en 1986 le fondement idéologique du projet. Ensuite, la propagande a joué son rôle, une propagande dont les caractéristiques principales n’ont jamais changé jusqu’aujourd’hui. Après quoi, on s’est mis à fanatiser les masses en procédant à une organisation militaire et paramilitaire de la société, nécessaire pour mener des conflits armés.

La Serbie a souvent fait la guerre dans son histoire récente. Si quelqu’un se penchait sur cette histoire en faisant des calculs, il pourrait constater qu’au cours des deux derniers siècles, la Serbie a fait une guerre tous les six ans et demi en moyenne. L’intervalle de paix le plus long fut la période qui suivit la Seconde Guerre mondiale. Les guerres des années 1990 ont par contre été les plus longues. Ce fut une décennie belliqueuse qui a vu la disparition d’un État, et où de graves crimes ont été commis. À cette époque, la société serbe s’est effondrée, tandis que s’imposait une grande confusion sur les perspectives historiques. On ne peut pas dire que la société serbe n’a pas résisté, mais ce qui compte dans de telles situations, ce sont les proportions.

Quelques mots dans une encyclopédie

Que dire de l’an 2000 et de la chute de Milošević ? Qu’est-ce que la Serbie aurait pu devenir, quels sont les résultats, que s’est-il alors vraiment passé ? Ce sont des questions pour les historiens. Ce qu’un contemporain ressent à fleur de peau, c’est qu’il n’y a pas eu de changement essentiel et profond. Je ne pense pas au sens technique ou physique, bien que l’image ne soit pas rose dans ce cas non plus. Il n’y a pas eu de changements dans la façon de penser, pas de changements en ce qui concerne les règlements de compte, le bilan historique ou l’adoption de leçons sérieuses relatives aux expériences récentes. La « révolution » du 5 octobre 2000 fut, en fait, un événement dont les acteurs étaient très hétérogènes dans leurs motivations, leurs intentions et leurs objectifs. Une observation attentive de ce qui s’est passé en Yougoslavie, qui représentait la solution étatique la meilleure possible pour le peuple serbe, aurait permis de voir clairement qu’aucun changement radical ne pourrait prendre place du jour au lendemain, mais qu’il était très important d’arriver à un accord.

Une volonté de tourner la page et d’entamer de profonds changements était présente, grâce à l’engagement, sincère ou non, des Serbes eux-mêmes, qui voulaient rétablir les liens avec les pays voisins, avec l’Europe et le monde entier. Mais, pour réaliser ces changements profonds, il aurait fallu que l’on cesse de percevoir l’État comme une icône au-dessus des êtres humains, au-dessus de la société. Rompre avec cette mythologie de l’État est indispensable pour développer une politique réaliste et pragmatique de changement.

Tous les efforts de changement ont cessé avec l’assassinat du Premier ministre Zoran Đinđić [1]. Nous avons soulevé de nouvelles discussions académiques en nous demandant s’il s’agissait d’une continuité historique. Tous les acteurs de l’époque de la destruction, des meurtres, des viols, et du nettoyage ethnique, sont toujours présents. Ces derniers jours, j’ai lu un texte dans lequel on parlait de cette grande encyclopédie anglaise qui a pris des concepts nouveaux de toutes les langues nationales. Seuls trois concepts de la langue serbe ont été empruntés : le seul qui importe, c’est le « nettoyage ethnique ».

L’enjeu est terrible. Il a montré que, sans définir ce qui s’est passé, on ne pouvait pas ouvrir un chemin vers de nouvelles perspectives. La défaite était factuelle dans toutes ces guerres, mais la défaite mentale n’a jamais été acceptée, ni avant ni après les accords de Dayton... Elle s’est manifestée par un désaveu constant des réalités nouvelles, par le fait que la Yougoslavie avait disparu. Et cette nouvelle réalité devait être appréciée par une évaluation critique et éthique...

En mauvais termes avec tous ses voisins

Mon opinion est que, d’une certaine façon, ce cercle s’est fermé. Je vais illustrer cette théorie par la chose suivante : nous sommes en mauvais termes avec tous nos voisins, car nous ne reconnaissons pas vraiment la Bosnie-Herzégovine en tant qu’État indépendant, nous ne reconnaissons pas non plus véritablement le référendum monténégrin, pourtant tenu dans de très rigoureuses conditions européennes, ce qui confirme que l’idée de l’indépendance du Monténégro répondait à une aspiration objective. Cependant, nous considérons cet épisode comme un épisode saugrenu qui se terminera bientôt. Nous pensons toujours que l’avancée de la Croatie vers l’Union européenne est imméritée... Nous nous entêtons à ne pas reconnaître l’Église orthodoxe macédonienne.

