La victoire de M. A. Zogu fut appelée "le triomphe de la Légalité", car elle coïncidait à la période où le spectre du communisme était agité pour mettre les gouvernements "légaux" à l'abri de toutes velléités révolutionnaires, et parce qu'il reprenait en mains la direction des affaires de l'Etat qu'il avait été contraint d'abandonner après le coup d'Etat de Fan Noli.
Le 5 janvier 1925, le Conseil des Régents demanda à Zogu de former un nouveau gouvernement, qui fut approuvé, deux jours plus tard, à l'unanimité par l'Assemblée. Après le vote de confiance accordé au cabinet Zogu pour le programme qu'il avait présenté, l'Assemblée nationale, que le gouvernement de Fan Noli avait dissoute, acheva sa tâche en approuvant, le 21 janvier, le projet dotant l'Albanie du statut de République et en élisant, le 31 janvier, A. Zogu, Président de la République.
Dès lors, A. Zogu se mit au travail pour que la paix intérieure règne dans tout le pays. A cette fin, il dépolitisa l'armée qu'il épura de ses éléments indésirables, supprima le ministère de la Guerre et organisa une gendarmerie.
Enfin, une amnistie générale fut garantie à tous ceux qui avaient pris part au coup d'Etat et avaient, ensuite, quitté le pays.
En juin 1925, le Président invita les 540 chefs de clan des districts des montagnes de Scutari, Kosovo et Dibra pour leur présenter son programme de réformes. Après deux jours de discussions, les chefs lui donnèrent leur "Bessa" et lui promirent de le servir fidèlement.
La Constitution républicaine de 1925 ne subira qu'une modification de forme, le 1er septembre 1928, date à laquelle la République fut convertie, par l'Assemblée, en une monarchie sous le spectre du Roi Zog Ier.
Il convient ici de remarquer que Sa Majesté le Roi Zog Ier a été proclamé Roi des Albanais et non d'Albanie, cela afin de pouvoir englober à la mère patrie les Albanais de la région du Kosovo yougoslave et ceux du Cameria grecque. On constate donc, qu'en dehors du fait que les Albanais, de par leur histoire, leur caractère et leur façon de vivre, ne s'étaient pas très bien accoutumés à la forme républicaine de leur gouvernement, cette proclamation de la monarchie a pour essence première la volonté de parler au nom de la "grande Albanie ethnique".
De même, il apparaît que "si la personnalité du Roi n'était pas intervenue pour mettre un terme aux luttes d'extermination des diverses fractions du peuple, leur violence aurait peut-être conduit le pays à la débâcle".
La personnalité du souverain a dominé de très haut toute la vie albanaise et, de ce fait, le Roi a su gagner le cur des Albanais en commençant par être leur compagnon d'armes.
Sous Zog Roi, comme sous Zogu Président de la République, l'Albanie allait connaître une activité sans précédent dans tous les domaines.
La période 1928/1939, sous le règne du Roi Zog Ier, marqua une époque caractérisée par de profondes transformations.
Dans une interview au correspondant du "Daily Express", M. A. K. Easterman, publiée le 2 juillet 1930, le Roi Zog expliquait que "l'ancien nom de mon pays était Illyria, ce qui signifie liberté alors que nous avons combattu contre les invasions étrangères et souffert pendant des siècles contre l'oppression. Je souhaite la liberté et le progrès pour mon pays et la paix avec mes voisins".
Véritable fondateur de l'Albanie moderne, le Roi Zog Ier va doter l'Etat d'institutions démocratiques et de nouvelles structures.
Tout d'abord, la Constitution de 1928 a instauré une monarchie constitutionnelle avec prédominance de l'exécutif.
Les élections sont à deux degrés. Le peuple, jouissant du suffrage universel, élit des Electeurs dont le collège désigne les députés. Par ailleurs, le droit de vote aux femmes est accordé.
Ensuite, il remplacera la législation datant de l'époque ottomane par le Code civil français et, grâce à l'instauration d'un Code pénal et d'un Code commercial de type européen, il assurera l'ordre, la paix sociale et la stabilité.
