Les résultats définitifs des élections législatives bulgares sont les
suivants :
Ordre, loi et justice (RZS) : 4,13% et 10 élus.
Il s’agit donc une victoire encore plus imposante que prévu pour le
parti du maire de Sofia, Boïko Borisov. Le nombre de députés dont il
disposera au sein du futur Parlement lui offrira le luxe de pouvoir
gouverner avec un seul partenaire de coalition, qui sera, de plus, de la même
tendance politique que lui. Il apparait d’ailleurs que c’est exactement
en ce sens que va la volonté électorale, le vote de dimanche faisant
office de grand désaveu pour les coalitions hétéroclites qui ont gouverné
le pays depuis 2001. Ce vote est aussi une réponse, prévisible, aux énormes
scandales de corruption qui ont bouleversé la Bulgarie depuis son adhésion
à l’Union européenne en 2007, des scandales qui ont amené la Commission
européenne à geler une bonne partie des fonds de préadhésion qui étaient
destinés au pays.
Un vainqueur sans programme
Pourtant, si la très forte participation électorale (la plus forte
depuis 1996 - 60,2% des inscrits) peut s’expliquer par un vote de
protestation, voire de révolte, cela n’explique pas pourquoi c’est précisément
le GERB qui a récolté l’essentiel de ce vote… D’autant que ce parti
est surtout remarquable par l’absence de personnalités d’expérience et
de charisme, à la seule exception près de son dirigeant. Le GERB n’avait
pas non plus de programme économique avant de reprendre, très tard dans la
campagne, celui de la Coalition Bleue. A la lettre près. Ce qui a fait,
donc, le succès de ce parti, pourrait finalement être résumé en un mot,
ou plutôt en un nom - celui de Boïko Borisov.
Très populaire dès son apparition sur la scène politique bulgare en
tant que chef de la police sous le gouvernement de l’ancien roi Siméon en
2001, il s’impose surtout par son habilité à convaincre les masses
qu’il est un homme d’action et par sa capacité à se montrer comme
quelqu’un de simple, voire de vulgaire, et surtout pas élitiste. Ce qui
ne veut pas dire que celui qui fut à deux reprises élu maire de Sofia soit
modeste : sa rhétorique est celle d’un homme providentiel, destiné
à « sauver le pays de tous ses maux »…
Comme tant d’autres cas à travers l’histoire et dans tant de sociétés
en période de crise profonde, la majorité des Bulgares a donc cherché un
sauveur et s’est laissée séduire par un discours messianique, et
franchement populiste. Néanmoins, s’ils sont tombés dans le vote facile,
les Bulgares l’ont fait sous conditions et dans un contexte spécifique.
Tout d’abord, s’ils ont voté « populiste », ils n’ont
sûrement pas voté « extrême », et pourtant ils avaient la
possibilité de le faire. En réalité, mis à part les socialistes, au
pouvoir jusqu’à présent, et le parti du dernier roi et ancien Premier
ministre, les autres grands perdants de ce scrutin sont les deux partis
d’extrême droite, les ethnonationalistes et ultrapopulistes Ataka et
Ordre, Loi et Justice, qui obtiennent tous deux presque deux fois moins de
voix que ne leur attribuaient les sondages. Reste qu’il faut rester
vigilant puisque, même si elle est en baisse constante depuis l’hiver,
cette extrême droite, personnifiée par Ataka, est tout de même devenue la
quatrième force parlementaire, avec 9,36% des voix et un discours
turcophobe [1],
homophobe et antisémite.
Le retour du centre-droit
Ensuite, Boïko Borisov n’a obtenu un résultat si impressionnant
qu’après avoir donné la promesse explicite de gouverner avec le
centre-droit traditionnel. Ce dernier a fait beaucoup mieux que prévu et a
aussitôt accepté la main tendue. Il convient peut-être de rappeler
qu’il s’agit de la Coalition Bleue, héritière directe de l’Union des
forces démocratiques (SDS), équivalent dans les années 1990 du
Solidarnosc polonais, du Fidesz hongrois ou du Parti démocratique serbe.
Cela signifie que durant toute cette période, ce courant a été le seul
porteur important d’un projet européen démocrate et atlantiste, face aux
velléités de « biélorussisation » et « milosevisation »
de l’ancien appareil totalitaire, camouflé en communistes réformés,
autrement dit les socialistes et leurs alliés. Affaibli par l’irruption
sur la scène politique de Siméon II (fils du dernier roi de Bulgarie,
lui-même proclamé roi par l’Assemblée nationale en 1943), qui lui a volé
la moitié de l’électorat pro-européen en 2001, avec un discours pas
moins populiste que celui de Borisov et une tendance qui se voulait libérale,
le SDS a disparu du fait de ses divisions internes. Aujourd’hui, les élections
assurent le grand retour du SDS, avec un programme de centre-droit et sous
le nom de Coalition Bleue, comme le seul partenaire potentiel du GERB.
La seule composante du gouvernement actuel qui sorte indemne, voir
renforcée, du scrutin, est le Parti des droits et des libertés (DPS), le
parti libéral qui représente la minorité turque. Ce parti a, jusqu’à
présent, toujours insisté sur son image de parti libéral et non de parti
ethnique. Souvent accusé d’être aussi corrompu que le Parti socialiste,
et évidement soucieux de se prémunir contre toute enquête, le dirigeant
du mouvement, Ahmed Dogan, insinue que toute poursuite contre lui serait une
agression contre toute la minorité turque, jouant ainsi le jeu d’Ataka
qui a toujours essayé d’identifier le DPS à la minorité turque et la
minorité turque au DPS. Dans ce contexte potentiellement dangereux au vu
des vielles traditions des Balkans dans le domaine, il est très important
que Boïko Borisov et Ivan Kostov, dirigeant de la Coalition Bleue et
Premier ministre de 1997 à 2001, aient souligné à plusieurs reprises
qu’Ahmed Dogan était un politicien bulgare corrompu et non le représentant
de la minorité turque. Les deux hommes ont également souligné qu’ils
avaient plusieurs Turcs dans leur parti.
Les grands perdants du scrutin sont les deux principaux partis du
gouvernement sortant, le Parti socialiste bulgare (BSP, héritier du Parti
communiste) et le Mouvement national pour la stabilité et l’essor
(l’ancien Mouvement national pour Simeon II, autrement dit le parti de
l’ancien roi Simeon II de Saxe-Cobourg-Gotha). Le BSP, qui a essuyé sa
pire défaite électorale depuis 1997, a payé le prix de son manque de détermination
à combattre la corruption, de sa complicité, voire de son intimité, avec
les anciens de la Sécurité d’État, qui forment aujourd’hui la mafia
bulgare, de sa dépendance envers Moscou...
La campagne électorale très négative des socialistes s’est de toute
évidence retournée contre eux-mêmes. Quant à l’ancien roi, son
parcours pourrait servir d’avertissement au futur Premier ministre, car
s’il est peut-être aujourd’hui la personne sinon la plus détestée, du
moins la plus méprisée, par l’opinion, c’est justement parce qu’il
était hier l’homme providentiel et le « sauveur ».
Pour finir sur une note plus optimiste, le grand absent du scrutin, à
l’inverse de ce que l’on constate dans tous les nouveaux membres de l’UE
depuis 2004, est le vote eurosceptique. Le seul parti qui se soit placé sur
ce créneau – Ordre, Loi et Justice (RZS) – n’a recueilli que 4,13%
des voix et, jusqu’à la dernière minute, n’était pas sûr d’entrer
au Parlement.