Nous ne reconnaissons pas non plus la réalité à l’intérieur des frontières de la Serbie. Le processus de dissolution de la Yougoslavie, ouvert et toujours en marche, doit se terminer au Kosovo. Nous refusons d’accepter cet état de fait et nous cherchons à ce que les peuples serbe et albanais s’éloignent l’un de l’autre. Nous sommes des peuples voisins, orientés physiquement l’un vers l’autre, et nous exacerbons ces relations en sacrifiant partout, dans toutes ces communautés, le peuple serbe en tant qu’instrument de notre politique.

Bien entendu, il y a une question cruciale. Qu’est-ce qui se trouve au centre de la politique et qui ne cesse de produire des crises ? Que trouve-t-on dans la composition de l’État qui produit des crises en son sein et qui ne permet ni évolution sociale, ni aucun autre développement ? Je crois que l’une des raisons cruciales, c’est la Constitution, et tout se qui s’est passé autour d’elle - la façon dont elle a été établie.

Nous avons de nouvelles crises au Sandžak, une tension latente en Voïvodine, et on nous reproche d’être trop critiques, de dramatiser les choses, parce que des émissions comme le « Sablier » (Peščanik) de B92 mettrait en relief des phénomènes marginaux, comme le néo-nazisme, l’antisémitisme, ou le fondamentalisme clérico-nationaliste [2].

Les déchiffreurs du « Sablier »

C’est un état d’esprit qui montre une confusion très profonde de la société serbe même. Je crois que ce régime s’est dressé pour se déchiffrer soi-même. D’une certaine manière, il a essayé de constituer juridiquement, au moyen de la logique juridique internationale, ce que, au premier acte, le régime précédent avait fait en détruisant l’espace yougoslave. Les autorités actuelles ont tenté de s’approprier ce qu’elles ont conquis. Dans ce sens, je ne trouve pas que cette politique a définitivement bouclé sa boucle maintenant, c’est-à-dire après les changements de 2000.

Je crois qu’une question se pose pour la Serbie telle qu’elle est aujourd’hui : est-elle prête à tenir compte de l’air du temps et du courant de notre époque ? Je ne pense pas à son chemin vers l’Union européenne, mais à la politique intérieure, à son essence, à ses objectifs principaux pour construire un État de droit moderne. Ou bien est-ce que tout cela est une introduction à un consensus ? Allons-nous finir par parachever cette orientation ? Je considère qu’en Serbie, c’est une question toujours ouverte. En cela, la société ne peut pas être privée de responsabilité. De toute façon, elle confirme cette politique aux élections. Elle a la possibilité de choisir. Les positions, les résultats et les bilans de cette politique ne sont pourtant pas ambigus...

Les députés du Parlement continuent de considérer qu’il faut réviser les frontières, garder le Kosovo et une partie de la Bosnie, tracer une nouvelle frontière en Croatie, mener une nouvelle politique envers les minorités... Donc, toutes ces choses indiquent que la Serbie n’a pas rompu avec cette approche. Les gens du « Sablier », qui décryptent ces faits en tant que Serbes et en tant que citoyens, en tant que gens qui pensent, sont une sorte d’ennemis intérieurs pour certains.

Kosovo-Serbie-Bosnie

Les représentants politiques de Serbie n’ont pas encore renoncé à cette essence politique. C’est la politique de guerre, de frontières ethnographiques, la politique de la Grande Serbie, consistant à sauver, autant qu’on puisse, ce qui est resté. D’un côté, cela démontre une insouciance complète de la réalité, qui produit des effets très négatifs pour la Serbie même. C’est une propagande puissante.

La tentative d’intégrer les Albanais dans la Yougoslavie était fondamentale. Si la destruction de la Yougoslavie a commencé au Kosovo, si ce projet s’est écroulé, si des horreurs insupportables se sont produites là-bas, si on a procédé à l’annulation de l’autonomie et à la suppression des institutions, accompagnées de la création d’une société parallèle - ce sont des éloignements qu’on ne peut mettre en accord par aucune propagande.

Sur la base de l’image médiatique serbe, on ne peut pas conclure sur ce qui se passe vraiment. Là-bas, des changements sont pourtant advenus ; là-bas, il y a la communauté internationale. Les intérêts sont très importants pour la communauté internationale, mais ils sont beaucoup moins importants pour le régime politique en Serbie qui les manipule. Celui-ci compte sans doute sur le fait que son dernier atout relativement à l’indépendance du Kosovo consiste à mettre en marche les masses de cette région vers la Serbie. Il fait tout pour les déstabiliser et rendre leur position extrêmement problématique.