Il entamera également un vaste programme de construction de routes, de ponts, d'écoles et d'hôpitaux. L'instruction sera rendue obligatoire et l'Académie des Arts sera créée. Une gendarmerie nationale sera mise sur pied et l'armée organisée. Des ministères et des hauts tribunaux seront créés et une Banque Nationale sera fondée.
Le boulevard Zog à Tirana
La question de la réforme agraire, particulièrement importante dans un pays disposant encore d'un système foncier féodal, sera discutée au Parlement et adoptée dès le 13 avril 1930.
Le Roi Zog Ier mit fin aux droits et aux privilèges des chefs de clans (Les baïraktars, en albanais, ce qui se traduit par "porte-drapeaux") qui prêteront le serment de la "Bessa" qui suspend les luttes fratricides, et supprima les titres de Pacha et de Bey. De plus, il abolira le féodalisme en décrétant un Etat laïc.
Nous nous attacherons donc, ici, à remarquer que le Roi Zog ne s'appuyait pas sur les Beys pour régner, comme l'a prétendu la propagande communiste.
Aussi, en présence d'une grande division des cultes, l'État, pour parachever l'union nationale, n'a pas choisi de religion officielle, bien que les musulmans soient majoritaires (En 1930, on recense 696.000 musulmans; 200.000 orthodoxes; 105.000 catholiques; 204 juifs; 72 protestants et 24 athées).
En effet, le Roi Zog fit en sorte que les trois confessions soient considérées sur un pied d'égalité. Aussi, autorisa-t-il le libre exercice de tous les cultes et se présenta comme le protecteur de toutes les religions. Par cette mesure clairvoyante, on peut dire, aujourd'hui, que le Roi Zog a su éviter à l'Albanie d'être un foyer de guerre de religion qui aurait pu enflammer la région.
Ainsi, avec la Turquie d’Atatürk, l’Albanie était le seul pays laïc du monde musulman. A ce sujet, il est d’ailleurs intéressant de noter, qu’en mars 1937, à l’initiative du Roi Zog, fut adopté par le parlement un projet de loi qui interdisait le port du voile. Cette loi stipulait que toute femme qui cacherait entièrement ou partiellement son visage serait puni d’une amende allant jusqu’à 500 Francs-or. De même, cette loi condamnait lourdement toute personne qui forcerait les femmes à ne pas obéir à cette mesure.
C'est ainsi, qu'ayant posé les bases d'un Etat moderne, démocratique et de type occidental, et qu'ayant substitué le droit de la force par la force du droit, le Roi Zog Ier apparaît être, pour la destinée de l'Albanie, l'homme du progrès.
Toutefois, pour réaliser cela il fallait le soutien d'une puissance amie. Le rapprochement avec l'Italie a, donc, été dicté par la nécessité mais trouve son origine dans la politique des Puissances qui voulaient faire de l'Italie la garante de la stabilité de l'équilibre stratégique de cette région sensible.
A cette époque, l'Albanie ruinée, A. Zogu doit trouver de l'argent pour financer son projet de société. Or, la Yougoslavie, avec qui il avait eu de bonnes relations, n'était pas suffisamment riche pour répondre à ses besoins. C'est pourquoi A. Zogu se tourna vers l'Italie.
Ce rapprochement fut consacré par un pacte, signé le 27 novembre 1926, connu sous le nom de "premier Pacte de Tirana". Ce pacte stipule notamment que toute perturbation directe contre le statu quo politique et juridique de l'Albanie est contraire à leurs intérêts politiques réciproques, que pour la protection des susdits intérêts, les parties s'engagent à se prêter leur appui mutuel et leur collaboration cordiale. Elles s'engagent, également, à ne pas conclure avec d'autres puissances des accords politiques et militaires, au préjudice de l'autre partie, tels qu'ils sont définis dans le pacte et, en outre, à se soumettre à une procédure de conciliation et d'arbitrage des questions qui viendraient à les diviser et qui ne pourraient être résolues par les voies diplomatiques ordinaires. La durée du pacte était fixée à cinq ans.
Quelques semaines plus tard, sur la demande du gouvernement albanais, l'Italie précisait que l'appui mutuel et la collaboration cordiale dont il est question dans le texte du pacte "ne peuvent s'interpréter autrement que comme une collaboration résultant de propositions faites par l'une des parties et acceptées par l'autre". Codicille, qui nous montre, que le Président Zogu est un homme prudent et résigné à ne pas abandonner le destin albanais à l'Italie et que, c'est soucieux de construire un Etat libéral et moderne, qu'il s'est tourné vers l'Italie.
Le 22 novembre 1927, l'Albanie signait avec l'Italie le Deuxième Pacte de Tirana, qui est un traité d'alliance défensive engageant les parties contractantes à se porter, en cas de guerre, aide mutuelle et assistance militaire et financière. La durée de ce Pacte était fixée à vingt ans.
Dans l'ordre de la politique internationale, on ne pouvait s'empêcher d'observer qu'il survenait aussitôt après la signature du pacte franco-yougoslave. C'était là l'ébauche d'un système d'alliances.
Pendant les premières années qui suivirent, les capitaux italiens introduits en Albanie ranimèrent les finances publiques et l'économie nationale dévastées par tant d'années de guerre civile.
Mais, l'influence italienne se faisait sentir partout et ne ménageait pas les susceptibilités nationales de la population. Mussolini exigeait maintenant une union douanière entre les deux pays et l'introduction de l'italien comme langue obligatoire dans toutes les écoles.
En fait, le dictateur fasciste n'avait qu'un seul but : coloniser l'Albanie. Dès lors, des frictions se multiplièrent et le gouvernement albanais, qui n'entendait pas laisser l'Italie continuer à saigner l'Albanie, s'engagea à partir de 1931, dans une nouvelle orientation politique afin de montrer son insoumission.
Cela s'est traduit par une mesure qui, pour être de portée générale, n'atteint pas moins les intérêts italiens : le Roi Zog décréta la nationalisation de toutes les écoles privées, mesure qui touche essentiellement les collèges catholiques subventionnés par Rome, et la fermeture des écoles étrangères, ce qui sapait dans ses fondements la pénétration italienne. Puis, il alla plus loin en décrétant, tout d'abord, le renvoi de la mission militaire italienne attachée à l'armée albanaise et, ensuite, en ne s'empressant pas de renouveler le premier Pacte venant à expiration.
Mais, on ne joue pas impunément avec le Duce, qui en recourant à la manière forte, c'est-à-dire en envoyant sa flotte devant le port de Durrës, le 22 juin 1934, fera céder le Roi Zog.
C'est grâce à Ahmed Zogu, qui fut proclamé Zog Ier "Roi des Albanais", comme Louis-Philippe en France ou Léopold en Belgique, que l'Albanie devint un Etat fermement progressiste et un solide facteur de paix dans cette région trouble de la péninsule balkanique.
Il va sans dire que "le pays a accompli de notables progrès dans les domaines politique, économique et culturel, ainsi que dans la construction, les communications et les services civils" et que, de plus, "une attention particulière fut donnée aux écoles afin de pouvoir envoyer à l'Université des étudiants Albanais pour qu'ils puissent se qualifier dans la tâche de développer leur pays". D'ailleurs, tous les observateurs étrangers de l'époque étaient unanimes à reconnaître le mérite du Roi Zog Ier et à considérer l'Italie fasciste de Mussolini responsable de l'interruption de cette évolution normale.
En effet, l'ancien ministre des Affaires étrangères et de la Marine de Grèce, Son Excellence P A. Argyropoulos, avait déclaré : "l'Albanie, qui vient de réaliser ses espoirs, a joué un rôle primordial au cours de l'histoire et comme facteur balkanique. Son avenir est entre les mains d'un peuple courageux, qui a lutté par les armes et a secoué le joug étranger par sa vaillance, et aussi entre les mains d'un Roi national, qui est le premier parmi les Albanais, comme le fut Scanderbeg, d'être pendant de nombreuses années l'incarnation des traditions et le vivant foyer des espérances de la Nation. Le Roi semble unir à l'autorité le don précieux, pour un conducteur d'hommes, de comprendre et de plaire".
De con côté, le sénateur français, M. Gustin Godart, ajoutait : "L'Albanie fière, forte, noble dans sa volonté de vivre libre est sur la grande route du progrès, sous la haute et sage direction du Roi Zog Ier qui, concentrant en lui l'esprit d'indépendance de la lignée des chefs montagnards dont il descend, a la lourde mission de faire une politique nationale".