Quant à la mise en rapport de la Bosnie et du Kosovo, cela devient peut-être d’autant plus paniquant que la fin des négociations s’approche et qu’on entrevoit de plus en plus la solution qui sera en fait trouvée. Je ne pense pas que le régime qui est actuellement au pouvoir en Serbie s’en soit jamais écarté. En insistant sur les relations économiques et spéciales, il a mené une politique envers la Republika Srpska dans le but de créer un État factuel, avec une totale insouciance de la réalité, selon laquelle la Bosnie est un pays indépendant. Néanmoins, aucun référendum ne pourra vaincre l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine.

La guerre n’aura pas lieu, mais...

La Serbie est un pays très délaissé, très éloigné de toute notion d’État de droit et où l’on ne sanctionne rien. De plus, c’est un pays où l’on a commis non seulement des crimes de guerre, mais aussi des assassinats de nos propres soldats, des gens du domaine de la parole publique, de la presse... On a commis aussi l’assassinat de l’ancien Président du pays, ce qui fut une expérience sauvage et médiévale. Enfin, on a commis l’assassinat d’un Premier ministre qui comprenait son époque, qui avait annoncé la possibilité de sortir la Serbie de ce chaos dans lequel elle se trouve maintenant.

Il s’agit d’un état très difficile à l’intérieur du pays, marqué par des malentendus avec tous ses voisins et par des prétentions territoriales inassouvies. Toutefois, à cause des rapports de force, à cause du contexte international, aucune guerre ne se répètera là. La Serbie n’est pas assez forte pour déclencher ça. Mais un certain chaos intérieur pourrait survenir. Il pourrait être provoqué afin d’écarter cette partie critique de la société et de la faire taire... L’objectif est de produire un grand déséquilibre, un effondrement de la société.

Qu’est-ce qui pourrait advenir ? « Est-ce que la guerre va éclater de nouveau ? », comme se demande le fils de Senad Pećanin, qui a douze ans. Ces questions sont aussi posées par beaucoup de gens en Serbie. Il les posent car nous nous sommes habitués à cette atmosphère de guerre, aux imprévus de nos revendications politiques.

On a effectivement des partis politiques qui, dans leur grande majorité, ne cachent pas que l’européanisation ne fait plus partie de leur rhétorique, considérant qu’avec une telle rhétorique, ils risqueraient leurs mandats. En se comportant de telle manière, ils ne font que raffermir l’état de conscience dominant...

Je crois que cette politique rebondit en ce moment même, par la mise en question de la Bosnie. La Serbie a fait savoir à l’Europe que ses prétentions territoriales ne sont pas satisfaites, bien que le pays soit exténué, bien qu’il ait déjà payé un prix terrible. Je crois que cela devrait avoir une influence certaine sur la société serbe aussi. Je ne vois personne qui serait prêt à participer à une cinquième guerre. Malheureusement, je ne vois pas non plus quelqu’un qui serait prêt à arrêter ses leaders politiques, à leur dire : « Ne répétez pas encore une fois cette aventure ! ».

Bien qu’on l’annonce dans certaines analyses et commentaires politiques, je ne m’attends pas pour ma part à un conflit dramatique, mais je m’attends à un chaos intérieur qui pourrait être très dangereux pour la stabilité de la région entière.

Le jeu de la Russie

Je crois que le masque démocratique est enfin tombé des visages des leaders clérico-nationalistes. Il est clair que leur but est un grand État, une nouvelle mystification. Par contre, on ne parle pas de la santé publique, des conditions de vie concrètes de la population...

Le Kosovo tient lieu de fixation. On ne peut parler de rien d’autre, on ne plus respirer, on ne peut pas convoquer d’élections sans vouloir « résoudre la question du Kosovo ».

Je crois que les dirigeants serbes connaissent très mal la réalité des rapports de force avec la Russie. En Serbie, nous pensons qu’existe une sorte d’obligation historique et que les Russes sont prêts à partir en guerre avec le monde entier pour préserver les droits de la Serbie au Kosovo, que la Russie fera tout pour entretenir ses bonnes relations avec la Serbie... En réalité, la Russie peut considérer la Serbie et le Kosovo comme les éléments d’un espace où elle pourra, dans une certaine mesure, renforcer ses intérêts et sa propre position, mais je ne crois pas qu’elle sacrifiera le moindre de ses intérêts vitaux pour la Serbie.

[1] Zoran Đinđić fut Premier ministre de Serbie de 2001 à 2003. Il fut assassiné le 12 mars 2003.

[2] Début décembre, un enregistrement public de l’émission Peščanik a été attaqué à Valjevo. Lire notre article Serbie : attaque contre l’émission « Peščanik » de la radio B92