Et de l'autre, M. Rappaport, rapportait : "En 1912, l'Albanie se composait de trois villayets et de quelques sandjaks de l'Empire Ottoman et une partie du patrimoine territorial des Albanais était envahie par l'ennemi. Aujourd'hui, l'Albanie est un royaume souverain et indépendant prenant part à tous les progrès du monde moderne. Comment l'Albanie a-t-elle donc réussi à accomplir ce changement radical ? D'abord par les vertus spéciales de son peuple et, ensuite, parce que les Albanais ont eu la chance de trouver un chef en l'auguste personne de Sa Majesté Zog Ier qui porte, depuis bientôt dix ans, la couronne de Scanderbeg. Et c'est par l'heureuse coïncidence du génie du Roi avec les aptitudes éminentes de la population que le miracle s'est accompli".
Enfin, son Excellence le Baron Berger-Waldenegg concluait : "pareille à l'oiseau Phénix la nouvelle Albanie est sortie des cendres qui durant une époque de son histoire l'avaient couverte. Et déjà on constate avec admiration que volonté, sagesse et travail font rattraper à ce beau pays et à ce noble peuple le tempe perdu. Guidé par son grand Roi, l'aigle albanais a repris le vol qui le conduira à la gloire et à la grandeur qu'il mérite".
Ce n'est que plus tard, dans leur refonte de l'histoire, que les communistes discréditeront les efforts du Roi Zog Ier en vue d'améliorer les conditions de vie de la population albanaise et que ceux-ci parleront de la politique de la "porte ouverte" pour exprimer la politique, selon eux anti-nationale, suivie par le Roi des Albanais. Unique fausse note, donc, dans ce concert d'espérances et de félicitations, les arguments communistes paraissent non fondés et devoir uniquement justifier leur prise du pouvoir.
De plus, ils l'accusent d'avoir pratiqué la politique dite de la "porte ouverte", mais nous observons bien, aujourd'hui, l'utopie d'une politique de la "porte fermée". En 40 ans, le marxisme-léninisme a juste su faire de l'Albanie un pays sous-développé aux conditions de vie plus que précaires. Il apparaît donc que la politique zoguiste se justifie parfaitement dès lors que l'on se réfère au contexte de l'époque. En effet, l'Albanie ayant une population d'un million d'habitants, constituée pour la plupart de paysans cultivant une terre pauvre, S.M. Zog Ier ne pouvait donner à son pays une complète indépendance sans se pourvoir d'une aide étrangère.
En outre, il nous faut bien reconnaître, que le Roi Zog a réalisé l'exploit de garder à l'Albanie sa stabilité et sa semi-indépendance pendant presque deux décennies.
A cet égard, d'ailleurs, le Baron Frédéric Villani, ministre de Hongrie, déclara : "c'est avec la plus grande joie, que j'ai constaté que l'Albanie moderne sous le règne de son grand Roi créateur d'une véritable renaissance nationale s'est engagée dans la voie du progrès. J'ai admiré ce qui a été réalisé dans un laps de temps relativement bref".
Enfin, tous les historiens sont d'accord pour affirmer que face à la rapidité de l'expansion hitlérienne, Mussolini devait redorer son blason en montrant qu'il pouvait, lui aussi, s'emparer d'une puissance européenne, ce qui discrédite la thèse marxiste selon laquelle les traités italo-albanais ont amené les italiens à annexer l'Albanie.
Et pour conclure, reflet de l'intelligentsia de son pays, le célèbre écrivain albanais réfugié en France, M. Ismail Kadaré, nous livre son opinion sur le passé et ses prévisions sur le futur : "Le Roi Zog a crée l'Albanie moderne et on l'a beaucoup critiqué à tort. L'Histoire le réhabilitera. On ne peut prétendre que le Roi Zog était un dictateur. Il n'y avait pas de répressions. Il était un Roi comme les autres à son époque mais, il a sauvé l'Albanie de l'anarchie".
En 1938, la colère populaire enfla parallèlement à la "spaghettisation" de l'Albanie, Rome s'étant lancée dans la colonisation systématique du pays par le biais d'une société pour le développement de l'Albanie. Seulement, désormais, l'heure n'était plus au colonialisme économique mais à la conquête militaire, à l'impérialisme pure.
De plus, les faits bouleversants survenus pendant l'année 1938 sur la scène politique européenne apportait de nouvelles preuves de la politique de concession des démocraties occidentales devant les puissances de l'axe, politique déjà observée de longue date puisqu'un journaliste allemand avait écrit le 2 juillet 1928 dans le Berliner Tageblatt que "si l'Europe n'a pas le courage d'obliger Mussolini à faire machine arrière en Albanie, il lui faudra le courage d'entreprendre tôt ou tard une deuxième Guerre mondiale"; ce qui ne pouvait que déchaîner l'agression fasciste contre les petits pays dépourvus de défense.
Le ministre des Affaires étrangères italien, le Comte Ciano fut chargé par Mussolini d'étudier personnellement la question. "Personne, chez nous ne tolérerait de voir la croix gammée flotter sur les rives de l'Adriatique", écrit Ciano.
Les solutions trouvées par M. Ciano pour répondre à l'Anschluss, étaient l'action en Albanie et l'occupation de ce petit pays indépendant : en somme un petit Anschluss balkanique.
M. Ciano profitera d'une invitation au mariage du Roi Zog, le 2 mai 1938, pour se faire une idée sur place.
Plusieurs mois s'écouleront avant que le plan de M. Ciano ne parvint au stade pratique et concret. En effet, ce n'est qu'au début du mois de janvier 1939 que Mussolini donna son approbation définitive. La décision fut, alors, prise "de liquider l'Albanie".
Dans les semaines qui suivirent, M. Ciano devait noter dans son journal au sujet de l'affaire albanaise : "Nous pouvons agir à notre guise; les Anglais ne veulent pas faire la guerre".
C'est à la mi-mars que la situation devint particulièrement favorable à l'exécution du projet italien d'occupation de l'Albanie. En effet, la victoire définitive des forces franquistes en Espagne était imminente, tandis que le 15 mars les troupes hitlériennes envahissaient la Tchécoslovaquie sans la moindre réaction occidentale devant ces actes d'agressions en chaîne perpétrés par les forces de l'Axe.
Cette fois, plus rien ne pouvait retenir le dictateur fasciste. Le 25 mars 1939, le gouvernement italien présentait au gouvernement de Tirana, sous la forme d'un ultimatum, un projet de traité d'union des deux pays.
Le délai pour la réponse était fixé au 6 avril à minuit.
Mais, le projet italien ne se distinguant guère d'une annexion pure et simple, le Roi Zog Ier, qui ne pouvait y souscrire, osa présenter des contre-propositions non-destinées à satisfaire les desseins mussoliniens de mainmise sur le pays.
En effet, le mercredi avant Pâques, 5 avril 1939, le Roi Zog convoqua d'urgence l'Assemblée nationale en séance extraordinaire.
A cette séance historique, le souverain demanda aux députés s'ils acceptaient la suzeraineté italienne : "Si nous décidons la résistance, nous ne pourrons tenir longtemps. Quelques semaines au plus. La disproportion des forces est trop grande. D'un côté l'Italie et ses 42 millions d'habitants, de l'autre le million d'albanais, nos soldats valeureux, certes, mais mal armés, équipés d'un armement déjà ancien, dépendant même des Italiens pour la fourniture de munitions. Nous n'aurons aucune aide des grandes puissances occidentales, trop préoccupées déjà par la situation internationale ... Si vous décidez de vous soumettre à l'Italie, je suis prêt à abdiquer. Mais, je vous le dis, comme patriote, jamais je n'accepterai l'abandon de notre indépendance".
Parmi les députés, quelques-uns n'avaient pas caché, jusque-là, leur opposition à la politique royale, d'autres ne faisaient pas mystère de leurs sympathies pour l'Italie. Tous, cependant, unanimement, votèrent pour la résistance et octroyèrent au Roi les pleins pouvoirs et l'autorité pour représenter l'Albanie "à l'intérieur comme à l'extérieur". Le roi prendra donc la route de l'exil contraint et forcé par les évènements mais sans avoir abdiqué.
Préparatifs de l'armée albanaise, quelques jours avant l'invasion italienne - Tirana - 1939
Sur cette unanimité du peuple albanais, M. Xavier de Courville, alors directeur du lycée français de Korça, a déclaré : "Il se fit un changement dans l'âme albanaise. En quelques jours, nous avons vu renaître un loyalisme et un nationalisme dont la minorité était inconnue. Dès que le Roi eut prononcé le mot de résistance, tout le pays se rallia sans hésitation à son drapeaux".
Le délai de l'ultimatum de Rome ayant expiré le 6 avril, à minuit, une armée forte de 40.000 hommes, appuyée par de nombreuses unités de la marine militaire et par une force aérienne considérable, débarqua le Vendredi Saint, 7 avril 1939, sur les côtes albanaises.
Les ports de Durrës au Nord - que défendait le colonel Abas Kupi - et de Vlora et Saranda au Sud furent investis les premiers malgré de sanglants combats. De violents accrochages opposèrent les envahisseurs aux unités de l'armée albanaise assistées par des volontaires accourus en toute hâte. Mais, même si les troupes albanaises ne cédèrent le terrain que pied à pied, la résistance fut vite brisée par "les centurions de César", commandés par le général Guzzoni, tant le combat était inégal.
Le Roi resta à Tirana jusqu'au 8 à l'aube, alors que les Italiens étaient à sept kilomètres de la capitale. Il gagna alors Pogradec, près du lac Okhrid, puis avec son gouvernement et la plupart des députés qui l'avaient suivi, il se dirigea alors vers Korça, au Sud, et atteignit la frontière grecque dans la nuit. Le gouvernement du Roi Georges de Grèce annonça que les frontières seraient fermées à minuit. Le Roi et le gouvernement passèrent la frontière grecque à minuit moins dix".
De son côté, la Reine Géraldine, accompagnée du prince héritier à qui on a donné, en souvenir d'Alexandre le Grand, le nom d'Alexandre - Leka, en albanais - avait, elle aussi, atteint la frontière grecque deux jours plus tôt. Le prince Leka a vu le jour le 5 avril 1939 à trois heures et demie soit deux jours avant l'invasion italienne.
Le 8 avril, les troupes fascistes entrèrent à Tirana et, le 10 avril, la mainmise italienne sur l'Albanie était totale.
Une fois établis, la première tâche des Italiens fut d'organiser un pouvoir ayant le sceau fasciste. Pour cela, ils fabriquèrent une prétendue "Assemblée constituante", qui se réunira dès le 12 avril en présence du Comte Ciano. Les mesures d'"union" entre les deux pays, qui furent approuvées, aboutissaient, par la mise en place de toute une organisation fasciste, à une véritable colonisation de l'Albanie.
M. Ciano écrira dans son journal : "il n'y a plus d'Albanie indépendante ... je vois les yeux de nombreux patriotes étinceler de haine et des larmes glissées sur leurs joues".
Le dernier acte se joua à Rome, le 16 avril 1939, avec la remise de la "couronne de Scanderbeg" au Roi d'Italie, Victor-Emmanuel III, qui voyait ainsi ajouter à ses titres de Roi d'Italie et d'Empereur d'Ethiopie, celui de Roi d'Albanie.
A partir de là, l'asservissement définitif de l'Albanie ne tarda pas à être réalisé. En effet, le 3 juin, en vertu du "Statut fondamental du royaume d'Albanie", le Roi d'Italie, chef suprême de l'Etat albanais, était investi des pouvoirs législatifs et exécutifs. Mais plus que lui, c'est le Duce qui régnera en maître absolu sur ce petit Etat par l'intermédiaire de l'Ambassadeur Jacomoni, nommé pour la circonstance vice-Roi.
Pour se faire accepter, les Italiens se lancèrent dans de grands travaux et mirent à leur programme l'annexion des régions du Kosovo et de la Cameria.
Les annexions rallièrent certaines personnalités, mais l'amélioration de la situation économique se dissipant rapidement, comme une illusion, créa un terrain favorable à l'essor d'actes de résistance contre l'occupant.
D'ailleurs, le célèbre défenseur de Durrës, M. Abas Kupi, qui avait quitté le territoire albanais au moment de l'invasion, y était revenu quelques semaines plus tard avec plusieurs officiers pour organiser la résistance, principalement dans le Nord.